Les relations franco-sénégalaises : la coopération politique et économique de 1974 à 1982

Université de Paris
UFR GHES, Département Histoire

Master 2 « Histoire, civilisations, patrimoine »
Spécialité « Mondes africains, américains, asiatiques et moyen-orientaux : sources, sociétés, enjeux »

Mémoire de Master
Les relations franco-sénégalaises : la coopération politique et économique de 1974 à 1982
Les relations franco-sénégalaises : la coopération politique et économique de 1974 à 1982

Thiama CISS

Sous la direction de Didier NATIVEL

Juillet 2021

Sommaire

Dédicace 3
Remerciements 4
Liste des abréviations 5-6
Introduction 7-33
Première partie : bilan de la coopération franco-sénégalaise 34-51
Chapitre 1:L’assistance technique 36-40
Chapitre 2 : La coopération socio-économique 41-51
Deuxième partie : la révision des accords de coopération franco-sénégalaise 52-75
Chapitre 1 : Les négociations
Chapitre 2 : Les nouveaux accords de coopération 68-75
Troisième partie : Application et impacts des nouveaux accords
Chapitre 1 : Applications 78-93
Chapitre 2 : Impacts 94-104
Conclusion
Dédicace
Je dédie ce mémoire à mon feu père Sidy et à ma mère Mbène

Remerciements

Liste des abréviations

AOF : Afrique occidentale française
BNDS : Banque nationale du Sénégal
CCCE : Caisse centrale de coopération économique
COFACE : Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur
COFEGES : Conseil fédéral des groupements économiques du Sénégal
CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
ENFOM : Ecole nationale de la France d’outre-mer
FAC : Fonds d’aide et de coopération
FIM : Fonds monétaire international
GES : Groupement économique du Sénégal
NOEI : Nouvel ordre économique international
ONU : Organisation des Nations Unies
OPEP : Organisation des pays exportateurs de pétrole
ORTS : Organisation de la radio-télévision du Sénégal
PAS : Programme d’ajustement structurel
PME : Petite et moyenne entreprise
SAED : Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta
SODEFITEX : Société des fibres et du textile
SONEPI : Société nationale d’étude et de promotion industrielle
SOSAP : Société sénégalaise d’armement à la pêche
UDES : Union des étudiants du Sénégal
UEMOA : Union économique et monétaire de l’Ouest africaine
UGTSF : Union générale des travailleurs sénégalais en France
UMOA : Union monétaire de l’Ouest africaine
UNIGES : Union des groupements économiques du Sénégal
UNTS : Union nationale des travailleurs du Sénégal

Introduction
Contextualisation

Les années 1970 constituent un tournant décisif dans les relations franco-africaines d’une manière générale et plus particulièrement celles franco-sénégalaises. Ces dernières vont connaître une phase de contestations et de remises en questions.

Le système de coopération mis en place avant même les indépendances pour définir les nouveaux rapports franco-africains, est sur le point de décliner. Ce sont les accords de coopération et leurs objectifs qui sont au cœur des préoccupations. Pour pouvoir comprendre cette phase des relations franco-africaines, il faut commencer par la politique de coopération qui a été mise en place.

Tout d’abord essayons de définir le terme coopération. Son étymologie vient du latin cum, «avec», et operare « faire quelque chose, agir ».

Le terme renvoie à l’idée de collaborer. Cependant son sens varie en fonction du contexte dans lequel il est employé. Dans le cadre des relations franco-africaines, la coopération se définit comme un mode de relations qui implique la mise en œuvre d’une politique suivie, pendant une certaine durée, et destiné à les rendre plus proches grâce à des mécanismes permanents.

Les relations établies dans plusieurs domaines ne mettent cependant pas en cause l’indépendance des unités concernées.1

Cette définition s’applique également à la coopération internationale, née au lendemain de la Première Guerre mondiale mais qui ne prendra ses marques qu’après la seconde avec la création de l’ONU. La charte de l’organisation consigne l’émergence des principes d’égalité des États dans le cadre de promouvoir la paix et de combattre les inégalités. La coopération fut donc le moyen le plus efficace pour mettre en œuvre ces principes.

De plus l’accession à l’indépendance des anciennes colonies européennes donne une nouvelle mission à la coopération internationale à savoir combattre le sous-développement.

En d’autres termes, la coopération au développement qui selon une approche première classique et presque unanimement acceptée, désigne les transferts des pays du Nord vers ceux du Sud des ressources financières et de savoir-faire provenant de sources publiques ou privées, le motif de ces transferts étant le rattrapage du développement économique, la solidarité, la recherche d’une plus grande justice sociale et la diminution des disparités.

Par conséquent le terme même de coopération a vu son sens évolué comme l’a bien noté Albert Bourgi qui a fourni un travail primordial sur la coopération franco-sénégalaise et dont nous aborderons plus loin: « son usage s’est peu à peu limité aux rapports entre les pays développés et le Tiers-monde »2.

1 Gonidec Pierre François, Relations internationales, Paris, Editions Montchrestien, 1974, p.396.

Ces rapports sont essentiellement axés sur l’assistance technique afin d’aider les nouveaux Etats indépendants à prendre leur envol économique et social. En règle générale, les anciennes métropoles se sont assignées cette tâche, et la politique française de coopération en Afrique s’identifie bien à ce système.

Il n’existe pas de date officielle commémorant cette politique de coopération, mais nous pouvons en retracer la genèse.

La coopération franco-africaine a démarré durant la phase de la décolonisation, à partir de 1945. En effet, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France concrétise l’association de ses colonies au sein de l’Union française, avec notamment la création de la zone Franc (Franc des Colonies Françaises d’Afrique).

Certaines études à l’instar de l’article de Claude Freud intitulé La zone franc est-elle le bouc émissaire de l’échec du développement?, affirment que la zone franc fut une conséquence de la crise de 1929 qui a poussé la France à se replier sur ses colonies.

Elle s’est efforcée d’organiser ses échanges à l’intérieur d’un espace économique, autour duquel elle pouvait dresser des barrières protectionnistes. Le décret du 26 décembre 1946 ne fait qu’instituer cette nécessité en renforçant le contrôle de la zone.

Cette dernière dépasse ses attributions monétaires et lance les bases d’une zone d’intégration politique et commerciale : l’Union française. Celle-ci est alors composée d’une part de la France métropolitaine, des départements et territoires d’outre-mer, formant la République française et d’autre part des territoires et Etats associés.

Cette période post-guerre est en quelque sorte le moment de prise de conscience par les peuples sous domination coloniale qui aspirent de plus en plus à l’autonomie. L’indépendance devenant inéluctable, la France devait trouver une alternative pour sauver son empire.

C’est dans ce contexte que naît en 1958 la Communauté. Elle regroupait la France et ses colonies qui deviennent des Etats membres.

Il ne faut pas perdre de vue que ce processus est une continuité depuis 1944, mais dont les appellations et les termes juridiques ont changé pour s’adapter à la situation. En effet, c’est le titre VIII de la Constitution de l’Union française qui sera réadapté pour donner naissance à la Communauté : « La Communauté est ainsi assurément fille de l’Union française »3.

2 Bourgi Albert, La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1979, p.2.

3 Turpin Frédéric, 1958, « La communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IVe République et conceptions gaulliennes. » In Outre-mer, Tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008, 1958 et l’outre-mer français, p.54.

La Communauté donne plus d’autonomie aux colonies qui gèrent leurs affaires intérieures. En revanche, la politique étrangère, la défense, la monnaie, la politique économique et financière commune et la politique des matières premières stratégiques sont les domaines de compétences de la Communauté.

Alors ce fédéralisme devient contraignant pour les Africains qui veulent bénéficier d’une autonomie sur le plan international.

Par conséquent, la Communauté contractuelle est sur le point de disparaître car l’alinéa 3 de l’article 86 de la Constitution de 1958 stipule ainsi: “qu’un État membre de la Communauté peut également par voie d’accords, devenir indépendant sans cesser de ce fait d’appartenir à la Communauté ».

La Fédération du Mali regroupant le Sénégal et le Soudan utilise alors cette disposition et demande son indépendance.

Elle sera suivie du Madagascar et des autres pays africains en 1960. Cette décision de la Fédération du Mali met fin sur le plan juridique la Communauté naissante et pousse la République française a modifié le 4 juin 1960 la Constitution de 1958.

Cette loi permet en quelque sorte de maintenir la Communauté sous une autre forme. Elle permet de concilier indépendance et appartenance à la Communauté.

De ce fait la Communauté contractuelle devient une Communauté conventionnelle comme le souligne Frédéric Turpin, historien français dont l’un de ses ouvrages principaux est De Gaulle, Pompidou et l’Afrique: décoloniser et coopérer dans un article : « Il s’agit d’offrir aux Etats membres de la première Communauté qui veulent devenir indépendants la possibilité d’y demeurer sous la forme d’une association formalisée par des accords de coopération avec la France et de participations aux institutions de la Communauté »4.

C’est à partir de ce moment que les accords de coopération sont nés et régissent les relations franco-africaines. C’est la Fédération qui signe les premiers accords avec la France pour pouvoir accéder à la souveraineté internationale par le biais d’un transfert de compétences.

L’échange de lettres de l’accord particulier entre les deux parties a été significatif à ce propos : « Je vous serais obligé de vouloir bien, en me donnant acte de cette communication, me confirmer que, dès la proclamation de l’indépendance du Mali, le Gouvernement de la Fédération procédera à la signature des accords définissant les principes et les modalités de la coopération librement instaurée entre la République française et la Fédération du Mali au sein de la Communauté rénovée ainsi que de l’accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux de la Communauté, de la convention d’établissement et de la convention sur la conciliation et Cour d’arbitrage »5.

C’est donc la Communauté qui a donné naissance à la coopération franco-africaine et lui a cédé ses institutions les plus significatives.

4 Turpin Frédéric, « Le passage à la diplomatie bilatérale franco-africaine après l’échec de la Communauté », In Relations Internationales, 2008/3, (no 135), pp.25-35.

5 Archives nationales, Paris, « Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985) », cote 20000137/1.

De ce fait, le Secrétariat général de la Communauté auprès du président de la République et le Ministre d’Etat pour les relations avec la Communauté sont remplacés par le Conseil pour les affaires africaines et malgaches et le Secrétariat général à la présidence de la République pour la Communauté et les affaires africaines et malgaches.

Avec ces institutions, le Général De Gaulle, président de la République française et de la Communauté assure la pérennité de son pré-carré africain. Pour le Général il n’a jamais été question d’indépendance mais plutôt un moyen de préserver ses anciennes colonies ou du moins de continuer à influencer sur leur gestion.

Cette volonté a été exprimée au sein du gouvernement. Michel Debré affirmait ainsi le 11 mai 1960 devant l’assemblée nationale : « Nous avons tout pesé, nous avons mesuré à la fois l’héritage du passé, les exigences du présent et les probabilités de l’avenir et nous avons que le vrai problème est le suivant :à l’administration directe appuyée sur l’unité des souverainetés, il faut substituer par la force des choses, la collaboration politique, intellectuelle, économique et administrative, fondée sur l’association des souverainetés en créant au-dessus de cette association une union politique garantie par certaines institutions »6.

Malgré la mise en place d’un ministère de la coopération qui devait coordonner toute la politique étrangère, les relations avec les Etats africains deviennent particulières.

Le Secrétariat général à la présidence des affaires africaines et malgaches devient l’instance qui organise désormais toute la coopération avec chacun des pays africains. Contrairement à l’esprit de la Communauté qui était fédérative, la coopération franco-africaine tend au bilatéralisme à l’exception des accords en matière monétaire autour de la Zone Franc.

Les États africains adhèrent à cette politique de coopération durant toute la première décennie de l’indépendance.

Cependant il ne faut pas perdre de vue que les accords de coopération ont été signés dans l’urgence et ces États n’ont pas eu le temps de peser les contraintes. Leur principal souci était de relever les défis économiques, sociaux et politiques de leur État naissant et ces tâches s’avéraient impossibles sans le soutien de l’ancienne métropole.

Cette dernière en contrepartie demande une coopération qui lui permettra de préserver sa présence.

Ce nouveau système de relations franco-africaines résiste durant la première décennie des indépendances. En revanche, les objectifs et les modalités n’étaient pas compatibles à l’exercice de la souveraineté des Etats africains.

En outre, la scène internationale subissait en ce moment d’importants bouleversements sur le plan économique et politique dont nous en revenons amplement plus loin. Coopération en Afrique est confrontée à de sévères critiques par ses partenaires africains, les opposants français et des experts en coopération.

6 Turpin Frédéric, « L’Union pour la Nouvelle République et la Communauté franco-africaine : un rêve de puissance évanoui dans les sables algériens ? (1958 – 1961) », In Histoire Politique, 2010/3 (n° 12), p.5.

Le Gouvernement français avait pris conscience que sa politique de coopération méritait réflexion et de nouvelles orientations.

C’est dans ce cadre qu’une étude fut demandée. Celle-ci fut confiée à Jean-Marcel Jeanneney, économiste et ministre de l’industrie de 1959 à 1962, qui produit un rapport en 1963. Nous n’avons pas eu la chance de consulter ce rapport. En revanche, certaines lectures nous ont permis d’avoir un aperçu de ses grandes lignes.

Ce fut le cas à travers l’article de Sylviane Guillaumont Jeanneney intitulé “La politique de coopération avec les pays en développement selon le rapport Jean-Marcel Jeanneney.

Un rapport d’actualité, vieux d’un demi-siècle». Le plan du rapport lui-même est significatif en posant trois questions.

Par conséquent la particularité de la politique française de essentielles à savoir : Quelles sont les raisons d’une politique française de coopération avec les pays en voie de développement ? Quel montant de ses ressources la France peut-elle consacrer à cette politique sans compromettre son développement ? Où et selon quelles modalités les ressources consacrées à la coopération doivent-elles être affectées ? et en dernier point il préconise une réforme des structures administratives de la coopération.7

Selon Jean-Marcel Jeanneney, l’aide française ne répond pas à des objectifs économiques : « les vraies raisons d’une politique française de coopération sont d’ordre éthique et politique au sens noble du terme ».

Il est important de souligner que plusieurs idées ont été avancées sur les raisons d’une politique française de coopération surtout avec ses anciennes colonies. Parmi les thèses les plus soutenues demeurent celle des intérêts économiques.

Souvent ce sont les avantages que lui apportent la Zone Franc et les matières premières stratégiques ainsi que ses entreprises en Afrique qui sont soulignés. Parfois les chiffres ne traduisent pas la réalité, cependant l’attitude de la France pour maintenir des liens étroits avec ses ex-colonies nous pousse à creuser cette hypothèse. En tout état de cause, le rapport exclut cette thèse. Par contre, il soutient que l’aide à l’Afrique doit rester prioritaire mais non exclusive.

D’où la nécessité d’élargir la zone géographique notamment en Amérique latine. Cette vision sera incluse dans le programme du Général de Gaulle entre 1964 et 1966.

L’expression Tiers-monde rarement utilisée par lui apparaît à cette époque avec une signification clairement géopolitique : « Il y’a dans le monde de grandes réalités au milieu desquelles, vit la France. Ce sont deux pays actuellement colossaux, États-Unis et Russie soviétique…, la Chine, l’Europe occidentale, enfin le Tiers monde d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine »8.

7 Jeanneney Guillaumont Sylviane, “La politique de coopération avec les pays en développement selon Jean Marcel Jeanneney. Un rapport d’actualité vieux d’un demi-siècle”, Fondation pour les études et recherches sur le développement international, no 38, février 2012, p.2

Le fait que le rapport souligne ce point peut être considéré comme une suspicion sur le fait que la France utilise ses ex-colonies pour pouvoir peser sur la scène internationale. Elle faisait une politique d’endiguement pour empêcher les deux superpuissances (Etats-Unis et URSS) d’exercer une influence sur son précieux pré-carré.

C’est pas étonnant que la politique française de coopération s’oriente un peu vers ce domaine. En effet, les dirigeants de la France libre ont toujours considéré que le prestige et la grandeur de la France se trouvaient dans son Empire.

La lecture de ce rapport ne laisse apparaître aucune notion sur le caractère « néocoloniale » de la politique française de coopération. En revanche le rapport émet une mise en garde sur les éventuels « dangers de l’assistance technique de substitution, ses charmes pour les dirigeants des pays aidés et le risque de néo-colonialisme (p.28 et p.37 du rapport) »9.

Partant des éléments évoqués en dessus concernant le contexte de naissance des accords de coopération, le caractère « néocolonial » de la politique française de coopération n’est plus à démontrer.

En outre, les mécanismes et les instances de cette politique sont héritiers de l’époque coloniale et la dernière partie du rapport l’a traité largement. Il s’agit d’une remise en cause de la coopération et une proposition de réforme de structures administratives de cette coopération.

En effet, les deux problèmes majeurs sont la dispersion des centres de décision et le manque d’autonomie des institutions d’aide en charge de prendre des décisions concrètes. Notons que cette partie n’a jamais été publiée dans la presse du moins jusqu’en 1984.

Nous supposons que les critiques ont été trop sévères à l’encontre du gouvernement.

Par conséquent aucune recommandation du rapport n’a été appliquée immédiatement. Malgré le fait que cette partie du rapport est rangée dans les tiroirs, il aura une réelle portée historique car dix ans après ces mêmes interrogations ou critiques ou encore remise en question vont resurgir.

Comme nous l’avons souligné au début de ce texte, les années 1970 sont riches en évènements dans les relations internationales d’une manière générale et particulièrement dans celles franco-africaines. Nous allons voir que ces bouleversements ont largement contribué à la demande de révision des accords de coopération franco-africains.

Tout d’abord, abordons la position des pays désignés « pays en voie de développement » qui se situent dans le Tiers monde sur la scène internationale avec leur quête d’un nouvel ordre économique mondial. Pour comprendre cet épisode, il est opportun de connaître quelques événements clés.

8 Smouths Jacques Adda Claude Mari, La France face au Sud : le miroir brisé, Paris, Editions Karthala, 1989, p.12.

9 Jeanneney Guillaumont Sylviane,op.cit, p11.

En effet, depuis 1964, le problème de sous-développement des pays du Tiers monde est devenu une préoccupation pour les Nations Unies avec la conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Les revendications des pays en voie de développement sont la correction des termes de l’échange afin d’atteindre un commerce mondial plus équitable.

Ils réaffirment leur position par la Charte d’Alger en 1967 et en 1971 par la déclaration de Lima.

Si la revendication du Tiers monde est cohérente est dû au fait que ce bloc a su s’organiser depuis 1955 lors de la conférence de Bandoeng. Le tiers-monde est devenu un bloc important avec l’accession à l’indépendance de la quasi-totalité des pays qui étaient sous domination coloniale et est en mesure de « changer » le cours de l’histoire.

Ce sont ces pays coalisés du Sud qui étaient les premiers à dénoncer l’hégémonie du dollar. En 1972, ils portent l’idée d’un nouvel ordre économique mondial lors de la 3e CNUCED par le biais de la charte solennelle des droits et devoirs des États ».

L’idée se résume en ces termes : « établir d’urgence des normes généralement acceptées qui régiront de manière systématique les relations économiques entre les États, reconnaître l’impossibilité d’instaurer un ordre juste et un mode stable tant qu’une charte tendant à protéger les droits de tous les pays, en particulier des pays en voie de développement, n’aura pas été formulé”10. Par conséquent les pays de l’OPEP donnent le ton en 1973 en augmentant le prix du baril de pétrole et poussent les pays riches à négocier.

En outre, en 1974 lors de la sixième session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU, les pays du Tiers monde exposent quelques orientations économiques.

Ces dernières sont entre autres la stabilisation dans le temps des revenus tirés des matières premières après l’augmentation de leur prix. Faire passer leur part dans la production industrielle mondiale de 8% en 1979 à 25% d’ici 2000 tout en demandant un transfert de technologie et un contrôle des sociétés multinationales.

Il a été question également de la conversion en dons de la totalité des créances des pays les moins avancés et sur une période de grâce de cinq ans pour les créances des autres.

L’ONU approuve par consensus la déclaration du NOEI dont les bases sont “l’équité, l’égalité souveraine, l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération entre tous les états, indépendamment de leur système économique et social, qui corrigera les inégalités et rectifiera les injustices actuelles”11.

Parmi les principes les plus significatifs de la charte, nous pouvons citer le principe (j) qui se résume ainsi: “Rapports justes et équitables entre les prix des matières premières, des produits primaires, des articles manufacturés et semi-finis exportés par les pays en voie de développement et les prix des matières premières, des produits primaires, des articles manufacturés, des biens d’équipement et du matériel importés par eux en vue de provoquer, au profit de ces pays, une amélioration soutenue des termes de l’échange, qui ne sont pas satisfaisantes, ainsi que l’expansion de l’économie mondiale”12

10 Colard Daniel, “La charte des droits et devoirs économiques des Etats”, In Etudes internationales, 1975, 6(4), p.447.

11 Assemblée générale-Sixième session extraordinaire, Dossier 3201, 1er mai 1974, p.4.

Cependant cette situation ne profite pas longtemps aux pays en voie de développement. Leur nombre important, 77 au total n’a pas empêché les pays du Nord à préserver leur supériorité économique. L’échec du NOEI peut être expliqué par le fait que le Tiers monde ne constitue pas un ensemble homogène mais plutôt une multitude de pays avec des différences économiques.

Désormais il existe des Tiers mondes qui vont subir les conséquences d’un système économique qui leur impose le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) dès 1980.

La position de la France sur le sujet est difficile à cerner. Cependant nous savons que la France n’appréciait pas l’hégémonie économique exercée par les États-Unis. Il s’agit donc pour elle d’une occasion à saisir pour déstabiliser cette hégémonie si la lutte du G77 aboutisse.

Elle a apporté son soutien en quelque sorte aux pays du Tiers monde même si elle ne voulait pas l’affirmer.

C’est dans ce cadre qu’elle a tenté de réunir les grandes puissances économiques dans un Congrès dans le but de trouver une solution à ces revendications du Tiers monde, d’où l’appellation du G7 par opposition au G77. Ces limites du combat des pays en voie de développement n’ont pas empêché les pays africains de prendre conscience des enjeux et de la nécessité de revoir leur politique de coopération avec la France.

Nous pouvons affirmer donc l’hypothèse selon laquelle le contexte économique international a été décisif dans la contestation et la remise en cause de la politique française de coopération en Afrique.

Avant d’aborder les actions qui ont été menées, nous tenons à souligner que la France n’était pas indifférente aux incohérences de sa politique de coopération. C’est la raison pour laquelle elle va demander une étude sur le sujet. Il s’agit du rapport de Georges Gorse, homme politique qui devient ministre de l’information dans le nouveau Gouvernement de Pompidou de 1967 à 1968 avant de devenir diplomate et est chargé par Jacques Chaban-Delmas d’un rapport sur la coopération en 1971.

Ce rapport n’a pas fait l’objet d’une publication mais nous savons que la ligne directrice est axée sur une remise en question des modalités de la politique française de coopération.

Grâce à quelques notes retrouvées dans les archives diplomatiques, nous pouvons énumérer ces quelques passages permettent de s’en rendre compte : une aide particulière pour l’organisation de force de sécurité et d’une armée nationale.

Cette forme de coopération doit disparaître le plus rapidement possible, elle présente en effet l’inconvénient grave de mêler les assistants techniques à des responsabilités de gestion qu’ils sont très mal placés pour assumer et risque de retarder la prise de conscience par les nationaux de leurs propres problèmes de développement »13.

Le rapport qualifie cette coopération comme : « une coopération de substitution dans des États où la décolonisation est achevée depuis plus de dix ans. La coopération technique française demeure beaucoup trop orientée vers les tâches de gestion et n’a pas donné une priorité suffisante à la formation des personnels nationaux qui pourraient assumer la relève »14.

Le rapport recommande « une politique plus active de prospection et de recrutement de personnel qualifié pour la conception et la mise en œuvre des programmes d’assistance technique multilatérale.

Cette politique devra porter une attention particulière aux zones géographiques où notre présence devrait être plus marquée notamment en Asie, au Moyen Orient et en Amérique Latine »15. Le rapport a réitéré les recommandations du rapport Jeanneney à savoir élargir la zone d’intervention et se défaire de son pré-carré.

Ces recommandations ne seront pas appliquées par le Gouvernement qui ne cesse de demander des rapports sur le sujet.

Nous faisons allusion à la commission d’études dirigée par Serge Michailof en 1993 dont nous aborderons dans le paragraphe état de l’art. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer si le rapport Gorse a fait échos au niveau des États africains. Cependant nous avons remarqué que ses observations et ses préconisations ont donné le ton à ces derniers.

Dès lors une vague de contestations des accords de coopération franco-africaine se dessine dans tout le pré-carré.

Ce sont les événements de mai 1972 à Madagascar qui furent l’élément déclencheur. En effet, Madagascar fut le théâtre d’un vaste mouvement de contestation qui va aboutir à une révolte. « Ses acteurs contestent la réalité de la rupture avec la France, récusent la pertinence de sa commémoration et demande une autre indépendance, cette fois réelle, débarrassée du poids écrasant de l’ancienne puissance coloniale »16.

Parmi les revendications nous pouvons retenir la révision des accords de coopération signés depuis juin 1960, l’usage de la langue malgache en lieu et place de la langue française et le remplacement des cadres français par des Malgaches.

Et plus signifiant encore lors de la journée sanglante de mai 1972 on peut lire dans une banderole les mots : « Étudiants et travailleurs luttent ensemble pour que les Accords de coopération soient réduits en cendre comme l’Hôtel de ville »17.

A travers ce mouvement, il est clair que la remise en cause du partenariat franco-malgache fut la préoccupation première des manifestants.

12 Idem

13 Archives diplomatiques, La Courneuve, Direction des affaires africaines et malgaches, Coopération 1959-1979, 52-02, no 238.

14 Idem.

15 Idem.

16 Blum Françoise, « Madagascar 1972 : l’autre indépendance. Une révolution contre les accords de coopération », In Mouvement Social, 2011/3, (no 236), pp.61-87.

17 Idem.

C’est un événement phare dans les relations franco-africaines et mérite une étude beaucoup plus ample. Mais il nous intéresse ici du fait qu’il y a eu similitudes avec les évènements de mai 1968 au Sénégal. Pourtant ces derniers étaient particuliers dans le continent africain mais n’ont pas eu l’échos du mai 1972 malgache.

En d’autres termes, il n’a pas réussi à mobiliser le reste des ex-colonies dans sa mouvance. Nous aborderons ce mouvement dans notre première partie.

Il faut retenir que le mouvement malgache a été un succès car dès 1973, les accords de coopération sont renégociés et la malgachisation devient effective dans l’enseignement primaire et secondaire. Le cas malgache a sonné le glas dans le cas où il appelle à une rupture avec l’ancienne métropole.

Nous n’avons pas repérer un cas pareil dans le continent pendant cette même année, cependant, il va inspirer quelques pays à l’instar de la Mauritanie.

Cette dernière demande une révision complète de ses accords de coopération avec la France et décide de sortir de l’UMOA. La tendance s’élargit dans les autres pays mais par voie de négociations. Ce fut le cas du Sénégal que nous avons choisi comme exemple.

Le Sénégal occupe une place privilégiée dans les relations franco-africaines. Ce statut est dû certainement au fait qu’il a été la première colonie française d’Afrique subsaharienne, son laboratoire dans le cadre de la mise en valeur des colonies. Enfin, il fut la capitale de l’AOF.

Problématique et rappel historique

Les relations franco-sénégalaises constituent une vieille tradition. Les premiers contacts datent du XVe siècle après la découverte des côtes africaines par les explorateurs européens.

Cependant, l’installation des Français au Sénégal ne sera effective qu’à partir de 1659 avec leur première fortification à Saint-Louis. Par la suite ils obtiennent la concession définitive de Gorée des Anglais en 1814 grâce au traité de Paris. Gorée a été un lieu très convoité par les Anglais et les Français même si elle n’avait pas encore son importance dans le commerce atlantique.

Ceci est sans doute dû à son emplacement signifiant en portugais « bonne rade » d’après une expression de Boubacar Barry dans La Sénégambie du XVe au XIXe siècle. Traite négriere, islam et conquete coloniale, par opposition à Saint-Louis qui était réputé difficile.

Les Français vont l’occuper en 1667 avant de la perdre en 1780 au profit des Anglais. Par la suite, elle reste française et devient un lieu stratégique dans le domaine commercial.

C’est à partir de cette période que Français et Sénégalais entrent en relation de manière durable à partir d’un système d’échange dont l’esclave était au centre. Pendant cette période, nous pouvons parler d’un commerce relativement équilibré dans la mesure où Français et Sénégalais y participaient de manière libre.

Cependant, du fait de certains traités, les chefs africains étaient poussés à commercer exclusivement avec les autorités françaises. Pour une étude plus poussée, nous pouvons référer aux travaux de Boubacar Barry cité en dessus et ceux de Mbaye Gueye, L’Afrique et l’esclavage.

Une étude de la traite négriere. L’esclavage est un sujet encore sensible et complexe, dont nous ne pouvons effectuer l’analyse nécessaire dans ce travail mais il constitue un des épisodes des rapports franco-sénégalais.

Non seulement Gorée a été un entrepôt d’esclaves et de marchandises dans le commerce triangulaire mais aussi un lieu de brassage culturel.

Par conséquent une importante communauté est née de ce brassage et va jouer un rôle déterminant dans la gestion de la future colonie du Sénégal. Aujourd’hui, le rôle de Gorée dans la mémoire de l’esclavage n’est plus à contester et-elle devenue patrimoine mondiale de l’Unesco depuis 1980.

Saint-Louis aussi a eu un rôle important dans ces relations au point de devenir l’un des principaux emblèmes de la présence française au Sénégal.

Cette phase, qu’on peut qualifier de précoloniale, est déterminante dans les relations franco-sénégalaises. Par la suite, après l’abolition officielle de l’esclavage en 1848, les Français se sont lancés dans la conquête intérieure du pays qui est effective en 1854.

Le sujet fut amplement traité par Alain Sinou dans Comptoirs et villes coloniales du Sénégal: Saint-Louis, Gorée, Dakar.(1993), Boubacar Barry, Samir Amin dans

Le royaume du Waalo: le Sénégal avant la conquête. (1983) Cette stratégie a totalement modifié les rapports entre les deux peuples. C’est le début de la conquête coloniale qui fut le théâtre d’affrontement entre résistants et conquérants pour le contrôle du territoire qui correspond à l’actuel Sénégal et qui était dominé par plusieurs royaumes dont les plus importants furent ceux du Cayor, du Waalo, du Baol, du Fouta Toro et du Sine-Saloum.

Chaque royaume était dirigé par un roi administré par ses vassaux. Les relations entre royaumes étaient parfois conflictuelles et cordiales aussi par le biais des alliances.

Cette situation a joué à la faveur des Français qui appliquent la règle « diviser pour mieux régner ». Les affrontements ont été sanglants et les pertes furent importantes.

La résistance contre la conquête coloniale n’était pas seulement armée mais également pacifique avec les autorités religieuses comme Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme qui est la plus importante confrérie religieuse du Sénégal. Malgré leurs efforts, la conquête sera effective grâce à Faidherbe qui était le Gouverneur de Saint-Louis de 1854 à 1861.

A partir de ce moment le Sénégal devient une colonie française et ses habitants des sujets de l’Empire. Les autorités coloniales vont appliquer une administration directe et assimilationniste sur le territoire.

Cependant, il est important de savoir que les habitants des quatre communes à savoir Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque étaient des citoyens français. Ils avaient des représentants à l’Assemblée nationale française du fait qu’ils sont composés en majorité de blancs et de métis avant que les noirs envahissent la scène politique avec leur premier député Blaise Diagne.

Cette situation prévaut jusqu’en 1946 avec l’Union française puis la loi cadre en 1956 qui supprime l’indigénat. Puis, en 1958, la Communauté va permettre la gestion interne du pays par l’élite naissante.

Cette communauté a évolué pour donner naissance à la République du Sénégal en 1960 après l’éclatement de la Fédération du Mali en 1959. La Fédération, très éphémère à cause des divergences entre les figures politiques des deux pays, a demandé l’indépendance et a signé les premiers accords de coopération avec la France.

Après son éclatement le Sénégal fut l’héritier de ses accords de coopération dont le premier fut celui portant sur le transfert des compétences.

Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, la condition de l’indépendance était en quelque sorte la signature des accords de coopération si on se réfère aux échanges de lettres entre le gouvernement de la République française et celui de la Fédération : « Je vous serais obligé de vouloir bien, en me donnant acte de cette communication, me confirmer que dès que la proclamation de l’indépendance du Mali, le Gouvernement de la Fédération procédera à la signature des accords définissant les principes et les modalités de la coopération librement instaurée entre la République française et la Fédération du Mali au sein de la Communauté rénovée ainsi que l’accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux des Etats de la Communauté »18.

Cet accord figure dans la liste des accords signés par la France et le Sénégal.

Les accords de coopération franco-sénégalaise couvrent tous les secteurs et ont pour objectif d’accompagner le pays nouvellement indépendant dans son développement économique et social. Désormais, ce sont ces accords de coopération qui régissent les relations franco-sénégalaises.

Durant toute la première décennie de l’indépendance le système demeure intact et obtient l’approbation des deux parties.

En revanche, la vague de contestation qui a touché tout le continent n’a pas épargné le Sénégal et Françoise Blum dans Révolutions africaines. Congo, Sénégal et Madagascar, l’a largement étudié. En 1973, le Sénégal demande la révision de ses accords de coopération avec la France. Cette phase constitue un tournant dans les relations françaises postcoloniales.

Les négociations vont démarrer début 1974 et les nouveaux accords vont être signés pour la plupart en mars et septembre de la même année.

Cependant, les nouveaux accords de coopération n’entreront en vigueur qu’en 1975. Date qu’on a retenue comme point de départ dans ce travail et 1982 comme limite. Cette tranche chronologique couvre toute la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et semble annoncer un point de rupture dans les relations franco-africaines.

Pourquoi le choix d’un tel sujet ? Notre choix est parti du constat de la rareté des travaux sur l’histoire des relations franco-sénégalaises.

Les études qui traitent du sujet relèvent de l’économie, du journalisme et de la politique. En outre, nous avons remarqué durant notre cursus scolaire et surtout universitaire que les travaux sur les rapports franco-sénégalais se limitent à la colonisation. Nous voulions comprendre pourquoi la phase postcoloniale, qui est dense, n’est guère prise en compte par les chercheurs.

C’est donc d’abord pour combler un certain ce vide historiographique que nous avons choisi ce thème et cette période.

Par ailleurs, la question des rapports diplomatiques franco-sénégalais est aussi intéressante à analyser dans le cadre plus large des relations internationales d’une manière générale et particulièrement dans les relations Nord-Sud. L’exemple du Sénégal reflète assez bien l’évolution des rapports entre pays nouvellement indépendants et une ex-métropole.

Il est à noter que depuis les années 1980, la présence française en Afrique a commencé à diminuer au profit notamment de la Chine.

Des observateurs comme l’auteur Adama Gaye dans son ouvrage intitulé Chine-Afrique: le dragon et l’autruche. Essai d’analyse de l’évolution contrastée des relations sino-africaines. (2006) Ou bien encore celui de Thierry Bangui, La Chine, un nouveau partenaire de développement de l’Afrique.

Vers la fin des privilèges européens sur le continent noir?(2009), s’intéressent beaucoup à ce phénomène et soutiennent que la « Chine-Afrique » est devenue une alternative à la France-Afrique.

Ce sont des questions qui méritent une étude précise et l’histoire est la discipline la mieux placée pour accomplir cette tâche.

18 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.

Au départ nous avions même envisagé de faire une étude comparative entre les deux modes de présence. Mais nous avons jugé que même si les méthodes employées par la Chine ressemble beaucoup à celles des Français, il serait difficile pour nous d’enquêter sur la

« Chine-Afrique » dont l’analyse relève d’une histoire immédiate. Finalement nous avons limité notre étude à la seule coopération franco-sénégalaise pour laquelle nous avons plusieurs interrogations :

* Peut-on parler de partenariat entre le Sénégal et la France ?

  • Le terme « néocolonialisme » peut-il être appliqué aux relations franco-sénégalaises ?
  • La coopération franco-sénégalaise a-t-elle été décisive dans le développement du Sénégal ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes appuyés sur des documents officiels présents aux archives nationales et diplomatiques de la France. Mais avant d’exposer les résultats de nos recherches au niveau des archives, nous allons faire un état des lieux de la bibliographie.

État des lieux de la bibliographie

La première remarque qui s’impose est la rareté de la production historique sur le sujet surtout au niveau africain. Cette situation est peut-être due au fait que c’est une histoire un peu récente et que la plupart des archives ne sont pas ouvertes. Cependant un travail pionnier dans la coopération franco-africaine a été mené par deux historiennes.

En 2012, est paru un ouvrage collectif coordonné par deux historiennes Françoise Raison-Jourde et Odile Goerg, Les coopérants français en Afrique.

Portrait de groupe (années 1950-1990). L’ouvrage a pris l’initiative de retracer le parcours des coopérants en prenant en compte leur motivation, leur vécu et leur retour en France. Il a distingué les différentes générations en partant des anciens élèves de l’ENFOM jusqu’aux jeunes volontaires. Il demeure utile pour le cas du Sénégal dans le cadre où il a étudié des Portraits de coopérants antillais et guyanais au Sénégal.

Par la suite, est paru Coopérants et coopération en Afrique: circulations d’acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours, dans la revue d’Histoire d’Outre-mer en 2014.

La publication est récente mais elle a eu le mérite d’initier cette historiographie. C’est un ouvrage capital pour la compréhension de l’histoire de la coopération franco-africaine du fait de sa méthodologie mais plus important de l’expérience de ses auteurs qui étaient des coopérantes.

Ces dernières s’appuient autant sur des témoignages d’anciens coopérants et de leurs partenaires dans les pays d’accueil que sur un travail documentaire (archives, revues de coopérants etc.).

Les auteurs nous ont suggéré les pistes à explorer en ces termes : « Les contemporains ont réorienté la recherche vers l’Administration coloniale et la coopération : ruptures et continuités, les Interactions entre les coopérants et leurs partenaires en situation universitaires ou scolaire l’Interrogation concernant les circulations et les informations des pratiques et des savoirs et enfin l’ouverture d’autres formes de coopération »19.

L’ouvrage ne mentionne néanmoins pas le cas du Sénégal, mais ses conclusions peuvent lui être appliquées..

Quant à la coopération franco-sénégalaise à proprement parler, nous n’avons pas trouvé de travaux d’historiens sur le sujet. Cependant des lectures alternatives nous ont permis de combler ce vide. En effet diverses disciplines l’ont abordé à savoir : la sociologie, le journalisme, le droit, l’économie etc. Nous allons en exposer quelques-uns :

Le premier ouvrage important sur la coopération franco-sénégalaise est celui d’Albert Bourgi, intitulé La politique française de coopération en Afrique : le cas du Sénégal20. C’est un texte qui a valeur de sources pour notre recherche, car il a été publié en 1979. Il est issu d’une thèse d’État, soutenue le 30 septembre 1976.

19 Goerg Odile, Suremain de Marie-Albane (dir.), « Coopérants et coopération en Afrique. Circulation d’acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours) », In Outres-mers revue d’histoire, tome 101, no 384-385, 2014, p8.

20 Bourgi, op. cit.

Malgré le fait qu’il est un ouvrage juridique, son contenu dépasse ce cadre et englobe plusieurs aspects comme l’histoire, l’économie, la politique etc. Cette œuvre est capitale pour la compréhension non seulement des relations franco-sénégalaises mais aussi celles franco-africaines.

L’ouvrage est riche en documentation du fait que l’auteur connaît les deux pays puisqu’il a occupé des fonctions dans l’administration sénégalaise, ce qui lui permet d’accéder à des informations capitales.

Il reste volumineux avec plusieurs thématiques. Il ne se limite pas au seul cas du Sénégal, des comparaisons avec d’autres pays sont faites et tous les aspects de la politique française de coopération sont pris en compte. Bourgi commence par une définition de la coopération d’une manière générale pour une meilleure compréhension de celle française.

Il nous a présenté les mécanismes, les objectifs et les institutions de la politique française de coopération en Afrique.

Selon ses dires, il est difficile d’élaborer une politique de coopération pour la France du fait qu’elle poursuit « deux objectifs contradictoire à savoir :d’une part, assumer une part de responsabilité à l’égard de l’ancien Empire en octroyant l’aide matérielle et culturelle nécessaire à la réalisation des objectifs de progrès économique et social, d’autre part conserver une place privilégiée dans la vie politique, sociale et culturelle des nouveaux Etats et par la même occasion substituer à la domination directe une forme nouvelle d’influence certes diffuse mais aussi dangereuse que la précédente »21.

Pour lui, l’une des incohérences de cette politique de coopération est la dispersion de ses institutions qui doivent être rattachées à un seul organisme.

Pour le cas du Sénégal, son idée principale est de voir comment les règles établies par les textes ont été mises concrètement en application et les résultats sur les relations entre la France et le pays. Il a également fait une comparaison avec un pays comme le Madagascar dont le cas s’éloigne de celui sénégalais dans cette seconde phase des relations franco-africaines postcoloniales. Dans l’ensemble c’est un texte bien structuré avec un plan bien détaillé.

La documentation est riche et variée. La première décennie de la coopération franco-sénégalaise est bien analysée.

Cependant l’auteur à tendance a affirmé que le Sénégal a du mal à se libérer de la dépendance française. Alors que des efforts ou le besoin de changement ont été présents depuis 1968. La sénégalisation des entreprises qui a été commencé depuis 1970 devrait être prise en compte dans cette étude.

21 Idem p. 13.

Dans une note pour le ministre de l’ambassadeur français au Sénégal du 23-9-73, il déclare que le « président Senghor a fortement marqué sa volonté de faire accélérer le processus de transfert aux nationaux des responsabilités économiques et cela par le biais :d’une sénégalisation des emplois, étendus d’ici 1980 à tous les postes sénégalisables en vue de laquelle les entreprises ont été priées de présenter un plan détaillé avant la fin de l’année, du transfert au Sénégal des centres de décision, une insertion progressive des hommes d’affaires sénégalais dans les structures de l’économie ».

Pour les nouveaux accords de coopération, l’auteur ne nous a pas fait part des moments de négociations qui étaient primordiales.

Nous avons réussi à retrouver des traces sur ses journées de négociations. Mais nous pouvons comprendre que ces dernières n’étaient pas médiatisées et l’auteur n’a pas pu avoir les informations nécessaires. Nous avons réservé un chapitre entier à cette phase de négociations dans notre deuxième partie. C’est un ouvrage à valeur de sources, en revanche je pense que ses conclusions sont hâtives.

Au moment de la rédaction du texte, les nouveaux accords venaient d’être publiés dans le Journal officiel de la République française et il était très tôt de mesurer leur impact dans les rapports entre les deux pays.

L’œuvre de Bourgi reste fondamentale pour nous, car il a eu le mérite de mener une réflexion sur la politique française de coopération en Afrique. En outre, son statut de juriste reste essentiel pour la compréhension des accords de coopération. Et enfin son cas d’étude à savoir le Sénégal est bien représentatif de cette coopération.

C’est un texte qui m’a été précieux du fait des informations et des analyses qu’il livre et de sa bibliographie. Je ne prétends pas prendre sa suite mais la compléter en partie grâce aux archives que j’ai pu consulter.

Un deuxième ouvrage a été très important pour ma recherche : Coopération et néocolonialisme de Sally Ndongo. C’est un texte un peu particulier du fait que l’auteur est un syndicaliste qui exprime un point de vue et s’exprime de manière très différente de ce que l’on peut lire habituellement sur la coopération.

Ndongo est en effet un militant qui était très engagé dans la communauté africaine immigrée en France dans les années 1960 et 1970. Il est le fondateur de l’Union générale des travailleurs sénégalais en France en 1961. Quand on plonge dans son essai, c’est le ton employé qui le distingue.

On peut le qualifier de manifeste qui dénonce la politique française de coopération. Il considère cette coopération comme un outil de ré-exploitation du continent qu’il qualifie de « néo coloniale ».

La deuxième partie de son ouvrage peut étayer nos dires et il utilise l’expression nouvelle orientation de l’impérialisme français en Afrique : « Si les Français continuent à exploiter la presque totalité des richesses africaines et bénéficient de vivre librement en Afrique, il n’en est pas de même pour les africains vivant en France.

Victimes du pouvoir politique, de la répression policière, exploités par les patrons, intimidés par certaines organisations d’« aide aux migrants », abandonnés par le gouvernement, négligés par leurs compatriotes intellectuels africains et victimes de la racaille de toutes sorte, les travailleurs africains ne sont pas prêts à voir résolus leurs problèmes »22.

La lecture de ce livre nous laisse penser qu’il s’agit d’une expression de l’indignation suscitée par la condition difficile des immigrés africains en France. S’il s’agit d’un essai et non d’une recherche scientifique, celui-ci a sans doute eu un impact sur les autorités sénégalaises.

En effet, dans les nouveaux accords de coopération surtout en matière de circulation des personnes et d’établissement, ces dernières ont supprimé toute notion d’assimilation.

Désormais les Français sont des étrangers comme les autres ressortissants et sont obligés d’être conformes à la législation du pays sur les étrangers. Cependant des facilités leur ont été faites. Nous y reviendrons amplement. Dans une correspondance de l’ambassadeur français au Sénégal on peut noter ceci : « Pour informer nos compatriotes des nouvelles dispositions les concernant en application du nouvel accord sur la circulation des personnes.

Il ressortait de ce communiqué que des facilités étaient accordées à nos ressortissants résidents au Sénégal pour régulariser leur situation en déposant aux services de police leur demande de carte d’étranger entre le 1er et le 31 mars 1975 »23.

Nous ne pouvons pas dire pareil du côté français. En effet, les immigrés sénégalais furent victimes de mauvais traitements : « des refoulements dont sont victimes des ressortissants sénégalais pourvus d’un visa délivré par leurs autorités est en effet du point de vue sénégalais en violation de l’accord de circulation du 29 mars 1974 »24. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans la troisième partie sur les effets des nouveaux accords de coopération.

Si nous regrettons l’absence de références à ses sources dans l’ouvrage de Ndongo, nous pouvons lui reconnaître une description précise des relations franco-africaines. Il s’agit du témoignage de quelqu’un qui a subi les effets de cette coopération.

Or, il n’est pas facile de trouver un point de vue d’un sénégalais sur le sujet. Il a donc le mérite de nous offrir ce vécu que beaucoup d’ouvrages évacuent. Dans notre dernière partie, nous ferons appel à lui quand nous nous pencherons sur les conséquences de cette coopération et le ressenti des populations. Il faut savoir que des sommes importantes sont déboursées dans le but d’aider ces dernières. Donc il est nécessaire de savoir si cette aide a vraiment touché les destinataires sans oublier le contact avec les agents de coopération.

De fait, j’estime que le livre de Ndongo, replacé dans son contexte, constitue en soi un ouvrage critique tout à fait utile pour analyser la coopération franco-africaine.

22 Ndongo Sally, Coopération et néocolonialisme, Paris, Maspero, 1972, 199 p.

23 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985),cote 20000137/1-20000137/4.

24 Idem

Toujours dans la perspective de mieux comprendre notre sujet, nous estimons que l’article de Guy Feuer intitulé « La révision des accords de coopération franco-africains et franco-malgaches », est indispensable. C’est également un texte qui a valeur de sources puisqu’il a été publié en 1973. Il aborde la question du contexte de révision des accords de coopération franco-africaine et malgache. Autrement dit, quelles sont les causes d’un tel changement.

Pour l’auteur, ceci résulte des mécanismes du système ainsi que de son objectif : « Les accords franco-africains correspondaient du côté français à un projet unique, à une sorte de « grand dessein » qui succédait à la communauté agonisante et qui exprimait une vision politique ordonnée et du côté des États africains, à la volonté de conjoindre une aspiration authentique à l’indépendance avec le maintien des liens verticaux et horizontaux tissés par l’histoire et maintenus par une décolonisation amiable »25.

Il a avancé la thèse selon laquelle, l’objectif visé par la coopération franco-africaine, à savoir accompagner le développement des pays nouvellement indépendants, est contradictoire dans la pratique. Cette dernière s’incline plus à la poursuite du rayonnement de la France sur le plan international qu’aux moyens de développement des ex-colonies.

Nous avons déjà évoqué ce point plus haut à travers le rapport Jeanneney qui avance plutôt les raisons morales. Son analyse laisse apparaître aussi l’intérêt économique et stratégique de la politique française de coopération en Afrique. C’est son objectif contradictoire à la pratique qui serait à l’origine des bouleversements du système de coopération. Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte international de l’époque qui semble jouer un rôle déterminant dans ce processus. L’auteur met par ailleurs l’accent sur la division des États africains quant à la tentation de réviser les accords de coopération.

Il distingue à ce propos deux groupes à savoir les pays qui ont quitté la zone Franc à l’instar de la Mauritanie et du Madagascar d’une part et, d’autre part, les États africains qui ont y demeurer.

D’après nos connaissances, cette division affirme le caractère bilatéral de la coopération franco-africaine. Elle s’adapte en fonction de la position des pays vis-à-vis de la France. Feuer n’avait pas la possibilité de formuler des conclusions définitives quant au processus en cours qui ne faisait qu’être entamé. Mais nous serons en mesure de donner suite à son travail pour le cas du Sénégal. Grâce aux sources archivistiques, nous savons suivant quelles modalités le Sénégal a souhaité réviser ces accords en 1974.

Enfin, il est difficile d’aborder la question de la coopération dans les années 1970, sans avoir recours au point de vue des experts qui ont écrit sur le sujet ultérieurement. Pour ce faire nous avons travaillé sur l’ouvrage dirigé par Serge Michailof, La France et l’Afrique. Vade-mecum pour un nouveau voyage.

25 Feuer Guy, « La révision des accords de coopération franco-africains et franco-malgaches. », Annuaire français de droit international, volume 19,1973, p. 720.

C’est un ouvrage collectif dont l’objectif était de faire le bilan de la coopération franco-africaine après quatre décennies.

Il s’agit en quelque sorte d’un diagnostic général sur le sujet et pour répondre à la demande de la ministre de la coopération et du développement, Edwige Avice qui désirait connaitre le degré d’efficacité de la coopération française en Afrique. Elle n’a pas échappé à la tradition initiée par le rapport Jeanneney.

En tant qu’homme de terrain, le directeur de cet ouvrage maitrise bien le sujet et fournit une analyse indépendante.

Il procède d’abord par une série d’interrogations : la coopération française n’oublie-t-elle pas les plus déshérités ? Quel rôle a, dans le contexte préoccupant du continent, cette coopération ? Contribue-t-elle à enfoncer le continent où à le faire émerger ?

Des questions pertinentes qui tout au long du livre sont l’objet de diverses tentatives de réponses. Mais parmi les limites de la coopération franco-africaine pointée dans l’ouvrage demeure l’inégalité des rapports. Selon Michailof « coopérer c’est collaborer, il ne peut y avoir de coopération réelle entre un donateur et un quémandeur »26.

Ensuite, il a souligné la dispersion des institutions de la coopération qui sont exclues du ministère des affaires étrangères. Par exemple sur le plan financier deux organes différents sont distingués à savoir le Fond d’Aide et de Coopération (FAC) et la Caisse Centrale de Coopération Economique (CCCE), qui affirment le manque de coordination des institutions de la coopération.

Mais la principale limite mise en avant porte sur l’organisation de cette coopération franco-africaine.

En effet, cette dernière était confiée au Secrétariat des affaires africaines et malgaches qui rendait compte directement au chef de l’État. En outre, il faut souligner la mauvaise répartition par secteur d’activité et les projets à long terme très inadaptés au développement des pays concernés.

C’est ce qui pousse les auteurs de ce document à s’adresser d’une part aux Français et aux Africains, surtout à sa jeunesse, pour leur dire comment l’argent de l’aide est utilisé.

Cependant, ce livre ne met pas en avant que les limites de la politique française de coopération en Afrique. Il a abordé les réussites de cette dernière. Parmi celles-ci figure la coopération décentralisée qui a pour champ de prédilection l’appui aux collectivités locales. En effet, les collectivités françaises ont des compétences et des savoir-faire directement opérationnels pour leurs partenaires africains.

Par exemple, le projet « Pader (Projet d’animation et de développement de Bignona avec le département de la Savoie) a suscité la création de groupement d’intérêt économique pour la gestion des services urbains comme les ordures ménagères ».

Les experts recommandent aux autorités de sortir du pré-carré pour intégrer d’autres pays qui pourraient jouer un rôle déterminant dans l’économie de la région, comme ce fut le cas du Nigéria.

Et d’être conscient que le temps du néo-colonialisme est révolu et que les Africains sont conscients maintenant des enjeux de cette coopération : « Lorsqu’on interroge les Africains, on est également frappé par l’importance que revêt à leurs yeux la notion de partenariat.

Ils attendent de notre part une relation beaucoup plus contractuelle et diversifiée. Ils refusent de se laisser enfermer dans les formes de coopération traditionnelles et font remarquer que les temps ont changé »27.

Il s’agit en somme d’un ouvrage très riche qui a réussi à faire un diagnostic et à proposer des solutions pour rendre efficace la coopération franco-africaine.

Cependant, il risque de subir le même sort que les rapports précédents en l’occurrence des rapports Gorse de 1971 et Abelin de juin 1975 à la demande du Président Giscard d’Estaing et confié à son ministre de la coopération Pierre Abelin. Une production de ce type, nous laisse affirmer que chaque présidence depuis De Gaulle a tenté à sa manière de préserver une politique de coopération en Afrique. Néanmoins, les fondements du système ont résisté au fil du temps malgré les remaniements.

La tranche chronologique de notre sujet qui coïncide avec la présidence de Giscard d’Estaing, qui se présentait comme un modernisateur de la politique africaine de la France, le prouve à merveille.

26 Michailof Serge (dir.), La France et l’Afrique. Vade-mecum pour un nouveau voyage, Paris, Karthala,1993, p.57.

27 Idem, p.12.

Méthodologie

Ces quelques références sont loin d’être exhaustives tant la bibliographie sur la coopération franco-africaine est très variée.

Mais il faut rappeler que nous nous concentrons exclusivement sur la coopération franco-sénégalaise. Notre but est bien de savoir quels types de relations entretiennent les deux pays ? Pour ce faire, nous avons pris un certain recul en commençant en 1960, date de l’indépendance, tout en sachant que les relations franco-sénégalaises remontent au XVe siècle.

La méthodologie employée a été de lire d’abord des ouvrages clés de la bibliographie existante pour avoir un aperçu global sur le sujet.

Ces lectures m’ont fait comprendre que le Sénégal n’est pas un cas exclu des relations franco-africaines mais plutôt un exemple parmi tant d’autres. Mais il est clair que l’essentiel de mes recherches a consisté à consulter et exploiter des documents déposés aux archives nationales à Paris, aux archives diplomatiques à la Courneuve.

Quand nous avons choisi ce sujet, nous avons été avertis par un éventuel manque de documentation. Et ce fut en effet le cas au Sénégal où les archives nationales ne disposent pas de beaucoup de documents sur le sujet.

Nous ne savons pas aussi si les sources existent ou bien nous ne sommes pas autorisés à y accéder. Jusqu’à présent nous n’avons pas d’explications satisfaisantes. Les rares documents que nous avons pu consulter étaient regroupés dans la série intitulée « Coopération internationale ».

Pour la plupart, ce sont des coupures de journaux contemporains qui relatent la conclusion ou la mise en place d’un projet entre les deux pays.

Cette situation se dresse souvent aux chercheurs africains qui ne disposent pas des moyens nécessaires dans le continent surtout pour les sciences sociales qui restent marginales. Par conséquent, nous avons surtout eu recours aux archives de l’ancienne métropole pour pallier ce manque de sources.

En effet, les archives nationales de Paris nous ont fourni assez d’informations sur la coopération franco-sénégalaise.

Le principal souci que nous avons rencontré est la crise sanitaire liée au Covid qui a entraîné la fermeture des archives pendant un certain temps et aussi la difficulté de trouver une place en salle de lecture après la réouverture. De fait, nous n’avons pas eu le temps de consulter tous les documents disponibles sur le sujet.

Aux archives nationales de Paris, les informations relatives à la coopération franco-sénégalaise sont inventoriées dans les fonds d’archives du ministère de la Coopération.

Ces archives sont regroupées par secteurs ou services. Nous allons prendre quelques exemples : Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/75. Dans ce répertoire y figure le fonds complet du Sénégal dont l’intervalle de cote est 20000137/1-20000137/31. Ce fonds contient des documents de diverses natures.

Ce sont des documents produits par l’administration publique. Nous avons parcouru plusieurs cartons qui nous ont permis de formuler nos hypothèses.

Le fonds est structuré en deux grandes parties à savoir A) Cadre juridique et grandes lignes de la coopération franco-sénégalaise B) FAC et autres financements. C’est la première partie que nous avons beaucoup sollicitée.

Elle comporte trois divisions intéressantes : Accords et conventions liant le Sénégal et la France, Dialogue intergouvernementale et Orientation générale de la coopération franco-sénégalaise. En complément nous avons consulté des fonds d’autres services du ministère de la Coopération. Il s’agit entre autres :

Coopération, Chargé de mission auprès du ministre de la Coopération (1976-1983), cote 19850097/13-19850097/15. Il contient des documents du cabinet de Jean-Pierre Cot, ministre délégué chargé de la coopération et du développement. Ces documents sont classés par pays. Pour le Sénégal, ils se retrouvent au carton 8 (19850097/8),

Coopération, Direction du développement économique (1960-1983), cote 19860024/1-19860024/27. Il a répertorié toutes les activités et fonctionnement de cette direction avec tous les services confondus. Ce qui fait que nous n’avons pas tiré grandes choses,

Coopération, Direction des politiques du développement, services des politiques bilatérales. Bureau Afrique de l’ouest (1968-1982), cote 19850153/1-19850153/12. C’est un fonds qui a été très utile. En effet, il renferme les dossiers de chargés de mission géographique envoyés au Sénégal. Ces dossiers prennent en compte l’enseignement, la recherche scientifique, les voyages officiels, les infrastructures, le commerce et l’industrie,

Coopération, Direction des politiques du développement (1962-1984), Secrétariat des programmes. Ce fonds est réservé aux financements du FAC.

Nous avons également consulté le répertoire Enseignement supérieur et universités, Direction général des enseignements supérieurs (1959-1969), cote 19770510/1-19770510/12. Le carton F bis 2 nous a fourni des renseignements sur la naissance et le développement de l’université de Dakar. Ce qui nous a servi dans notre première partie particulièrement sur les événements de mai 1968 à l’université.

Le dépouillement de ses archives montre une multitude de documents. Nous y retrouvons des copies d’accords de coopération, de conventions ou encore de projets d’accords de coopération. A cela il faut ajouter les notes du ministère de la coopération, les correspondances des ambassadeurs français au Sénégal à leur ministre de tutelle.

Il ne faut pas oublier les comptes-rendus de réunion du comité interministériel franco-sénégalais, les notes de ministres des rapports de mission, les statistiques relatives aux agents de coopération, aux financements et au budget etc.

Par le biais de ces sources, nous avons décidé de prendre en compte le début de la coopération franco-sénégalaise. Ce qui correspond à la première décennie de l’indépendance pour pouvoir comprendre la deuxième génération d’accords de coopération.

Les cartons 1 à 4 du répertoire Coopération, Cabinet et service rattaché au ministre (1959-1985) nous a permis de retrouver les accords signés ou paraphrasés entre les deux pays en 1960.

Ce sont des textes juridiques et nous ne sommes pas qualifiés à l’interprétation de tels textes. Cependant une simple lecture de ses articles nous laisse penser qu’il y a une étroite collaboration voire une cogestion du Sénégal par les deux pays.

Nous allons juste prendre l’exemple de la convention d’établissement de 1960 pour s’en rendre compte. Les articles les plus significatifs affirment ceci :

« Article 2 – En ce qui concerne l’ouverture d’un fonds de commerce, la création d’une exploitation, d’un établissement à caractère industriel, commercial, agricole ou artisanal, l’exercice des activités correspondantes, et l’exercice des activités professionnelles salariées, les nationaux de l’une des parties contractantes sont assimilés aux nationaux de l’autre partie contractante sauf dérogations imposées par la situation économique et sociale de ladite partie.

Article 5 – Les nationaux de l’une des parties contractantes seront sur le territoire de l’autre partie, représentés dans les mêmes conditions que les nationaux de celle-ci aux assemblées consulaires et aux organismes assurant la représentation des intérêts économiques.

Article 12 – Chacune des parties contractantes réserve aux nationaux de l’autre partie le statut particulier défini par la présente convention à raison du caractère spécifique des relations entre les deux Etats. Le bénéfice de ces dispositions particulières ne peut pas être automatiquement étendu aux ressortissants d’un Etat tiers »28

Ce n’est pas le moment de mesurer l’impact d’un tel accord au niveau des pays. En revanche, nous savons qu’il concorde avec la réalité sur le terrain.

Au Sénégal, les Français ont préservé leurs acquis économiques, politiques et sociaux. Ils détiennent dans l’ordre 70% pour les entreprises commerciales, 80% pour les industrielles et 56% pour les banques.

Concernant les ressortissants sénégalais en France, nous ne disposons pas de données qui prouvent qu’ils occupent une place importante dans l’économie française. Nous avons vu en dessus avec Sally Ndongo leurs conditions de vie et de travail qui sont souvent décriées.

Cette collaboration étroite entre les deux pays prévaut jusqu’en 1974, après la signature des nouveaux accords de coopération. En tant que Etat nouvellement indépendant, le Sénégal avait besoin d’être assisté car ne disposant pas assez d’agent pour le fonctionnement de ses services.

Grâce à ces accords de coopération, un quota de coopérants est envoyé chaque année en fonction de la demande de l’État sénégalais et de la capacité de la France. Nous pouvons retrouver leurs traces grâce aux registres.

C’est l’enseignement qui reçoit le plus grand nombre. L’analyse des sources nous suggère que la présence française n’était pas pérenne durant toute cette période. En effet nous savons que dès 1968 avec les événements de mai, l’État sénégalais a commencé à intégrer ses nationaux dans la vie économique du pays afin qu’ils prennent la relève des coopérants.

Les archives nous ont renseigné sur la volonté de sénégalisation des postes qui est estimé entre 1000 et 1200 emplois sur 1700 postes de travail tenus alors par les expatriés. Nous y reviendrons plus amplement dans la première partie.

Au sujet des accords de coopération entre les deux États, les documents disponibles aux archives laissent entrevoir une volonté de révision de la part du Sénégal depuis 1973 avec, notamment une lettre du président Senghor qui l’évoque explicitement.

Ceci nous a été rapporté par l’ambassadeur français au Sénégal dans une de ses dépêches : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le gouvernement sénégalais a décidé de réviser les accords de coopération conclus par le Sénégal avec la France depuis son accession à l’indépendance. […] »29

En outre, ces sources nous renseignent sur la procédure des négociations, la rédaction, la signature des nouveaux accords. Il faut souligner que les négociations n’étaient pas toujours à l’amiable car certains accords ont suscité de houleuses négociations en l’occurrence la convention d’établissement et de circulation des personnes.

Concernant l’application des nouveaux accords, les sources sont silencieuses, elles ne soulignent que les incidents diplomatiques qui avaient lieu entre les deux pays concernant le nouvel accord sur la circulation et l’établissement des personnes, sans oublier la lenteur de la ratification des nouveaux accords par la France.

28 Archives nationales, Paris,Coopération, Cabinet et service rattaché au Ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1.

29 Ibid.

Les archives diplomatiques de la Courneuve dessinent le même schéma avec les archives de la Direction des affaires africaines et malgaches, Généralités 1959-1979, 238.

Ce fonds, très riche, renferme beaucoup d’informations. Grâce au rapport Gorse , nous avons pu comprendre la politique française de coopération avec les pays du Sud particulièrement ceux d’Afrique. A cela s’ajoute la coopération économique avec d’autres partenaires comme les organismes internationaux.

En effet, la France participe faiblement à la coopération multilatérale au profit de celle bilatérale avec son pré-carré africain ; tendance qui se décline car elle a élargi son champ d’action comme le recommandait le rapport Gorse.

C’est grâce à ce fonds d’archives que nous disposons de chiffres sur les coopérants et la répartition par secteur et par pays. Le véritable problème des archives diplomatiques est qu’il y a beaucoup de restrictions. Il existe un fonds sur le Sénégal, mais celui-ci est en cours de classement et n’est pas encore accessible au public.

Les archives françaises sont donc absolument nécessaires pour notre sujet. Elles nous ont fourni une quantité de données cruciales sur le sujet.

Cependant, certains documents que nous aurions pu consulter sont soumis à des restrictions et notre demande de dérogation a été rejetée à deux reprises. Il s’agit des archives du Secrétariat général des affaires africaines et malgache et de la Communauté. Les archives privées du fonds Foccart nous auraient également beaucoup aidé mais nous n’avons pas pu les consulter. Malgré ces limites nous avons tenté de fournir un travail pertinent et nous comptons si l’occasion se présente continuer à interroger d’autres sources.

Notre travail s’articule autour de trois parties. Dans la première, nous souhaitons faire un Bilan de la coopération franco-sénégalaise de 1960 jusqu’à la révision, ce qui nous permettra de comprendre les raisons d’une telle décision.

Cette partie met en avant le contenu et les objectifs de la coopération franco-sénégalaise. Elle est divisée en deux sous-parties à savoir : L’assistance technique et La coopération socio-économique.

La deuxième partie est consacrée à la Révision des accords de coopération. Elle abordera successivement des Négociations et des Nouveaux accords de coopération.

La dernière partie porte sur l’Application et les Impacts de ces derniers sur les deux pays.

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