5 stratégies pour réussir la restitution des biens culturels

PARAGRAPHE 2 : Les défis des restitutions et des retours

Les circonstances dans lesquelles la question du retour ou de la restitution de biens culturels se pose sont d’une grande variété. Les obstacles à la restitution des biens culturels exportés illicitement demeurent nombreux.

L’indétermination juridique de l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite

Les conventions internationales établissant une obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite ont déjà été énumérées. Il s’agit, pour les conventions universelles, de la Convention de l’UNESCO de 1970 et de la Convention Unidroit237. Concernant les instruments régionaux, le droit communautaire de même que l’OEA ont consacré cette obligation. Cependant la portée de cette obligation varie selon les instruments. D’autant plus que des conditions plus ou moins strictes doivent être remplies pour satisfaire à l’applicabilité de l’obligation de restitution. En d’autres termes, le droit conventionnel ne consacre pas d’obligation absolue de restitution. De surcroît les obligations qu’il consacre ne sont opposables qu’aux États ayant ratifié ces instruments compte tenu des maximes pacta tertiis nec nocent nec prosunt ou res inter alios acta238. Il convient ainsi de constater la relativité de l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite. Car, même si cette obligation peut être de droit international privé, il est nécessaire au préalable que les États se rendent opposables les normes juridiques internationales consacrant cette obligation de restitution. Ce constat pose d’importants défis pratiques aux États, institutions, chercheurs ou experts intéressés par la lutte contre le trafic illicite des biens culturels et leur restitution à leurs détenteurs légitimes. Il s’agit pour eux de trouver le moyen de rendre cette obligation universellement opposable.

Les obstacles à la généralisation de l’obligation de restitution des biens culturels

Cet intérêt juridique généralisé pourrait trouver un double fondement. Le premier fondement consisterait en la lésion, c’est-à-dire en l’atteinte à un droit propre et subjectif de l’État consacré dans une obligation dite « interdépendante ». Il s’agit d’obligations par lesquelles « chaque partie est tenue vis-à-vis de toutes les autres » et où « la réciprocité atteint son stade le

237Convention de l’UNESCO de 1970, article 7 (b)ii et article 13 (b) ; Convention d’Unidroit de 1995, article 3§1 et article 5.

238Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, article 34. L’article est inspiré de la jurisprudence internationale préexistante, notamment de la sentence arbitrale de l’affaire Île de Palmas (États-Unis c/ Pays- Bas, C.P.A., 4 avril 1928) ou de l’arrêt rendu dans l’affaire de la Juridiction territoriale de la Commission internationale de l’Oder (Gouvernements de l’Empire Allemand c/ Pologne, Avis consultatif du 10 septembre

1929, série A, n°23). Ces jurisprudences font usage du principe contenu dans la maxime pacta tertiis nec nocent nec prosunt pour refuser de rendre opposable à un tiers au traité une obligation juridique qui est formulée. Lire en ce sens : COMBACAU (J.) & SUR (S.) : Droit international public, Paris, Montchrestien, coll. Droit Public, 8 éd., 2008, p. 156.

plus poussé »239. Le second fondement consisterait en la violation d’obligations dites « intégrales ». Elles sont des obligations « autonomes pour chaque partie et dont la réalisation ne dépend pas d’une exécution correspondante par les autres parties »240. Il s’agit d’une obligation ayant une structure telle ou une importance telle que tous ont droit au respect et que chacun est tenu de respecter241. En tout état de cause, les obligations interdépendantes prendraient place dans une communauté interétatique dès lors que l’intérêt juridique des États serait fondé sur la lésion, donc sur l’atteinte à un droit propre. En revanche les obligations intégrales permettraient de dépasser cette communauté interétatique dans la mesure où l’intérêt juridique des États ne serait pas établi sur l’atteinte à leur droit subjectif : le dépassement de l’intérêt étatique est donc manifeste. Quel que soit la validité de cette catégorisation, les fondements proposés cherchent tous deux à étendre l’opposabilité de l’obligation de protection et de restitution des biens culturels à la communauté internationale dans son ensemble.

Il demeure cependant malaisé d’établir clairement l’intérêt collectif protégé et la généralisation de l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite. Notamment parce que la formulation de ces intérêts collectifs n’apparaît généralement que dans les préambules des conventions internationales et non pas dans leurs dispositions opératoires. Il est vrai que pour garantir l’effet utile des traités ceux-ci doivent être interprétés au regard de leurs objet et but, tels qu’ils figurent notamment dans leurs préambules. Cependant, les dispositions opératoires elles-mêmes, de façon assez explicite, viennent relativiser ce mouvement pour la reconnaissance d’un intérêt collectif généralisé. Ainsi, l’article 6§ 1 de la Convention sur le patrimoine mondial souligne que la souveraineté étatique doit être pleinement respectée lorsque les éléments du patrimoine mondial sont situés sur leurs territoires respectifs. L’article ajoute que si les État parties reconnaissent l’existence du patrimoine universel pour la protection duquel la communauté internationale tout entière a le devoir de coopérer, c’est « sans préjudice des droits réels prévus par les législations nationales sur ledit patrimoine ».

Une impasse semble a priori établie par l’opposition entre intérêt collectif et souveraineté étatique. Ce dernier terme ayant notamment l’ascendant sur le premier dans la mesure où « les

239DUPUY (P-M.) : « Quarante ans de codification du droit de la responsabilité internationale des États. Un bilan

», R.G.D.I.P., 2003, vol. 2, p. 333.

240 Ibid.

241STERN (B.) : « Et si on utilisait le concept de préjudice juridique ? Retour sur une notion délaissée à l’occasion de la fin des travaux de la CDI sur la responsabilité des États », A.F.D.I., 2001, p. 18.

prérogatives de la communauté internationale sont toutefois énoncées de façon assez vague. Son ‘devoir de coopérer’ est de plus subordonné (…) à une demande de l’État »242. Si une attention particulière est maintenant donnée à l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite – et en se contentant du seul exemple de la Convention de l’UNESCO de 1970 – la même limite apparaît également. En effet, il ne semble pas qu’un intérêt collectif soit établi par les traités internationaux et aucune centralisation organique n’est organisée pour assurer la défense de cet intérêt. Sur l’aspect matériel, l’article 4 de la convention établit une obligation à l’égard des États parties de reconnaître « le patrimoine culturel de chaque État ». Certains interpréteront cette disposition comme excluant toute référence à un quelconque intérêt collectif de la communauté internationale et soutiendront que, à travers la notion de patrimoine culturel national, ce sont les intérêts particuliers des États qui sont protégés243. Quant à l’aspect organique, ce sont les mécanismes de protection et de restitution des biens culturels qui altèrent l’existence d’un intérêt collectif et d’une obligation générale de restitution des biens culturels. En effet, aucune centralisation normative n’est établie par la convention et la qualification des biens culturels qui entrent dans son champ d’application matériel relève des mesures nationales. En outre, c’est toute l’économie de la convention qui relève de l’adoption de mesures nationales, ce qui conserve nécessairement une certaine marge d’appréciation aux États. Ce sont en effet les États parties qui s’engagent à combattre le trafic illicite « par les moyens dont ils disposent (…) »244. Pour organiser la protection des biens culturels contre le trafic illicite, c’est également aux États parties qu’il revient « d’instituer sur leur territoire » les services compétents et ce « dans les conditions appropriées à chaque pays »245.

Il revient également à chaque État partie de prendre les mesures « conformes à la législation nationales » interdisant l’importation et l’acquisition de biens culturels provenant du trafic illicite et facilitant leur restitution à l’État d’origine lui ayant soumis une telle requête246. La défense d’un intérêt collectif dont la qualification et l’organisation relève de chaque État

242CLÉMENT (E.) : « Le concept de responsabilité collective (…) », op. Cit., p. 543.

243 Cette interprétation peut être elle-même mise en échec par les promoteurs d’un intérêt collectif de la communauté international à la protection et la restitution des biens culturels. En effet, il peut être soutenu que chaque État est tenu de reconnaître l’existence du patrimoine culturel national de ses pairs et, ainsi, de protégé des intérêts qui lui sont étrangers. Cette protection des intérêts étrangers passerait par l’adoption de mesures empêchant le trafic illicite de biens culturels étrangers et facilitant la restitution des biens qui, par le biais de ce trafic, se situe sur son territoire.

244 Article 2, alinéa 2.

245Article 5.

246Article 7§ a et b.

semble assez difficile dans ces conditions. Dès lors, pour les tenants d’une obligation généralisée de restitution des biens culturels, il convient d’établir une priorité dans le traitement des « carences » organiques et matérielles précitées. Leur objectif est bien de préciser l’existence d’un intérêt collectif particulier d’une communauté internationale donnée. La carence organique n’a, en ce sens, qu’une importance subsidiaire puisqu’une centralisation organique pour la protection et la restitution des biens culturels n’aurait pour autre but que de garantir l’effectivité d’un intérêt collectif préexistant. Leur priorité porte donc sur la carence matérielle. Autrement dit, il souhaiterait avant tout établir l’intérêt collectif à la protection et la restitution des biens culturels en cas de trafic illicite. La nature et le fondement juridique de cet intérêt donneraient des informations sur la nature de la communauté internationale considérée. Il leur faudrait donc prouver, malgré les critiques avancées, que l’intérêt collectif peut se révéler dans l’un des deux types d’obligations énoncés, en précisant que ces obligations devront se traduire dans le droit international général, qu’il s’agisse du droit coutumier ou de normes impératives du droit international. C’est une question de droit de la responsabilité.

Mais compte tenu des critiques développées à l’égard de ces deux types obligations, d’autres alternatives ont été recherchées par les tenants d’une généralisation de l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite. Il existe effectivement un mouvement doctrinal cherchant à consacrer les dispositions conventionnelles relatives à la protection et la restitution des biens culturels à travers des outils juridiques ayant une portée générale. Il apparaît que les principes généraux du droit sont régulièrement invoqués au bénéfice de l’obligation de restitution des biens culturels et, plus généralement, de la protection des biens et patrimoines culturels. Le professeur Scovazzi estime que les Conventions de l’UNESCO de 1970 et d’Unidroit sont inspirées de principes généraux du droit247. À titre d’exemple, il reconnaît en la convention de 1970 la manifestation d’un principe fondamental de « non- appauvrissement du patrimoine culturel des États d’origine » duquel il fait découler divers corollaires248. Le professeur Scovazzi partage son opinion juridique avec tout un mouvement doctrinal et de nombreux praticiens du droit. Ainsi, Monsieur Planche, responsable du programme de l’UNESO de lutte contre le trafic illicite des biens culturels, envisage «

247SCOVAZZI (T.) : « Diviser c’est détruire : principes éthiques et règles juridiques applicables au retour des biens culturels », UNESCO, document de travail, 15e session du Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale, du 11 au 13 mai 2009, disponible à l’adresse électronique : www.unesco.org/culture/fr/illicittraffiking.

248Ibid., p. 20.

l’apparition et le développement de principes juridiques et moraux communs applicables en matière de protection et de retour des biens culturels tels que les principes de non-spoliation des biens culturels d’un pays, de respect de l’intégrité de ces biens, d’obligation morale de restitution (…) »249.

En réalité, ce qui affleure à travers l’énonciation de ces opinions, c’est la volonté de manifester la cristallisation de règles coutumières – de portée générale ou impérative qui permettraient d’étendre l’obligation de restitution des biens culturels en cas de trafic illicite à l’ensemble de la communauté internationale des États. Le professeur Cornu reconnaît qu’il serait prématuré de faire état de coutumes relativement à la restitution des biens culturels en cas de trafic illicite250. C’est pourquoi elle cherche à s’appuyer sur les principes généraux du droit pour manifester le sentiment d’existence d’une obligation internationale. Se faisant, il serait possible d’invoquer l’opinio juris sive necessitatis à l’appui de la pratique en matière de restitution et d’invoquer la formation de règles coutumières251.

Le Délais

La durée d’une restitution ou d’un retour peut sembler paradoxale, car il s’agit d’un processus long et rapide à la fois. En effet, il faut peu de temps pour entamer la procédure encadrée par UNIDROIT et l’ONU, mais demander la restitution ou le retour d’un bien volé au XIXe siècle demeure extrêmement compliqué de nos jours. La procédure auprès de l’UE requiert une phase d’étude du bien dans le but de vérifier s’il correspond effectivement au qualificatif de « bien culturel » tel que l’entend la législation européenne. Toutefois, les délais ont dû être allongés, car jugés trop courts.

Étape incontournable de toute demande de restitution ou de retour, la recherche de provenance prend une importance grandissante. Cette phase de vérification et d’étude de l’objet se distingue de l’inventaire et du récolement non seulement par sa fonction, mais aussi par les questions sur lesquelles elle se focalise : l’origine du bien, son créateur, le parcours effectué jusqu’en Europe, sa fonction dans son contexte d’origine, son appartenance à un ensemble ou à un site… L’objectif est notamment de déterminer le propriétaire légitime du

249 PLANCHE (E.) : « Les enjeux internationaux liés à la restitution et au retour des œuvres d’art », Questions internationales – L’art dans la mondialisation, op. Cit. p. 86.

250 CORNU (M.) & RENOLD (M-A.) : « New Developments in the Restitution of Cultural Property : Alternative Means of Dispute Resolution », I.J.C.P., 2001, vol. 17, n°1, p. 23.

251Ibid.

bien à rendre ou à restituer, son importance dans la société d’origine telle qu’elle est actuellement et sa valeur juridique252.

Cependant, cette étape de recherche semble toujours incomplète et limitée. Outre les informations souvent perdues au fil du parcours de l’objet rendant les créateurs quasi anonymes et compliquant davantage la recherche des biens culturels volés et de leurs origines, la procédure est parfois critiquée pour ses méthodes : en effet, les descendants des créateurs de ces biens n’ont souvent pas ou peu accès aux musées – même sous forme numérique – et sont généralement exclus de ces processus de recherches253. Des partisans de la restitution comme Kwame Opoku considèrent même les recherches de provenance comme un noble prétexte pour conserver les biens concernés plus longtemps254. En partant du principe que les objets originaires d’anciennes colonies européennes n’ont pas forcément été volés, Hermann Parzinger de la Fondation du patrimoine culturel prussien appelle la communauté internationale à une discussion entre musées et pays demandeurs au sujet de l’origine des biens exposés et demande un cadre de réglementation international et des moyens financiers pour permettre de retracer le parcours des œuvres de leur pays d’origine au musée d’arrivée. On peut alors se demander si cette focalisation sur les origines des biens culturels ne risque pas de reléguer la restitution des biens au second plan255. Se concentrant exclusivement sur cette phase, Parzinger semble même ne pas envisager de restitution ou de retour, mais de continuer à exposer les objets, empêchant par la même occasion les communautés d’origine de disposer pleinement du contrôle de leur mémoire et de leur patrimoine256.

Situation dans les pays occidentaux

Pour les détenteurs occidentaux, la plus grande question reste la possibilité d’une dépossession des musées, notamment dans le cas des collections reposant essentiellement sur l’exposition de pièces d’origine extra-européenne, comme le Quai Branly et ses quelques 70

252 SNOEP, Nanette. Wie ethnologische Museen Wunden heilen könnten [en ligne]. WELT, 20.02.2018. Disponible sur : (consulté le 11.06.2020).

253Ibid.

254OPUKU, Kwame. Parzinger’s Cri De Coeur : Genuine Plea For UN/UNESCO Assistance Or Calculation To Delay Restitution Of Artefacts? [En ligne] Modern Ghana, 24.01.2018. Disponible sur : (consulté le 29.04.2023).

255SALZBURGER NACHRICHTEN. An manchen Museumsobjekten klebt Blut [en ligne]. Salzburger Nachrichten, 1.01.2018. Disponible sur : (consulté le 29.04.2023).

256Ibid.

000 œuvres d’art africaines — bien que ces dernières, comme toutes les collections muséales publiques françaises, soient pour le moment protégées par le principe d’inaliénabilité. Les plus grandes institutions muséales craignent également de se retrouver face à un afflux massif de demandes dès la première restitution accordée257.

Enfin, de telles demandes conduisent inévitablement à la remise en question de l’existence même des musées ethnologiques — musées conçus par « nous » et dont l’objet est « les autres

». Outre les musées, les ventes aux enchères sont également concernées par le retour et la restitution et sont souvent en butte aux critiques, qui déséquilibrent la structure du marché de l’art. Sensibles aux effets d’annonce, elles se font plus frileuses depuis les annonces d’Emmanuel Macron et la publication du rapport Sarr-Savoy258.

L’épineux sujet des restitutions et des retours suscite actuellement de vifs débats sur la scène politique, notamment en Allemagne, où les discussions ont été ravivées après les déclarations d’Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 et le rapport de Savoy et Sarr. L’association Berlin Postkolonial a notamment publié une lettre ouverte plaidant en faveur des restitutions et des retours auprès de la chancelière fédérale Angela Merkel259. Ces dernières années, la problématique a également donné lieu à des désaccords politiques. En 2018, un conflit éclate entre le Land de Bade-Wurtemberg et l’État fédéral au sujet de la restitution de deux biens culturels à l’État de Namibie. Le parti Alliance 90/Les Verts réclame une restitution la plus rapide possible (demandée par la Namibie dès 2013) et sollicite une autorisation budgétaire et une habilitation légale pour de futures restitutions de biens culturels spoliés sous le nazisme comme sous la colonisation. La demande est soutenue par le SPD au niveau fédéral, tandis que le gouvernement CDU veut poursuivre les négociations à l’échelle nationale dans les cas d’objets coloniaux. La restitution est donc accordée pour les deux biens en question, mais aucune règle de droit générale n’est posée260.

257OPUKU, Kwame. British Museum to Loan Looted “invisible” Ethiopian Tabots To Ethiopia: How Far Can Absurdities Go In Restitution? [En ligne] Modern Ghana, 2.06.2019. Disponible sur : (consulté le 29.04.2023).

258 GRIMM-WEISSERT, Olga. Begehrte Stammeskunst in Paris [en ligne]. Neue Zürcher Zeitung, 23.03.2018. Disponible sur : (consulté le 25.06.2020). 259NO HUMBOLDT21. Offener Brief an die Bundeskanzlerin Dr. Angela Merkel [en ligne]. Disponible sur : (consulté le 29.04.2023).

260 HABERMEHL, Axel. Bauer stoppt Plan zur Rückgabe von Raubkunst [en ligne]. Rhein-Neckar-Zeitung, 11.11.2018. Disponible sur : (consulté le 25.04.2023).

Situation des musées dans les pays demandeurs

Argument fréquemment avancé par les opposants à la restitution, la situation des institutions muséales des pays demandeurs est aussi l’un des défis de ce processus. Dans une lettre ouverte à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, la situation des musées publics béninois est décrite comme « dramatique » par les spécialistes locaux eux-mêmes en raison du manque d’équipement et de personnel qualifié, du nombre très limité de visiteurs et des multiples risques de sécurité261. On peut alors se demander s’il serait judicieux de rendre les œuvres à des institutions muséales parfois incapables de les accueillir dans des conditions optimales. De nombreux articles mettent en lumière les failles de sécurité dans les musées locaux qui exposeraient les œuvres rendues à de nouveaux vols et à une remise en circulation sur le marché de l’art262.

Les réticences des musées détenteurs européens à restituer des pièces à des institutions qu’ils jugent inadaptées font l’objet de critiques, comme celle d’Hamady Bocoum, déclarant que « les communautés en feront ce qu’elles veulent, car ces objets, suivant leurs statuts, n’auront pas toujours vocation à se retrouver dans des vitrines ou des réserves de musées263». D’autres spécialistes estiment que les conditions de conservation dans les pays demandeurs ne seraient qu’un prétexte de plus pour garder les œuvres dans les anciennes puissances coloniales264. La problématique de la capacité d’accueil des pays demandeurs est intimement liée à une autre question cruciale de la procédure : où et à qui restituer ? Dans une interview, Bénédicte Savoy souligne clairement qu’il n’appartient pas aux pays spoliateurs de décider de ce point à la place des États dépossédés265. À cette interrogation s’ajoutent la notion de propriété, fondamentalement différente selon les cultures et les systèmes, et les éventuelles lacunes juridiques en matière de collections publiques (insaisissabilité, inaliénabilité, imprescriptibilité). Dans ce contexte apparemment peu propice aux restitutions et aux retours et face aux craintes et aux réticences des actuels détenteurs266, les efforts sur la voie d’une

261 TCHAN, Ibrahim. Restitution du patrimoine béninois : Lettre ouverte à Felwine Sarr et Bénédicte Savoy [en ligne]. Mediapart, 12.03.2018. Disponible sur : (consulté le 24.04.2023).

262GRIMM-WEISSERT, Olga. Begehrte Stammeskunst in Paris, op. Cit.

263 BOCOUM, Hamady. Le Musée des Civilisations Noires : une vision d’avenir, op. Cit., p. 22.

264 OPUKU, Kwame. A History Of The World With 100 Looted Objects Of Others: Global Intoxication? op. Cit

265 BLOCH-LAINÉ, Virginie. Art africain : « Notre première tâche est d’établir un inventaire des biens spoliés », op. Cit

266ICOM. Étude relative aux principes, conditions et moyens de la restitution ou du retour des biens culturels en vue de la reconstitution des patrimoines dispersés, op. Cit., p. 11.

amélioration s’intensifient dans les pays possesseurs, notamment grâce à la Conférence d’Accra entre les États africains.

Des procédures délicates

Outre les difficultés juridiques nationales et internationales, les procédures de restitution et de retour se heurtent généralement à d’autres écueils. L’étape de détermination du contexte d’acquisition d’un bien culturel met souvent en lumière des situations juridiques complexes, comme l’explique le rapport Sarr-Savoy en distinguant « contexte d’acquisition initiale » et « contexte d’acquisition par le musée267». Il est difficile de déterminer si l’acquisition était véritablement illégale à l’époque, de nombreux objets ayant été récupérés avant même la Convention de La Haye. Deuxièmement, le contexte d’acquisition par le musée est souvent un legs ou une donation, c’est-à-dire une méthode légale. Les pièces étant de surcroît soumises au principe d’inaliénabilité des collections publiques et des dons aux collections publiques, les éventuelles demandes de restitution ou de retour s’en trouvent alors davantage complexifiées.

Même en pleine procédure, la situation peut se heurter à de nombreux obstacles. Dans le cadre d’accords bilatéraux, la solution de la compensation financière est fréquemment proposée pour éviter la restitution. Elle est tantôt refusée catégoriquement par le demandeur, tantôt mise de côté en vertu des principes du Comité intergouvernemental lui-même : « Si deux États menant des négociations pouvaient adopter l’indemnisation comme solution possible, le principe du retour ou de la restitution devait être la ligne d’action majeure du PRBC268. » Comme évoqué précédemment, la restitution ou le retour devient l’unique solution envisagée et envisageable, compliquant d’autant les négociations bilatérales.

267SARR, Felwine, SAVOY, Bénédicte. Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, op. Cit., p. 64

268UNESCO. Rapport du secrétariat [en ligne]. Paris : Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale, 15e session, 2009. Disponible sur : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000182210.locale=fr (consulté le 25.04.2023).

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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