Les paradoxes éthiques de la bioéthique face à l’embryon humain

Section II : La présence de failles dans les recommandations de la bioéthique

Les recommandations de la bioéthique en ce qui concerne l’embryon humain émanent de principes directeurs adoptés après avoir recueilli les avis des États parties. Ces principes qui se fondent en priorité sur la morale ne devraient pas être balayés du revers de la main au gré des circonstances. C’est pourtant ce que l’on constate en matière de FIV. En effet, l’embryon in vitro y est traité avec beaucoup d’égards lorsqu’il est inscrit dans un projet parental. Par contre en l’absence de celui-ci sa dignité n’est pas prise en compte. Ce qui démontre une ascendance du projet parental sur la dignité de l’embryon humain (A). En plus, les prescriptions

278 http://www.leprotocoledemaputo.org/french_protocole.pdf/Le protocole de Maputo, un danger imminent /.

279 (Modeste) KRA et (Linda) JUANOLA. op. cit., p. 12.

280 http://www.leprotocoledemaputo.org/ op. cit., p 21.

visant à mettre à l’abri du danger l’embryon in utero tout comme l’embryon in vitro ont connu des revirements. Elles ont été remises en cause par certaines dérogations (B).

Paragraphe 1 : L’ascendance du projet parental sur la dignité de l’embryon in vitro

Cette ascendance du projet parental sur la dignité de l’embryon in vitro est marquée par le caractère décisif du projet parental pour la survie de l’embryon humain (A) et les effets de la fin du projet parental (B).

A- Le caractère décisif du projet parental pour la survie de l’embryon humain

Aucune définition du projet parental n’est donnée dans l’avant-projet de loi, pourtant la notion est utilisée par le législateur. Le projet parental est une notion qui a évolué au fil des époques et des sociétés données. En effet, dans les sociétés « traditionnelles », l’enfant est appréhendé sous le prisme du groupe, « l’enfant est certes investi d’une valeur forte, mais celle- ci est souvent mise en rapport avec l’intérêt immémorial des humains vis-à-vis de leur descendance et avec le souci qu’a toute communauté humaine de sa propre perpétuation »281.

En d’autres termes, le projet parental (entendu en droit ivoirien) est la volonté pour un couple hétérosexuel souffrant d’infertilité de concevoir par PMA, à travers les moyens mis à leur service. Selon l’article 45 de l’avant-projet : « l’assistance médicale à la procréation est mise en œuvre à la demande expresse des deux membres du couple. La demande est faite par écrit ou par tout moyen laissant trace écrite. ». Le législateur a tenu à préciser d’entrée de jeu le cadre de la PMA. Il ne saurait être question de PMA suite à la demande d’un seul membre du couple. Les époux doivent être unanimes dans leur désir de recourir à cette technique. Ils se doivent d’exprimer leur choix de façon formelle, ce qui lui confère un caractère solennel tel que voulu par le législateur.

La PMA ne prend naissance que sur l’initiative d’un couple, par ailleurs celui-ci peut aussi bien être constitué de personnes vivants en union libre c’est ce qui ressort de l’article 42 de l’avant-projet selon lequel « le couple vivant en concubinage doit justifier d’au moins deux années de vie commune attestée par un acte de notoriété établi par devers notaire ou par le président du tribunal ou le juge par lui délégué, du domicile ou de la résidence des concubins ». Il en ressort que les concubins sont soumis au même formalisme que les couples légitimes, mais dans des proportions plus rigoureuses.

281 C. Legras « Le projet parental suffit-il ? », Laennec, 2012/1, tome 60, p. 25, cité par A-C ARRIGHI, op. cit.,

p. 182.

Le projet parental fonde donc le recours à la PMA, en particulier à celui de la FIV. C’est ainsi que la congélation de gamètes ou d’embryons ne peut être effectuée que dans le cadre d’un projet parental selon l’article 48 de l’avant-projet de loi. Le sentiment d’unité du couple que requiert le législateur dans la pratique de la FIV, l’a conduit à exiger pour la réalisation d’un tel projet que les deux membres du couple soient vivants au moment de sa réalisation, comme le stipule l’article 44 de l’avant-projet de loi. On en déduit qu’une PMA post-mortem n’est pas possible. Aussi qu’adviendrait-il dans les circonstances ou un couple aurait recours à la FIV et qu’à l’approche de la date du transfert de l’embryon humain, l’un des membres du couple perde la vie ?

S’il s’agit de la femme, vu que la GPA est interdite, il est évident que le projet n’ira pas jusqu’à terme. Mais s’il s’agit de l’homme et que la femme est à mesure de poursuivre le projet, elle ne le pourra pas au regard de l’article 44 précité. Ce qui s’analyse en un grave tort qui pourrait l’affecter psychologiquement en plus de la perte de son homme. Le projet parental apparait comme étant déterminant de l’humanité de l’embryon in vitro et de sa survie. « En faisant du projet parental un critère d’accès à l’humanité, on admet alors que les embryons inscrits dans un projet parental sont humains, que certains vont cesser de l’être avec le désintérêt de leurs géniteurs, que d’autres le redeviennent s’ils sont à nouveau l’objet d’un projet parental »282.

Le projet parental est décidément un facteur déterminant pour la survie de l’embryon in vitro. Sa présence lui octroie de la considération, du respect et bien d’autres prérogatives. À l’inverse, il est bafoué dans sa dignité et dans son intégrité.

B- Les effets de la fin du projet parental

« L’humanité est ou n’est pas, elle ne peut se constater à moitié, ni au gré du bon vouloir des tiers. »283 C’est malheureusement le sort auquel est destiné l’embryon in vitro. Puisqu’en cas d’extinction du projet parental il ne peut être accueilli par un couple ou faire l’objet d’une recherche scientifique, il est détruit à l’issue d’un délai fixé dans l’avant-projet. Contrairement à ce qui pourrait être fait en Côte d’Ivoire, en France les embryons in vitro peuvent être accueillis par un couple, faire l’objet d’une recherche scientifique, ou être détruits à l’issue d’un

282 A. Mirkovic, «Le statut de l’embryon, la question interdite ! » JCP G, n° 4, janvier 2010, p. 99 cité par A-C ARRIGHI, op. cit., p. 189.

283 A-C ARRIGHI, op. cit., p. 189.

délai de cinq ans. Le destin de ces embryons est donc suspendu à la persistance ou non du projet parental.284

C’est ainsi que dans une affaire, un couple avait été suivi par le centre hospitalier d’Amiens dans le cadre d’une AMP depuis 1996. À cet effet, plusieurs embryons avaient été fécondés dont douze sélectionnés pour une implantation dans l’utérus maternel, les autres étant conservés par cryogénisation. De cette fécondation sont nées deux jumelles dans le courant de l’année 1998. Suite à une défaillance du système de conservation le 16 août 2000, l’implantation éventuelle d’autres embryons du couple a été compromise. Les parents ont donc agi devant le tribunal administratif d’Amiens pour obtenir réparation du préjudice causé par la défaillance du système de conservation du centre hospitalier.

Dans un jugement du 9 mars 2004, les premiers juges ont accordé 10 000 euros en réparation des divers troubles dans leurs conditions d’existence tout en refusant de reconnaître le préjudice lié à la douleur de la disparition de ces vies. Ils relèvent donc appel dans le but d’obtenir la réparation du préjudice résultant de la perte d’êtres chers. La Cour administrative d’appel de Douai, après avoir admis la responsabilité de l’établissement hospitalier, a donc rejeté la demande d’indemnisation du préjudice lié à la perte d’une chance d’être parent, estimant que les requérants avaient abandonné leur projet parental.285

Cela sous-entend que « sans projet parental, sans relation, cette vie n’est qu’« une matière vivante dont le devenir effectif serait rendu impossible »286. En réalité, l’être humain ne change pas de nature en fonction du regard porté sur lui. Ce sont les parents « qui changent en ayant d’abord un projet parental, puis en l’abandonnant. L’embryon n’est que la victime de ce changement. Il est soumis à la subjectivité des adultes, laquelle entre en contradiction avec le principe de dignité en vertu duquel il devrait être théoriquement protégé. Une fois l’embryon présent, ce n’est pas le projet parental qui soutient son existence. La relation entre lui et ses parents n’est pas première par rapport à ce qu’il est en lui-même : cette relation exige au contraire solidarité et protection »287.

284 Ibid., p. 181-182.

285 En réalité le professeur J.-.R Binet a relevé que les conditions de l’abandon du projet parental n’étaient pas réunies. En se fondant sur l’absence de réaction des parents à l’annonce de l’accident de décongélation arrivé deux ans après la naissance de leurs jumelles, la Cour a dénaturé l’inexistence du projet parental persistant des requérants, ibid.

286 Rapport des États Généraux de la Bioéthique, La documentation française, juillet 2009, ibid., p. 188.

287http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19870222_respect-

for%20human-life_fr.html/ le statut éthique de l’embryon humain : une réflexion innovante du magistère catholique, p. 21.

Enfermé dans cette notion de projet parental, l’enfant n’est plus un don. « Le projet parental n’est-il pas, malgré les apparences, le reflet d’une société individualiste manquant de maturité ? »288. En plus du fait que le projet parental l’emporte sur la dignité de l’embryon in vitro, la bioéthique a procédé à des dérogations à certaines manipulations génétiques.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le statut juridique de l’embryon humain en droit ivoirien
Université 🏫: Facultés universitaires privées d’Abidjan - Option : Droit privé fondamental
Auteur·trice·s 🎓:
Yozan Tralou Cindy Marie-josé

Yozan Tralou Cindy Marie-josé
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de cycle en vue de l’obtention du diplôme de master de recherche - 2018 -2019
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