Transhumanisme et dignité: le dilemme éthique de la FIV

Paragraphe 2 : Les répercussions de la FIV sur l’embryon humain

Pour mener à bien la FIV, il est impérieux de recourir à certaines techniques. Celles-ci contribuent davantage au rejet de la dignité de l’embryon humain (A) et tendent à consacrer un certain transhumanisme (B).

A- Le rejet de la dignité de l’embryon humain

Le rejet de la dignité de l’embryon se manifeste par sa congélation (1) lorsqu’il est produit en surnombre et par sa destruction en l’absence d’une réimplantation (2).

La congélation d’embryons humains

La congélation d’embryons humains a été mise au point en 1983 par une équipe australienne, occasionnant la naissance en 1984 de premiers enfants après transfert d’embryons congelés en Australie et au Pays-Bas. La congélation est une conséquence de la FIV. À l’occasion de la mise sur pied de cette pratique, un traitement hormonal susceptible d’amener à maturité un grand nombre d’ovocytes, en moyenne 4 à 5, mais quelquefois une dizaine ou plus,

187 Académie Pontificale pour la Vie, l’embryon humain dans la phase préimplantatoire. Aspects Scientifiques et considérations bioéthiques, op. cit., p. 14.

188 Ibid.

est administré à la femme. La congélation des embryons se fait à une étape très précoce de leur développement entre le 1er et le 6e jour de la fécondation, ce qui signifie qu’ils doivent être soit à l’étape de morula soit à celle de blastocyste189.

Les embryons obtenus à partir des ovocytes fécondés ne font pas tous l’objet d’un transfert immédiat. En effet, pour limiter le risque de grossesses multiples, un ou deux embryons sont habituellement transférés dans l’utérus de la femme. Les autres embryons en surnombre encore désignés par l’appellation « d’embryons surnuméraires » sont congelés selon qu’ils répondent aux attentes des uns et des autres. En Côte d’Ivoire, suivant l’avant-projet de loi, il est possible d’affirmer que la congélation d’embryons humains coïncide avec un cadre bien précis, à savoir le projet parental. C’est qui ressort de l’article 48 de l’avant-projet.

Par ailleurs, le processus de congélation des embryons répond à des étapes qui consistent à placer chaque embryon dans une sorte de petit tube appelé paillette et portant le nom de ceux à qui ils sont destinés. La paillette est amenée à une température très basse (-196 °C) rapidement190 ou plus lentement191. Ceci permet d’interrompre temporairement le développement des embryons tout en maintenant leur viabilité. Les paillettes, contenant les embryons congelés, sont alors conservées dans une cuve d’azote liquide située dans le laboratoire des centres d’AMP192.

Le délai fixé pour la congélation des embryons dans l’avant-projet est de «  deux années, renouvelable pour la même période au plus, et ce, sur présentation d’une demande écrite du couple » selon son article 49. Alors qu’en France, un délai de 5 ans a été proposé par le Conseil d’État193. Ce court délai en Côte d’Ivoire viserait à inciter les couples à se décider rapidement afin que la congélation ne s’étende pas trop. En effet, « à l’expiration de ce délai, sans renouvellement de la demande, ou en cas de décès de l’un des deux membres du couple concerné, la congélation de ces embryons sera interrompue ».

La congélation est loin d’être une technique inoffensive. Il est à souligner qu’elle soulève des questions éthiques et juridiques. Sur le terrain de l’éthique, elle produit la mort de près de la moitié des embryons et cause des dommages à une partie importante des survivants194.

189 Ibid.

190 On parle dans ce cas de congélation par vitrification.

191 Il est question de congélation lente.

192 Ibid.

193 De l’éthique au droit, Étude du Conseil d’État, La documentation française, Notes et études documentaires, n° 5, 1988. Ce document a inspiré l’avant-projet de loi sur les sciences de la vie et les droits de l’homme (dit « avant-projet Braibant ») de 1989, cité par R. ANRORNO, op. cit., p. 170.

194 A. JUNCA et al., « Factors involved in the success of human embryo freezing. Does cryopreservation really improve the IVF results? », Annals of the New York Academy of Sciences, n° 541, 1988, p. 575: « A positive survival was obtained for 54 % of them [the embryos], and a complete preservation for 38 % ». La conclusion des auteurs semble plutôt défavorable à la congélation d’embryons: « the cryopreservation of human embryos is a

Apparemment, les pertes se produisent surtout au moment où l’on décongèle les embryons, à cause du choc produit par le changement de température et du milieu physiologique195.

En outre, elle marque une interruption dans le développement de l’embryon humain qui en principe, est continuel, en offrant aux couples la possibilité de concevoir leur enfant en temps voulu ce qui constitue un mépris de sa dignité. C’est à juste titre qu’il est affirmé que la congélation entraine « des périodes d’intemporalité dans la genèse de la vie, accuse la réification de l’embryon in vitro et les risques de la dissociation entre la fécondation et la gestation » 196.

Au plan juridique, elle bouleverse la filiation, les successions et la responsabilité civile. Serait-il possible pour un individu resté congeler à l’état embryonnaire pendant quatre ans de se retourner contre ses médecins après sa naissance en cas de troubles psychologiques subis ou pour toutes autres raisons ?197

Si l’on part du fait qu’il n’existe aucune différence entre l’embryon in utero et l’embryon in vitro. On parvient à la conclusion que tous deux sont des êtres humains et qu’ils ont la même dignité car la Constitution ivoirienne place les êtres humains sur un pied d’égalité et interdit

« les traitements inhumains, cruels, dégradants […] ainsi que toutes les autres formes d’avilissement de l’être humain »198. Par conséquent, la congélation de l’embryon in vitro s’apparente en une violation de sa personne. De plus, en l’absence de transfert de l’embryon congelé, il ne pourra faire l’objet de don ni à un autre couple ni pour la recherche car cela est proscrit dans l’avant-projet. L’ultime alternative qui soit, consiste en la destruction de l’embryon surnuméraire.

La destruction d’embryons surnuméraires

Dans l’article 52 de l’avant-projet, il est stipulé que : « des embryons surnuméraires peuvent être conçus et conservés, en vue d’une nouvelle tentative de replacement, après accord écrit des deux membres du couple et avis du médecin traitant ». C’est dire qu’en cas de

technique that requires a great deal of technical assistance and appears far less successful than might have been anticipated. Moreover, the storage of the embryos raises ethical and legal problems » (p. 580), cité par R. ANDORNO, op. cit., p. 169.

195 P. MAZUR, « Stopping biological time. The freezing of living cells », Annals of the New York Academy of Sciences, n° 541, 1988, p. 514. R. ANDORNO, ibid.

196 Comité consultatif national d’éthique, Avis du 15 décembre 1986, point 2 B, ibid.

197 P. MAZUR, op. cit., p. 514: « Cryobiologists are often asked how long cells can remain viables at -196° C, the temperature of boiling liquid nitrogen (which is the usual cryogenic fluid). The answer is clear : more than

1.000 years »… ,ibid.

198 Art. 5 de la Constitution ivoirienne de novembre 2016.

désaccord du couple, le sort de l’embryon pourra être scellé. L’idée de complémentarité établit par le « et » laisse croire que ces conditions sont cumulatives. Par ailleurs, quel rôle joue alors l’avis donné par le médecin traitant ? Est-ce un rôle décisif ? Que se passera-t-il dans le cas où le médecin s’opposerait à ce que le couple désireux d’obtenir un enfant par FIV renouvelle la tentative ?

Autant d’interrogations qui demeurent sans réponse, mais qui sont susceptibles de donner lieu à des conflits entre les couples et leurs médecins. Il serait bénéfique que le législateur lève le coin de voile sur ces problèmes. Le constat est que l’embryon surnuméraire est exposé à la destruction. Mettre fin au processus de vie entamé en cas de non-congélation ou de non-transfert de l’embryon parait être une suite logique pour certaines personnes, cependant il n’en est rien.

Comment comprendre que l’on puisse féconder plusieurs ovocytes à la fois alors que seulement un ou deux embryons seront transférés ? Dans ces conditions, il vaudrait mieux ne féconder que le nombre d’ovocytes dont l’on a besoin pour l’opération plutôt que de donner vie à des embryons pour finalement les détruire sous prétexte qu’ils sont en grand nombre.

Certains estiment que cela permet de réduire les risques de renouvellement de l’opération en cas d’échec car celle-ci est douloureuse. Cela semble être un argument pour satisfaire les caprices de ces personnes au détriment de l’embryon in vitro car « une fois de plus, la seule question qui vaille est celle du prix de l’existence humaine »199.

En cas d’adoption du projet de loi, le divorce constituerait une menace pour l’embryon surnuméraire. En effet, à « la demande des deux membres du couple ou de l’un d’eux, le tribunal saisi de la procédure de divorce pourra ordonner l’interruption de la congélation de leurs embryons, et ce après le prononcé du jugement de divorce » selon l’article 51 de l’avant-projet.

Il apparait que la condition de l’embryon surnuméraire relève de l’ironie. Quand l’on sait que : « nul n’a le droit d’ôter la vie à autrui » selon qu’il est prôné en l’article 3 de la Constitution ivoirienne, on comprend mal la destruction de l’embryon surnuméraire à moins que le terme « autrui » ne fasse pas allusion à lui aussi, ce qui ne semble pas avéré dans la mesure où la constitution ne fait aucune distinction.

199 Bruaire Claude, Une éthique pour la médecine, Paris, Fayard, 1978, p. 95, cité par R. ANDORNO, op. cit., p. 124.

L’embryon in vitro est la cible de nombreux actes que dévoilent au grand jour le manque de considération à son endroit. Vu l’ampleur de ses agissements qui s’inscrivent de plus en plus dans les mœurs, l’on ne peut que constater la consécration d’un certain transhumanisme.

B- La consécration d’un certain transhumanisme

Le mot « transhumanisme» relève du néologisme. Il s’analyse en une

« marchandisation de la vie humaine ». Il apparait comme étant une dialectique irrépréhensible des lois de nécessité du capitalisme. C’est en comparaison à la transhumance qui est une action visant le déplacement saisonnier d’un troupeau d’un lieu à un autre, selon le bon vouloir du berger, que ce mot a vu le jour. Il est utilisé pour porter une critique sur la chosification des êtres en raison d’intérêts pécuniaires. Lesquels intérêts conduisent à une sélection des embryons surnuméraires (1) et laissent entrevoir une probable menace d’eugénisme à laquelle s’expose l’humanité (2).

La sélection des embryons surnuméraires

Dans les laboratoires, les embryons sont examinés au microscope. La congélation des embryons surnuméraires n’est pas toujours possible lors d’une tentative de FIV. Ceux d’entre eux qui possèdent des critères de développement satisfaisants sont conservés pour un transfert ultérieur. On assiste à une sorte de sélection de l’être humain. Cette sélection est encouragée par la Convention d’Oviedo en son article 14, il en ressort que : « l’utilisation des techniques d’assistance médicale à la procréation n’est pas admise pour choisir le sexe de l’enfant à naître, sauf en vue d’éviter une maladie héréditaire grave liée au sexe ».

Ce qui fait figure d’exception dans la Convention tend à devenir la norme. De nombreux embryons sont laissés pour compte juste parce qu’ils ne satisfont pas aux critères d’esthétique de certains parents ou qu’ils présentent des handicaps mineurs ou même par erreur de diagnostic. Le sexage est une manipulation génétique qui devait être proscrite sans exception. Elle instaure une hiérarchisation des êtres humains. C’est en ce sens que Jacques Testart affirme ceci : « le problème n’est plus aujourd’hui de faire un enfant, mais la possibilité d’un travail sur l’œuf ; la possibilité d’un tri. On choisit un embryon plutôt qu’un autre… »200.

L’un des volets les plus attractifs de la FIV réside pour certaines personnes dans la possibilité qu’elles ont de choisir le sexe de leur enfant tout en s’assurant par la même occasion qu’il est sain, exempt de tout handicap. Le DPI est utilisé soit pour déterminer le sexe de

l’embryon ce qui permet d’identifier une ou des affections liées au chromosome X (il en existe plus de 200), à savoir des maladies susceptibles d’être transmises à l’enfant selon qu’il est un garçon ou une fille.

À cet effet, en Angleterre, il est possible après une FIV de trier les embryons et d’en sortir du lot ceux qui souffrent de strabisme (il s’agit de ceux qui louchent). Aux États-Unis, il est possible de faire le tri des embryons pour éviter des risques de maladies. Les embryons non porteurs de l’anomalie sont transférés dans l’utérus. La sélection des embryons humains conduit de plus en plus à porter un regard négatif sur les personnes souffrant d’une altération de leurs facultés physiques ou mentales. Cette manipulation tend à instaurer un modèle « d’Homme parfait » et vend ainsi du rêve à l’humanité. Par ailleurs, cette pratique constitue en elle-même une probable menace d’eugénisme pour l’humanité.

Une probable menace d’eugénisme pour l’humanité

Du grec, eu (bien) et genos (race), l’eugénisme est l’ensemble des méthodes qui visent à améliorer le patrimoine génétique de groupes d’humains201. Elles consistent en la volonté d’améliorer l’espèce humaine à l’aide de la technologie génétique. Elles apparaissent comme étant « la recherche de l’excellence » en matière humaine. Une humanité dépourvue de personnes handicapées. La raison en est que certaines personnes les considèrent comme étant une charge pour la société. En raison du fait que, selon la gravité du mal dont ils souffrent, des soins spéciaux doivent être administrés aux patients dans des instituts spécialisés. Cette prise en charge se fait à des coûts parfois très élevés, ce qui n’est pas du goût des assurances et organismes de sécurité sociale. Alors que dès l’instant où ces malades sont éliminés à l’état embryonnaire, plus besoin de s’en préoccuper.

Pour Jacques Testart, le risque est évident de vouloir arriver à une perfection réalisable dans un proche avenir ; « Il est délicat par exemple de dire qu’il n’existe pas de base génétique à l’intelligence, explique-t-il. On sait que la vitesse de l’influx nerveux joue sur l’intelligence. Or l’influx nerveux est contrôlé génétiquement. Un jour, on pourra influer sur cette vitesse »202.

Que deviendra l’humanité dans ces conditions ?

N’est-ce pas la diversité des êtres humains qui la composent et leur singularité qui en font sa beauté ? De tout temps, les personnes souffrant de différentes sortes d’handicap en ont

201 Carine Girac MARINIER et Jacques FLORENT, le petit Larousse, éd 2013. p. 431.

toujours fait partie et contribuent à son équilibre. Ceux-ci méritent que l’on continue à leur accorder le respect qui leur est dû en leur qualité d’humain. D’autant plus que les instituions tant nationales qu’internationales s’accordent sur l’égalité entre les êtres humains.

« La conception de l’embryon humain dans un but d’eugénisme est interdite », peut-on lire à l’article 34 de l’avant-projet. Cette disposition est salutaire au regard des dérives que peut produire l’eugénisme. Mais par quelle stratégie l’État envisage-t-il de faire respecter cette disposition en cas d’adoption du projet ? En effet, c’est la FIV qui conduit inexorablement à la sélection des embryons humains et au choix de leur sexe, puisqu’elle est introduite en Côte d’Ivoire, comment fera-t-on pour savoir que des couples sont à l’œuvre pour obtenir « des embryons irréprochables ? »  Autant de questions sur lesquels il serait judicieux d’éclairer les uns et autres.

L’eugénisme est un état d’esprit qui prend forme dans l’accomplissement d’actes précis. Cette classification des êtres sur la base de critères discriminatoires s’avère être dangereuse pour le devenir de l’humanité.

L’embryon humain est un être humain à caractère spécial car bien qu’étant dans les entrailles de sa mère, il dispose en lui-même de tout le matériel génétique nécessaire à son développement. Il est donc un individu organisé. C’est dans le cadre de la reconnaissance de son humanité qui est censée déboucher sur son insertion dans la catégorie juridique des personnes que des difficultés sont survenues.

Réifier en l’absence de droits patrimoniaux, l’embryon humain se trouve exposé à de multiples abus. Alors qu’au regard de la summa divisio, sa nature aurait dû être précise. En jetant le regard du côté de la science, on constate que la bioéthique n’est pas parvenue à lui conférer une qualification reflétant les valeurs qu’il incarne. Elle a été suivie dans son élan par la religion. En effet, l’embryon humain est plutôt instrumentalisé en raison des techniques de PMA. Celles-ci en plus de bafouer sa dignité, semblent vouloir plonger l’humanité dans un chaos total avec ses tendances à vouloir perfectionner l’être humain.

La nature de l’embryon humain est indécelable en droit civil ivoirien car rien n’indique une prise de position tranchée en la matière. Cela ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas lui accorder un minimum de protection. C’est ce qui a été entrepris en droit pénal ivoirien.

À partir de quel moment la vie doit-elle être protégée ? Ne doit-on protéger que la vie des personnes vivantes, c’est-à-dire nées vivantes et viables ou cette protection doit-elle également s’étendre à la vie naissante, à savoir celle de l’embryon humain ? C’est dans ce

contexte que se pose la question du régime juridique de l’embryon humain. Cette expression réfère au degré de protection garanti par la loi à la vie avant la naissance. Il est à relever que les nombreuses incohérences quant à la nature de l’embryon humain en droit ivoirien n’ont pas été un frein à l’élaboration de mesure visant à le protéger bien que celles-ci tanguent entre la réalité et l’utopie.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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