La nature de l’embryon humain : exploration des vues monothéistes

Paragraphe 2 :

Les réflexions controversées de certaines religions monothéistes sur la nature de l’embryon humain

Il sera fait cas des opinions exprimées par certaines religions monothéistes concernant l’embryon humain à défaut d’une inspection complète des différentes religions.

En l’occurrence le catholicisme romain, le protestantisme, l’islam et le judaïsme. Le choix de ces religions est dû, pour la majorité d’entre elles, à leur forte représentation sur la scène religieuse ivoirienne. Ce qui laisse penser que de par leur influence, elles pourraient conduire le législateur à reconsidérer certaines décisions.

Dans la mesure où ces religions tergiversent en ce qui concerne l’embryon humain, leur attitude pourrait ne pas conduire le législateur à prendre en compte leur avis. Les différentes conceptions de la nature de l’embryon transparaissent dans l’opposition des approches catholique et protestante (A) et dans l’apparente similitude des visions islamique et judaïque (B).

151 J. DABIN, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952, p. 108, cité par R. ANDORNO, Ibid., p. 61.

152 Cf. J. HERVADA, Introduction critique au droit naturel, Bordeaux, éd. Bière, 1991, p. 105 et s, cité par R. ANDORNO ibid.

153 Ibid.

A- L’opposition des approches catholique et protestante

Cette opposition est marquée par la mise en avant d’une nature complexe de l’embryon humain (1) et par la présence de contradictions au niveau des prises de position (2).

La mise en avant d’une nature complexe de l’embryon humain

La religion catholique possède un Magistère ayant à charge d’interpréter la révélation Reçue et de prendre position sur les questions en rapport avec la foi et les mœurs. Ces prises de position se font à la lumière des règles édictées par le droit canonique d’où elles tirent leur autorité. C’est ainsi que la déclaration romaine de 1987 intitulé Donum vitae, tend à reconnaitre une présence personnelle et donc un statut de personne dès la conception154.

« […] dès que l’ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père, ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors. À cette évidence de toujours, la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations […] »155. Cette affirmation n’était valable que pour l’embryon in utero.

On en déduit que l’Église est favorable à une animation immédiate de l’embryon humain. Cette affirmation s’apparente en une confirmation de cette vision à laquelle certaines doctrines catholiques se sont opposées. C’est cette union d’âme et de corps que confirme Mgr Sgreccia lorsqu’il soutient que : « l’homme reste l’homme même lorsque, pour des raisons accidentelles, il n’exerce pas encore, ou qu’il ne réussit pas à exercer ses facultés mentales »156.

À l’avènement de la fécondation in vitro, il a fallu se prononcer sur le sort de cet être conçu en laboratoire. Ainsi, le Pape Jean-Paul II a-t-il affirmé que : « l’utilisation des embryons ou des fœtus humains, comme objets d’expérimentation, constitue un crime contre leur dignité d’êtres humains »157. Ce rejet de toutes idées réificatrices de l’embryon humain est atténué par l’autorisation de manipulations à visée thérapeutique dans le respect de son intégrité.

154 L. LEPIENNE., « Vers une bioéthique européenne ? L’exemple de l’embryon humain », notes de la fondation Robert Schuman, novembre 2003, p. 24.

155 (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, Le statut éthique de l’embryon humain : une réflexion innovante du magistère catholique, Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Donum vitae sur le respect de la vie naissante et la dignité de la procréation, p. 4.

156 Elio. SRGRECCIA, manuel de bioéthique, les fondements de l’éthique biomédicale, Mama Edifa, Paris, 2004, p. 121, ibid., p. 12.

157 Jean-Paul II, Discours aux participants à la VIIIe Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 27 février 2002, cité par (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, ibid.

L’avènement de Dignitas personae158 a contribué à créer une certaine confusion. Il y est fait état des questions contemporaines de bioéthique. Lorsque l’Église catholique déclare que « le fruit de la génération humaine dès le premier instant de son existence, c’est-à-dire à partir de la constitution du zygote exige le respect inconditionnel moralement à l’être humain [qui] doit être respecté et traité comme une personne dès le moment de sa conception »159, l’on est surpris. On pourrait en déduire que finalement, elle ne considère pas l’embryon humain comme une personne. Dans le cas contraire pourquoi ne l’a-t-elle pas affirmé de façon précise ? Ce jeu de mots laisse perplexe quant à la véritable position de l’Église catholique sur la question.

Tandis que chez les protestants, il n’existe pas de pensée unique et officielle sur le statut de l’embryon. L’éthique protestante ne se fonde pas sur une morale naturelle ou biologique. Elle se réfère « aux valeurs humaines en jeu dans les diverses situations pour évaluer les actes personnels. La responsabilité parentale, l’équilibre de la famille, l’intérêt de l’enfant, les conditions d’accueil, les existences présentes pèsent dans la balance face à la vie de l’être embryonnaire dont la potentialité ne peut se réaliser que si elle rencontre un projet, un désir d’accueil »160.

La religion protestante semble s’accommoder au concept de « personne humaine potentielle » véhiculé par la bioéthique, puisque seuls les intérêts humains en jeu sont pris en considération au détriment de la dignité de l’embryon. Le sort de l’embryon in vitro semblerait plus catastrophique car si le projet dont il est question fait allusion au projet parental, il se retrouverait dans une impasse dans la mesure où son existence dépendrait du bon vouloir de ses parents.

Ces natures complexes de l’embryon humain provenant des deux religions dévoilent des contradictions au sein de leurs prises de position (2).

Exploration des vues monothéistes sur la nature de l'embryon humain

La présence de contradictions au niveau des prises de position

Si l’on part du fait que : « c’est à la lumière des critères énoncés par Donum vitae »161 que Dignitas personae a été élaborée, on comprend mal l’affirmation « traité l’embryon humain comme une personne ». D’autant plus que dans le Donum vitae, on s’interroge de la sorte : « comment un individu humain ne serait-il pas une personne ? »162.

158 Une partie de ce cours a été prononcé lors du colloque organisé par l’Archevêché de Paris aux Bernardins le 29 janvier. L’autre a été publiée in Pierre-Olivier Arduin, le statut de l’embryon, problème de bioéthique, Actes du colloque tenu à l’Institut catholique de Rennes le 25 novembre 2008 sous la présidence de Mgr d’Ornellas, parole et silence, 2009, pp. 13-39.

159 (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, ibid., p. 1.

160 L. LEPIENNE, op. cit., p. 20.

161 Une partie de ce cours a été prononcé lors du colloque, préc., p. 1.

En outre, la sévère critique de Jean Paul II qui soutient que : « la distinction qui est parfois suggérée dans certains documents internationaux entre être humain et personne pour reconnaitre ensuite le droit à la vie et à l’intégrité physique uniquement à la personne déjà née [qui] est une distinction artificielle sans fondement scientifique ni philosophique »163 laisse penser que la position de l’Église est tranchée sur la question.

C’est de la suggestion de l’Académie pontificale pour la Vie que proviendrait toute cette confusion. Elle s’est exprimée en soulignant que : « si l’on doute, devant un embryon humain, de se trouver devant une personne humaine, il est nécessaire de respecter l’embryon comme s’il l’était ; autrement, on accepterait le risque de commettre un homicide […] »164. Les choses apparaissent plus clairement de la sorte. Dans ces circonstances, le Dignitas personae aurait dû être plus explicite, car sa prise de position est largement interprétée comme une négation de la qualité de personne à l’embryon humain.

Par ailleurs, l’Église n’admet pas le DPI, mais consent au diagnostic prénatal s’il n’aboutit pas à une interruption médicale de grossesse.

Dans le protestantisme, la plupart des techniques sont autorisées. Les seules restrictions formulées sont que ces techniques doivent uniquement servir à un couple hétérosexuel165 et qu’il ne doit pas y avoir d’autres motivations (par exemple financière) que celle de donner la vie à un enfant. Le DPI est admis dans certains cas exceptionnels. Des recherches sont possibles avec l’accord des parents.

L’autorisation de recherche sur la personne de l’embryon in vitro traduit un manque de considération puisque l’on sait qu’il est traité comme un véritable « matériau de laboratoire ». Il est soumis à toutes sortes d’expériences pouvant l’affecter gravement. L’attribution de la qualité de « personne humaine potentielle » à l’embryon humain est accompagnée d’un minimum de restrictions de la bioéthique. Cependant, l’on pourrait affirmer qu’elles font ici l’objet de négligence.

162 Ibid., p. 11.

163 Jean-Paul II, op. cit., cité par (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, Ibid., p. 12.

164 Académie pontificale pour la Vie, L’embryon humain dans la phase préimplantatoire, aspects scientifiques et considérations bioéthiques, Libreria editrice vaticana, 8 juin 2006, p. 43, cité par (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, Ibid.

165 Ce qui exclut les homosexuels, les veufs et veuves.

Si dans les religions catholique et protestante, les opinions donnent lieu à de nombreuses interprétations, il n’en est pas de même dans les religions islamique et judaïque desquelles un sentiment d’unanimité semble émaner.

B- L’apparente similitude des visions islamique et judaïque

Cette apparente similitude ressort de l’affirmation d’une animation médiate de l’embryon humain par les deux religions (1) avec en toile de fond la subsistance de divergences au niveau de l’appréciation (2).

L’affirmation d’une animation médiate de l’embryon humain par les deux religions

Dans la religion musulmane, il est question d’animation différée de l’embryon humain.

Qu’est-ce que cela signifie ?

Dans l’islam, l’embryon n’a pas d’âme à la fécondation, il ne l’acquiert que plus tard c’est-à-dire quarante jours après. Ce qui correspond au moment où le bouton embryonnaire devient visible166. On pourrait considérer qu’avant ce délai l’embryon est considéré comme un être sans « vie » dont il serait possible d’user à sa guise aussi bien pour la recherche qu’à des fins thérapeutiques. L’islam justifie cela par le fait que l’esprit qui est censé faire de lui un être vivant, un humain, ne l’habite pas encore.

Le judaïsme épouse les idéaux de l’islam en ce qui concerne l’animation différée. En effet, selon le Talmud, « l’embryon n’est que de l’eau » avant le quarantième jour, bien qu’il soit « une personne potentielle »167. Cela concerne beaucoup plus l’embryon in vivo que celui in vitro. Les deux religions sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’embryon in utero. Elles ne voient en lui une personne qu’à partir d’un certain seuil qu’elles estiment être le seuil de viabilité. L’embryon est réifié tant qu’il n’atteint pas « le délai de maturation » censé faire de lui un être à prendre en considération.

Cette animation retardée de l’embryon humain a été prônée par Aristote puis reprise par saint Thomas d’Aquin. Ce dernier s’est fondé sur les connaissances embryologiques de son prédécesseur pour fixer l’infusion de l’âme à cette période. Il n’a pas été suivi par l’Église catholique. En effet, il ressort des propos de l’Académie sus-mentionné que : « la théorie de l’animation retardée (…) dépendrait essentiellement des connaissances biologiques limitées de l’époque qui étaient disponibles au temps où ces auteurs écrivaient. Une application correcte des principes aristotélico-thomistes, tenant compte des connaissances scientifiques actuelles, porterait au contraire à soutenir la théorie de l’animation immédiate et à affirmer en conséquence la pleine humanité de l’être humain nouvellement formé »168.

166 L. LEPIENNE, op. cit., p. 21.

167 Ibid., p. 22.

Par ailleurs lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les multiples manipulations dont l’embryon aussi bien in utero qu’in vitro est l’objet, l’islam et le judaïsme font montrent de sérieuses divergences dans leur appréciation.

Les divergences d’appréciation

La religion musulmane autorise le diagnostic prénatal si la mère court un danger du fait de sa grossesse ou si l’atteinte génétique s’accompagne d’une malformation grave, létale. La pensée judaïque admet toutes interventions chirurgicales in utero à valeur thérapeutique ou salvatrice de l’embryon humain. Ce qui sous-entend qu’elle approuve le DP sans condition contrairement à la religion musulmane. Ce qui revient à dire qu’un DP, pourrait n’être effectué que pour assouvir les caprices de parents pessimistes quant à l’état de santé de l’enfant conçu.

En ce qui concerne le DPI, il pose dans l’islam la question des choix et des mobiles de ces choix. Il semble cependant admis dans un but thérapeutique et non sélectif169. Ce qui n’est pas le cas dans le judaïsme. En effet, il ne s’oppose ni à la FIV, ni au DPI, ni à la congélation des embryons surnuméraires, il autorise les inséminations artificielles170. Ces techniques doivent être réservées à un couple hétérosexuel. En outre, l’embryon in vitro en l’absence d’implantation n’a pas de potentialité de vie. Il est à souligner que dans la loi judaïque, c’est la casuistique qui prime171. Toutefois, elle repose sur des piliers que sont le respect de la loi et de la personne.

La détermination de la nature de l’embryon humain est un exercice difficile qui semble relever de l’impossible. En effet, la bioéthique avec son concept de « personne potentielle » n’a fait que mettre à nu son incertitude quant à la question tout en créant un flou car comme l’estime un auteur, un être ne peut pas devenir quelque chose à partir de ce qu’il n’était pas. S’il l’est déjà, il ne saurait y avoir de devenir quant à l’être. Il n’y a pas à proprement dire de « personne potentielle ».

168 Académie pontificale pour la Vie p. 39. On reconnaît dans ces propos les écrits novateurs du Père Pascal Ide qui fut d’ailleurs invité à présenter ces travaux lors de ce Congrès et qui font de plus en plus autorité dans l’Eglise. Pour un plus ample développement, voir Pascal Ide, Le zygote est-il une personne ? in Aimer et protéger la vie, Editions de l’Emmanuel, Paris, 2003, cité par (Joseph) Card. RATZINGER et (Alberto) BOVONE, Ibid. p 11.

169 « Sur la piste de la fécondation in vitro, la fin de la stérilité ? », le jour plus, op.cit., p. 5.

170 Cela est possible avec sperme du conjoint uniquement, le contraire étant considéré comme un adultère

171 L. LEPIENNE, op. cit., p. 22.

Il préconise de voir plutôt en l’embryon humain, une personne avec du potentiel172. Les points de vue sur la nature de l’embryon et sur la légitimité de son utilisation à des fins de recherches diffèrent en fonction des convictions religieuses. Tandis que certains opposent une objection, d’autres y sont favorables. Ce manque de consensus a servi de base à l’instrumentalisation de l’embryon humain.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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