5 principales stratégies pour lutter contre le trafic de biens culturels

Université du Sahel
33, MZ -198 MERMOZ – BP : 5355, Dakar-Fann (SENEGAL)
Tel / Fax: 00 221 33 860 99 75 – email: [email protected]
Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

Mémoire de Master en Droit Public
Mention : Relations Internationales
5 principales stratégies pour lutter contre le trafic de biens culturelsL’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international

Présenté par :
Kossi Djidjogbé Barnabé AFANGBEDJI

Sous la direction du
Dr.Ndiogou SARR
Maître de Conférences de Droit Public
Chargé des Enseignements
UNIS /UCAD

Session et année de soutenance :
2023

DEDICACE

A mes parents

REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma gratitude.

Je tiens, avant tout, à remercier mon directeur de mémoire, Dr Ndiogou SARR, pour avoir approuvé le choix de mon sujet, et aussi pour son encadrement et ses nombreux conseils, pour m’avoir aidée à porter ce projet et pour avoir cru en mes idées. Son exigence m’a grandement stimulé.

Je remercie ma mère, pour son soutien indéfectible pendant toutes ces années d’étude et jusqu’au bout, sa capacité d’écoute et de compréhension.

Je remercie mon père, qui a été un guide, un interlocuteur important, un mentor pendant ces années d’étude, et mes frères, Victoire, Elolo, Yayra pour leur solidarité fraternelle.

Je remercie le Pasteur David BADJATOM et sa famille pour leur soutien et conseil.

Je remercie mes tantes qui, par leur amour et leurs encouragements, m’ont accompagnée tout au long de ce projet. Ils ont cru en moi et m’ont régulièrement envoyé leurs pensées. Enfin, l’ensemble de ma famille et de mes amis qui, par leurs discussions et leurs conseils, m’ont convaincue de poursuivre dans le champ de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Je remercie mes camarades Alex Romaric Jhonathan FOUNGES OKOGO, Jordy Adonis NTOUTOUME MBA, Joyce Cherry MBONDO EMBINGAH pour leur soutien.

Je remercie mes amis Yovodevi ATTIOGBE, Israël KPONVI pour leur soutien et idées.

Je remercie Moulaye, Co-founder et CEO à Usinedigitalesn, de m’avoir orienté sur ce sujet. Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué au succès de la rédaction de ce mémoire.

ABBREVIATIONS ET SIGLES

AAM Association of American Museum
APA Accès et partage des avantages
CAL Communautés autochtones et locales
CCCA Contrat conclu d’un commun accord
CDB Convention sur la Diversité Biologique
CEN Customs Enforcement Network
CITES Convention in International Trade in Endangered Species of Faune or Flora (En français : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction)
CNRS Centre national de la recherche scientifique (France)
CNUCC Convention des Nations Unies contre la corruption (2003)
CNUCED Convention des Nations Unies pour le commerce et le développement
CNUCTO Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2000)
CPCCConsentement préalable donné en connaissance de cause
CPI Cour pénale internationale
CSNU Conseil de sécurité des Nations Unies
DEE Décision d’enquête européenne
DUDH Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
EIIL État islamique en Iraq et au Levant
EJ Entraide judiciaire
ETIS Elephant Trade Information System
GAFI Groupe d’action financière
GATT General Agreement on Tariffs and Trade (en français : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce)
ICCROM Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels
ICOM Conseil International des Musées et des Professionnels des Musées
ICOMOS International Council on monuments and sites
INTERPOL International Criminal Police Organization (en français: organisation internationale de police criminelle)
OCBC Office central de lutte contre le trafic des biens culturels
ODD Objectifs de Développement Durable
OMD Organisation Mondiale des Douanes
ONG Organisation Non gouvernementale ONG Organisation non gouvernementale
ONUDC Office des Nations unies contre la drogue et le crime
ONUDC Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe SNDJ Service national de douane judiciaire (France)

TEJ Traité d’entraide juridique

TFUE Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
UCAP Projet académique de la Convention d’UNIDROIT
UE Union Européenne
UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (en français : Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, les Sciences et la Culture)
UNIDROIT L’Institut international pour l’unification du droit privé

Table des matières

SOMMAIRE

INTRODUCTION1
PREMIERE PARTIE : LE SYSTEME D’ENCADREMENT DU TRAFIC ILLICITE DES BIENS CULTURELS EN DROIT INTERNATIONAL11
CHAPITRE 1 : LE CADRE JURIDIQUE DE LA LUTTE12
SECTION 1 : Les instruments juridiques de lutte12
Section 2 : Les institutions de lutte30
CHAPITRE 2 : LES STRATEGIES DE LA LUTTE53
Section 1 : La cooperation en matiere de prevention53
Section 2 : La cooperation en matiere de repression58
DEUXIEME PARTIE : LES DIFFICULTES DU SYSTEME D’ENCADREMENT DU TRAFIC ILLICITE DES BIENS CULTURELS77
CHAPITRE 1 : L’INEFFICACITE DU SYSTEME DE LUTTE80
SECTION 1 : La complexite du systeme de lutte80
SECTION 2 : LE CARACTERE PEU DISSUASIF DU SYSTEME DE LUTTE91
CHAPITRE 2 : L’INOPERATIONNALITE DU SYSTEME107
SECTION 1 : Les limites au plan organisationnel107
SECTION 2 : Le poids des enjeux politiques et de l’internet120
CONCLUSION130
BIBLIOGRAPHIE134
5-WEBOGRAPHIE141
TABLE DES MATIERES143

INTRODUCTION

De manière générale, le patrimoine culturel consiste en tous les éléments et traditions qui expriment le mode de vie et de pensée d’une société particulière et qui révèlent ses accomplissements intellectuels et spirituels1. En se penchant sur le domaine particulier du droit international de la protection du patrimoine culturel, force est de constater que divers aspects ont attiré l’attention ces dernières décennies.

La protection du patrimoine culturel en temps de guerre la restitution, la préservation in situ2, la lutte contre le vol et notamment le trafic illicite de biens culturels, en sont les éléments principaux. C’est le désir d’éclaircir ce nouveau régime « spécial » de l’ordre juridique international3 et les diverses problématiques juridiques qui découlent de son existence et de son développement, qui rendent la question de la protection internationale du patrimoine culturel particulièrement actuelle.

Le patrimoine culturel peut être décrit par trois catégories de biens. La première, le patrimoine culturel immeuble, comprend les monuments et sites naturels qui montrent l’évolution des modes de vie. A cela s’ajoutent les objets culturels meubles, incluant les objets d’importance archéologique, préhistorique, historique et biologique qui livrent des traces de l’existence humaine.

Ces deux catégories de patrimoine culturel matériel sont complétées par le patrimoine culturel immatériel tel que les connaissances, les techniques, aptitudes, découvertes, traditions, cérémonies, rituels, transmissions orales. Enfin, toutes ces catégories de patrimoine culturel sont liées à leur contexte, avec lequel elles constituent un tout cohérent et indivisible4. Cette catégorisation, fondée sur des instruments de droit international, livre une image d’ensemble pouvant certes être complétée davantage en fonction de l’angle d’analyse de la signification du concept de « patrimoine culturel ».

1Prott L. V., « Problems of Private International Law for the Protection of the Cultural Heritage », Recueil des Cours de l’Académie de Droit International de La Haye, tome 217, 1989/V, Martinus Nijhoff, 1990, p.224.

2C’est le processus de protection des espèces animales ou végétales en voie d’extinction dans leur milieu naturel, soit par protection ou assainissement de l’habitat lui-même, ou en défendant les espèces des prédateurs.

3Un régime est qualifié de « spécial » lorsqu’il est formé de « toutes les règles et tous les principes qui régissent une certaine matière », Conclusions des Travaux du Groupe d’étude de La fragmentation du droit International : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, 1er Septembre 2006, , consulté le 11 Novembre 2015.

4 Prott L. V., « Problems of Private International Law for the Protection of the Cultural Heritage », op. Cit.,pp. 224-226.

Ainsi, l’attention portée aux « biens culturels »5 , leur préservation, leur commerce, ainsi que leur définition et l’évolution de leur protection aux niveaux individuel, collectif, national, régional, international et même universel révèlent l’existence d’une préoccupation généralisée d’un « intérêt » partagé6.

Ainsi La première Convention de l’UNESCO à prendre en compte cette dimension globale est la Convention de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel.

Les États y ont un devoir d’identifier leurs sites mais également de les protéger et les préserver. Ainsi, chaque Partie s’engage « à assurer la bonne conservation des sites du patrimoine mondial qui se trouvent sur son territoire, mais aussi à protéger son patrimoine national »7. Cette Convention reflète l’idée d’un patrimoine commun que l’humanité toute entière partage et qui doit être protégé par toute la communauté internationale.

Cependant, les atteintes au patrimoine culturels sont nombreuses et la circulation internationale illicite en est l’une des manifestations. Le trafic illicite des biens culturels d’un État est un crime qui existe depuis des siècles et qui a « plusieurs origines : la demande du marché de l’art, l’ouverture des frontières, l’amélioration des moyens de transport, l’instabilité politique de certains pays et surtout les profits énormes qu’il engendre »8.

Le trafic illicite est un phénomène touchant tous les États mais aussi le patrimoine culturel. La communauté internationale a donc pris en main la question de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels.

Cependant, les causes de ce trafic diffèrent en fonction de la nature du patrimoine. Il entraine notamment la dispersion des biens culturels et l’appauvrissement du patrimoine culturel.

Un système de protection va donc être mis en place afin de protéger le patrimoine culturel d’un État dans son intégrité. De ce fait, la communauté internationale a rédigé des conventions traitant directement du trafic illicite des biens culturels, tout en encadrant les échanges commerciaux du patrimoine culturel, et mettant en place des mécanismes de lutte contre leur trafic illicite.

5 Le droit des biens culturels est actuellement l’objet d’une attention accrue de la part des juristes, tant chez les Positivistes (Master Recherche « Droit des Biens Culturels », sous la direction de Jean-Michel Bruguière ; l’équipe « droit de la culture » (dir. Marie Cornu) rattachée au Centre d’études sur la coopération juridique internationale (CECOJI), associant l’université de Poitiers et le CNRS), que chez les historiens du droit, (Master Recherche « Métiers de la mémoire et du patrimoine », Aix-Marseilles III sous la direction de Christian Bruschi ; Master « Parcours Droit du patrimoine Historique et Culturel », Clermont-Ferrand, sous la direction de Florent Garnier et Jacqueline Vendrand-Voyer). Voir Les biens culturels. Legicom, n° 36, 2006/2.

6Francioni F., Beyond State Sovereignty : The Protection of Cultural Heritage as a Shared Interest of Humanity, Michigan Journal of International Law, 2004, Vol. 25, pp. 1209 et s.; Voir aussi l’analyse critique de Merryman J.H., The Public Interest in Cultural Property, 77 California Law Review, 1989 (2), en particulier pp. 355-364.

7http://whc.unesco.org/fr/convention/ (http://whc.unesco.org/fr/convention/)

8L. Grosse et J.-P. Jouanny, « La Protection du Patrimoine Culturel en Vertu des Instruments de l’UNESCO (1970) et d’UNIDROIT (1995) : La Position d’Interpol », Uniform Law Review, vol. 8, 2003, p. 575.

Au niveau de la mise en œuvre, stimulée par ces deux Conventions la communauté internationale connaît une mobilisation plus accentuée grâce à des institutions qui agissent tant sur le plan international, régional que national, à l’image d’organismes intergouvernementaux dont l’action aussi bien préventive, s’inscrit de plus en plus dans des réseaux professionnels, et axée davantage sur l’information.

Mais fort heureusement, le combat mené à l’échelle internationale contre ce trafic s’intensifie également et se diversifie.

Ainsi, tous les instruments juridiques internationaux, traités et accords conclus entre deux ou plusieurs pays et qui concernent spécifiquement la protection du patrimoine culturel concourent à la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Nous voulons à travers ce mémoire étudier ce cadre de lutte du trafic illicite afin d’évaluer leur applicabilité et montrer pourquoi malgré les efforts de lutte contre ce fléau, il persiste toujours d’où le choix du thème : « L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international ».

Avant de cerner la réalité du trafic illicite des biens culturels et les cadres de référence dans lesquels sa répression s’inscrit, il convient d’abord d’appréhender les concepts autour desquels le phénomène s’articule.

Si le trafic illicite des biens culturels a fait son entrée dans les textes internationaux, aux côtés d’autres formes de trafic (stupéfiants, armes, etc.), il n’existe pas de définition juridique précise des actes qui sont sanctionnés à ce titre. On peut considérer que le trafic illicite peut être défini, au sens large, comme tout « déplacement, transport, importation, exportation, détention, commerce de biens culturels effectués en violation des règles relatives à la propriété, à la circulation de ces biens ainsi qu’à leur statut »9. C’est essentiellement sous la perspective de la circulation et des différentes hypothèses de déplacement et de transferts illicites du bien concerné que sera entreprise cette étude.

La notion de trafic illicite se décline sous différentes formes : allant du commerce des biens marchands ordinaires échappant à la légalité (contrebande) au trafic d’objets prohibés (armes, stupéfiants, etc.) et voire même celui des êtres humains (réseau d’immigration clandestine, Traite des blanches). Le caractère illicite concerne surtout la manière et non la nature des biens.

Ainsi, les biens culturels, de point de vue leur nature, sont voués à circuler entre les sociétés, mais en raison de leur spécificité leur circulation est vue sous un angle différent : car la circulation des biens culturels est d’autant nécessaire (pour la connaissance des peuples) qu’il est impératif d’en contrôler le flux (à cause de l’appauvrissement culturels des peuples qui en découle).

9Définition inspirée du Dictionnaire de droit comparé du patrimoine culturel et du droit de l’art, CNRS Editions, à paraître, 2012.

La notion de bien culturel retenue dans le cadre de l’étude est de périmètre variable et recouvre en réalité plusieurs catégories de biens10, sachant que ces notions prospèrent dans le droit international, dans le droit de l’Union européenne et encore dans les droits internes. Si, d’une façon générale, on peut y inclure les œuvres d’art, objets d’art, éléments du patrimoine culturel, tout objet qui recèle un intérêt historique, artistique, archéologique, etc., on observe que coexistent plusieurs cercles de biens dont l’intérêt culturel est plus ou moins élevé11 et qui, partant, ne sont pas soumis aux mêmes règles.

Dans une première acception très sélective, les biens culturels sont compris comme les biens que les États identifient comme relevant de leur patrimoine culturel, dont les critères et l’importance peuvent varier. Leur protection revêt un intérêt public et motive par exemple des règles très protectrices (servitudes de protection, régime d’indisponibilité, interdiction de sortie du territoire, dispositions pénales spéciales, etc.).

Cette enveloppe voisine la notion de trésor national au sens de l’article 36 TFUE. Parmi ces catégories, certains biens culturels sont traités distinctement à raison de leurs spécificités et des risques particuliers auxquels ils sont exposés. Ce sont par exemple les biens archéologiques ou les biens du patrimoine cultuel. Nous accorderons une attention particulière à ces catégories que nous avons désignées comme patrimoine à risque. Une partie leur est consacrée, spécifiquement.

Dans les dispositifs de contrôle de la circulation, le cercle des biens culturels qui y sont soumis s’élargit. C’est ce qui ressort du Règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l’exportation de biens culturels12. Les biens culturels visés sont soumis à contrôle et ce contrôle, le cas échéant, permet d’identifier des éléments importants.

On comprend que ce deuxième cercle soit conçu dans un sens plus large. La Convention de 1970 et encore la Convention d’UNIDROIT tout en évoquant l’importance de ces biens en retiennent également une vision accueillante de l’avis de la plupart des experts13. Un certain nombre d’États rejoignent cette même perception. Plus largement encore, les biens culturels englobent les objets et œuvres d’art y compris lorsqu’ils ne sont pas reconnus comme faisant partie du patrimoine culturel des Etats.

Cette notion peut se révéler utile dans la détermination des responsabilités (vigilance, diligence, devoir d’information) et obligations (tenues de registres) à la charge des différents acteurs en matière de transaction d’œuvres d’art14 ainsi que dans certains dispositifs pénaux (mandat d’arrêt européen). C’est sans doute sur cette acception que l’on travaillera dans la mise en œuvre d’un dispositif concernant la vente d’œuvres ou d’objets d’art en ligne. Cette gradation de l’intérêt culturel trouve une explication dans l’approche et le traitement juridique de cette catégorie de biens. En effet, la méthode de définition, le plus souvent obéit à une logique fonctionnelle.

Selon l’objectif poursuivi, la notion de bien culturel pourra être plus ou moins sélective, ici concerner les trésors nationaux qu’il s’agit de préserver et de transmettre aux générations futures, là viser toute œuvre d’art, etc., lorsque par exemple sont en cause les intérêts de l’acheteur, donc du consommateur.

10Pour une analyse plus développée des différentes perceptions de ces notions dans les États membres, v. infra. 11 Sur cette représentation de la notion en différents cercles du plus restreint au plus large, v. contrat n° 30-CE- 0102617/00-49, Analyse des structures et mécanismes de diffusion des données nécessaires aux autorités afin de garantir l’application de la directive relative aux biens culturels, Extension aux 12 nouveaux États membres depuis 2004, Rapport final, M. Cattelain, J.-C. Deheneffe, 31 oct. 2007, p. 20 (cité dans la suite de ce rapport « Rapport 2007 »). L’étude fait état de trois cercles, les trésors nationaux qualifiés de biens hors commerce, les biens soumis à contrôle de circulation, les biens de libre circulation. Nous intercalons entre ces deux dernières catégories un cercle supplémentaire qui vise des biens culturels dans les ressorts du droit de la consommation, parfois du droit pénal.

La notion de bien culturel, comme celle de propriété intellectuelle, ne se prête pas à une définition fixe et définitive, et c’est en fait avec l’intérêt croissant suscité à l’échelle internationale depuis quelques décennies par l’anthropologie et l’ethnographie, la manière dont nous comprenons l’expression, et dont nous l’appréhendons, qu’elle s’est considérablement élargie.

Dans le contexte du trafic illicite, la principale source qui définit la notion des biens culturels est la convention de l’Unesco de 1970. Ainsi :

Sont considérés comme biens culturels les biens qui, à titre religieux ou profane, sont désignés par chaque Etat comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science, et qui appartiennent aux catégories ci-après :

  1. collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et l’anatomie ; objets présentant un intérêt paléontologique.
  2. les biens concernant l’histoire, y compris l’histoire des sciences et des techniques, l‘histoire militaire et sociale ainsi que la vie des dirigeant, penseurs, avants et artistes nationaux, et les événements d’importance nationale.
  3. Le produit des fouilles archéologiques (régulières et clandestines) et des découvertes archéologiques.
  4. Les éléments provenant du démembrement de monuments artistiques ou historiques et des sites archéologiques.
  5. Objet d’antiquité ayant plus de cent ans d’âge, tels que inscriptions, monnaies et sceaux gravés.
  6. Le matériel ethnologique.
  7. Mes biens d’intérêt artistique tels que :
    • tableaux, peintures et dessins faits entièrement à la main sur tout support et en toutes matières (à l’exclusion des dessins industriels et des articles manufacturés décorés à la main)
    • productions originales de l’art statuaire et de la sculpture en toutes matières;
    • gravure, estampes et lithographies originales.
    • assemblages montages artistiques originaux, en toutes matières.
  8. manuscrits rares et incunables, livres, documents et publications anciens d’intérêt spécial (historique, artistique, scientifique, littéraire, etc.) isolés ou en collections.
  9. Timbre-poste, timbre fiscaux et analogues, isolés ou collections.
  10. Archives, y compris les archives phonographiques, photographiques et cinématiques.
  11. Objet d’ameublement ayant plus de cent ans d’âge et instruments de musique anciens.

12 C’est notamment ce que suggère l’article 2.2 qui dispose : « L’autorisation d’exportation peut être refusée, aux fins du présent Règlement, lorsque les biens culturels en question sont couverts par une législation protégeant des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique dans l’État membre concerné. » ou encore l’article 2.4 qui indique que « les exportations directes en provenance du territoire douanier de la Communauté de trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, qui ne sont pas des biens culturels au sens du présent Règlement sont régies par la législation nationale de l’État membre d’exportation » (JO L 39 du 10.2.2009, p. 1-7).

13V. infra.

14La question des spoliations sera laissée de côté dans la mesure où, si le marché peut être alimenté par des biens spoliés et confronté à des revendications, elle s’inscrit dans la problématique générale de prévention et de lutte contre le trafic illicite.

Ces désignations reprennent certains éléments de définition des biens culturels telle qu’elle figure dans l’article premier de la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 1954) :

Sont considérés comme biens culturels, quels que soient leur origine ou leur propriétaire :

a. les biens, meubles ou immeubles, qui présent une grande importance pour le patrimoine culturel des peuples, tels que les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, religieux ou laïques, les sites archéologiques, les ensembles de construction qui, en tant que tels, présentent un intérêt historique, les œuvres d’art, les manuscrits, livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques et les collections importantes de livres, d’archive ou de reproduction des biens définis ci-dessus.

Cependant, les biens culturels vus sous l’angle du trafic illicite désignent essentiellement les biens meubles, et accessoirement des biens immeubles (cette catégorie est envisagée quand il s’agit d’immeubles désignés par destination).

A la lumière de ces définitions, un bien culturel est indissociablement lié à l’histoire et aux traditions de la collectivité qui l’a créé, découvert ou conservé à travers les âges. Il peut être le fruit d’une création humaine comme il peut s’agir d’un vestige de la nature.

Un bien culturel est aussi un témoin de son temps, il s’agit en effet de signes visibles, par lesquels l’individu peut reconnaître son appartenance à une collectivité et mieux en comprendre l’histoire et le présent.

De ce fait, les éléments des biens culturels sont souvent uniques (en ce sens qu’ils ne sont pas partout les mêmes), en nombre limité, mais surtout irremplaçables. Ce qui rend leur trafic une opération assez délicate.

Le trafic illicite des biens culturels est défini selon les termes de la Convention de l’UNESCO de 1970 qui régit cette matière au niveau international comme étant : l’importation et le transfert de propriété des biens culturels, effectués contrairement aux disposition prise par les Etats parties en vertu de la présente Convention (art.3)

Ces termes font référence à des rapports d’échange aussi bien interétatiques (importation, exportation) qu’intra-étatique puisque le transfert de propriété peut intéresser des personnes appartenant à un même pays, on a tendance à considérer le trafic illicite des biens culturels dans sa dimension internationale, mais la Convention des 1970 consacre ici un concept plus fédérateur ; celui du transfert de la propriété.

A un second niveau, on fait référence à des actions contraires aux dispositions prises par les Etats parties à la Convention de 1970. Le plus souvent, il s’agit du droit interne qui régit cette matière. A défaut, les pays signataires de la Convention se voient contraints de se référer aux termes de ladite Convention. Lesquels termes laissent toujours penser que le trafic illicite ne concerne que les Etats parties à la Convention 1970.

L’article 11 de la Convention de l’ENESCO de 1970 relatif au trafic illicite précise également que : sont considérés comme illicite l’exportation et le transfert de propriété forcés de biens culturels résultant directement ou indirectement de l’occupation d’un pays par une puissance étrangère.

Il s’agira d’étudier non pas toutes les normes juridiques internationales applicables au patrimoine culturel mais de s’attacher à comprendre certaines qui nous ont paru importantes et qui sont susceptibles de faciliter la compréhension du plus grand nombre.

L’objectif principal qui est visé à travers cette étude est donc la connaissance et l’analyse du système d’encadrement de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. De cet objectif principal, découlent deux objectifs secondaires : Le premier objectif est de rassembler et étudier les principales conventions internationales qui protègent le patrimoine culturel et spécifiquement celles en matière de trafic illicite des biens culturels, tout en dressant un état des lieux des législations nationales en la matière et montrer les institutions opérant dans la lutte contre ce fléau.

Mais ne pouvant pas citer toutes les législations dans notre travail, nous en ferons une liste exhaustive en ressortant celle du Sénégal. Et dans un second objectif, de voir si le système de lutte contre le trafic est assez efficace.

A la vue de tout ce qui précède, nous posons comme problématique : Comment est encadré le trafic illicite des biens culturels en droit international ?

Il parait donc intéressant d’étudier ce thème, car le trafic illicite ne cesse de se développer dans le monde et se situe en seconde place après celui de la drogue. Il revêt un intérêt

théorique en ce sens, qu’il présente des enjeux juridiques. Alors déjà, La fin de la Seconde Guerre mondiale marque une évolution dans le droit international. La signature du GATT15, l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce va encourager les transactions commerciales en facilitant la circulation des biens. Les échanges commerciaux sont donc encouragés, favorisant l’importation et l’exportation des biens.

Parallèlement à cet accroissement du commerce, la communauté internationale constate que les vols et les pillages continuent toujours et que malgré la fin de la colonisation, les pays nouvellement indépendants ont du mal à mettre en place des mesures de protection de leur patrimoine. La question de la protection des biens culturels s’accélère également avec la création de l’UNESCO16 et avec l’adoption de la Convention de la Haye de 1954 et de ses deux Protocoles. Cette dernière met en place le cadre juridique de protection des biens culturels onusiens en protégeant les en cas de conflits armés.

Le trafic illicite d’objets culturels représente un enjeu très important et, en tant que tel, est régulièrement l’objet de recommandations adoptées lors des réunions du Groupe d’experts Interpol (GEI) sur les biens culturels volés, auquel l’UNESCO participe. La nécessité de créer un comité d’experts les des biens culturels volés est devenu évidente après la destruction des bouddhas de Bamiyan en 200117 et le pillage du Musée national irakien de Bagdad en 200318. Ce groupe émet des recommandations pour endiguer ce phénomène.

Le pillage, le vol et le trafic illicite des biens culturels sont des enjeux majeurs et sérieux qui, à travers le monde, sont indissociables de problèmes sociétaux plus larges liés à l’identité culturelle, à la démocratie et à la lutte contre le crime international.

D’un point de vue pratique, Le trafic de biens culturels a pour conséquence d’entamer le patrimoine culturel d’un pays et de priver constamment la société de la possibilité de profiter de certains trésors culturels parmi les plus importants et les plus précieux.

Chaque année, des milliers d’artéfacts disparaissent de musées, d’églises, de collections privées ou d’institutions publiques. D’autres biens sont également constamment l’objet de pillages, ce qui assure l’approvisionnement du marché noir en nouveaux articles provenant de partout dans le monde.

Armes anciennes ou tableaux, pièces de monnaie ou montres, objets religieux ou découvertes archéologiques, des dizaines de milliers de biens faisant partie du patrimoine archéologique et culturel mondial sont volés et font l’objet de pillages. Protéger le patrimoine culturel est un devoir, pour la raison essentielle que la culture est indispensable à l’identité de l’être humain et une étape importante du chemin vers la réconciliation et le rétablissement de la paix.

15Le GATT a été signé le 30 octobre 1947.

16Date de création de l’UNESCO. Organisation qui a un rôle clé dans la protection du patrimoine culturel : Convention de la Haye, Convention de 1970, Convention de 1972, Résolutions notamment de 1964 préfigurant la Convention de 1970.

17 En mars 2001, les talibans au pouvoir en Afghanistan décident de détruire les statues géantes de bouddhas à Bamiyan. Ils mettent ainsi en œuvre leur volonté de supprimer ce qu’ils jugent sacrilège. En même temps, ils envoient un message d’hostilité à la communauté internationale qui les a maintenus isolés sur la scène internationale

18En 2003, des pilleurs avaient profité de l’intervention américaine et du chaos : , dont celui de Bagdad où 15.000 pièces ont été volées dont quelque 4.300 ont été restituées. Le musée abritait l’une des plus importantes collections archéologiques du monde.

Une part importante du commerce illicite de biens culturels se déroule dorénavant en ligne, ce qui pose de gros problèmes aux services de répression. En effet, par rapport aux points de vente traditionnels, les plates-formes de vente en ligne permettent d’accéder plus facilement (et de façon plus confidentielle) à un stock d’objets culturels plus important (en particulier de petits objets de faible valeur) et touchent une clientèle beaucoup plus large19.

19Commission européenne, Illicit trade in cultural goods in Europe, Final Report, 2019, p. 106 à 108

Afin de mieux comprendre comment est encadré le trafic illicite des biens culturels en droit international, il est nécessaire de se pencher sur le système d’encadrement des biens culturels dans une première partie (Première partie), en regardant les mécanismes qui sont instaurés dans le cadre de lutte du trafic illicite des biens culturels, celui-ci à travers des instruments juridiques et institutionnels, tout en mettant en place un cadre de coopération de lutte. Dans une seconde partie, nous allons montrer les difficultés diverses du cadre de lutte (Deuxième partie), en démontrant l’inefficacité du cadre juridique et un cadre d’opérations peinant dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
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L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
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