L’assistance technique française au Sénégal de 60 à 1974

L’assistance technique française au Sénégal de 1960 à 1974

Première partie: le bilan de la coopération franco-sénégalaise de 1960 à 1974

Depuis l’indépendance, les rapports franco-sénégalais sont régis par les accords de coopération. Comme nous l’avons vu plus haut, le Sénégal a hérité des accords de coopération signés dans le cadre de la Fédération du Mali.

Le traité d’amitié et de coopération constitue le gage des accords de coopération franco-sénégalaise. Nous estimons que ce traité a été mis en place pour préserver les liens étroits entre les deux peuples.

Cependant, celui-ci pourrait être perçu comme une ingérence et une volonté de contrôle si on se réfère à son article 2 : « Le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal échangeront des informations sur les problèmes d’intérêts communs ».

Cet article laisse penser à la politique de limitation de l’influence des deux grandes puissances mondiales(Les Etats-Unis et l’URSS) par la France. Les intérêts communs sont donc la politique internationale et les endroits stratégiques. En outre l’article 9 avait stipulé la création d’un comité ministériel inter-états. Ce comité fut l’organe exécutif de la coopération.

Cette dernière intervient dans la presque totalité des domaines à l’instar de ceux économique, social, culturel, militaire, politique etc. Au moment de la révision, on peut dénombrer 72 accords sans compter ceux qui sont devenus caducs. Nous avons choisi les domaines de l’assistance technique et socio-économique.

Ces deux secteurs demeurent les plus actifs de la coopération franco-sénégalaise.

À travers ces secteurs nous tentons de vérifier notre hypothèse de départ qui suppose une cogestion du pays entre la France et le gouvernement sénégalais. En d’autres termes, c’est l’autonomie du pays qui est remise en cause.

Chapitre 1

L’assistance technique

L’assistance technique constitue l’un des outils principaux de la coopération franco-sénégalaise. Pour seconder le gouvernement du Sénégal, la France met à sa disposition des coopérants qui interviennent dans divers secteurs. Cette disposition a été souligné dans le titre II des accords intitulé « De l’aide de la France au Mali » plus précisément à l’article 9 :

« La République française et la Fédération du Mali conviennent que la France secondera les efforts de la Fédération pour son développement. Et l’article 10 stipule que : « L’aide de la République française à la Fédération du Mali se manifestera notamment par la réalisation d’études, la fourniture d’équipements, l’envoi d’experts et de techniciens, l’octroi de concours financiers ».

Avec l’éclatement de la Fédération, une convention relative au concours en personnel apporté par la République française au fonctionnement des services publics de la République du Sénégal fut signée entre les deux pays. Son contenu définit les modalités de l’assistance ainsi que les obligations des deux parties.

Chaque année, un quota d’agents de coopérations sont octroyés au Gouvernement sénégalais par la France.

Au préalable, ce gouvernement doit estimer ses besoins par secteur et par ordre de priorité. Ensuite, il doit les soumettre à la République française qui en fonction de ses moyens les valide. La totalité des charges revient à la France. En revanche, le Gouvernement sénégalais doit fournir un logement décent pour chaque agent mis à sa disposition. En outre, il doit verser une somme forfaitaire en guise de participation.

Cette somme est fixée par un protocole d’application de l’article 17 de la convention relative aux concours en personnel.

Elle s’élevait à 55 000 francs CFA par agent, en dehors du personnel de l’enseignement supérieur pris en charge par le ministre de l’Éducation nationale français. Jean Claude Gautron, professeur à la Faculté de droit de l’université de Dakar de 1962 à 1970, est l’auteur d’un article en 1964 sur l’évolution des rapports franco-sénégalais qui nous apprend que : « La convention du 14 septembre 1959 prévoyait une rémunération par la République du Sénégal conformément aux textes applicables aux fonctionnaires sénégalais, la différence entre ladite rémunération et celle conforme à la réglementation en vigueur pour le service d’outre-mer français demeurant à la charge du gouvernement français.

A titre transitoire, la République française prenait à charge tout ou partie de la rémunération due par le Sénégal.

Un accord particulier annexe à la convention du 14 septembre 1959 fit application de la disposition transitoire, le gouvernement français s’engageait à assurer la rémunération du personnel mis à la disposition du Sénégal, cependant à titre de contribution à la rémunération de ce personnel, le Sénégal s’engage à verser une allocation forfaitaire mensuelle de 45 000 francs CFA. Un protocole d’accord en date du 12 juin 1963 a élevé cette allocation forfaitaire à 55 000 francs CFA par mois »30.

C’est l’enseignement qui absorbe la plus grande quantité de coopérants. Le nombre de ces derniers s’élevait à 1523 en 1960.

Il faut préciser que le Sénégal occupe la seconde place après le Madagascar pour 16,38% des effectifs totaux de l’assistance technique française31. En matière d’enseignement, le gouvernement sénégalais définissait les programmes. Mais cette prérogative est en quelque sorte limitée car la République française devait donner son aval.

D’ailleurs, un alinéa précise que les programmes sont fixés d’un commun accord et le comité est là pour veiller à son application. Cependant, l’enseignement supérieur échappe totalement au contrôle du gouvernement sénégalais. L’université de Dakar était considérée comme la dix-huitième université française et fut gérée par le ministre de l’Éducation nationale.

C’est cette dernière qui gère les 220 membres du personnel enseignant et administratif de l’université.

Nous reviendrons plus tard sur l’accord de coopération en matière d’enseignement supérieur. Après l’enseignement, c’est l’administration qui concentre le plus de coopérants dont la plupart sont des anciens administrateurs de la France d’Outre-mer. Une étude a montré qu’après les indépendances, les administrateurs se sont reconvertis pour la plupart pour devenir coopérants.

Ceci confirme la thèse selon laquelle la coopération fut un substitut de l’empire colonial français. C’est la nomination qui s’adapte aux différentes époques.

Pour une meilleure compréhension de ce phénomène, nous avons lu l’article de Hélary Julien intitulé : « Des empereurs sans empire : l’administrateur colonial devient coopérant ». In : Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et coopération en Afrique : circulations d’acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours).

Il nous a démontré que l’idée de la coopération a commencé à germer dans l’école de la France d’Outre-mer dès les années 1950.

Selon lui : « Devenir coopérant ne serait donc pas la découverte d’une nouvelle aventure comme pour les volontaires du service national, mais bien le prolongement, voire, pour ceux entrés à l’École de la France d’outre-mer à la fin de la période coloniale la réalisation d’une vocation »32.

Dans ce même ordre d’idée, il affirme que : « en devenant conseillers des affaires admiratives, certains anciens administrateurs d’Outre-mer peuvent se diriger vers le ministère de la coopération ; en devenant administrateurs des affaires d’Outre-mer, d’autres restent en place en Afrique comme conseillers des nouveaux gouvernements et conservent ainsi quelques années durant une influence politique, administrative, économique patente »33.

30 Gautron Jean Claude. « L’évolution des rapports franco-sénégalais ». In Annuaire français de droit international, volume 10, 1964, pp.841-842.

31 Archives nationales de Paris,Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/1-20000137/4.

32 Hélary Julien. “Des empereurs sans empire : l’administrateur colonial devient coopérant”. In : Outre-mer, tome 101, no 384-385, 2014. Coopérants et coopération en Afrique : circulations d’acteurs et recompositions culturelles (des années 1950 à nos jours), p.39

Pour le Sénégal on peut citer à titre d’exemple Philippe D., qui faisait partie de la promotion magistrature de la France d’Outre-mer en 1953. Après avoir servi au Niger, il devient chargé de mission au ministère de la coopération au sein de la direction de la coopération technique.

Par la suite il fut directeur de la formation administrative au centre de formation et de perfectionnement administratif de Dakar de 1966 à 1973 et puis conseiller technique au Secrétariat d’Etat de la promotion humaine de 1974 à 1978.

Néanmoins, il faut noter que ces anciens administrateurs coloniaux seront remplacés par des cadres nationaux formés à l’Ecole nationale d’administration dès 1968, dans le cadre de la sénégalisation de l’administration. La même situation se retrouve dans l’enseignement primaire et secondaire. La sénégalisation des postes découle en grande partie du contexte socio-économique et politique de mai 1968.

Nous y reviendrons dans le chapitre suivant. En tout état de cause, l’assistance de la France au Gouvernement sénégalais ne cesse d’évoluer.

La France intervient également dans la formation, la fourniture et l’équipement des forces armées sénégalaises comme définit dans « l’article 5 : La République française met à la disposition de la Fédération du Mali, en fonction des besoins exprimés par celle-ci, les officiers et les sous-officiers français dont le concours lui est nécessaire pour l’organisation, l’instruction et l’encadrement de ses forces armées.[…] Ces personnels sont mis à la disposition des forces armées maliennes pour remplir des emplois définis correspondant à leur qualification. Ils sont soldés de tous leurs droits par l’autorité française et sont logés ainsi que leur famille par l’autorité malienne »34.

La coopération militaire franco-sénégalaise est trop complexe et souvent les accords en ce sens n’ont pas fait l’objet de publications. C’est la raison pour laquelle nous ne l’avons pas prise en compte dans notre étude. Il ne faut pas perdre de vue que l’assistance technique couvre tous les secteurs. En effet, la France assiste le gouvernement sénégalais sur le plan international en participant à la formation de son corps diplomatique.

Elle le représente également au sein des organismes internationaux et dans les pays où il n’a pas de représentants diplomatiques.

Après examen de ce qui suit nous pouvons dire que la France est plus que présente dans la gestion du gouvernement sénégalais. Cette situation est la conséquence des politiques menées par les autorités impériales en matière de gestion des colonies.

33 Idem, p.48.

34 Archives nationales de Paris, Coopération, Cabinet et service rattachés au ministre, chargé de mission (1959-1985), cote 20000137/4.

En effet, l’administration directe et la politique d’assimilation se focalisent sur un contrôle total des populations de statut indigènes.

En appliquant cette administration, les autorités coloniales ont laissé de côté un élément essentiel qui pouvait faciliter l’assimilation. Il s’agit de la mise en valeur des colonies. Cette entreprise ne démarre que très tardivement.

Il faut en effet attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu’un programme de mise en valeur réelle soit mis en place. Sophie Dulucq affirme le même constat en ces termes: “Dans l’immédiat après-guerre, la France commença en effet à investir directement et à équiper ses territoires d’outre-mer. L’équipement public essentiellement ports, routes, voies ferrées, bâtiments administratifs, avait été réalisé jusqu’en 1946 uniquement sur des ressources locales.

La création du Fonds d’investissement pour le développement économique et social, le 30 avril 1946, marqua le début de cet apport massif des capitaux publics métropolitains”35

Ce retard s’explique au fait que la plupart des territoires sous administration française en Afrique étaient des colonies d’exploitation. Donc les administrateurs coloniaux ne voyaient pas l’intérêt d’instruire, de former et de créer des infrastructures pour les indigènes.

Tout le travail de ces derniers reposait sur l’agriculture d’exportation et l’exploitation des matières premières qui devraient être drainées vers la Métropole.

L’équipement était exclusivement orienté dans ce domaine comme le souligne Dulucq: “Cet équipement se réduisait en fin de compte au minimum indispensable des circuits de traite”36 Pour s’adapter au contexte d’après-guerre, il devient nécessaire d’intégrer les autochtones dans la gestion des colonies.

Cela est passé par une formation des colonisés et une mise en valeur des territoires d’outre-mer.

Pourtant, les formations offertes restaient subalternes car elles devaient uniquement permettre à ces derniers de seconder l’administration coloniale et non d’occuper des postes de cadres et de responsables (Pape Ibrahima Seck, La stratégie culturelle de la France en Afrique. L’enseignement colonial (1817-1960), Harmattan, 1993).

L’indépendance politique des colonies a mis fin à cette forme de mise en valeur. Par conséquent, les pays nouvellement indépendants étaient obligés d’avoir recours à l’assistance technique. Cette dernière est alors rendue légitime par la coopération franco-africaine.

Le but de cette assistance était d’accompagner ces États dans le fonctionnement de leurs services publics en attendant que les nationaux prennent la relève.

Il est important de noter que le Sénégal constitue une exception, en tant que capitale de l’Afrique occidentale française, il a constitué un laboratoire pour la France et, à ce titre, a bénéficié d’infrastructures et d’un système éducatif plus avancé par rapport aux autres colonies. Mais l’éclatement de l’AOF a porté un coup à cette position et le Sénégal n’a pas su s’adapter.

Il avait la possibilité de décoller économiquement mais au contraire, il n’a pas cessé de dépendre de l’aide française.

35 Dulucq Sophie, La France et les villes d’Afrique noire francophone: quarante ans d’intervention(1945-1985). Approche générale et étude de cas: Niamey, Ouagadougou et Bamako, Paris, Harmattan, 1997, p.14.

36 Idem

En somme, l’objectif de l’assistance technique tarde à se réaliser. De fait, les Sénégalais ont commencé à exprimer leur volonté de prendre en main la gestion de leur pays. Le Gouvernement sénégalais s’est retrouvé en situation de crise et il fallait trouver un moyen d’intégrer ses nationaux. Ce point peut être abordé dans la coopération socio-économique.

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