Défis juridiques et moraux de l’attribution de la personnalité à l’embryon

B- La prise en considération des données biologiques

La prise en considération des données biologiques passe par la remise en cause du statut moral dans l’attribution de la personnalité juridique à l’embryon humain (1) et par la reconnaissance du caractère ontologique de la personnalité juridique de l’être humain suite à l’évolution de la notion de personne en droit (2).

132 Voir H.T. ENGELHARDT, « Medicine and the Concept of Person », dans M.F. GOODMAN, éd., What is a Person ?, Clifton (N.J.), Humana Press, 1988, p. 170-171 ; The Foundations of Bioethics, p. 136 et suiv, cité par

B. SCHUMACHER, ibid., p. 122.

133 ibid., p. 123.

134 « […] enjoy[s] something comparable, in relevant aspects, to the type of mental life that characterizes normal adult human beings » (M. TOOLEY, « Personhood », p. 117). Voir M. TOOLEY, « Decisions to Terminate Life and the Concept of Person », p. 64 et suiv, cité par B. SCHUMACHER, op. cit., p. 120.

135 G. WCKER, Les fictions juridiques, contribution à l’analyse de l’acte juridique, Thèse, L.G.D.J., 1997. A. BERTRAND-MIRKOVIC, op. cit.

La remise en cause du statut moral dans l’attribution de la personnalité juridique à l’embryon humain

« La personnalité juridique est liée au corps de l’individu et non à sa conscience ou à sa volonté »136. Selon Boris Starck, cette affirmation fait l’unanimité au sein de la doctrine. Si l’on s’en tient à cette citation, il ne serait pas prétentieux de soutenir que la distinction entre être humain et personne humaine n’a pas lieu d’être. En effet, l’existence comme personne ne se confond pas avec l’exercice d’une activité intellectuelle, car la perte momentanée ou définitive des facultés intellectuelles ne fait pas disparaitre la personne137.

Le défaut d’activité pensante ou conscience de soi n’apparait pas comme un argument pertinent pour lui refuser cette qualité. C’est dans cette logique que s’inscrit Andorno, puisque pour lui, l’identification de la personne à l’auto conscience marque l’inconsistance de cette thèse en ce sens que celle-ci semble avoir perdu quelque chose en cours de chemin :

« l’existence d’un sujet substantiel »138. L’embryon n’a donc pas besoin de faire montre de certaines capacités pour être perçu comme une personne humaine dans la mesure où il est une personne humaine du simple fait de son existence en tant qu’individu de la race humaine.

Ces caractéristiques que constituent les choix moraux, la relation et la pensée sont possibles justement parce qu’une personne y préexiste. L’assimilation de la personne à ses facultés puis à l’exercice de celles-ci s’analyse en une erreur d’appréciation. C’est l’existence de la personne qui permet de les révéler. Ces facultés manifestent la personne, mais ne sont donc pas aptes à la constituer139. Fort de cela, l’on peut affirmer que l’embryon humain en tant qu’être humain est une personne humaine.

En droit non plus, les facultés intellectuelles ne sont pas constitutives de la personnalité. La liberté, la conscience, la raison ne définissent pas la personnalité juridique, elles fondent la responsabilité pour faute et sont des conditions de capacité. Leur prise en compte reviendrait à fixer un seuil en deçà duquel l’être humain ne serait plus une personne : or le droit « répugne à ces analyses et pour lui la malformation ou l’inintelligence sont des causes de protection accrue » 140.

136 B. STARCK, Introduction au droit, 3e éd., par H. ROLAND, L. BOYER, n° 97, cité par F. DIESSE, op. cit., p. 628.

137 A. BERTRAND-MIRKOVIC, ibid.

138 R. ANDORNO, op. cit., p. 124.

139 Ibid.

140 G. MEMETEAU, « le refus de soin à l’enfant conçu », R.T.D.S.S.1979, p. 332, cité par A. BERTRAND- MIRKOVIC, ibid.

En outre, prendre pour appui les facultés mentales reviendrait à considérer qu’il existe une gradation pour devenir une personne. Or comme le souligne un auteur, « il n’y a que les choses constituées d’une multitude d’éléments qui peuvent venir à l’être graduellement. Une maison commence par les fondations et se construit peu à peu. On peut parler d’une moitié de maison ; on ne saurait parler “d’une moitié de personne”. C’est pourquoi la notion de “personne humaine potentielle”, parfois attribuée à l’embryon, n’a pas de sens »141.

Par ailleurs, l’argument selon lequel l’acquisition de la personnalité juridique à la naissance justifierait l’incapacité relationnelle de l’embryon humain avant la naissance est inconsistant. Si la personnalité est acquise à la naissance, ce n’est pas en référence à une quelconque capacité à la relation. Une telle capacité serait totalement inexistante à la naissance si la relation exigée était une véritable relation personnelle, elle existerait avant la naissance si la relation exigée n’était en fait qu’une capacité à communiquer142 et, en tout cas, elle ne serait pas différente entre un enfant viable et le même enfant non viable en raison d’une malformation. Or de ces derniers, l’un reçoit la personnalité juridique, l’autre non143.

Il apparait que l’attribution de la personnalité juridique à l’embryon humain ne nécessite pas qu’il fasse montre de certains attributs, par conséquent d’un statut moral. Dans la mesure où être humain et personne humaine ne font qu’un, il s’avère nécessaire de présenter l’évolution de la notion de personne en droit.

La reconnaissance du caractère ontologique de la personnalité juridique de l’être humain suite à l’évolution de la notion de personne en droit

Dans son dessein d’appréhension de la notion de « personne », le droit s’est inspiré de la vision immatérielle prônée par une partie de la philosophie. Cela s’est traduit par l’institution d’un concept formel abstrait de « personne ». Le terme « personne » était perçu dans le positivisme juridique comme un titre attribué par l’État, selon son bon vouloir, aussi bien aux êtres humains qu’à des groupes d’hommes, à des animaux, ou à d’autres entités.

Durant le XXe siècle, ce concept formel abstrait de « personne juridique » a eu pour porte-flambeau Kelsen. Le modèle kelsenien a servi d’alibi à l’assujettissement de certains hommes à toutes sortes d’horreur. On peut citer à cet effet la barbarie nazie qui a mis au grand

141 R. ANDORNO, ibid., p. 123.

142 Il est question du lien entre l’embryon humain et la mère de par le cordon ombilical et par les émotions transmises réciproquement.

143 A. BERTRAND-MIRKOVIC, op. cit.

au jour, les failles du système positiviste144. Les normes juridiques étaient le reflet de la volonté de l’État, ce qui excluait toute idée de justice. Dans ces circonstances, la puissance de l’État s’impose à tous puisque ses lois ont en principe une portée illimitée. Dès lors, le respect de la personne réelle se dissout derrière le masque de la personne abstraite.

Dans la pensée du normativisme Kelsenien, « dire d’un être humain qu’il est une personne ou qu’il a la personnalité juridique signifie simplement que certaines de ses actions ou de ses abstentions forment d’une manière ou d’une autre le contenu de normes juridiques »145. Une telle vision des choses plonge le droit dans une sorte d’impuissance puisqu’il ne dispose pas d’arguments pour condamner « les systèmes juridico-despotiques, voire totalitaires »146. Ce qui laisse la porte ouverte à toutes sortes d’injustices par le mépris des droits de l’homme. Dans ces circonstances, la prise en compte de la personne réelle s’impose.

En prenant en considération le physique de la personne, il fallait trouver le lien entre l’être dans sa réalité et la personne juridique. Il s’avère que ces deux notions ont pour point commun l’existant : l’homme. Il s’en est suivi la fusion des thèses formalistes et positivistes comme constitutives de la personnalité juridique. Cette tentative de conciliation a révélé de nouvelles discordances entre les thèses précitées.

L’on est donc retourné à l’existant en affirmant sa « juridicité » naturelle. On part du constat que tout être humain est de par soi orienté vers la réalisation des fins juridiques147. On déduit que : « le droit ne fait que reproduire ce qui existait déjà dans la réalité en l’adaptant aux circonstances concrètes de chaque État et de chaque pays »148. À cet effet l’homme apparait comme étant « un sujet de devoirs et de droits » 149  dont la vie nécessite sa prise en considération par le droit « dès qu’elle existe, tant qu’elle dure »150. L’acquisition et la perte de la personnalité juridique ne devraient donc pas poser de problèmes si l’on s’en tient à cette dynamique.

144 « Les exploitations politiques du kelsenisme, qui sont la raison de son succès, puisqu’il fait taire la conscience philosophique, ont montré qu’il y avait là un moyen neutre, transparent, «scientifique», d’élimination des personnes indésirables : des individualités concrètes. Juristes hitlériens et juristes staliniens-Vychinski-l’ont compris » J.-M. TRIGEAUD, dans : Philosophie juridique européenne (ouvrage collectif), Rome, Japadre, 1988, p. 239, cité par

R. ANDORNO, op. cit., p. 50.

145 H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2ème éd., Neuchâtel, Baconnière, 1988, cité par R. ANDORNO. Ibid., p 55.

146 A. RENAUT et L. SOSOE, Philosophie du droit, Paris, PUF, 1991, p. 358, cité par R. ANDORNO, ibid.

147 R. ANDORNO, ibid

148 Ibid., p. 159.

149 Ibid.

150 Ibid.

« Du moment que l’homme est sujet de droit en raison de sa nature, tout homme est sujet de droit »151, on remarque une réaffirmation du caractère ontologique de la personne dans lequel le concept juridique puise sa source. Il est donc le concept qui exprime l’aspect juridique de la personne réelle152.

Au regard de ce qui précède, on se rend compte que la nature de « personne potentielle » de l’embryon humain répond à des critères lacunaires ayant pour appui des théories qui juridiquement sont incompréhensibles et irréalisables. C’est ce qui a conduit à faire un amalgame entre la notion de personne au sens juridique du terme et la notion d’être humain. Les deux notions confondues donnant alors naissance à la notion mixte de personne humaine potentielle, sorte d’être hybride à mi-chemin entre l’humain et la personne juridique, mais, qui finalement, n’est ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre153.

Ce manque de clarté de la bioéthique a influencé la religion car les avis sur la nature de l’embryon y sont aussi partagés. C’est ce qui ressort des réflexions controversées de la nature de l’embryon humain dans certaines religions monothéistes (§2).

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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