Comprendre les sanctions sévères de l’IVG en droit ivoirien

Paragraphe 2 : Les lourdes sanctions de la pratique de l’interruption volontaire de grossesse

La pratique de l’IVG n’est pas sans conséquence. Le législateur a tenu à élargir le champ d’action de la sanction afin qu’elles puissent toucher le maximum de personnes tout en les dissuadant de commettre ce délit. Il sera question de présenter les personnes susceptibles d’être pénalement mises en cause (A) et l’étendue des sanctions pénales auxquelles elles s’exposent (B).

A- Les personnes susceptibles d’être pénalement mises en cause

Les sanctions édictées en droit pénal ivoirien contre le délit d’avortement vont à l’encontre de la mère et de ses complices d’une part (1) et aux personnes du corps médical d’autre part (2).

La mise en cause de la mère et de ses complices

Dans sa lutte contre l’avortement, le législateur pénal a tenu à ce que la protection de l’embryon humain s’impose à tous, à commencer par la mère. En effet la liberté dont elle jouit en tant qu’être humain ne s’étend pas à l’embryon humain. Elle ne peut disposer de lui comme bon lui semble. Ainsi tombe-t-elle sous le coup de la loi, « la femme qui se procure l’avortement à elle-même ou tente de se le procurer, ou qui consent à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet » comme le souligne l’article 366 alinéa 1 du Code pénal. On en déduit

217 Ibid., p. 34. L’OMS estime que les avortements effectués dans de mauvaises conditions de sécurité représentent un décès maternel sur sept dans la région.

que la tentative qui s’analyse en étapes préparatoires et en un commencement d’exécution, tout comme l’effectivité de la pratique de l’IVG par la mère est sanctionnée.

En plus de la mère, la loi s’applique aux tiers qui soit l’aident dans son entreprise en mettant à sa disposition ce dont elle a besoin pour mettre fin à la vie de l’embryon humain, l’y incitent par des manœuvres ou l’y contraignent par l’usage de la violence ou par tout autre moyen. Il s’agit du complice qui est désigné par le terme « quiconque », à l’article 366 alinéa 2 du Code pénal. En effet, les actions du tiers peuvent parfois concourir à la réalisation de l’IVG.

Il peut s’agir d’une part d’actes de provocation à l’avortement qui même en l’absence d’effet sont sanctionnés. Le Code pénal en dresse la liste en son article 368. Ce sont : « des discours proférés dans les lieux ou réunions publics, soit la vente, la mise en vente ou l’offre même non publique ou l’exposition, l’affichage ou la distribution sur la voie publique ou dans les lieux publics, ou la distribution à domicile, la remise sous bande ou sous enveloppe fermée, de livres, écrits, imprimés, annonces, affiches, dessins, images, emblèmes, soit la publicité de cabinets médicaux ou soi-disant médicaux ». L’on se rend compte que les actions qui donnent lieu à la répression de l’IVG sont multiples et englobent des faits de la vie courante. Cela traduit la volonté du législateur de réprimer cette infraction dans les moindres aspects de son émergence.

En outre, s’expose à des sanctions le tiers qui : « vend, met en vente, fait vendre, distribue ou fait distribuer de quelque manière que ce soit, des remèdes, substances, instruments ou objets quelconques, sachant qu’ils étaient destinés à commettre le délit d’avortement, lors même que cet avortement ne serait ni consommé, ni tenté ou que lesdits objets seraient en réalité inaptes à le provoquer » comme cela figure à l’article 369 du Code pénal. On se rend compte dans cet article que c’est l’intention du tiers qui cause sa perte car le résultat importe peu. L’objectif est de lui soustraire toute envie de prendre part à un quelconque avortement. En effet, peu importe ici que l’on soit parvenu à un résultat, seul l’emploi auquel ces différents éléments étaient destinés a de l’importance. Un grand intérêt pour la vie de l’embryon humain ressort de ces dispositions. C’est cette motivation qui a conduit à inclure les personnes du corps médical au rang des potentiels accusés.

La mise en cause du personnel du corps médical

« Les personnes appartenant au corps médical ou à une profession touchant à la santé publique qui indiquent, favorisent ou mettent eux-mêmes en œuvre les moyens de procurer l’avortement  sont passibles de condamnation » selon l’article 366 alinéa 4 du Code pénal. Le

corps médical prend en compte de nombreux acteurs que sont les médecins, les pharmaciens, les sages-femmes, les infirmier(e)s, les aides-soignantes, etc. En effet, le corps médical est un corps qui a de grandes responsabilités dans la protection de l’être humain. Si l’on s’en tient au serment d’Hippocrate que prêtent certains d’entre eux avant d’être reconnus par l’État et de ce fait parvenir à acquérir officiellement leurs titres, on comprend à quel point la protection de la vie est un devoir dont ils ne peuvent se désengager.

Lors de leur soutenance de thèse, les médecins déclarent ce qui suit : « je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité »218. L’indifférenciation des personnes qui y est faite démontre que l’embryon humain en fait partie. Le fait que celui-ci soit sans défense rime avec le terme « vulnérable ».

Ils s’engagent ainsi à protéger cet être même en cas de menace de leur vie et à respecter les lois de la nature sans user de leurs connaissances scientifiques, de leurs découvertes, de leurs innovations pour l’outrepasser. La profondeur de ce serment qui est prêté sur la base de la fidélité aux valeurs que constituent « l’honneur et la probité »219 ne peut être bafouée en toute impunité. C’est la raison pour laquelle, le législateur a tenu à ce que le corps médical en général et les professionnels de la santé en particulier soit sévèrement puni lorsqu’ils trahissent leur serment en pratiquant l’IVG en dehors du cas qui constitue une exception.

La protection de l’embryon humain est l’une des questions prioritaires du législateur pénal ivoirien. C’est ce qui justifie le fait qu’ il ait édicté une pléiade d’interdits en vue de réprimer le désir de pratiquer une IVG dès qu’il prend naissance dans l’esprit humain et donne lieu à la mise en place de diverses stratégies. Pour ce faire, il a tenu à prendre des mesures qui vont à l’encontre de la mère en passant par ses complices, pour parvenir aux personnes du corps médical. Il serait judicieux de prendre connaissance de la variabilité de ces sanctions pénales.

B- L’étendue des sanctions pénales

Les sanctions pénales constituent généralement en des peines pénales. Il s’agit des peines d’emprisonnement et des peines d’amende. À leur sujet, il faut dire que selon l’article 336 du Code pénal, les sanctions relatives à la pratique de l’IVG varient d’une personne

218 §3 du serment d’Hippocrate.

219 Ibid., §2.

à une autre. En effet, « est puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 30 000 à 300 000 francs la femme qui échoue dans sa tentative ou réalise son ambition d’interrompre sa grossesse » tel que cela figure en son alinéa 3. Si l’on peut affirmer que la mère semble s’en tirer à bon compte, ce n’est pas le cas de son complice dont la sanction est plus élevée. Celle-ci ne fait que croitre en fonction de la nature de l’action qu’il mène.

Ce denier est puni « d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 de francs lorsqu’il se livre aux actions proscrites aux articles 368 et 369 du Code pénal. Il est soumis à une peine d’un à cinq ans et d’une amende de 150 000 à 1 500 000 francs » s’il enfreint celles qui sont énoncées à l’article 366 al 1 du Code pénal. En outre, si sa notoriété de personne se livrant aux actes constitutifs ou susceptibles de constituer un avortement est avérée, le complice est alors passible d’un emprisonnement allant « de cinq à dix ans et d’une amende de 1 000 000 à 10.000.000 de francs » tel que mentionné à l’article 366 al 2 du Code pénal.

On en déduit que le tiers écopent de peines pénales largement supérieures à celles de la femme, même lorsque cette dernière lui donne son consentement. Cette clémence du législateur à son endroit a été critiquée par un auteur qui estime que c’est la femme qui est protégée par ses lois et non l’embryon humain car selon son raisonnement l’inégalité des sanctions pénales entre elle et le complice le démontrent220.

Cependant si l’on part de la définition de l’avortement, cela ne fait en aucun cas allusion à une personne déjà née qui plus est, est en âge de procréer. La position du législateur quant à cette inégalité pourrait paraitre raisonnable car dans son entendement la femme subit de nombreuses pressions. Le fait pour elle de parvenir à une telle conclusion est généralement la somme de toutes ces influences auxquelles le complice prend une part très active. Vu le fait qu’en cas d’échec, elle peut en porter les séquelles toute sa vie, il a tenu à ne pas lui infliger une sanction semblable à celle du tiers. Aux côtés de la mère et du complice figurent les personnes du corps médical qui sont sanctionnées avec encore plus de rigueur.

En effet, « les personnes appartenant au corps médical ou à une profession touchant à la santé publique qui indiquent, favorisent ou mettent eux-mêmes en œuvre les moyens de procurer l’avortement » sont condamnés aux mêmes peines que celles prévues pour le complice aux alinéas 1 et 2 de l’article 366 du Code pénal221. Le législateur ne s’est pas arrêté à cela, il a

220 K. YANGNI-ANGATE, « Cellules souches embryonnaires et euthanasie». Revue africaine de bioéthique et d’éthique médicale, vol 1, n01, avril 2015, p. 32.

221 Art. 366 du Code pénal alinéa 4.

tenu à étendre les effets de toute condamnation qui serait prononcée dans ce cadre à

« l’interdiction d’exercer toute fonction et de remplir tout emploi, à quelque titre que ce soit, dans les cliniques d’accouchement, maisons d’accouchement et tous établissements privés recevant habituellement à titre onéreux ou gratuit, et en nombre quelconque, des femmes en état réel, apparent ou présumé de grossesse » selon l’alinéa 5 de l’article 366 du Code pénal.

Cette sanction est d’autant plus lourde de conséquences qu’elle s’applique de « plein droit », ce qui signifie que l’on n’a pas besoin d’en prévoir l’application ou encore de la signifier par l’intervention d’une décision de justice. En d’autres termes, toute personne du corps médical ou exerçant une fonction touchant à la santé publique qui serait reconnue coupable des faits énoncés par l’article 366 devra s’attendre en cas de condamnation à ne plus pouvoir exercer sa fonction. Il n’est nullement besoin que cela lui soit signifié ouvertement ou de façon formelle. En plus, selon l’article 366 du Code pénal en son alinéa 6 en cas de « condamnation prononcée par une juridiction étrangère et passée en force de chose jugée222 pour une infraction constituant d’après la loi ivoirienne un des délits spécifiés, le Tribunal correctionnel du domicile du condamné déclare, à la requête du ministère public, l’intéressé dûment appelé en la chambre du conseil, qu’il y a lieu à l’application de l’interdiction visée à l’alinéa précédent ». C’est dire que même si les faits qui leur sont reprochés se sont déroulés hors des frontières de la Côte d’Ivoire et qu’ils ont été condamnés dans un État étranger pour le délit d’avortement tel que cela est prescrit dans le Code pénal ivoirien, ces agents de santé demeurent

soumis aux interdictions ci-dessus.

La protection de l’embryon humain en droit ivoirien est réelle au regard des normes prises et des sanctions à l’encontre des potentiels infracteurs. Pour sa part, la bioéthique a procédé par recommandations en vue d’assurer la survie de cet être.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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