La quête de l’humanité : l’embryon face à la science et à l’éthique

CHAPITRE II : L’ATTRIBUTION D’UNE QUALIFICATION MITIGÉE A L’EMBRYON HUMAIN PAR LA SCIENCE

« Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il nous rend plus humains ou moins humains »122, ainsi s’exprimait un auteur. En effet, il ya lieu de s’interroger et même de s’inquiéter car le progrès scientifique qui se définit comme étant le développement des connaissances scientifiques, a réalisé de véritables prouesses, notamment sur l’être humain. En repoussant de plus en plus les limites de l’irréalisable, la science tend à s’imposer et à affirmer sa suprématie.

Cependant à quel prix doit-on toutes ces innovations dans la vie de l’Homme ?

Elles ont eu pour effet de déshumaniser l’embryon l’humain sur la base de concepts nouveaux qui ont pour fondement des critères très sélectifs des embryons. Les législations s’en trouvent bouleversé par l’introduction de nouvelles pratiques défiant toutes impossibilités. Aussi, l’embryon humain n’est-il pas en reste. Les techniques de PMA ayant permis de concevoir des embryons in vitro, cet être suscite la curiosité et est sujet à de nombreuses expérimentations qui ont pour but tantôt de le perfectionner, tantôt de permettre de faire de nouvelles découvertes censées améliorer la santé de l’Homme par les traitements que l’on peut en tirer.

N’empêche que la dignité de l’embryon humain est constamment remise en cause par les pratiques dont il fait l’objet qui tendent à faire de lui, un peu plus, à chaque fois, « un objet de laboratoire ». Dans ces circonstances, la bioéthique et la religion apparaissent comme des repères censés donner des indications en vue d’une meilleure prise en compte des intérêts de l’embryon au regard de la morale et du respect de la vie humaine. C’est en raison de l’influence qu’elles sont à même d’exercer sur le droit qu’il est apparu impératif de recourir à elles. Cependant, force est de constater que l’on se heurte à des hésitations de la part de ces deux disciplines. Ce qui conduit à une appréciation de la nature juridique de « personne humaine potentielle » de cet être (Section 1). Ce manque de consensus a eu pour effet de conduire à une instrumentalisation de l’embryon (Section 2).

122 George Orwell, « les lieux de loisirs » (1946), Agone, nO34, « domestiquer les masses », 2004, p 116.

Section I : L’appréciation de la nature juridique de « personne humaine potentielle » de l’embryon humain

La qualification de l’embryon humain semble être une tâche vraisemblablement ardue, raison pour laquelle la bioéthique a préféré se fonder sur des arguments philosophiques pour le qualifier de « personne humaine potentielle » (§1) en lieu et place de la mise en avant des valeurs qu’elle incarne. Ce qui a conduit certaines religions monothéistes à s’adonner à des réflexions controversées (§2) sur l’embryon humain.

Paragraphe 1 : Les arguments philosophiques comme fondement de la qualification de

« personne humaine potentielle »

Les arguments philosophiques qui ont servi à la qualification de l’embryon humain sont issus d’un débat ayant concouru à la naissance de considérations déshumanisantes de l’embryon humain(A). En apparence, celles-ci semblent solides. Cependant en prenant en considération les données biologiques, on parvient à mettre en lumière leur fragilité (B).

A- Des considérations déshumanisantes de l’embryon humain occasionnées par un débat philosophique

Ces considérations déshumanisantes ont vu le jour suite à l’opposition de deux courants de pensée philosophique sur la personne humaine(1). C’est en les fusionnant que certains auteurs sont parvenus à la distinction entre personne humaine et être humain (2).

L’opposition des deux courants de pensée philosophique sur la personne humaine

Ces deux courants de pensée philosophiques sur la notion de personne humaine présentent des définitions de la personne humaine selon des critères bien précis. D’une part, ceux pour qui la personne humaine fait référence à la nature rationnelle de l’être, et d’autre part ceux qui la perçoivent comme ayant pour fondement des capacités relationnelles. Dès lors, il s’avère nécessaire de savoir ce que l’on comprend par les termes personne et être.

Le mot « personne » est d’origine grecque. Pour les Grecs, la personne n’avait de sens que comme un acteur qui interprétait la volonté législatrice de la nature. Le prosôpon (personne)

est un masque de théâtre. Autrement dit un être raisonnable, opaque, puisque caché par un masque, qui exécute un rôle. Le prosôpon apparait comme une réalité sociale, c’est-à-dire comme citoyen123.

Quant au mot « être », il n’est ni une notion ni un concept juridique. Il n’a pas de définition en droit. C’est en se référant au langage courant que l’on se rend compte qu’il désigne ce qui est « vivant et animé ». Si on qualifie l’être d’« humain », au sens de personne physique évidemment, c’est parce que l’on reconnaît ouvertement en lui cette nature124.

Pour en revenir au courant rationaliste, il est à souligner que la définition substantialiste de la personne provient de Boèce. Son raisonnement s’établit comme suit, « … si la personne est dans les seules substances, et dans celles qui sont rationnelles, et si toute substance est une nature établie non pas dans les universelles, mais dans les individuelles, on a trouvé la définition de la personne : substance individuelle de nature rationnelle… » 125.

On constate d’une part que l’accent est mis sur la nature humaine de la personne. Nul besoin de mettre la personne en relation avec qui que ce soit pour qu’elle puisse s’affirmer. Elle est le sujet de la relation sans pour autant être la relation126. D’autre part, cela sous-entend que la conscience est un facteur déterminant dans l’acquisition du statut de personne. On en déduit que tout être qui ne serait pas doué de raison ou qui ne serait pas à mesure de l’exercer pour quelques motifs que ce soit ne bénéficierait pas du qualificatif de « personne ».

Thomas d’Aquin s’est inscrit dans la vision de Boèce en y apportant un additif. Il commence par classifier les êtres par degrés d’individualité. Il part des minéraux, passe par les végétaux, les animaux, les humains, pour parvenir à la personne. Pour lui, ce qui fait la spécificité de la personne par rapport aux autres « substances raisonnables », c’est sa capacité à maitriser ses actes127, le fait qu’elle puisse par elle-même prendre des décisions sans être à la merci des autres, comme c’est le cas des substances irrationnelles. Il estime que cela justifie l’appellation de « personne ».

À l’opposé de la doctrine de Boèce, figure celle de Locke pour qui « l’homme dispose d’une nature singulière non pas en raison de son unique essence, mais plutôt grâce aux

 

123 Stéphane MOUTON, La personnalité juridique, sous la dir. de Xavier Bioy Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, LGDJ – Lextenso Editions, 2013.

124 F. DIESSE, op. cit. , p. 629.

125 Boèce, « Naturae rationalis individua substancia », cité par E. Pic, Aux origines des concepts de personne et de communauté, l’harmattan, 2010, p. 94. Cf. A-C. ARRIGHI, op. cit., p. 269.

126 R. ANDORNO, op. cit., p. 41.

127.Ibid.

fonctions que lui confère son essence. L’action humaine est placée au cœur de cette conception faisant de la personne un être réfléchi capable de nouer des relations avec autrui »128. Locke met l’accent sur le caractère relationnel des êtres humains, leur faculté à pouvoir communiquer avec les autres, ce qui pour lui serait une manifestation de la conscience de soi.

C’est en se fondant sur les doctrines précitées que Singer est parvenu des siècles plus tard à la conclusion selon laquelle l’être humain et la personne humaine sont distincts.

La distinction entre personne humaine et être humain

Selon Singer : « le sens du mot être humain renverrait à l’être vivant membre de l’espèce humaine dont le critère de reconnaissance se ferait par la possession des vingt-trois chromosomes. La personne humaine serait l’être capable d’entrer en relation avec autrui, de communiquer, l’être capable d’interagir »129. Ce qui sous-entend que l’on peut être un être humain sans pourtant être une personne, le volet relationnel apparait dès lors comme le critère déterminant pour accéder à la qualité de personne. En outre, il distingue au sein de l’espèce humaine, ou plus particulièrement, au sein des vivants, deux types d’individus : ceux qui, étant des êtres humains sensibles et donc à même de souffrir et d’avoir du plaisir, possèdent des intérêts, et ceux qui, n’étant pas des êtres sensibles, n’ont pas d’intérêts130.

Dans sa conception des choses, « la vie d’un être conscient de lui-même, capable d’avoir des pensées abstraites, de planifier le futur, de produire des actes de communication complexes, etc. [une personne] a plus de valeur que la vie d’un être à qui ces capacités font défaut [un être humain] ». Il exclut par la même occasion de la classe ses personnes, l’être humain avant la naissance, le nourrisson, la personne handicapée mentalement, le comateux131. À cet effet, il effectue une possession actuelle d’une série de propriétés, en particulier la rationalité et la conscience de soi.

D’autres auteurs se sont inscrits dans cette logique, tels que Engelhardt et Tooley. Pour le premier, la manifestation de volonté est un facteur déterminant pour bénéficier de la qualité de personne humaine. Il justifie de la sorte le rejet de certains êtres humains qu’il qualifie « de membres de l’espèce humaine, mais [qui] n’ont pas en et par eux-mêmes une place dans la

 

128 A-C. ARRIGHI, op. cit., p. 270.

129 P. Singer, Practical ethics, Cambridge university press, 2ème éd., 1993, trad. Marcuzzi, Questions d’éthique pratique, Bayard, 1997, p. 91-92, cité par A-C. ARRIGHI, Ibid.

130 P. Singer, op. cit., cité par B. SCHUMACHER, « Tout être humain est-il une personne ? : Controverse autour de la définition de la personne dans la discussion éthique médicale contemporaine». Laval théologique et philosophique, vol 61, n01, février 2005, p. 112.

131 P. Singer, ibid.., cité A-C. ARRIGHI, ibid.

communauté morale laïque »132 de la sorte : « ce qui distingue les personnes est leur capacité [dans le sens d’être en acte] d’être conscientes d’elles-mêmes, rationnelles et concernées par le mérite de la faute et de la louange. […] tous les êtres humains ne sont pas des personnes. Tous les êtres humains ne sont pas conscients d’eux-mêmes, rationnels et à même de concevoir la possibilité de la faute et de la louange »133.

Quant à Tooley, il part dans sa démonstration d’une dualité de sens du mot « personne » dans le langage soi-disant courant. Il désignerait d’un côté, « l’être humain » au sens d’appartenance biologique à l’espèce humaine et de l’autre la personne qui « jouit de quelque chose de comparable en des aspects pertinents, au genre de vie mentale qui caractérise les êtres humains normaux » pour parvenir à la conclusion selon laquelle la personne est l’être qui a « un droit sérieux à la vie »134.

Certes, la doctrine fondée sur l’embryon humain en tant que « personne humaine potentielle » ne manque pas d’arguments. Cependant, elle est lacunaire car d’autres doctrinaires estiment que : « non seulement leurs critères sont mal fondés philosophiquement, mais de plus, impossibles à mettre en œuvre en ce que quand bien même on les retiendrait, il ne permettrait pas d’identifier de façon précise l’émergence de la personne humaine »135. Dans ces conditions, il apparait que la nature de l’embryon humain est a priori mieux révélée par la prise en considération les données biologiques.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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