5 astuces pour lutter contre le trafic de biens culturels

PARAGRAPHE 2 : Les lacunes des Conventions principales

La Convention de l’UNESCO concernant les « Mesures à prendre pour interdire et empêcher l’exportation, l’importation et le transfert de propriété illicite des biens culturels » (signée le 14 novembre 1970 à Paris), est la première convention internationale non liée au droit de la guerre visant à protéger les biens culturels. Elle constitue un instrument de coopération entre les États, qu’elle incite à adopter une législation consacrée à la protection du patrimoine culturel, au contrôle de l’entrée des biens culturels provenant d’autres pays et, de manière plus générale, à la lutte contre le trafic des biens culturels. Elle constitue l’instrument juridique le plus abouti en matière de lutte contre le trafic international des biens culturels. Son objet est notamment de poser les bases d’une coopération judiciaire entre les États, afin de faciliter la restitution des biens culturels illicitement exportés et de mettre un terme aux fouilles illicites.

218 Ibid.

Elle prévoit un contrôle des exportations des biens culturels figurant sur une liste détaillée et l’institution d’un certificat d’exportation.

Adoptée à Rome le 24 juin 1995, la Convention UNIDROIT sur les « Biens culturels volés ou illicitement exportés » combat le commerce illégal de biens culturels en établissant un corps minimum de règles juridiques communes aux États parties, dans le but de favoriser la préservation et la protection du patrimoine culturel. Cette Convention se veut d’application directe dès ratification par les États signataires, mais de nombreux États ne l’ont pas encore ratifiée219.

Ces deux textes jouent donc un rôle majeur dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Actuellement, 137 États sont parties à la Convention UNESCO220, 44 États ont contracté à la Convention d’UNIDROIT221.

Paradoxalement, bien qu’ils constituent l’expression d’une réflexion internationale sur la restitution des biens culturels, l’efficacité des instruments juridiques internationaux est modérée. Certains États refusant de les signer ou de les ratifier, les conventions internationales mises en place pour lutter contre le pillage et la destruction des biens culturels se révèlent souvent impuissantes à atteindre les buts qu’elles se sont fixés. Ensemble de règles de droit non obligatoires, les soft laws occupent une place importante dans le droit des restitutions.

Face aux difficultés d’application des Conventions internationales, ces soft laws apportent des réponses adaptées sans toutefois poser d’obligation juridiquement sanctionnée. L’exemple le plus probant en la matière est issu de la Conférence de Washington de décembre 1998, au terme de laquelle 44 pays se sont accordés sur onze principes directeurs qui président à la restitution des biens culturels spoliés aux juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les principes adoptés marquent une étape décisive en introduisant une approche renouvelée des questions de spoliations d’œuvres d’art : ils encouragent les recherches de provenance, cherchent à faciliter l’introduction des demandes des requérants et poussent à la mise en œuvre de solutions justes et équitables.

219Voir à ce sujet la carte établie par l’Institut international pour l’Unification du droit privé, Rome, 1995, en ligne (https:/

221Liste des États contractants à la Convention d’UNIDROIT de 1995 : https://www.unidroit.org/fr/etat- signaturesratifications-cp

Les soft laws sont également à l’origine de la reconnaissance du concept de « diligences requises » défini dans les Conventions UNESCO et UNIDROIT, au moyen d’un contrôle accru de la provenance des biens culturels. En imposant au marché de l’art une vigilance particulière quant à la provenance des biens culturels, ce concept de « diligences requises », qui oblige l’acquéreur d’un bien culturel à s’assurer de sa disponibilité au moment de son acquisition, influe sur le fonctionnement du marché de l’art.

A. La Convention UNESCO

L’absence d’intégration des dispositions de la Convention UNESCO dans les droits nationaux et les réticences opposées par de nombreux États à la ratification de la Convention d’UNIDROIT constituent les principaux obstacles juridiques à la mise en œuvre des mécanismes destinés à faciliter la restitution et le retour des biens culturels. La Convention UNESCO du 14 novembre 1970 compte aujourd’hui près de cent vingt États parties. Cette Convention prévoit un contrôle des exportations et tend à faciliter les restitutions tant pour les biens volés222 que pour les biens exportés illicitement223. Cependant, l’application de ses dispositions nécessite qu’elles soient intégrées par les États membres dans leur législation nationale. Or, la Suisse et la Grèce font partie des rares États qui l’aient véritablement transposée224. Ce défaut de transposition constitue un obstacle à son application en matière de restitution et créée un vide juridique dans ce domaine. Ainsi en 2004, la Cour d’appel de Paris a rejeté la revendication de l’État du Nigéria formulée sur le fondement des dispositions de l’article 13 de la Convention de 1970 pour le retour de statues Nok exportées illicitement de son territoire par un antiquaire français, au motif que : « les dispositions de la Convention sur les biens culturels ne sont pas directement applicables dans l’ordre juridique interne »225. En effet la France, qui a ratifié la Convention UNESCO en 1997, n’en a pas intégré les dispositions en droit interne.

À l’inverse, la Court of Appeal of England and Wales dans sa décision du 21 décembre 2007 opposant Governement of Islamic Republic of Iran v. The Barakat Gallery Limited a reconnu l’application du droit public iranien et des lois nationales sur la protection du patrimoine culturel. La Cour d’appel a reconnu le droit de propriété de l’Iran sur les antiquités

222Article 7 b) ii) de la Convention UNESCO

223Article 13, b) et c) de la Convention UNESCO.

224Suisse : Loi sur le transfert des biens culturels (LTBC) 3 mai 2005 ; Grèce : Décret présidentiel n° 3348/2005. 225 CA Paris, 5 avril 2004, n° 2002/09897, République fédérale du Nigéria c/ Alain de Montbrison JurisData n° 2004-238340 et Cass. 1ère civ., 20 sept. 2006, n° 04-15.599, JurisData n° 2006-034988, J.-M. Schmitt, « Statues nok : cynisme ou rappel ? », Journal des Arts, n° 256, 30 mars 2007.

illégalement fouillées et a permis la restitution des antiquités iraniennes226. Il est intéressant de relever que les juges de la Court of Appeal ont justifié cette reconnaissance du droit public d’un autre État en s’appuyant sur les principes présents dans la Convention UNESCO, la Convention d’UNIDROIT et la directive européenne. Rappelant que mêmes si certains de ces instruments n’ont pas d’effet direct en droit interne, ils sont néanmoins des indices de la volonté du Royaume-Uni de collaborer en cas de vol ou d’exportation illicite et méritent donc d’être pris en considération227.

D’autres pièces archéologiques en provenance d’Iran, et plus précisément de la Nécropole de Khurvin, acquises par Madame Wolfcarius, en Iran dans les années cinquante et exportées en 1965 sans autorisation, font l’objet d’une demande de retour par l’Iran devant les tribunaux belges depuis 1981228. Les biens ont été mis sous séquestre en 1981 alors que la Belgique n’avait pas encore ratifié la Convention UNESCO. En 2011, l’affaire n’a toujours pas été résolue bien qu’elle ait été portée en 1985 à la connaissance du Comité intergouvernemental « Retour-Restitution » de l’UNESCO, lequel attend l’épuisement des voies de recours internes avant d’intervenir.

Une autre difficulté, même lorsque les États ont mis en œuvre la Convention de 1970, peut résider dans le frein que peut représenter le refus d’appliquer le droit public étranger, que l’on constate encore et toujours auprès des juridictions étatiques. L’affaire anglaise Barakat commentée ci-dessus reste une exception notable. Ainsi une autre décision, en Suisse, a vu le Tribunal fédéral refuser la prise en compte du droit public indien incriminant l’exportation de deux pièces d’or anciennes au motif que seul un accord international pouvait contraindre un État à appliquer le droit public d’un autre État, et cela malgré la ratification de la Convention de l’UNESCO tant par l’Inde que par la Suisse229.

Les dispositions de la Convention de 1970 semblent davantage appliquées dans le cas des restitutions effectuées par voie diplomatique : le 14 décembre 2009, la France a restitué à l’Égypte qui les revendiquait, cinq peintures murales issues de la tombe de Tetiky que le Louvre avait acquis de bonne foi entre 2002 et 2003 sans savoir qu’elles avaient été exportées illicitement. Ces œuvres ont fait l’objet d’un déclassement et ont été radiées de l’inventaire du

226 D. Fincham, « Iran c. Barakat : L’Iran gagne en appel contre Barakat », in Témoins de l’histoire, op. Cit., p. 413-415.

227 Iran v. Barakat Galleries Ltd [2007] EWCA Civ 1374 (CA).

228 L. V. Prott, Témoins de l’histoire, op. cit., p. 432.

229Arrêt du Tribunal fédéral suisse du 8 avril 2005, ATF III 418, JdT 2006 I 63.

département des antiquités du Louvre par arrêté ministériel du 5 novembre 2009230. Dans le communiqué de presse du ministère de la Culture, on peut lire que cette restitution à l’État égyptien « s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention du 14 novembre 1970231».

Ces différences de traitement et le refus manifesté par certaines juridictions nationales d’appliquer les dispositions de la Convention, créent une insécurité juridique qui met obstacle au traitement efficace de la question des restitutions.

B. La convention d’UNIDROIT

La Convention d’UNIDROIT La Convention d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés est un instrument international complémentaire à la Convention UNESCO de 1970 puisqu’elle instaure de véritables mécanismes de restitution et précise plusieurs notions fondamentales telles que « la bonne foi » et la « diligence requise ». Elle n’est toutefois ratifiée que par trente-deux pays dont seulement onze États membres, ce qui constitue indéniablement un obstacle juridique aux retours et aux restitutions de biens culturels. La Convention d’UNIDROIT pose un principe de restitution et de retour de tout bien culturel volé232 ou exporté illicitement233 à la demande d’un État ou d’un particulier, en quelque main qu’il se trouve, y compris le possesseur de bonne foi, qui pourra toutefois prétendre au versement d’une indemnité équitable.

Ce principe de restitution constitue un moyen de lutte contre le trafic illicite. Or, le défaut de ratification de la Convention d’UNIDROIT de 1995 constitue sans aucun doute un obstacle juridique à la nécessaire harmonisation des législations en matière de prescription acquisitive, dont les différences sont particulièrement sensibles entre les pays de droit civil et les pays de common law : si l’équilibre des intérêts penche en faveur du possesseur de bonne foi dans les pays de droit civil, les systèmes juridiques de common law tendent à protéger le propriétaire au travers de la règle nemo dat quod non habet234.

230JO 10 novembre 2009, n° 261, p. 457.

231Communiqué de presse du ministère de la Culture du 14 décembre 2009.

232Article 3 de la Convention d’UNIDROIT.

233Article 5 de la Convention d’UNIDROIT

234 Nemo plus juris in alium transfere potest quam ipse habet (Personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même).

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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