De la nouvelle diplomatie publique à la diplomatie numérique

Section 2 : de la nouvelle diplomatie publique à la diplomatie numérique

Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), ces dernières années, a eu à exercer une influence sur la politique étrangère des Etats. De manière plus spécifique cette influence a conduit à parler de la diplomatie numérique. Ainsi, grâce aux TIC l’on parle d’une nouvelle diplomatie publique d’une part (Paragraphe1) et d’autre part de la diplomatie numérique d’autre part (Paragraphe2).

Paragraphe 1 : les TIC et la nouvelle diplomatie publique

Avec l’avènement des TIC 70 , l’on assistera à une transformation des fonctions diplomatiques. C’est donc dire qu’il y a eu des transformations de la diplomatie publique à l’ère numérique. Ainsi non seulement la nouvelle diplomatie publique intègre les TIC (A) mais aussi s’est véritablement manifestée (B).

A- L’influence justifiée des TIC sur la diplomatie publique

Pour Émile KABORÉ, « la communication est une composante particulièrement importante de la diplomatie »71. De ce fait, elle ne saurait rester en marge du développement des TIC qui s’imposent à tous les domaines y compris la diplomatie. L’information et la communication sont le véhicule privilégié par lequel la diplomatie peut être utilement expliquée et mise en œuvre surtout avec les nouveaux outils.

69En effet, C’est Machiavel qui l’a sans doute le mieux théorisée : la diplomatie fait appel à la ruse pour convaincre. Cela part du constat que la négociation est un exercice de longue haleine et qu’il n’est pas opportun de dévoiler toutes ses cartes dès le début. Le diplomate est discret par nature. Il ne dissimule pas, mais attend le moment propice avant de dévoiler sa position. Pour influencer les tiers, le diplomate peut recourir à toute une série de « manœuvres obliques » : alliances de circonstances, manœuvres dilatoires, multiplication des exigences

70 Le concept «Nouvelles technologies de l’information et de la communication» (NTIC), est souvent utilisé et compris comme synonyme d’Internet avec tout ce que cela suppose: l’utilisation d’ordinateurs et de divers réseaux de télécommunications permettant de relier les utilisateurs entre eux, et de les relier à l’information. Certes, les technologies qui supportent et permettent le développement d’Internet sont aujourd’hui au cœur des NTIC mais ces dernières ne se limitent pas à Internet. Le concept de NTIC doit être ici entendu comme recouvrant l’ensemble des outils et techniques résultant de la convergence des télécommunications, de l’informatique et de l’audiovisuel avec comme dénominateur commun l’utilisation de données numériques. Il n’exclut donc pas les services «classiques», tels que la radio et la télévision dont la diffusion peut désormais être faite sur les mêmes supports numériques.

71 Émile KABORÉ, Les enjeux, les pratiques et les perspectives communicationnels de la diplomatie du développement en Afrique : les cas du Burkina Faso et du Sénégal, Thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication, université Paris 8, 2013, p. 103

Analysant le lien entre la diplomatie et la communication, Anne Konaté, affirme que, « Information, communication et diplomatie se nourrissent mutuellement, pour assurer le rayonnement d’un pays sur la scène internationale. La diplomatie sans la communication et l’information à l’heure des Technologies de l’information et de communication (TIC) est aphone, pas plus qu’elle ne vit, parce que manquant de support. En sens inverse, l’information et la communication sans diplomatie sont dépourvues d’une partie importante de leur contenu, à l’heure de la globalisation »72

De la nouvelle diplomatie publique à la diplomatie numérique

Comme les nouvelles technologies permettent aux citoyens de « s’organiser sans organisation »73, elles exigent de nouvelles stratégies de la part des gouvernements s’ils veulent demeurer au centre des échanges d’information afin de réaliser leurs objectifs74. Le pouvoir d’influence y est moins conceptualisé d’un point de vue hiérarchique, et davantage selon la capacité d’être au cœur d’un réseau75. Ces activités de réseautage et de mobilisation renvoient, dans une perspective plus large, au « pouvoir collectif », c’est-à-dire la capacité de réaliser en groupe un objectif qui n’est pas atteignable seul76

Par ailleurs, à en croire Bruno MALTAIS avec les TIC, le concept de diplomatie publique fait plus spécifiquement référence à l’activité de l’État, directement ou par le biais d’autres acteurs, qui vise à défendre ses intérêts nationaux en communiquant avec des citoyens étrangers sans passer par les canaux diplomatiques traditionnels77. En dehors de cette influence justifiée des TIC, elle s’est également manifestée.

72KONATÉ, A. (entretien du 21 juin 2010).

73Clay SHIRKY, Here Comes Everybody:The Power of Organizing without Organizations, New York, Penguin Books, 2008.

74Christopher C Hood et Helen Z Margetts, The Tools of Government in the Digital Age, Londres, Palgrave, 2007 à la p 129.

75Anne-Marie SLAUGHTER, « Remarks, The Big Picture: Beyond Hot Spots & Crises in Our Interconnected World » (2012) 1:2, Journal of Law & International Affairs, à la p 286.

76Anne-Marie SLAUGHTER, « A New Theory for the Foreign Policy Frontier: Collaborative Power », The Atlantic (novembre 2011) disponiblesur

B- Une influence manifestée

Dans les années 1840, lorsque le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Palmerston a reçu son premier télégramme, il s’est exclamé : « My God, this is the end of diplomacy »78. Plus d’un siècle et demi plus tard, si l’hyperbole fait sourire, force est de constater que la manière de mener les activités diplomatiques s’est transformée au fil des avancées technologiques. Les activités de persuasion des gouvernements sur la scène internationale ont cours dans un contexte où ceux-ci n’ont ni le monopole de l’information, ni la capacité de contrôler le message79. Par ailleurs, d’après Guy CARRON DE LA CARRIÈRE les acteurs privés se font remarquer par leur visibilité, souvent voulue, due à leur activité, à leur volonté de marquer la scène internationale et à la nouveauté de leur présence à la fois massive et diversifiée 80 . Parmi les acteurs privés qui façonnent le contexte international, quatre paraissent particulièrement significatifs : les opinions publiques 81 , les ONG 82 , les philanthropes83 et les entreprises.

Mais, si ces acteurs privés arrivent à jouer leur partition sur la scène internationale, c’est grâce aux TIC. En effet, avec les moyens techniques modernes, les opinions publiques peuvent se relier au monde entier, dépasser les frontières, créer des événements qui ont des répercussions sur l’équilibre international. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler l’action, dans les années

78 Abbott WASHBURN, Telecommunications and Diplomacy, Medford, Tufts University, 1978 à lap2. 79Joseph S NYE, « Cyber Power » (2010), en ligne :Belfer Center for Science and International Affairs, Harvard Kennedy School, disponiblesur

Paragraphe 2: la diplomatie numérique ou digitale

Même s’il y a des préférences pour l’un ou l’autre adjectif, l’on les utilisera comme des synonymes. Ainsi parler de la diplomatie numérique ou digitale, revient à non seulement à redéfinir le concept mais aussi à faire à ses implications (A). Par ailleurs, le cas américain servira d’illustration (B).

A- De la redéfinition aux implications de la diplomatie digitale

La diplomatie digitale est devenue un moyen d’action et d’influence diplomatique important pour les Etats. Mais de quoi s’agit-il exactement? En langue française on retrouve aussi bien l’expression diplomatie digitale que diplomatie numérique. Le Larousse a tranché

84 Stéphane Courtois (https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9phane_Courtois)(dir.), Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe, Paris, Robert Laffont, (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_Robert_Laffont)2002, 1019 p. David Priestland, (https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Priestland)The Red Flag : Communism and the making of the modern world, New York, Allen Lane / Penguin Books, 2009, 675 p. Les dénominations d’État communiste, régime communiste, pays communiste, système communiste sont utilisées pour qualifier le régime politique (https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gime_politique)d’un État (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat)dans lequel un parti se réclamant du communisme (https://fr.wikipedia.org/wiki/Communisme)exerce le monopole de la gestion des affaires publiques

85 La révolution roumaine de 1989 a été l’un des facteurs de la chute de l’URSS. © Denoel Paris and other photographers, Wikimedia Commons, cc by sa 3.0

86 Christian Delporte et Caroline Moine, Culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945- 1991 : Capes-Agrégation Histoire-Géographie, Armand Colin, (https://fr.wikipedia.org/wiki/Armand_Colin)5 septembre 2018, 342 p. Voir Michel Winock (https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Winock) (dir.), Le temps de la guerre froide : Du rideau de fer à l’effondrement du communisme, Seuil, (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ditions_du_Seuil) coll. « Points Histoire », 1994, 474 p. La guerre froide (en anglais (https://fr.wikipedia.org/wiki/Anglais)Cold War ; en russe (https://fr.wikipedia.org/wiki/Russe)Холодная война, Kholodnaïa voïna) est le nom donné à la période de fortes tensions géopolitiques durant la seconde moitié du XXe siècle (https://fr.wikipedia.org/wiki/XXe_si%C3%A8cle), entre d’une part les États-Unis (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats-Unis) et leurs alliés constitutifs du bloc de l’Ouest (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bloc_de_l%27Ouest) et d’autre part l’Union des républiques socialistes (https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_des_r%C3%A9publiques_socialistes_sovi%C3%A9tiques) soviétiques (https://fr.wikipedia.org/wiki/Union_des_r%C3%A9publiques_socialistes_sovi%C3%A9tiques)(URSS) et ses États satellites (https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_satellite)formant le bloc de l’Est. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bloc_de_l%27Est)La guerre froide s’installe progressivement à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale (https://fr.wikipedia.org/wiki/Seconde_Guerre_mondiale)dans les années 1945 (https://fr.wikipedia.org/wiki/1945)à 1947 (https://fr.wikipedia.org/wiki/1947)et dure jusqu’à la chute des régimes (https://fr.wikipedia.org/wiki/Chute_des_r%C3%A9gimes_communistes_en_Europe) communistes en Europe (https://fr.wikipedia.org/wiki/Chute_des_r%C3%A9gimes_communistes_en_Europe)en 1989, (https://fr.wikipedia.org/wiki/1989) rapidement suivie de la dislocation de l’URSS (https://fr.wikipedia.org/wiki/Dislocation_de_l%27URSS)en décembre (https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cembre_1991)1991. (https://fr.wikipedia.org/wiki/1991)

87Edmund A GULLION, « Definitions of Public Diplomacy », en ligne: The Edward R Murrow Center of Public Diplomacy < http://fletcher.tufts.edu/Murrow-Center (http://fletcher.tufts.edu/Murrow-Center)>.

cette question en précisant que l’adjectif digital est synonyme à numérique. Pour Noureddine SEFIANI, la diplomatie digitale au sens large est définie comme « l’exercice de la diplomatie par chaque personne (y compris les diplomates et les leaders sans qu’ils en aient le monopole) ayant accès à internet, aux réseaux sociaux, aux plateformes, aux instruments, appareils et applications digitaux. Celle-ci ressemble plutôt à un fourre-tout ou tout acteur qui se mêle de diplomatie même de loin, de façon épisodique, avec une influence nulle ou minime est considéré comme partie prenante à la diplomatie »88. D’après Morgane Bravo, « La diplomatie digitale consiste à résoudre les problèmes de politique extérieure grâce à l’internet. C’est de la diplomatie conventionnelle sous d’autres formes. Elle consiste à écouter et dialoguer, à évaluer par de nouveaux et intéressants moyens. C’est un instrument du soft power pour un nouveau visage des relations internationales »89.

En effet, la diplomatie numérique constitue également un levier d’amplification de la capacité des États à assumer publiquement des prises de positions et à divulguer de façon contrôlée des informations stratégiques, à finalité politique et revêtant des enjeux souverains, dans un cyberespace transnational où la portée de l’action diplomatique n’est plus restreinte à des télégrammes et des valises diplomatiques, ni à un espace de coopération territoriale bien délimitée. La diplomatie numérique sert ainsi de relais à une politique de l’image, une sorte de marketing des politiques, visant à séduire de potentiels alliés étrangers et à légitimer l’engagement d’un État dans une action internationale, tout en utilisant les médias numériques et le Web90.

Cette redéfinition du concept de diplomatie digitale ou numérique ainsi que ses implications ont été illustrées par diverses expressions anglaises telles que le e-diplomacy ou Techplomacy, Twiplomacy, Data diplomacy, Algorithmic diplomacy, Hashtag diplomacy et Smart diplomacy. En la matière les Etats Unis constituent une référence incontournable.

88Noureddine SEFIANI, « A la recherche de la Diplomatie Digitale: Propositions de définition »

89Morgane BRAVO dans son blog « Think tank Digital Diplomacy »

90Gilbert GAGNE et Destiny TCHEHOUALI, Op Cit, p.3 Selon ces auteurs, Cette diplomatie qualifiée par certains de « diplomatie du XXIème siècle » constitue donc une révolution dans la nature et la pratique même de l’activité diplomatique traditionnelle qui s’ouvre de plus en plus à des règles multi acteurs (avec la participation d’acteurs non gouvernement aux à la formulation des politiques publiques par le biais par exemple des consultations en ligne) et qui nécessite désormais une adaptation permanente entre discours local et approche globale. Il s’agit également pour certains États de mieux défendre leur souveraineté numérique dans un contexte de multiplication de cyber attaques et de montée de la propagande terroriste sur Internet

B- Du « soft power au smart power » américain

Cette nouvelle approche de la diplomatie a été beaucoup expérimentée au cours des dernières années dans le but de rétablir le leadership américain et de reconquérir l’autorité morale perdue par les États-Unis sous le régime Bush. L’administration Obama s’est notamment appuyée sur les capacités technologiques des nouveaux outils diplomatiques que sont Twitter, Facebook et Google, purs produits de l’écosystème de la SiliconValley, pour les mettre au service de sa politique étrangère. En effet, le « tournant » technologique adopté par la diplomatie américaine trouve une partie de ses racines dans le concept de smart power médiatisé par Hillary CLINTON 91 lors de son discours d’investiture devant la commission des Affaires étrangères du Sénat92  en janvier 2009.

Il s’agit pour les États-Unis de combiner un hard power lié à leur prédominance économique et militaire au soft power que leur confère une image améliorée, la séduction de leur prospérité et de leur mode de vie, le succès de leurs produits culturels, leurs valeurs universelles et une approche plus multilatérale des relations internationales, le tout étant véhiculé par les nouveaux outils technologiques.

De nos jours ce sont plutôt Google, Apple, Facebook, Amazon ou Netflix qui se chargent, grâce à leurs algorithmes et à leurs applications, de valoriser’ et de décupler la distribution et la consommation des produits et contenus culturels américains, tout en misant sur la croissance des réseaux et plateformes numériques ainsi que sur l’agrégation et le traitement de données massives (Big Data) générées par les utilisateurs de ces plateformes à l’échelle mondiale ;ce qui constitue l’arme véritable de la stratégie diplomatique américaine du « smart power.

Ainsi pour Thomas GOMART « la mise en œuvre du smart power américain « reposait sur le principe de connectivité selon lequel la centralité d’un acteur dépend de sa capacité à générer des connexions, et ainsi d’imposer son agenda en suscitant l’adhésion. Pour, Washington, il s’agissait de se positionner « comme un hub informationnel et idéologique » et de recourir à la diplomatie numérique pour servir « un empire médiatique global », capable de façonner non seulement l’opinion mondiale mais surtout de la segmenter en fonction des objectifs poursuivis »93.

Qu’en est-il du Togo ?

91Hillary Diane CLINTON, est une femme politique américaine, notamment secrétaire d’État des États-Unis de 2009 à 2013.Après avoir milité au sein du Parti républicain dans les années 1960, elle adhère au Parti démocrate. Elle est première dame des États-Unis de 1993 à 2001, en tant qu’épouse du 42e président des États-Unis, Bill Clinton. Elle occupe ensuite un siège de sénatrice pour l’État de New York au Congrès des États-Unis, de 2001 à 2009; elle vote notamment en faveur des interventions militaires américaines en Afghanistan et en Irak. Candidate et favorite aux primaires présidentielles démocrates de 2008, elle est battue par Barack Obama en nombre de délégués. L’année suivante, après l’élection de celui-ci à la Maison-Blanche, elle est nommée secrétaire d’État, fonction qu’elle occupe jusqu’en 2013. À nouveau candidate à la présidence à l’élection de 2016, elle remporte les primaires démocrates face au sénateur du Vermont Bernie Sanders, devenant ainsi la première femme candidate de l’un des deux grands partis américains pour le poste de président des États-Unis. Longtemps donnée gagnante dans les sondages et bien que majoritaire en nombre de voix, elle échoue au collège électoral, y obtenant seulement 227 grands électeurs, contre 304 pour le candidat du Parti républicain, Donald Trump.

92« Clinton: Use “Smart Power” in Diplomacy », CBS News, 13 janvier 2009.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La diplomatie togolaise a l’ère du numérique : enjeux et défis
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SANBENA Kanikatoma D.

SANBENA Kanikatoma D.
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