Bioéthique et survie embryonnaire : entre protection et ambiguïté

Section II : Des recommandations équivoques de la bioéthique pour la survie de l’embryon humain

La bioéthique a tenu à marquer son attachement à la vie humaine dans ses prémices. Dans la mesure où l’embryon humain en est l’une des icônes, elle se devait de réagir face aux nombreuses manipulations auxquelles il est exposé en laboratoire. C’est dans ce sens qu’ont été émises les recommandations de la bioéthique pour un encadrement restrictif des procédés de recherche sur l’embryon humain (§1). Curieusement, lorsqu’il s’est agi de se prononcer sur

222 Ce qui signifie que l’agent inculpé a épuisé ses voies de recours ordinaires ou qu’elles sont parvenues à leurs termes.

l’usage des Cellules souches embryonnaires (CSE), on remarque un manque de parti pris du Comité international de Bioéthique (CIB) face aux nombreuses interrogations. Cela démontre l’attitude ambigüe du Comité international de Bioéthique face à l’usage des CSE (§2).

Paragraphe 1 : les recommandations de la bioéthique pour un encadrement restrictif des procédés de recherche sur l’embryon humain

L’encadrement restrictif des procédés de recherche sur l’embryon humain se manifeste à travers la soumission de la recherche à des critères de validation (A) et l’interdiction proposée des pratiques en laboratoire sur l’embryon (B).

A- La soumission de la recherche à des critères de validation

L’autorisation de la recherche sur l’embryon humain ne peut être accordée que lorsque cette recherche est pertinente du point de vue scientifique et présente par la même occasion des intérêts pour la santé publique (1). En outre, il faut qu’elle apparaisse comme étant la seule possibilité de réalisation de recherches à des fins thérapeutiques (2).

La pertinence scientifique de la recherche et la présence d’intérêts pour la santé publique

Dès le moment où, la recherche biomédicale a commencé à s’intéresser davantage aux êtres humains au cours de ses expériences, il est apparu nécessaire de délimiter son champ d’action. C’est dans cette optique que le Conseil des Organisations internationales des sciences médicales (CIOMS) en collaboration avec l’OMS a élaboré des lignes directrices internationales d’éthique pour la recherche biomédicale impliquant des sujets humains. Pour ce faire, ces organisations se sont fondées sur les principes éthiques du Code de Nuremberg de 1947 et de ceux de la Déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale mondiale de 1964. Celle-ci, bien qu’elle fasse une distinction entre recherche thérapeutique et recherche non thérapeutique n’en exige pas moins pour l’une d’entre elles de la part des chercheurs.

En effet, selon l’article 11 de la Déclaration : « la recherche médicale sur des êtres humains doit se conformer aux principes scientifiques généralement reconnus. Elle doit se fonder sur une connaissance approfondie de la littérature scientifique et des autres sources pertinentes d’information ainsi que sur une expérimentation appropriée alisée en laboratoire et, le cas échéant, sur l’animal ». Il en ressort que la recherche devra être effectuée par des

professionnels assermentés : elle ne doit pas être pratiquée au hasard et sans nécessité selon l’article 2 du Code de Nuremberg. Ceux-ci ont à charge d’effectuer leurs investigations avec

« la plus grande aptitude et une extrême attention […], ainsi que ceux qui la dirigent ou y participent » comme le prescrit l’article 8 du Code de Nuremberg.

Cela démontre la volonté de la bioéthique de protéger toutes les personnes impliquées dans les recherches en particulier celles qui sont vulnérables, à savoir l’embryon humain. Elles sont définies dans la ligne directrice 13 du CIOMS comme des personnes « relativement (ou totalement) incapables de protéger leurs propres intérêts. Plus précisément, leur pouvoir, leur intelligence, leur degré d’instruction, leurs ressources, leur force ou autres attributs nécessaires pour protéger leurs intérêts propres, peuvent être insuffisants. »

En outre, l’expérience ne devrait être autorisée par les États qu’en présence d’intérêt pour la santé publique. Elle doit être génératrice de connaissances scientifiques donnant lieu à des résultats pratiques pour le bien de la société impossibles à obtenir par d’autres moyens comme le mentionne l’article 2 du Code de Nuremberg. En outre, la recherche doit être à même de promouvoir un accès équitable aux progrès de la médecine, des sciences et des technologies, ainsi que la plus large circulation possible et un partage rapide des connaissances concernant ces progrès et le partage des bienfaits qui en découlent, en accordant une attention particulière aux besoins des pays en développement223.

Dans l’application et l’avancement des connaissances scientifiques, de la pratique médicale et des technologies qui leur sont associées, les effets bénéfiques directs et indirects pour les patients, les participants à des recherches et les autres individus concernés, devraient être maximisés et tout effet nocif susceptible d’affecter ces individus devrait être réduit au minimum224. On se rend compte que de nombreuses précautions sont recommandées pour ne pas exposer la vie des personnes soumises à ces expérimentations. L’intérêt dont il est question est celui qui doit contribuer au bien-être commun sans pour autant fouler au pied celui des particuliers. Il doit plutôt être en conformité avec les critères suivants : « soutien aux services de santé, accès aux connaissances scientifiques et technologiques, installations et services destinés à renforcer les capacités de recherche »225.

223 Art 2-F de la Déclaration Universelle sur la Bioéthique et les Droits de l’Homme.

224 Ibid., art. 4.

225 Ibid., Art. 15.

Au vu de ce qui précède, l’on peut affirmer que la bioéthique œuvre à une plus grande protection de l’embryon humain au travers de l’érection de ses différents principes, outre ceux- ci, elle exige la réalisation de progrès médicaux majeurs.

La seule possibilité de réalisation de recherches à des fins thérapeutiques

Il ne saurait être question d’autoriser une recherche dont l’issue est certainement infructueuse. En effet, « la recherche vise à obtenir des connaissances qui déboucheront sur une amélioration du diagnostic, de la prévention ou du traitement de maladies ou autres problèmes de santé caractéristiques des personnes vulnérables ou qui leur sont propres, qu’il s’agisse des sujets eux-mêmes ou d’autres membres du groupe de personnes vulnérables »226.

On comprend donc qu’une recherche sur l’embryon humain devrait en principe concourir à son épanouissement en favorisant la découverte de traitements innovateurs censés prévenir certaines pathologies dont il est victime ou les éradiquer tout simplement. La recherche doit inclure un respect de sa personne et ne pas être la source d’abus.

À la réalité, comme le soulignent certains doctrinaires dans l’un des avis du CCNE, la contrainte de réaliser des progrès thérapeutiques majeurs est la conséquence logique « des recherches pertinentes », cela semblerait justifier a priori de leur « intérêt pour la santé publique ». Il relève que cette accumulation de conditions qui leur apparaissent redondantes aurait pour « effet de suggérer un caractère tout à fait exceptionnel qu’aurait une dérogation à l’interdiction de ces recherches »227.

Par ailleurs, ils estiment que la limitation de ces recherches à celles « susceptibles de progrès thérapeutiques majeurs » risquerait de compromettre les avancées de celles-ci. Ce point de vue n’apparait pas pertinent dans la mesure où l’intention de la bioéthique consiste à freiner les attitudes réificatrices à l’égard de l’embryon humain qui même en tant que plus petit des patients228 exige que les conditions édictées soient remplies à son égard.

Il apparait que l’embryon humain est inclus dans plusieurs principes éthiques à caractère international qui témoignent de la considération que lui voue la bioéthique. À côté des normes

226 Ligne directrice 13 sur la recherche impliquant des sujets vulnérables (CIOMS).

227 Avis n° 112 du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé : Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro, p. 38.

228 A.-M. de VILAINE considère que les pratiques de procréation médicalement assistées, telles qu’elles sont réalisées, supposent une violation des principes du Code de Nuremberg (« Sortir de l’histoire », dans Le magasin des enfants, collectif sous la direction de J. Testart, Paris, Bourin, 1990, p. 140 et s.) cité par R. Andorno, op. cit, thèse, p. 164.

visant l’encadrement de la recherche figure celles qui attraient à l’interdiction de certaines pratiques.

B- L’interdiction proposée des pratiques en laboratoire sur l’embryon

Ces pratiques constituent de véritables menaces pour l’humanité. C’est la raison pour laquelle l’une est jugée inadmissible tandis que l’autre fait l’objet de condamnation. Il s’agit respectivement du clonage reproductif (1) et de la conception d’embryons chimériques (2).

L’inadmissibilité du clonage reproductif

Le clonage est une manipulation génétique consistant en la reproduction d’un être à partir de ses propres cellules. D’un point de vue génétique, le clonage peut se définir comme la méthode de multiplication cellulaire in vitro ou in vivo par reproduction asexuée, aboutissant à la formation de clones. Le clone est un ensemble des cellules dérivées d’une cellule initiale qui possède donc la même constitution génétique229.

La découverte de cette nouvelle technique s’est faite suite à la naissance de la brebis Dolly en 1997 par clonage reproductif230. Ce qui a suscité, dans le monde entier, de vives inquiétudes quant aux possibilités de clonage reproductif d’êtres humains. En effet, cette trouvaille venait ainsi d’ouvrir la voie dans l’esprit de plusieurs chercheurs, à la possibilité de mener des recherches radicalement nouvelles sur des cellules d’origine embryonnaire. Ce clonage avait consisté à créer in vitro un embryon génétiquement identique à une brebis adulte, en transférant, dans un ovocyte dont on avait préalablement retiré le noyau, le noyau d’une cellule du corps de cette brebis adulte231.

Partant d’un embryon humain créé in vitro, le clonage à des fins reproductives a pour but d’obtenir à un stade précoce des embryons génétiquement identiques aux cellules d’une personne adulte donnée, et d’en isoler les cellules souches embryonnaires en détruisant ces embryons qui ne seraient pas implantés, mais pourraient servir à différentes fins dans la médecine régénératrice232. Cette découverte dont personne ne savait alors si elle était applicable à des cellules humaines allait conduire à une condamnation internationale de l’éventualité

229 M.HELLENBRAND. op. cit., p. 254.

230 Comité directeur pour la bioéthique, « la protection de l’embryon humain in vitro », rapport du groupe de

travail sur la protection de l‘embryon et du fœtus humains (CDBI-CO-GT3). Strasbourg, le 19 juin 2003, p. 3.

231 Avis n° 112 du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, op. cit., p. 22- 23.

232 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), septième session, vol 1, 2001, p. 96.

d’utilisation de cette technique dans le cadre de l’AMP, dans le but de faire naître des enfants par clonage dit reproductif233.

Au-delà des avantages potentiels de la pratique du clonage reproductif subsistent des questions de sécurité et de graves questions éthiques. Il est question de manipulation génétique donnant lieu à des êtres identiques menaçant de ce fait leur dignité humaine. C’est la raison pour laquelle le CIB souhaite que : « soit découragée cette pratique par exemple en refusant de donner accès à des ressources publiques. Dans certains cas, elle doit même être interdite. Les recherches sur la possibilité du clonage d’êtres humains à des fins de reproduction demeurent l’exemple le plus illustratif de ce qui devrait rester interdit partout dans le monde »234.

C’est ce que certains États se sont fait fort de mettre en pratique. À titre d’exemple l’on peut citer l’Allemagne qui « interdit le clonage […] embryon, fœtus, être humain vivant ou décédé, ainsi que le transfert d’un tel embryon sur une femme »235. Le Comité national d’éthique tunisien s’est prononcé contre toute forme de clonage dans son avis n0 3 du 22 mai 1997236. Le Pérou interdit explicitement le clonage humain et la fécondation d’ovules humains à des fins autres que la procréation selon sa loi n026-842.

Le droit à la vie dès le moment de la conception est reconnu au Pérou par le Code de l’enfance et l’adolescence, précisément dans la loi n0 27-337. Au Costa Rica, la reconnaissance est faite dans la loi n0 7739 de 1998. En Équateur, elle est faite par l’article 49, paragraphe 1 de la Constitution de 1998237. En Côte d’Ivoire, selon l’article 36 de l’avant-projet de loi

« l’assistance médicale à la procréation par recours aux techniques de clonage est interdite ».

La bioéthique n’a pas fait que s’insurger contre la pratique du clonage humain qui constitue une véritable dérive dans le cadre des manipulations génétiques, elle a tenu à proscrire une autre pratique qui semble plus dangereuse que la première. Il s’agit de la création d’embryons chimériques.

La condamnation de la création d’embryons chimériques

« Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme »238. Cette réflexion de Rabelais demeure d’actualité en ce sens que la science opère des fusions d’informations génétiques

233 Avis n° 112 du Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, Ibid., p. 23.

234 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), ibid., p. 109.

235 R. ANDORNO, op. cit., p. 194.

236 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), op. cit., p. 37.

237 Ibid. p. 18.

238 F. RABELAIS, Pantagruel, 1532.

donnant lieu à des embryons humains disposant d’un matériel génétique mixte et à des êtres hybrides. Ce qui a pour conséquence de brouiller les frontières entre l’Homme et l’animal.

En 1970, certains chercheurs américains notamment Paul Berg et Stanley Cohen envisagèrent sur la côte ouest des États-Unis de recombiner dans un tube à essai deux portions de chromosomes d’origines différentes. Cette combinaison aboutit à la création d’un chromosome dit chimère, introduit par la suite dans chacun des types cellulaires donneurs. De façon schématique, la cellule ainsi transformée manifeste des propriétés qui équivalent à la somme de celles portées par chacun des chromosomes239.

Cette découverte n’a pas laissé indifférente la communauté scientifique. Elle a donné lieu à de nombreuses réactions et interrogations quant au devenir de ces êtres artificiels et à l’imprévisibilité des caractères qu’ils pourraient développer. Le danger réside dans le fait que cette technique consistant à générer des organes humains dans un corps animal tend à humaniser les animaux ce qui représente un grand risque pour l’avenir de l’humanité.

Au regard de la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines, ce genre de pratique ne devrait pas avoir lieu. En effet, son article 27 est libellé comme suit :

« aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme pouvant être invoquée de quelque façon par un État, un groupement ou un individu pour se livrer à une activité ou accomplir un acte à des fins contraires aux droits de l’homme, aux libertés fondamentales et à la dignité humaine, et notamment aux principes énoncés dans la présente Déclaration ».

C’est la raison pour laquelle certains organismes internationaux sont montés au créneau pour dénoncer ce procédé ce qui a conduit à son interdiction dans plusieurs États. L’article 2151-2 du Code de la santé publique français a connu l’ajout d’un nouvel alinéa qui dispose que : « la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». Le Vatican a réagi à la création d’embryons-chimères en affirmant que : « la création d’un être homme- animal est une frontière violée dans le domaine de la nature, la plus grave, ce qui entraine une condamnation morale totale »240.

En Côte d’Ivoire, si l’on s’en tient à l’interdiction de l’eugénisme qui émane de l’avant- projet de loi, l’on pourrait en déduire que la création d’embryons-chimères y est interdite. Cependant, vu le fait que cela n’est pas formel, il serait opportun que le législateur l’affirme

239 M.HELLENBRAND. op. cit., p. 255.

240 www.la-croix-com. « le flou de la loi sur les embryons chimères » par Loup Besmond de Senneville, mis en ligne le 11 décembre 2018.

clairement dans l’avant-projet, au risque de voir certains chercheurs se prévaloir d’un vide juridique pour effectuer des combinaisons des informations relatives aux caractéristiques héréditaires des individus, mettant en péril la vie de la société.

Si les différentes manipulations génétiques précitées ont conduit à un éveil de la bioéthique, manifesté par de vives recommandations à l’endroit des États quant à leur interdiction, il n’en n’a pas été de même dans le cadre de l’usage des CSE. Cette quasi-passivité du CIB mérite que l’on s’y attarde.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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