5 techniques pour renforcer la lutte contre le trafic culturel

Section 2 : La coopération en matière de répression

Les conventions UNESCO et UNIDROIT ne sont pas universellement ratifiées, pourtant les résolutions 1483 (2003), 2199 (2015) et, dans une moindre mesure, 2347(2017) du Conseil de sécurité14 imposent à l’ensemble des membres de l’ONU des obligations résultant de celles- ci ainsi que de la Convention sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé128, au nom de la lutte contre le terrorisme puisqu’il est établi que des organisations terroristes tirent profit de la vente de biens culturels pillés129 .

Au-delà de l’émotion soulevée par la destruction d’édifices qui avaient défié les siècles et dont certains étaient classés sur la liste du patrimoine mondial – les États ont réagi en essayant de tarir la source de financement des groupes terroristes que peut représenter le trafic illicite de biens culturels130 .

La coopération antiterroriste vient donc renforcer en l’universalisant l’entraide policière et judiciaire en matière de protection du patrimoine culturel, avec l’aval de diverses organisations internationales131 .

Par exemple, le Conseil de l’Union européenne recommande aux États membres notamment: de renforcer la coordination entre les services répressifs et les autorités chargées de la culture ainsi que les entités privées (par exemple les magasins d’antiquités, les maisons de vente aux enchères et les sites d’enchères en ligne) en vue de faciliter l’échange d’informations conformément à la législation applicable et aux meilleures pratiques aux niveaux national et international et de désigner à cette fin des points de contact pour la prévention de la criminalité visant les biens culturels et la lutte contre ce phénomène132.

128Convention UNESCO sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, La Haye, 14 mai 1954 – entrée en vigueur le 7 août 1956 et comptant 128 États parties – complétée par un protocole du même jour – entré en vigueur le 7 août 1956 et comptant 105 États parties – et un second protocole du 23 mars 1999 – entré en vigueur le 9 mars 2004 et comptant 72 États parties, dont la France depuis le 20 mars 2017 ; la deuxième convention de La Haye de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Règlement annexe prohibaient déjà le pillage des biens culturels.

129V. L’État islamique d’Iraq et du Levant et le Front el-Nosra pour le peuple du Levant : rapport et recommandations présentés en application de la résolution 2170 (2014), S/2014/815, 14 novembre 2014, p. 26; Rapport du Secrétaire général sur la menace que représente l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech) pour la paix et la sécurité internationales et sur l’action menée par l’Organisations des Nations Unies pour aider les États membres à contrer cette menace, S/2016/92, 29 janvier 2016, § 21.

130Par ex. en France, la loi n° 206-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a institué le délit de trafic de biens culturels issus d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes (art. 322-3-2 du code pénal).

131 V. par ex. résolution du Parlement européen sur la destruction de sites culturels perpétrée par Daech, 30 avril 2015, P8_TA (2015)0179 ; Assurer une protection durable du patrimoine culturel matériel et immatériel de l’humanité contre la destruction et la dégradation. Résolution adoptée à l’unanimité par la 134e Assemblée de l’Union interparlementaire (Lusaka, 23 mars 2016), §§ 9-16

Ce renforcement de l’entraide policière et judiciaire est d’autant plus souhaitable qu’ainsi que le note l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) : « Bien qu’il existe divers codes de bonne pratique régissant le commerce des antiquités133 faute de sanctions sévères, ces mécanismes d’autorégulation n’ont qu’un effet incitatif et les services de répression doivent exercer une surveillance et intervenir. »134

De ce fait la coopération en matière de répression nous renvoyant à la coopération internationale pénale peut se définir comme l’ensemble des moyens développés par le droit international pour permettre l’administration de la justice dans des situations marquées par des éléments d’extranéité qui vise à couvrir l’ensemble de la chaîne pénale, de la détection des infractions jusqu’à l’exécution des peines135.

5 techniques pour renforcer la lutte contre le trafic culturel

Nous examinerons cette coopération à travers les formes de coopération policière et judiciaire avant le jugement (§1), puis la coopération judiciaire à l’exécution de la décision de justice (§2).

Paragraphe 1 : La coopération policière et judiciaire pré-sentencielle

Parmi les Principes directeurs internationaux sur les mesures de prévention du crime et de justice pénale relatives au trafic des biens culturels et aux autres infractions connexes adoptés par la résolution 69/196 de l’Assemblée générale de l’ONU du 18 décembre 2014, nous intéresse plus particulièrement le principe directeur n° 34, selon lequel : « Les États devraient envisager de s’accorder mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible lors des enquêtes, poursuites et procédures judiciaires concernant les infractions susmentionnées [dont le trafic illicite de biens culturels], afin que ces procédures soient plus efficaces et plus rapides. »

Une large entraide existe bien, comme l’attestent les exemples de la coopération en matière d’enquêtes [A] et de la coopération judiciaire [B].

132 Conclusions du Conseil relatives à la prévention de la criminalité visant les biens culturels et à la lutte contre ce phénomène, 14 décembre 2011.

133Ces codes sont notamment rédigés par l’ICOM, le Department of Culture, Media and Sport (Londres) et l’Association of Art Museum Directors (New York).

134 Protection des biens culturels contre le trafic, UNODC/CCPCJ/EG.1/2009/CRP.1, 28 octobre 2009, § 36.

135V. D. Flore, « Fondements et objectifs de la coopération internationale en matière pénale », in D. Bernard, Y. Cartuyvels, Chr. Guillain, D. Scalia & M. van de Kerchove (dir.), Fondements et objectifs des incriminations et des peines en droit européen et international, Limal, Anthemis, 2013, p. 427.

Coopération informationnelle en matière d’enquêtes

Il s’agit de la coopération policière au sens large puisqu’elle ne se limite pas à la police mais implique d’autres services, notamment les douanes lesquelles, dans le cas français, interviennent d’ailleurs sur l’ensemble du territoire et pas seulement aux postes-frontières136 et la gendarmerie en Italie, l’agence centrale compétente en matière de trafic illicite des biens culturels est une unité spéciale des carabiniers (Commando de Carabinieri per la Tutela del Patrimonio Culturale, TPC)137 allant au-delà de la simple entraide administrative « aide que se portent les autorités administratives en dehors de tout litige »138 dans le cadre d’enquêtes relevant, selon les systèmes de droit interne, de la police administrative (renseignement) ou de la police judiciaire quant au suivi des biens volés ou illicitement exportés [1] ou quant à l’identification des trafiquants et receleurs [2].

Traçabilité des biens culturels volés ou illicitement exportés

La coopération entre les institutions compétentes en matière de lutte contre le trafic illicite de biens culturels consiste d’abord en l’échange d’informations aux fins d’identification des biens volés [a], mais l’exigence de certificats d’exportation est aussi une façon d’empêcher que des biens volés ne circulent ainsi que d’éviter que le libre jeu du marché licite ne conduise à un appauvrissement du patrimoine culturel d’un État [b].

Identification des biens volés

Cette coopération vise d’abord à identifier les biens culturels illégalement vendus ou acquis. À cette fin, l’Organisation internationale de police criminelle alias INTERPOL139 met en œuvre la base de données Protection System for Cultural Heritage (Psyché), financée par l’Union européenne et placée sous la coordination des TPC. Psyché intègre les principales bases de données nationales (France, Italie, Espagne) puisque l’article 5 b de la Convention UNESCO exige des États parties qu’ils établissent et tiennent à jour un inventaire national des biens culturels importants, publics et privés, dont l’exportation constituerait un appauvrissement sensible du patrimoine culturel national. La consultation de Psyché par les services de police permet de lever les doutes sur le caractère licite ou illicite de la provenance d’un bien culturel.

De même, l’Organisation mondiale des douanes (OMD) développe la plateforme Archeo, outil de communication en temps réel pour l’échange d’informations au sein des administrations des douanes, des agences nationales compétentes en matière culturelle, des organisations internationales et de leurs réseaux régionaux et des organismes chargés de la lutte contre la fraude ; surtout Archeo relie des agents des douanes à des experts au niveau mondial afin d’identifier les objets suspects140.

136V. Ph. Bock, « Le rôle des douanes dans la lutte contre le trafic de biens culturels », journée d’études La coopération internationale au service de la sûreté des collections, 14 mai 2004,

137V. V. Mainetti, Protection de la propriété culturelle et circulation des biens culturels – Étude de droit comparé Europe / Asie. Rapport national – Italie, pp.15-16 ; L.W. Rush, « Military Protection of Cultural Property », in Fr. Desmarais (dir.), op. Cit. Pp. 170-171 ; en France, les services de recherches de la gendarmerie sont dotés d’un référent en matière de trafic des biens culturels.

138M. Boillat, op. Cit., p. 248.

139Sur INTERPOL, v. O. Beauvallet (dir.), Les investigations judiciaires internationales, Berger-Levrault, 2014, pp. 237-253 pour une présentation générale ; St. Théfo, « L’action d’INTERPOL dans la sauvegarde du patrimoine en cas de conflit armé », in V. Négri (dir.), Le patrimoine culturel, cible des conflits armés. De la guerre civile espagnole aux guerres du 21e siècle, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 205-210 sur la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, notamment celui relatif aux biens pillés en Irak ; M. Ballestrazi, « L’action d’Interpol en matière de trafic d’œuvres d’art », in J.-Chr. Barbato & Cl. Bories (dir.), Européanisation et internationalisation du droit des musées, Paris, Pédone, 2017, pp. 101-106 notamment sur la coopération entre organisations internationales.

Par ailleurs, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) communique des données législations, jurisprudence, annuaire des autorités nationales compétentes, bibliographie grâce à son portail Sharing Electronic Resources and Laws On Crime (Sherlock) qui ne contient pas les descriptions de biens culturels mais permet de connaître les exigences en la matière des différentes lois nationales. L’article 4 § 4 de la Convention UNIDROIT prévoit que l’acheteur d’un bien culturel doit consulter « tout registre relatif aux biens culturels volés raisonnablement accessible » afin d’être considéré comme un possesseur de bonne foi et non comme un receleur.

Il convient d’ajouter qu’il existe aussi des bases de données privées : les treize listes rouges141 de l’ICOM classant les objets archéologiques ou les œuvres d’art menacées dans les pays à hauts risques par exemples : Afghanistan, Haïti, Irak, Libye, etc. ou les sous-régions les plus exposées par exemple : Amérique centrale et Mexique; l’Art Loss Regiter142, créé au Royaume-Uni par des compagnies d’assurances, des maisons de ventes aux enchères et des groupements européens de marchands, et répertoriant les œuvres d’art, antiquités et objets de collection perdus ou volés.

140« Les nombreux défis du trafic de biens culturels », OMD actu, n° 71, 2013, p. 21. ; par ailleurs, l’article 2 § 3 du code déontologique de l’ICOM soumet les musées à une obligation de vigilance dans l’acquisition de biens culturels pour s’assurer qu’ils ne proviennent pas du trafic illicite. L’ICOM a aussi une plateforme collaborative dont les membres du comité éditorial sont le Federal Bureau of Investigation (États-Unis), les TPC, l’OCBC, INTERPOL, l’UNESCO, UNIDROIT, le Musée national de Bamako et les laboratoires CECOJI (CNRS) et Trafficking Culture (Université de Glasgow)

La jurisprudence soumet à un devoir de vigilance les personnes rompues aux affaires et les connaisseurs d’art. Ainsi, dans le cas d’une toile de maître volée dans le château de Clavary (Alpes-Maritimes) en août 1994 et vendue à Genève, le Tribunal fédéral suisse a considéré que l’acheteur aurait dû vérifier la conformité de l’exportation du tableau avec la législation française.

Comme il n’avait pas fait preuve d’une diligence suffisante, sa bonne foi ne pouvait pas être retenue et rien ne s’opposait à la remise directe du tableau à son légitime propriétaire en France, même si la demande d’entraide pénale française n’était pas assortie d’une décision de confiscation.143

Certification des exportations

Afin d’éviter les trafics illicites et de sécuriser le marché de l’art et des antiquités ou les transactions en matière culturelle, la Convention UNESCO prévoit de soumettre l’exportation à certificat. L’OMD a élaboré avec l’UNESCO un modèle de certificat d’exportation des biens culturels, cependant son utilisation laisse à désirer puisqu’il est inconnu notamment des pays arabes144. L’Union européenne soumet aussi la circulation de certains biens culturels à la production de documents.

Les législations nationales ne sont pas en reste. Ainsi, en France, l’article L.111-8 du code du patrimoine subordonne à la production d’un certificat ou d’une autorisation d’exportation établie par l’État d’exportation l’importation de biens culturels visés par l’article 1er de la convention de Paris du 17 novembre 1970145 en provenance directe d’un État partie à la convention et tiers à l’Union européenne.

143V. M. Boillat, op. Cit., pp. 207-208.

144V. R. Fraoua, Prévention et lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Atelier régional, Beyrouth, Liban, 9- 11 novembre 2009. Rapport de synthèse, Bureau régional de l’UNESCO, Beyrouth, 2009, p. 20.

145 « les biens qui, à titre religieux ou profanes, sont désignés par chaque État comme étant d’importance pour l’archéologie, la préhistoire, l’histoire, la littérature, l’art ou la science, et qui appartiennent aux catégories ci- après : a) collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie d’anatomie ; objets présentant un intérêt paléontologique ; b) les biens concernant l’histoire, y compris l’histoire des sciences et des techniques, l’histoire militaire et sociale ainsi que la vie des dirigeants, penseurs, savants et artistes nationaux, et les événements d’importance nationale ; c) le produit des fouilles archéologiques (régulières et clandestines) et des découvertes archéologiques ; d) les éléments provenant du démembrement de monuments artistiques ou historiques et des sites archéologiques ; e) objets d’antiquité ayant plus de 100 ans d’âge, tels qu’inscriptions, monnaies et sceaux gravés ; f) le matériel ethnologique ; g) les biens d’intérêt artistique tels que : i) tableaux, peintures et dessins faits entièrement à la main sur tout support et en toutes matières (à l’exclusion des dessins industriels et des articles manufacturés à la main [sic]) ; ii) productions originales de l’art statutaire et de la sculpture en toutes matières ; iii) gravures, estampes et lithographies originales ; iv) assemblages et montages artistiques originaux, en toutes matières ; h) manuscrits rares et incunables, livres, documents et publications anciens d’intérêt spécial (historique, artistique, scientifique, littéraire, etc.) isolés ou en collections ; i) timbres-poste, timbres fiscaux et analogues, isolés ou en collections ; j) archives, y compris les archives phonographiques, photographiques et cinématographiques ; k) objets d’ameublement ayant plus de 100 ans d’âge et instruments de musique anciens. »

L’article L.111-9 du même code prohibe l’importation, l’exportation, le transit, la détention, la vente ou l’échange de biens présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique ayant quitté illicitement le territoire d’un État « dans les conditions fixées par une résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies adoptée en ce sens. »

L’article 419 du code des douanes répute d’importation en contrebande un bien culturel dont le détenteur n’est pas en mesure de fournir un justificatif d’origine ou produit des documents « faux, inexacts, incomplets ou inapplicables ».

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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