Vers une légalisation totale de l’IVG en Côte d’Ivoire ? Analyse du Protocole de Maputo

Paragraphe 2 : La marche vers la légalisation de l’IVG en Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire serait-elle en marche vers la légalisation de l’IVG ? Cette question mérite d’être posée car elle a considérablement élargi le champ de la pratique de l’IVG par son adhésion au protocole de Maputo (A). Ce qui n’est pas sans conséquence pour la vie de l’embryon humain (B).

A- Une interrogation suscitée par l’adhésion de la Côte d’Ivoire à l’Accord de Maputo

La Côte d’Ivoire est signataire du protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits de la femme en Afrique signé à Maputo. Ce protocole promeut l’avortement médicalisé dans plusieurs cas. Cela s’analyse en une incitation des États à la légalisation de l’avortement médicalisé (1). En outre, le protocole semble vouloir conduire les

268 Doumbia M. (2016), Recours à l’avortement provoqué Chez les femmes en union des quartiers précaires de Yopougon à Abidjan, in European Scientific Journal November 2016 édition vol.12, cité par (Modeste) KRA et (Linda) JUANOLA. op. cit., p. 7.

États signataires à légaliser complètement l’avortement. Pour ce faire, ces auteurs ont entrepris d’exposer les dangers de l’interdiction de l’IVG (2).

L’incitation des États à la légalisation de l’avortement médicalisé dans l’Accord

C’est ce qui ressort d’un rapport d’une organisation dénommée Human Life International. Il y est fait mention du danger potentiel que représente le protocole pour la survie de l’embryon humain dont la situation est déjà chaotique. Selon ce rapport, le Protocole de Maputo a été écrit en grande partie par la fédération internationale du planning familial dont l’appellation d’origine est « International Planned Parenthood Federation » (IPPF), la plus grande organisation internationale pour la promotion de l’avortement. Leur document d’objectifs stratégiques exprime clairement l’idée selon laquelle toutes les organisations affiliées à l’IPPF dans des pays où l’avortement n’est pas légal doivent : « Faire campagne pour que les restrictions soient abolies. »

Dans la mesure où la majorité des États africains sont réticents à la légalisation de l’IVG, il fallait trouver un moyen pour les réunir et en profiter pour faire la propagande de l’IVG médicalisée qui cache les véritables intentions du protocole. C’est dans cette dynamique que s’est inscrit le protocole signé à Maputo, la capitale du Mozambique le 11 juillet 2003. Le Protocole est souvent présenté comme un moyen pour lutter contre les mutilations génitales féminines, mais dans les 21 pages du document, cette pratique apparaît dans une seule phrase, en l’occurrence en son article 5-b269.

Les auteurs du protocole sont encouragés dans leur initiative par l’OMS qui soutient que : « cette région (en parlant de l’Afrique) ne rassemble que 17 % de la population féminine du monde en développement en âge de procréer, mais représente la moitié de la mortalité imputable à l’avortement non médicalisé ». « La mortalité et l’incapacité liées à l’avortement non médicalisé » seraient « totalement évitables », notamment avec des législations adaptées, a estimé l’un des signataires de l’étude.

En outre selon un rapport, les avortements non médicalisés ont causé 220 décès pour

100. 000 actes en 2008. « Cette mortalité se situe presque entièrement dans les pays en développement », indique dans un communiqué le Guttmacher Institute, institut basé aux États- Unis, spécialisé dans la reproduction et la sexualité. En Afrique, la région australe fait figure d’exception avec le taux d’avortement le plus faible du continent, à 15 pour 1. 000 car les femmes y bénéficient de « la législation libérale d’Afrique du Sud ».

269 http://www.leprotocoledemaputo.org/french_protocole.pdf/Le protocole de Maputo, un danger imminent / (p. 6).

C’est en se fondant sur ces informations que l’article 14-2 c du Protocole de Maputo recommande la prise par les États de toutes mesures appropriées pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé. La Côte d’Ivoire a accédé à cette requête comme cela figure dans l’avant-projet de loi. Par ailleurs, le Mozambique a totalement légalisé l’IVG le 18 décembre 2018. Ce faisant, il a rejoint l’Afrique du Sud, la Tunisie et le Cap-Vert qui étaient les seuls à l’avoir dépénalisé sur le continent.

Alors que selon les interprétations typiques des juristes internationaux et les tribunaux occidentaux, le langage du Protocole de Maputo servirait à légaliser n’importe quel avortement pour toutes les femmes enceintes même pendant le neuvième mois de grossesse270. Cela semble être sur le point de se concrétiser sur le continent américain car le Sénat de New York a adopté le 23 janvier 2019 un projet de loi permettant l’avortement jusqu’à la naissance.

Dans la mesure où le Protocole et plusieurs organismes aspirent à une légalisation complète de l’IVG dans toute l’Afrique, une autre des stratégies adoptées a été l’exposition des dommages dus aux restrictions des États.

L’exposition des dommages de l’interdiction de l’avortement en raison des restrictions des États

Le mercredi 19 août 2015 est paru dans le journal international d’obstétrie et de gynécologie (BJOG) un rapport réalisé par des chercheurs de l’institut américain Guttmacher. Selon eux, 232 millions de dollars serait la somme dépensée par les systèmes de santé des pays en voie de développement pour les soins dits post-avortement, et cela, chaque année. Ils estiment que malheureusement ces pays restent à la traine à cause des prix élevés des soins médicaux, du manque de personnel qualifié pour cet exercice et l’accès plus facile aux pratiques d’avortements artisanaux. « Dans les pays développés, la baisse continue des d’avortements est en grande partie due à une utilisation accrue de la contraception moderne qui a donné aux femmes un plus grand contrôle sur le moment et le nombre d’enfants qu’elles souhaitent », explique l’auteur principal de l’étude, le Dr Gilda Sedgh de l’Institut Guttmacher de New York aux États-Unis.

270 Ibid.

Cependant, si l’on considère la France, qui est l’un des pays développés à avoir légalisé l’IVG, on se rend compte que cela n’a en rien favorisé une baisse du taux d’IVG. En effet, étant stable depuis 2006, le taux d’interruption volontaire de grossesse s’est accru suite à la légalisation de l’accès gratuit à cette procédure le 31 mars 2013. En effet, selon un rapport de la Direction des Études et Statistiques du ministère de la Santé (Drees) sorti en juin 2013, le nombre d’IVG aurait augmenté de 4,7 % entre 2012 et 2013. Remboursées à 100 %, les interruptions volontaires de grossesses ont véritablement favorisé la hausse des avortements selon le ministère de la santé, confirmé par le Pr Paganelli, indigné par l’excès de cette pratique devenue banale. Il a affirmé à ce propos que : « elles sont prises en charge rapidement, sont totalement remboursées. Pour certaines, c’est devenu un nouveau mode de contraception ».

Un autre argument mis en avant pour faire disparaitre l’embryon humain est que les risques associés aux avortements sont liés au caractère légal de cet acte, dans les pays en développement, le risque de mortalité suite à un avortement est de 4 à 6 décès pour 100 000 cas d’avortements légaux et de 100 à 1000 pour 100 000 cas d’avortement illégaux271. En 2015, 90 % des Africaines vivent dans des pays avec une loi restrictive. Quand la loi l’autorise, l’accès reste difficile. Le recours à l’avortement clandestin est fréquent et responsable de 9 % des décès maternels par an. L’avortement par voie médicamenteuse n’est pas reconnu. La vente de Misoprostol est en hausse dans certains pays272.

Au vu de ce qui précède, il est important de relever que la légalisation ne suffit pas à garantir un accès à l’avortement. Elle exige un engagement ferme, des ressources humaines et financières dédiées. Rien ne certifie qu’une fois la pratique légalisée, les populations ne continueront pas toujours à recourir aux anciennes méthodes en raison du coût de la prestation ou encore par souci d’anonymat ? Les médecins pourront-ils être contraints à pratiquer des avortements en dépit de leurs croyances, de leur morale ou de leur degré d’éthique ? En France, une clause de conscience permet aux médecins non désireux de pratiquer une IVG à une patiente de la conduire vers un autre de leur confrère qui y est consentant.

Il apparait que le protocole de Maputo n’œuvre pas pour la survie de l’embryon humain puisqu’il est favorable à une dépénalisation massive de l’IVG sur le continent. La Côte d’Ivoire l’ayant déjà ratifié, il convient de découvrir quelles seront les répercussions de cette action sur la vie de l’embryon humain.

271 A. GUILLAUME, « l’avortement provoqué en Afrique, un problème mal connu, lourd de conséquences », Laboratoire Population-Environnement-Développement Unité de mixte de recherche IRD – Université de Provence 151, 2005, p. 12.

272 https://www.guttmacher.org/fr/fact-sheet/les-faits-sur-lavortement-en-afrique-0uest/.

B- Les conséquences de la ratification de l’Accord de Maputo sur la vie de l’embryon humain

La ratification de l’Accord de Maputo emporte comme conséquence la fragilisation de la protection de l’embryon humain d’une part (1) et le refoulement du caractère sacré de la vie d’autre part (2).

La fragilisation de la protection de l’embryon humain

L’article 31 de l’avant-projet de loi dispose en ses alinéas 2 à 3 que : « à la demande de la femme, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse ; lorsque l’enfant à naître est atteint d’une affection grave ou d’une malformation au diagnostic, dans ces cas, l’interruption volontaire de grossesse doit se faire dans des conditions de sécurité suivant la volonté expresse du couple. Toute stipulation contraire est nulle et de nul effet. La procédure et le contrôle des conditions légales de l’interruption volontaire de grossesse autorisée sont définis par décret pris en Conseil des ministres.»

À la condition de sauvegarde de la vie de la mère, vient d’être ajoutée celle du viol, de l’inceste et d’une malformation suite à un diagnostic (qui peut aussi bien être un DP qu’un DPI) pour l’autorisation de l’IVG. Cette évolution est la caractéristique de la décroissance de la protection de l’embryon humain. À l’alternative du viol et de l’inceste, on aurait pu décider de laisser la grossesse poursuivre son cours pour donner l’enfant en adoption après sa naissance si la mère n’en veut toujours pas et ainsi lui garantir un avenir meilleur. Quant à la malformation, elle s’inscrit dans un but d’eugénisme et serait un prétexte pour éliminer bon nombre d’embryons humains.

Le protestantisme ivoirien s’est prononcé sur cette ouverture de l’IVG médicalisée en affirmant que : « l’église est contre l’avortement car c’est un meurtre. Et plus la personne assassinée est faible, plus le meurtre est coupable. Or nul n’est plus faible qu’un embryon. » Cette religion soutient que : « de nombreuses associations proposent de trouver des familles d’accueil qui vont l’accompagner pendant sa grossesse (la mère)273 et qui sont prêtes à garder l’enfant si, une fois le premier choc passé, elle ne se sent toujours pas capable de le garder ».

273 Il est question de la femme désireuse d’avorter.

Chez les catholiques, les Archevêques et Évêques ont signé le vendredi 6 juillet 2018, par le biais de Monseigneur Antoine Koné, l’Évêque d’Odienné, par ailleurs président de la Commission épiscopale pour la doctrine de la foi de l’Église, un document qui témoigne de leur opposition aux dispositions de l’avant-projet quant à l’IVG. « Nous affirmons avec la dernière énergie qu’une interruption volontaire de grossesse est toujours un homicide volontaire. C’est un meurtre délibéré et direct d’un être humain dans la phase initiale de son existence ».

Selon l’article 32 de l’avant-projet, « l’interruption volontaire de grossesse ne peut en aucun cas être considérée comme une méthode contraceptive. La prise en charge des complications consécutives aux avortements clandestins est obligatoire par le personnel de santé autorisé ». Si l’on s’en tient au modèle français précité, il n’est pas évident que la Côte d’Ivoire fasse exception en ce qui concerne l’usage de l’IVG en tant que méthode de contraception.

L’Église catholique soutient à cet effet que : « le risque est grand dans ces conditions de sombrer dans une diffusion des contraceptifs contribuant par le fait même au libertinage sexuel et à la fuite des responsabilités procréatrices. Ce phénomène favorise la contestation de la morale sexuelle conjugale, et fournit une arme à la politisation des plans de limitation de la natalité. Cela est d’autant plus vrai que le mineur n’est, ni de près ni de loin concerné par le planning familial et moins encore, par l’espacement des naissances propre au couple ».

L’embryon humain court un réel danger avec la ratification du protocole de Maputo. La sacralité de sa vie qui marque le commencement de la personne humaine est de moins en moins pris en compte.

Le refoulement du caractère sacré de la vie

La proclamation de la sacralité de la vie émane de l’article 2 de Constitution ivoirienne. En effet la Côte d’Ivoire, à l’instar de plusieurs autres pays africains a toujours valorisé la vie et la famille. Comme le souligne si bien Human Life, le Protocole de Maputo est une attaque sans précédent contre les enfants à naître et la famille traditionnelle274.

En ratifiant le Protocole, l’État ivoirien s’est engagé à assurer le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité, le droit de décider de leur

274 http://www.leprotocoledemaputo.org/french_protocole.pdf/Le protocole de Maputo, un danger imminent /.

maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances275. Pour parvenir à ces fins, avait-on obligatoirement besoin de passer par un élargissement de l’IVG à des situations non prévues auparavant ? Le contrôle de la fécondité des femmes peut être fait par des moyens de contraception qui n’impliquent pas nécessairement la destruction de l’embryon humain. On peut citer à titre d’exemple l’usage des condoms.

Le Protocole de Maputo, formulé avec l’assistance de la fédération internationale du planning familial (IPPF), demande explicitement que toutes les méthodes de contraception, y incluent celles qui sont abortives comme la pilule soient fournies par les gouvernements. Ceci est certain : Le Protocole de Maputo aboutira par l’avortement libre sur tout le continent. Ce serait la première fois que tout un continent aurait reconnu un droit à l’avortement276.

À cet effet, le Pape Benoît XVI, dans un discours au Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège le 8 janvier 2007 s’est exprimé de la sorte : « comment ne pas se préoccuper non plus des continuelles atteintes à la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle ? De telles atteintes n’épargnent même pas des régions la culture du respect de la vie est traditionnelle, comme en Afrique, l’on tente de banaliser subrepticement l’avortement, par le Protocole de Maputo, ainsi que par le Plan d’action adopté par les ministres de la Santé de l’Union africaine, qui sera d’ici peu soumis au Sommet des Chefs d’État et de gouvernement. »277

C’est dans le même esprit que l’Église catholique de Côte d’Ivoire soutient que : « Nul biologiste ou médecin ne peut raisonnablement prétendre décider de l’origine et du destin des hommes au nom de sa compétence scientifique. Cette norme doit s’appliquer d’une façon particulière dans le domaine de la sexualité et de la procréation, où l’homme et la femme mettent en œuvre les valeurs fondamentales de l’amour et de la vie ».

Leur avis est partagé par la Conférence épiscopale de l’Ouganda qui a publié un message le 19 janvier 2006 libellé comme suit : « jamais dans l’histoire un protocole est allé aussi loin ! […] Les situations de forte détresse mentionnée dans le texte du protocole (viol, inceste, agression sexuelle) ne peuvent créer un droit de supprimer une vie innocente. Ceci s’applique encore moins dans les cas mal définis d’un “danger pour la santé mentale ou physique de la

 

275 Ibid.

276 Ibid., p. 10.

277 Ibid., p. 19.

mère ou d’un danger pour la vie de la mère ou du fœtus.” En fait ceci est une porte ouverte pour l’avortement libre. »278.

En effet la rareté des cas visant l’exception à l’IVG émise par le droit pénal ivoirien est un fait qui est corroboré par les dires d’un gynécologue ivoirien. Il a affirmé ceci lors d’une interview : « moi particulièrement je n’ai jamais vu faire et je ne l’ai jamais fait. On n’a jamais eu des cas la vie de la mère est en danger. Je n’ai jamais vu ça… »279. La sacralité de la vie de l’embryon humain fait dans ces conditions l’objet d’un rejet qu’on pourrait qualifié d’infondé.

En outre, l’organisation Human life estime que : « la puissance de l’Afrique n’émane pas de ses ressources naturelles, mais de sa population jeune et active. Aucun pays, aucun continent qui tue sa jeune génération ne peut survivre. Le Protocole de Maputo fut inspiré par des Européens non pas par des Africains. C’est alors probablement significatif que l’Europe, où la grande majorité des pays permettent l’avortement libre depuis des années, souffre d’une population en déclin depuis une décennie et se trouve le seul continent « mourant » du monde »280.

Les normes édictées en droit pénal ivoirien contre l’IVG n’ont pas tenu toutes leurs promesses. Les avortements clandestins dans l’État sont légion. En plus le processus de légalisation totale de la pratique parait enclenché avec le Protocole de Maputo. Par ailleurs, le droit pénal ivoirien n’est pas le seul à ne pas avoir rigoureusement veillé à ses principes. Tout comme lui, la bioéthique a fléchi face aux exigences de la science en revenant sur certaines de ses décisions.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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