5 techniques pour stopper le trafic illicite d’œuvres d’art

DEUXIEME PARTIE :

Les difficultés du système d’encadrement du trafic illicite des biens culturels

Aujourd’hui, les causes du trafic illicite de biens culturels à l’échelle internationale sont nombreuses. On peut notamment pointer du doigt l’ouverture des frontières, le développement rapide des moyens de transport à bas coûts et l’essor du marché international de l’art. Comme nous l’avons dit, la hausse de la demande de biens culturels a donné naissance à un marché de l’art prospère à l’échelle internationale. Nombreux sont ceux qui considèrent l’art comme une simple marchandise ou une alternative à des investissements plus traditionnels194.

C’est d’ailleurs l’une des facettes du problème. De nouvelles richesses provenant du monde de la finance sont entrées dans les salons, les maisons de vente et les galeries, non seulement parce que les objets sont beaux et à la mode mais aussi parce qu’ils représentent un investissement rentable. De fait, le marché de l’art est aujourd’hui comparable à une bourse dans laquelle les œuvres d’art sont achetées et vendues dans l’espoir de faire un bénéfice immédiat ou un investissement avantageux195.

La multiplication des conflits est un autre facteur aggravant les vols et l’exportation illicite de biens culturels, ainsi que le pillage des sites et des monuments. Les activités criminelles se nourrissent du chaos, et le vol d’antiquités destinées à un marché noir international avide ne fait pas exception. Par exemple, les Printemps arabes de 2011 et les guerres civiles qui ont suivi on fait office de catalyseurs pour le vol systématique d’antiquités, commis par des habitants démunis ou par des groupes criminels organisés.

Les musées, sites archéologiques et monuments qui composaient le patrimoine culturel unique de la Syrie et de l’Iraq ont été ravagés par les pilleurs depuis le début de la guerre196. Il faut ajouter que les groupes criminels organisés jouent un rôle de plus en plus important dans tous les aspects du trafic de biens culturels et dans les infractions connexes.

En particulier, plusieurs rapports signalent que le trafic d’antiquités est devenu l’une des sources de financement de « l’État islamique en Iraq et en Syrie » (Daech), avec le commerce du pétrole et les kidnappings.

194Signer R. et Baumann D., ‘Art Market Back on Growth Track’, Credit Suisse, News and Expertise, 12 mai 2011

195 Ulph et Smith, supra n. 5, 14.

196 Noce V. et Stapley-Brown V., ‘Cheikhmous Ali: The Syrian Archaeologist Who Doesn’t Take Sides’, The Art Newspaper, 10 février 2016.

Il convient par ailleurs de ne pas négliger les lacunes des réglementations nationales. L’insuffisance de la réponse juridique déployée par les États pour lutter contre l’exploitation de leur patrimoine et le trafic illicite peut avoir plusieurs explications.

La première est que les réglementations relatives aux exportations, trop larges et trop rigoureuses, sont souvent difficiles à appliquer.

Deuxièmement, les mesures pénales mises en place dans un certain nombre d’États sont associées à des peines légères et donc peu dissuasives.

Troisièmement, le respect des règles nationales en vigueur n’est pas récompensé de manière adéquate. Prenons par exemple le cas des découvertes fortuites. Un grand nombre des objets mis au jour après des fouilles sont initialement repérés à l’occasion d’activités agricoles ou de travaux de construction.

Des preuves empiriques montrent qu’en l’absence d’un système satisfaisant de récompense et au regard des perturbations de l’activité économique qu’entraînent nécessairement les évaluations archéologiques, les personnes concernées préfèrent souvent détruire ces objets ou les mettre sur le marché noir plutôt que de faire état de leur découverte.

Quatrièmement, les mesures juridiques et réglementaires mises en place par les États sont souvent inefficaces lorsqu’il s’agit de contrôler et de réguler la demande sur le marché.

Sur ce dernier point, de nombreuses affaires montrent que des marchands, des commissaires- priseurs, des conservateurs de musée et des acquéreurs particuliers – expérimentés ou dilettantes – sont souvent impliqués dans le commerce de biens volés, issus de fouilles illicites ou exportés illégalement, aussi bien en toute connaissance de cause qu’à leur insu.

Cela veut dire que certains acteurs du monde de l’art sont prêts à aller à l’encontre de leurs objectifs affichés liés au respect des cultures en se livrant à des activités illicites ou contraires à l’éthique. D’ailleurs, dans certains cas, des maisons de vente aux enchères ont été accusées de dissimuler la véritable origine des œuvres d’art sous couvert de clauses de confidentialité ; ce qui facilite la tâche des voleurs et des organisations criminelles qui s’appuient sur le marché de l’art pour blanchir les revenus de leurs activités.

Des entreprises ont aussi été souvent impliquées dans des affaires concernant des biens volés ou obtenus par des pilleurs197. Cela signifie également que le marché mondial légal opère en parallèle du marché noir – porté par des voleurs, des pilleurs et des intermédiaires motivés par l’appât du gain et pressés de répondre à la demande – et que, par conséquent, sur le marché international de l’art les antiquités licites côtoient des biens obtenus illégalement198.

197 Voir par exemple l’affaire des rares bracelets en or volés en Roumanie puis présentés dans des ventes aux enchères en Europe (Lazăr A., ‘Illicit Trafficking in Cultural Goods in South East Europe: “Fiat Lux”’, in Desmarais F. (Ed.), Countering Illicit Traffic in Cultural Goods. The Global Challenge of Protecting the World’s Heritage, Observatoire international du trafic illicite des biens culturels de l’ICOM, 2015, pp. 107-120, 108-109, 115. Voir aussi Laetitia Nicolazzi, Alessandro Chechi, Marc-André Renold, “Case Hopi Masks – Hopi Tribe v. Néret-Minet and Estimations & Ventes aux Enchères,” Base de données ArThemis ( ), Centre du droit de l’art, Université de Genève ; et Ece Velioglu, Anne Laure Bandle, Marc-André Renold, “Case Khmer Statue – Cambodia and Sotheby’s and the United States,” Base de données ArThemis (http://unige.ch/art-adr), Centre du droit de l’art, Université de Genève.

Les pilleurs et les trafiquants mettent en œuvre diverses stratégies pour dissimuler la manière frauduleuse dont les objets ont été obtenus199. Les œuvres d’art et les biens culturels issus de pillages sont difficiles à identifier car ils sont souvent introduits directement sur le marché légal de l’art par des galeries et des maisons de vente aux enchères. De plus, les objets à la provenance douteuse peuvent acquérir une provenance sûre (naturelle) et gagner en visibilité à force d’être à plusieurs reprises vendus dans des galeries ou exposés dans des musées.

Il est donc compliqué de vérifier leur provenance exacte ; et souvent les détails concernant le commerce d’œuvres d’art et de biens culturels pillés ne sont révélés que grâce au contexte ou par accident200. Par conséquent, la complicité des marchands d’art qui fournissent pour les antiquités pillées de faux papiers et certificats de provenance est un élément essentiel des stratégies de blanchiment, au même titre que l’absence d’une réglementation spécifique et de moyens suffisants pour faire respecter la loi.

On peut également noter que les progrès technologiques ont permis l’accélération des opérations de fouilles illégales, y compris dans des régions auparavant difficiles à atteindre201, ainsi que la vente de biens culturels soustraits illégalement sur les réseaux sociaux ou des plateformes comme eBay. Ainsi, nous montrerons, l’inefficacité du cadre juridique (Chapitre 1) et les difficultés du cadre opérationnel (Chapitre 2).

198 Voir aussi Wehinger F., Illegale Märkte. Stand der sozialwissenschaftlichen Forschung, Document de travail du MPIfG, 11/6, octobre 2011, pp. 49-53.

199Passas N. et Proulx B., ‘Overview of Crimes and Antiquities’, in Manacorda S. and Chappell D. (eds.), Crime in the Art and Antiquities World. Illegal Trafficking in Cultural Property, New York : Springer, 2011, 51-67, 58- 59. 200Salm C., ‘The European Added Value of EU Legislative Action on Cross-Border Restitution Claims of Looted Works of Art and Cultural Goods’, novembre 2017, p. 6.

201 Passas et Proulx, supra n. 24, 59.

CHAPITRE 1 :

L’inefficacité du système de lutte

La notion de bien culturel étant étroitement rattachée à la notion de patrimoine, celle-ci renvoyant directement à l’expression culturelle de l’identité nationale des États, explique que les biens culturels « possèdent une grande valeur artistique, historique ou archéologique pour leur pays d’origine et font partie de son patrimoine culturel, qui doit être protégé et préservé».

Les biens culturels peuvent donc être appréhendés comme des « trésors constitutifs de l’âme même de la Nation ». Ainsi, les Etats, dans le souci protéger son patrimoine du trafic illicite, ont mis en place des systèmes d’encadrement. A travers tout ce remue-ménage envers le trafic illicite des biens culturels, la communauté internationale veut prévenir, réprimer ce phénomène. Mais on remarque une inefficacité du système de lutte due aux conventions internationale montrant des lacunes et des légisa

Ainsi, dans ce chapitre, nous avons mis en exergue les difficultés qui rendent le cadre juridique de lutte contre le trafic inefficace à travers la complexité juridique (Section 1) et le caractère non dissuasif du cadre (Section 2).

SECTION 1 : La complexité du système de lutte

Nous aborderons dans cette partie la divergence dans les normes juridiques (§1) et les lacunes des conventions (§2).

PARAGRAPHE 1 : Les divergences dans les normes juridiques

Il apparaît notamment que l’un des facteurs les plus déterminants dans la qualification « internationale » de ce trafic illicite consiste dans le fait que, le plus souvent, les vols sont accompagnés de franchissements successifs de frontières. Il en résulte que les réseaux de trafiquants parviennent à jouer des disparités entre les législations nationales en produisant des documents d’accompagnement contrefaits – certificats d’authenticité et d’exportation. Il s’agit notamment des disparités relatives à la caractérisation du recel, déterminante pour engager des poursuites pénales.

Il est également important de souligner qu’une exportation illicite qualifiée dans un pays n’implique pas nécessairement une importation illicite dans le pays d’accueil du bien. Or, par l’usage de faux, les réseaux de trafiquant parviennent à « réinjecter » les biens culturels dans le marché licite en les faisant passer dans les mains de divers receleurs de nationalités différentes et, finalement, dans les mains d’acquéreurs de bonne foi202. Ces pratiques délictuelles peuvent être traduites en termes juridiques pour souligner les disparités entre les normes nationales de lutte contre le trafic illicite, traduites à travers la diversité des sources de droit (A) entrainant une incohérence des mesures nationales dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels (B).

A. La diversité des sources de droit

Le premier problème à évoquer tient au fait que le droit substantiel régissant la protection et la circulation (exportation/importation) d’objets appartenant au patrimoine culturel varie grandement d’un État membre de l’UE à l’autre, car les approches adoptées pour traiter ces questions sont différentes. Les définitions des termes « pays source » et « pays marché », données plus haut, en sont une illustration. Les différences sont également claires au regard des législations empêchant les saisies qu’ont adoptées certains États membres.

Ces textes nationaux – qui empêchent la saisie d’objets provenant de l’étranger et détenus dans le cadre de prêts temporaires – semblent incompatibles avec les obligations découlant des instruments juridiques déployés pour juguler le commerce illicite de biens culturels. Autrement dit, une garantie légale d’immunité couvrant des objets prêtés peut contredire des obligations définies dans des instruments juridiques internationaux et européens, tels que la directive 2014/60, et notamment celles qui concernent la restitution d’objets illicitement sortis de leur territoire d’origine. Par ailleurs, les réglementations internationales concernant les obligations (de diligence) des personnes et entreprises impliquées dans le commerce des œuvres d’art ne sont que très peu harmonisées.

Par conséquent, les normes adoptées pour protéger le marché des criminels cherchant à financer leurs activités ou à blanchir leurs revenus, lorsqu’elles existent, sont différentes d’un État à l’autre. Par exemple, en France les maisons de vente aux enchères et les galeries d’art appartiennent au secteur réglementé ; tandis qu’au Royaume-Uni elles ne deviennent des entités réglementées qu’à partir du moment où elles acceptent les paiements en liquide d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 € pour une transaction unique ou une série de transactions en rapport les unes avec les autres. En Suisse, la limite concernant les paiements en liquide est encore plus élevée (100 000 CHF ou plus).

Autre point important : la plupart de ces règles ne sont pas directement applicables. Les États membres doivent donc promulguer une législation spécifique pour les mettre en œuvre. La Convention de 1970 entre dans cette catégorie, et c’est la raison pour laquelle l’UNESCO a adopté les « Directives opérationnelles pour la mise en œuvre de la Convention de 1970 »203. Elles ont non seulement pour but « de renforcer et de faciliter la mise en œuvre de la Convention », mais aussi « [d’] identifier les façons et les moyens de concourir à la réalisation de ses objectifs ».

En ce qui concerne la législation de l’UE, la situation est plus complexe. Selon le droit européen, les règlements adoptés ont une portée générale et sont directement applicables dans tous les États membres. À ce titre, le règlement 116/2009 est immédiatement exécutoire dans tous les États membres, sans avoir à passer par l’étape de la transposition dans le droit national. Ce n’est pas le cas des directives de l’Union européenne, pour lesquelles la promulgation d’une législation de mise en œuvre est obligatoire. Deux séries de mesures sont désormais appliquées pour pallier cette fragmentation réglementaire :

202 Sur les méthodes développées par les réseaux de trafiquants, lire : TABEL (P.) : « Le trafic international des œuvres d’art », op. Cit., pp. 70-77 ; LALIVE (P.) : « Une convention internationale qui dérange : la convention Unidroit sur les biens culturels », p. 179, in DUPUY (R-J.) (Ed.) : Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos. Droit et justice, Paris, Pedone, 1999, 703 p.

D’abord, il convient de citer les instruments élaborés afin de garantir la saisie puis la restitution des biens culturels pillés et exportés illégalement d’Iraq et de Syrie. Par les résolutions 2199 (2015), 2253 (2015) et 2347 (2017) entre autres, le Conseil de sécurité des Nations Unies a condamné la destruction du patrimoine culturel par Daech et d’autres groupes en Iraq et en Syrie et a reconnu que ces groupes terroristes « génèrent des revenus en procédant, directement ou indirectement, au pillage et à la contrebande d’objets appartenant au patrimoine culturel […] qui sont ensuite utilisés pour financer leurs efforts de recrutement ou pour améliorer leurs capacités opérationnelles d’organiser et de mener des attentats terroristes »204.

Plus important encore, le Conseil de sécurité a adopté des mesures juridiques visant à empêcher le trafic illicite d’antiquités provenant de ces États : « Le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, réaffirme la décision qu’il a prise au paragraphe 7 de la résolution 1483 (2003) et décide que tous les États Membres doivent prendre les mesures voulues pour empêcher le commerce des biens culturels iraquiens et syriens […] qui ont été enlevés illégalement d’Iraq depuis le 6 août 1990 et de Syrie depuis le 15 mars 2011,[…] et permettant ainsi qu’ils soient restitués aux peuples iraquien et syrien […] »205.

En résumé, la résolution 2199 (2015) vise à imposer des sanctions économiques et diplomatiques aux pays et individus qui permettent à Daech et d’autres groupes terroristes de tirer profit du commerce illicite d’antiquités.

203Adoptées par consensus le 18 mai 2015 par la Réunion des États parties à la Convention de 1970 (document UNESCO C70/15/3.MSP/11).

204 Para. 16.

205Para. 17.

Au niveau de l’Union européenne, les instruments juridiques suivants ont été adoptés pour enrayer le financement du terrorisme et le pillage des sites culturels. Le règlement 1210/2003206 interdit d’importer, d’exporter ou d’échanger des biens culturels iraquiens lorsque ces biens font partie intégrante des collections publiques figurant sur les inventaires des institutions iraquiennes ou lorsqu’il existe un doute raisonnable concernant le fait que ces biens ont pu être sortis d’Iraq sans le consentement de leur propriétaire légitime ou en violation des lois et de la réglementation iraquiennes207.

Le règlement 1332/2013208 contient des mesures visant à interdire le commerce de biens appartenant au patrimoine culturel syrien et à faciliter leur restitution en toute sécurité à leurs propriétaires légitimes. Plus précisément, il interdit d’importer, d’exporter et de transférer des biens culturels syriens lorsqu’il existe de bonnes raisons de soupçonner que ces biens ont été sortis de Syrie sans le consentement de leurs propriétaires légitimes ou ont été sortis de Syrie en violation du droit syrien ou du droit international209.

Ces règlements contiennent également une clause au titre de laquelle les États membres s’engagent à formuler des règles concernant des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives en cas de violation des interdictions qui y sont définies; et à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ces sanctions soient bien appliquées.

Par ailleurs, les institutions de l’UE travaillent actuellement à l’adoption d’un nouveau règlement sur l’importation des biens culturels. Proposé en juillet 2017 par la Commission européenne, ce nouveau règlement contiendrait des mesures visant à empêcher l’importation dans l’Union de biens culturels exportés illicitement depuis leur pays d’origine. Il mettrait notamment en place un nouveau système d’octroi de certificats d’importation pour les biens culturels les plus à risque, tels que les objets archéologiques, les éléments provenant du démembrement de monuments et les manuscrits anciens210.

206 Règlement (CE) n° 1210/2003 du Conseil du 7 juillet 2003 concernant certaines restrictions spécifiques applicables aux relations économiques et financières avec l’Iraq et abrogeant le règlement (CE) n° 2465/1996 du Conseil, JO L 169 du 8 juillet 2003.

207Article 3. Cette interdiction ne s’applique pas dans deux cas particuliers : si le possesseur du bien peut démontrer qu’il a été exporté d’Iraq avant le 6 août 1990 ou si ce bien est restitué aux institutions iraquiennes conformément au paragraphe 7 de la résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité des Nations Unies 208Règlement (UE) n° 1332/2013 du Conseil du 13 décembre 2013 modifiant le règlement (UE) n° 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, JO L 335 du 14 décembre 2013.

209Article 11(c). L’interdiction ne s’applique pas s’il est prouvé que les biens concernés ont été exportés de Syrie avant le 9 mai 2011 ou qu’ils vont être restitués à leurs propriétaires légitimes en Syrie

B. L’incohérence des mesures nationales dans la lutte contre le trafic illicite

L’insuffisance des normes de droit interne tient aux diversités existantes entre les systèmes juridiques nationaux. Ces diversités apparaissent avant tout dans le champ d’application matériel des normes de droit interne relatives à la protection des biens culturels en cas de trafic illicite. Il est vrai que les définitions internes des notions pertinentes sont souvent dissemblables en la matière. Chaque ordre juridique national définit pour lui-même les notions de bien culturel ou d’œuvre d’art. Chaque ordre juridique attribut un statut juridique original à ces biens.

Il pourra s’agir d’un statut spécial, mais il arrive également que certains États attribuent à ces biens un statut de droit commun, c’est-à-dire qu’ils les soumettent au régime juridique généralement applicables aux biens mobiliers.

Ces régimes généraux étant eux-mêmes extrêmement divers d’un ordre juridique à l’autre. En outre, ces disparités se manifestent à travers deux questions qui ont été effleurées dans le développement précédent : il s’agit de la restitution des biens volés en cas d’acquisition a non domino et du principe de non application du droit public étranger en matière de restitution des biens culturels illicitement exportés211.

Le premier élément met clairement en évidence les différences existantes entre les ordres juridiques nationaux et même, d’une façon assez schématique, entre les types de systèmes juridiques existants. Dans la mesure où les vols de biens culturels s’accompagnent souvent de franchissement de frontières, ils sont grevés d’un élément d’extranéité. En d’autres termes, la lex rei sitae pourra éventuellement permettre l’aliénation du bien dans un pays ayant une législation protectrice vis-à-vis de l’acquéreur a non domino, écartant ainsi l’application du droit public et pénal de l’État d’origine du bien212. L’illustration la plus claire – mais aussi la plus simpliste – de ce risque réside dans la contradiction réductrice entre les systèmes juridiques de common law213 et ceux de tradition romano-germanique.

210Voir : https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2017/FR/COM-2017-375-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF. Voir aussi Peters, supra n. 44, pp 146-147.

211Un acquéreur a non domino, selon la définition du Vocabulaire juridique Cornu, « tient ses droits d’une personne qui n’est pas le véritable propriétaire ». CORNU (G.) (Ed.), Vocabulaire juridique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Quadrige dicos poche, 7e éd., 2007, p. 59.

212 La lex rei sitae est la loi de situation du bien.

Généralement, les premiers ne gratifient à l’acquéreur a non domino qu’une protection limitée dans la mesure où ils ont recours au principe nemo dat quod no habet214. Il en résulte que l’acquéreur ne bénéficie que des prescriptions acquisitives pour acquérir un titre de propriété. Surtout, cela implique pour l’acquéreur de bonne foi qu’une indemnisation, ou compensation, ne sera probablement pas prévue si son titre sur la chose n’est pas effectif et si la détention du bien lui est retirée.

À l’inverse, les systèmes juridiques de tradition romano-germanique attribuent généralement une protection bien plus poussée à l’acquéreur a non domino lorsqu’il est de bonne foi. Si dans le premier cas la sécurité juridique de l’acquéreur est délaissée au profit de la lutte contre le trafic illicite, dans le second la sécurité juridique de l’acquéreur est assurée au risque d’encourager ce trafic. Il résulte de l’ensemble une indétermination juridique mise à profit par les réseaux de trafiquants. Par conséquent, le problème de la restitution des biens culturelle en cas de vol international appelle des réponses internationales, à travers le développement de la coopération internationale et la formation de normes juridiques internationales pertinentes.

Il en va de même concernant la restitution des biens culturels illicitement exportés. En effet « la demande de restitution simplement fondée sur l’exportation illicite aboutit normalement à un rejet en droit commun »215. Cela tient au principe de l’inapplicabilité du droit public étranger dans le territoire national de l’État de situation du bien. Il s’agit d’un principe qui a été abordé dans le rapport explicatif de la Convention Unidroit du 24 juin 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (ci-après, la Convention Unidroit)216.

Le rapport souligne que : « en l’état du droit international, la communauté des États continue de partager l’absence de principe d’une quelconque obligation pour le juge du for de prendre en compte les règles de droit public d’un État étranger – dont relèvent les législations en matière d’exportation »217. Il rappelle également que les règles de conflit de lois de l’État du for, en droit international privé, ne portent que sur l’application des dispositions étrangères de droit privé218.

213La common law est un système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles. La jurisprudence est ainsi la principale source du droit et la règle du précédent oblige les juges à suivre les décisions prises antérieurement par les tribunaux.

214 « Nul ne peut transférer la propriété de ce qui ne lui appartient pas ». CORNU (G.) (Ed.), Vocabulaire juridique, op. Cit., p. 966.

215CARDUCCI (G.) : La restitution internationale des biens culturels et des objets d’art, op. cit., p. 275.

216 SCHNEIDER (M.) : Secrétariat d’Unidroit, Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés : rapport explicatif, Revue de droit uniforme, 2001, n°3, vol. 61, pp. 477-565.

217 Ibid., p. 525.

Le principe d’inapplicabilité du droit public étranger est un corollaire de celui de souveraineté étatique et, plus particulièrement, du principe de souveraineté territoriale. Ce qui signifie que chaque État ne peut réglementer l’exportation illicite des biens culturels que dans la limite de ses compétences, notamment celles territoriales.

Mais un exercice extraterritorial de ces compétences ne peut pas être imposé par un État sur le territoire d’un de ses pairs sans son consentement. Ainsi, au nom du principe de l’égalité souveraine des États, aucun d’entre eux n’a à souffrir, dans son territoire national, l’application des normes internes de droit public d’un État tiers, notamment les mesures relatives au contrôle des exportations des biens culturels. Cette application serait perçue comme une violation de la souveraineté étatique.

Par conséquent, une demande de restitution exclusivement fondée sur la violation d’une législation étrangère relative à l’exportation illicite sera accueillie défavorablement à l’étranger. C’est pourquoi le principe d’inapplicabilité du droit public étranger a longtemps été la cause principale du développement des exportations illicites des biens culturels. Encore une fois, il apparaît clairement que seules une coopération internationale accrue et le développement de norme juridiques internationales sont en mesures de résoudre les différences existantes entre les législations internes.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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