La nature juridique floue de l’embryon humain en droit ivoirien

PREMIÈRE PARTIE :

UNE NATURE JURIDIQUE INDÉCELABLE DE L’EMBRYON HUMAIN EN DROIT IVOIRIEN

À la question de savoir quelle est la nature juridique de l’embryon humain en droit ivoirien ? L’on fera très vite le constat d’une ambiguïté. S’il en est ainsi, c’est bien parce que le législateur ivoirien ne l’a pas expressément définie.

Du coup, l’on s’en tient aux circonstances. L’on constate que la qualification dont peut jouir l’embryon humain en est dépendante. Cela s’analyse en une qualification circonstanciée de l’embryon humain (Chapitre I). Aussi, la science connait-elle de multiples évolutions, notamment en ce qui concerne l’embryon humain.

C’est la raison pour laquelle les pratiques dont il est victime ont favorisé l’émergence d’une nature, qui bien qu’elle soit assez confuse, semble avoir rencontré bon nombre d’adhérents. Ce qui transparait comme étant une qualification mitigée de l’embryon humain accordée par la science (Chapitre. II).

CHAPITRE I :

UNE QUALIFICATION CIRCONSTANCIÉE

Le fil conducteur de la qualification de l’embryon humain est le patrimoine. Il se définit comme étant l’ensemble des biens et des obligations d’une même personne (c’est à dire de ses droits et charges appréciables en argent) de l’actif et du passif envisagé comme une universalité de droit, un tout comprenant non seulement ses biens présents, mais aussi ses biens à venir19.

Dire ce que représente l’embryon humain revient à constater l’existence ou l’absence d’un droit patrimonial.

Le législateur a probablement estimé qu’il serait plus commode de procéder de la sorte, dans la mesure où cela lui évite de prendre parti puisque la question de la nature de cet être semble taboue. Pourtant, prétendre ne rien dire de la nature de l’embryon n’est pas possible car s’il n’y a pas de réglementation, cela revient concrètement à approuver ce qui se fait et, s’il ya des règles, elles reflètent une prise de position implicitement établie dans la loi20.

La qualification accordée à l’embryon humain diffère selon que ce droit patrimonial est effectif ou non, d’où son influence sur la dénomination qui lui est attribuée. (Section 1).

Cependant, lorsque l’on s’appesantit sur la division qui est faite de l’univers juridique, on se rend compte que c’est en vue d’entériner le débat que ces classifications juridiques ont vu le jour dès le départ. Il s’avérait primordial de faire la part des choses pour éviter toutes sortes d’amalgames.

N’aurait-il pas été plus avantageux pour le législateur ivoirien de se conformer à l’ordre préétabli ? Dans la mesure où cette distinction apparait comme « la plus heureuse divisio iuris qui fût jamais »21.

Il est à souligner que c’est après des siècles d’efforts et surtout depuis que l’esclavage a été aboli que ce principe de distinction a pu s’imposer pleinement dans la réalité sociale comme « vérité première du droit »22.

C’est dire à quel point la bataille pour la preuve de sa crédibilité a dû être rude. Il sera question, en vue de mieux les appréhender, de faire une présentation des différentes catégories de la summa divisio (Section 2).

19 Gérard Cornu, op. cit., p. 654.

20 https://www.reussirmavie.net/Bioethique-l-embryon-est-il-une-personne_a602_2.html.

21 M. VILLEY, Recherches sur la littérature didactique du Droit romain, Paris, Domat-Montchrestien, 1945, cité par R. ANDORNO. op. cit., p. 4.

22 L. JOSSERAND, « La personne humaine dans le commerce juridique », D. 1932 chron. 1, cité par R. ANDORNO, ibid.

Section I :

L’influence des droits patrimoniaux sur la qualification de l’embryon humain

Le rôle capital des droits patrimoniaux dans la détermination de la qualification qui peut être attribué à l’embryon humain ressort de l’observation de la loi.

En effet, on assiste à une chosification de l’embryon humain en l’absence d’intérêt (§1). Par contre, dès l’instant où, cet être est titulaire d’un certain avantage, faisant de lui un être susceptible d’acquérir des biens, il est fait mention de lui en des termes personnificateurs (§2).

La nature juridique floue de l'embryon humain en droit ivoirien

Paragraphe 1 :

La chosification de l’embryon humain en l’absence d’intérêt

Le constat de cette chosification de l’embryon humain se fera au travers du passage en revue des dispositions du droit civil ivoirien (A) et de l’exposé des raisons du manque d’attention à l’égard de l’embryon humain (B).

A- Le passage en revue des dispositions du droit civil ivoirien

La Côte d’Ivoire ne dispose pas d’un Code civil propre à elle. Elle a édicté en matière civile des lois qui régissent certains aspects de la vie de l’homme. Cependant, ces lois ne prennent pas en compte l’embryon humain, du moins en l’absence d’un intérêt connu.

Ce qui témoigne de l’absence de textes en droit civil ivoirien (1).

Ce sont les lois ivoiriennes sur les successions et les donations entre vifs ou par testament qui font état de l’embryon humain. En parcourant ces articles, on en déduit une appréhension différée du commencement de la vie (2).

L’absence de textes de loi en droit civil

À l’indépendance, le législateur ivoirien a tenu à se prononcer sur des sujets clés. Ceux- ci apparaissaient comme sensibles dans la mesure où ils étaient pour la plupart en rapport avec la famille. Celle-ci est le pilier de la société, surtout des sociétés africaines.

L’objectif était donc d’adapter les lois aux réalités du peuple. Ces lois sont relatives à la filiation, au mariage, au divorce, à l’adoption, au nom, à l’état civil, aux successions, aux donations et aux testaments entre vifs.

Certains de ces textes font allusion à l’embryon humain uniquement en présence d’un droit de nature patrimoniale. Ce qui traduit une négation de sa personnalité juridique.

Cette négation a pour corollaire un manque de protection. Ce qui sous-entend que des atteintes peuvent être portées à l’embryon humain sans que cela ne constitue une infraction, donnant lieu ainsi à des actions chosificatrices. On constate que l’embryon humain est ignoré en droit civil ivoirien tant qu’il demeure in utero et qu’il ne bénéficie d’aucun patrimoine.

Ce manque de considération est aussi perceptible par le déphasage qui existe entre la détermination du commencement de la vie par la biologie et certains textes de lois ivoiriens.

Une appréhension différée du commencement de la vie

Cette appréhension différée émane de la lecture de l’article 5 de la loi n°64-379 du 7 octobre 1964 relative aux successions et l’article 9 de la loi n°64-380 du 7 octobre 1964 relatifs aux donations entre vifs et aux testaments.

Il en ressort que les conditions d’attribution de la personnalité juridique avant la naissance constituent une exception. Ainsi, le droit chercherait- il à défier la science en ne tenant compte du commencement de la vie qu’à la naissance. L’on serait en droit de le penser.

Certains chercheurs estiment que les sciences biologiques d’aujourd’hui n’ont en rien modifié ce que depuis de nombreux siècles, l’homme savait déjà, à savoir que la vie humaine, comme pour n’importe quelle autre espèce de mammifère commence avec la fécondation23.

Sur le plan biologique, l’embryon est un être humain qui dès la fécondation possède tout le matériel génétique nécessaire à son développement. Cette capacité fait de lui un individu à part entière.

Cette particularité ne constitue en rien un frein aux différences de traitement dont l’embryon humain fait l’objet dans toutes les lois du monde. Cela se justifie par l’absence de subjectivité de l’embryon humain, sa suspension entre être et non-être, entre être-déjà et ne pas- être encore ce qui a vraiment de la valeur24.

Pour ne pas avoir à s’aventurer dans toutes ces réflexions, l’analyse juridique puis sa régulation par voie de norme juridique s’est arrêtée à un certain moment de la vie humaine pour fixer la date du commencement de la vie du point de vue de sa pertinence juridique et non du point de vue de sa pertinence biologique25.

Le droit civil ivoirien en tant que réceptacle du droit romain y a consenti. Toutefois, les raisons de cette indifférence à l’égard de l’embryon humain ne sont pas exhaustives.

23 C. MAZZONI, « La protection réelle de l’embryon », Droit et cultures, n0 51, 2006, p. 1.

24 Ibid.

25 Ibid.

B- Les raisons du manque d’attention à l’égard de l’embryon humain

Les raisons du manque d’attention tiennent aussi bien à des facteurs extérieurs à l’embryon humain qu’à des causes qui lui sont inhérentes. Il s’agit d’une part de sa dépendance vis-à-vis de sa mère (1) et d’autre part de son impossibilité à assumer ses devoirs (2).

La dépendance de l’embryon humain vis-à-vis de sa mère

« Historiquement, si l’on s’en tient au droit romain, il est clair que dès l’origine du questionnement sur son statut, l’embryon ne bénéficie pas d’une personnalité civile distincte de sa mère puisque selon les conceptions biologiques de cette époque, il est pars viscerum matris »26.

Cette appréhension de l’embryon humain par certains auteurs a favorisé la naissance d’une thèse dite d’unité de sujet de droit. En effet, avant qu’il ne puisse voir le jour, l’embryon humain est uni à sa mère par un cordon ombilical. C’est donc de cette dernière qu’il tire tout ce qu’il lui faut pour vivre et se développer, sa nourriture, mais aussi le milieu indispensable à sa vie.

Cela justifie le fait qu’il soit considéré comme « un cosmonaute dans sa capsule de survie : il doit entièrement sa survie à l’appareillage fourni par sa mère qui lui permet de se nourrir »27.

Cependant il convient de souligner que le manque d’autosuffisance de l’embryon humain n’entache pas son autonomie. Comment peut-on être à la fois dépendant et autonome ?

« Cette notion d’indépendance par rapport à la mère est ambiguë ; non indépendant avant la naissance, l’enfant est pars viscerum matris, biologiquement pourtant il est déjà un individu distinct de ses géniteurs »28.

En fait, l’autonomie de l’individu est dans le fait qu’il ne vit pas comme une partie d’un autre, mais qu’il est lui-même un tout ayant une propre vie.

« L’embryon a des caractéristiques génétiques différentes de celles de sa mère, et on n’imagine pas un élément du corps d’une femme ne portant pas sa marque génétique.
En outre, on détecte sur l’embryon humain des anomalies qui lui sont propres, et ce, dès le début de son développement. On ne dit pas dans ce cas-là qu’un morceau de la mère est atteint de telle ou telle maladie mais bien que l’enfant qu’elle porte est atteint de cette maladie.
Bien plus,
l’embryon a parfois des caractéristiques incompatibles avec celles de sa mère. Si dans un couple, la femme possède un facteur rhésus négatif, et l’homme un facteur négatif, l’enfant peut être lui-même positif, les anticorps maternels provoquent des accidents graves et peuvent tuer l’enfant »29.

Ces éléments démontrent que l’embryon est un être différent de sa mère.

26 M-C. GAUDREAULT, « L’embryon en droit français : titulaire d’un statut juridique ? », Revue générale de droit, 1997, vol 28, n04, p. 471.

27 J. LEJEUNE, R.R.J., 1985-1, p. 114, cité par A. BERTRAND-MIRKOVIC, La Notion de personne. Étude visant à clarifier le statut juridique de l’enfant à naître, Thèse, Aix-Marseille, PUAM, 2003.

28 I. ARNOUX, les droits de l’être humain sur son corps, Thèse Bordeaux, P. U Bordeaux, 1994, p. 59, cité par A. BERTRAND-MIRKOVIC, op. cit.

Par ailleurs, demeurant dans son sein, il apparait que l’embryon ne peut pas faire face à ses devoirs. Cet argument mérite-t-il d’être pris en considération ?

L’impossibilité pour l’embryon humain d’assumer des devoirs

Parmi les différentes variantes de la personnalité, figure la personnalité morale. « Elle exprime l’existence d’un être comme sujet de droits et de devoirs en ce qu’il est libre »30.

Certains doctrinaires estiment que le fait que l’embryon humain ne soit pas à même de faire face à ses obligations, de répondre de ses actes constitue un élément justificatif de l’inutilité de la personnalité juridique qui pourrait lui être accordé avant la naissance.

« La personnalité juridique, don de la loi, pourrait cela est évident être accordée à l’embryon humain dès sa conception quel qu’en soit le mode.
Mais une telle démarche serait
dépourvue d’intérêt dans la mesure la personnalité juridique n’a de sens et d’efficacité que sur le terrain du droit. À quoi pourrait servir à un embryon d’être titulaire de droits tels qu’hériter, avoir un compte bancaire, agir en justice ou signer un contrat s’il ne naît pas ? […]
Doter l’embryon de la personnalité juridique serait intellectuellement beaucoup plus choquant que de la lui refuser, car cela ne correspond à aucune logique juridique, à aucune utilité pratique »31.

Ces arguments semblent tenir la route, mais si l’on s’en tient au fait que « le développement des mesures de protection de l’animal est en passe de donner lieu à l’octroi de la personnalité juridique à cet être vivant »32, il ya vraiment de quoi s’offusquer.

En effet, si en droit ivoirien l’animal est considéré comme une chose régit par les dispositions relatives aux biens meubles, tel que cela figure à l’article 528 du Code de 1804. En droit français, la spécialité provient du fait qu’il soit passé d’être sensible33 à être vivant doué de sensibilité34.

29 J. BERNARD, « Progrès de la biologie et définition de l’homme », Revue des sciences morales et politiques,

cité par, A. BERTRAND-MIRKOVIC, op. cit.

30 A. BERTRAND-MIRKOVIC, ibid.

31 C. NEIRINCK, « l’embryon humain : une catégorie juridique à dimension variable ? », D, 2003, chron., p. 843, cité par D. TSARAPATSANIS, Les fondements éthiques des discours juridiques sur le statut de la vie humaine anténatale, Thèse, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2010.

32 F. DIESSE, « la situation juridique de l’enfant à naître en droit français : entre pile et face », Revue générale de droit, vol 30, n04, p. 617.

33 Loi n0 99-5 du 6-1-1999 modifiant les articles 524 et 528 du Code civil et l’article L. 214-1 du Code rural issu de la loi du 10 juillet 1976.

34 Loi n0 2015-177 du 16 février 2015 (article 515- 14 du Code civil).

Ces évolutions renforcent davantage sa protection et donne l’impression d’une éventuelle personnification.

En outre, il est à souligner que sous d’autres cieux, en vertu de considérations culturelles, on en est arrivé à accorder la personnalité juridique à des éléments de la nature tels que des arbres, des rivières, et des fleuves etc. Dans certains États, la protection de la nature va de soi.

Elle revêt une sorte de légitimité qui leur parait couler de source, c’est le cas pour les États dans lesquels existent des peuples fortement attachés au respect de la nature et surtout entretenant avec elles une relation d’interdépendance, en particulier les peuples indigènes35.

Ainsi en nouvelle Zélande, le 15 mars 2017 à la suite de négociations avec les tribus maories, le législateur a accordé la qualité de sujet de droit au fleuve whanganui que les Maoris de la tribu lwi (« je suis la rivière et la rivière est moi ») réclamaient et qui leur permettra le cas échéant de défendre ces intérêts en justice.

De même en Inde, le 1er avril 2017, un juge de la haute cour de L’UTTARAKHAND a accordé le statut de personne morale au GANGE qui est un fleuve sacré. En outre, un tribunal du nord de l’Inde a pris la même décision pour certains glaciers, lacs et forêts d’HIMALAYA36.

Il est évident que ces choses ne seront pas à mesure d’exercer des droits et devoirs. Seuls leurs propriétaires qui prétendent avoir une interconnexion avec elles devront jouer ces rôles.

S’il a été possible d’élever ces objets sans vie au rang de personne juridique, pourquoi devrait- on continuer à ignorer l’embryon humain avant la naissance, qui au demeurant est un être bien supérieur à toutes ces entités, puisque porteur de vie ?

C’est pourtant le constat qui est fait, car l’embryon humain n’est considéré comme une personne juridique que lorsque subsiste en sa faveur un intérêt.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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