Chapitre 2 :

Les stratégies de la lutte contre la circulation illicite des patrimoines

La protection du patrimoine culturel doit être organisée pour être efficace, C’est dans cet esprit que les pays soucieux de leur patrimoine culturel, se doivent doter leur cadre institutionnel de structures ayant la compétence de veiller à la sauvegarder et la promotion de leurs biens culturels convoités, à la répression du trafic illicite ainsi qu’à leur retour éventuel.

Des structures dont la compétence pouvant aller de la simple prévention et la répression, d’où la coopération internationale en matière de prévention (Section 1), et la coopération en matière de répression (Section 2).

Section 1 : La coopération en matière de prévention

Le trafic illicite des biens culturels est forcément lié à une circulation internationale. La mise en place d’un cadre juridique est nécessaire mais pas suffisante. Afin de lutter efficacement contre ce phénomène, toutes les institutions doivent coopérer en effectuant eux-mêmes des contrôles. Ainsi dans ce cadre de prévention du trafic, nous avons pour une collaboration en matière douanière (§1) et la coopération entre les institutions culturelles et les professionnels du marché de l’art (§2).

Paragraphe 1 : La collaboration douanière

Lorsqu’il s’agit d’un crime transfrontalier, comme le vol ou l’exportation illicite, les biens culturels traversent nécessairement les frontières des États. Les douanes nationales sont donc des acteurs de premier plan, puisque que leur mission est, notamment, la surveillance du territoire. Cependant, leurs actions seraient considérablement affaiblies sans une coordination de leurs missions et actions au plan international. C’est le rôle de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD).

Crée en 1950, l’OMD rassemble aujourd’hui 182 Membres, venant de tous les continents. Sa mission est « d’assumer le rôle de chef de file et fournit des orientations et un appui aux administrations des douanes en vue de sécuriser et faciliter les échanges légitimes, d’assurer le recouvrement des recettes, de protéger la société et de renforcer les capacités ». Les actions de l’OMD sont donc variées, et concernant notamment la mise en place d’une coordination des actes dans la lutte contre la circulation illicite des patrimoines. Cette coordination est essentielle afin de réduire le nombre de biens circulant illicitement. L’OMD a d’ailleurs établi des partenariats avec différentes institutions et qui se sont conclus par des Protocoles d’accord avec le Secrétariat de la CITES et l’UNESCO112 .

Ces Protocoles d’accord prévoient notamment l’échange de renseignements entre les autorités douanières et les autorités compétentes gérant les conventions. L’utilisation des nouvelles technologies par l’OMD a d’ailleurs facilité les échanges d’informations à tous les niveaux, entre les différentes douanes et les autorités des conventions. Un système informatisé, Customs Enforcement Network Communication Platform (CEN), a ainsi été mis en place.

Cette interface disponible en continu, permet une communication en temps réel entre ces acteurs, notamment lors d’opérations. L’OMD, consciente de la spécificité des questions liées à l’environnement et au patrimoine culturel, a d’ailleurs prévu des applications spécifiques dans son système.

ENVIRONET est l’application mise en ligne afin de lutter contre les crimes environnementaux et l’un de ses objectifs est « d’échanger des renseignements sur les saisies et sur les éventuels trafics en cours »113 . Lors de la signature du Protocole d’accord entre l’OMD et la CITES114, en 1996, les deux parties ont souligné que seule « une coopération plus large entre les autorités chargées de la protection de la nature et les autorités douanières permettra d’accroître l’efficacité des contrôles douaniers dans les domaines couverts par la CITES ». Une application similaire a été mise en place concernant les biens culturels, ARCHEO. Cette plateforme sert aux professionnels pour la communication d’informations mais également pour faciliter l’identification et la vérification de la provenance des biens culturels. Cet outil facile la communication entre les douanes et les 140 experts, tels que les universitaires ou les organisations internationales comme l’UNESCO et UNIDROIT.

Enfin, faisant suite aux déclarations des Nations Unies et du Conseil de Sécurité, l’OMD a également adopté une Résolution en 2016 concernant les biens culturels. Il y a notamment reconnu le lien possible entre le trafic illicite des biens culturels avec le blanchiment d’argent, le terrorisme et d’autres activités criminelles115 . De ce fait, la lutte contre le trafic illicite des biens culturels est devenue une de ses priorités et encourage une utilisation plus large de certificats basés sur un modèle de certificat mis en place par l’UNESCO et l’OMD116 , et ce, afin de créer une norme unifiée et donc de faciliter le travail des douanes. Dans cette Résolution, l’OMD a aussi incité à l’utilisation d’ARCHEO afin d’identifier et vérifier les biens culturels.

112 Protocole d’accord entre l’OMD et l’UNESCO : http://www.wcoomd.org/media/wco/public/fr/pdf/aboutus/partners/mou/046_mou_fr.pdf?la=fr
113 http://www.wcoomd.org/-/media/wco/public/fr/pdf/topics/enforcement-and-compliance/activitiesandprogrammes/environmental-crime/environment/concept-note-fr.pdf?la=fr
114 http://www.wcoomd.org/-/media/wco/public/fr/pdf/about-us/partners/mou/034_mou_fr.pdf?la=fr
115 WCO (2016), Resolution of the Customs Co-Operation Council on the Role of Customs in Preventing Illicit Trafficking of Cultural Objects, Brussel, 2016, disponible en ligne : http://www.wcoomd.org/~/media/wco/public/global/pdf/aboutus/legalinstruments/resolutions/resolution_cultural-bjects.pdf?la=en,

En 2016, l’OMD a publié un rapport concernant la circulation illicite des biens117 , Illicite Trade report. Ce rapport fait un état des saisies effectuées par les douanes. Grâce à la coopération entre les différentes douanes, plus de 140 saisies ont été rapportées à l’OMD, ce qui a permis de confisquer plus de 8, 300 artefacts118 . Concernant, les biens naturels, plus de 2 200 saisies ont été rapportées à l’OMD119, la majorité de ces saisies concernait d’ailleurs des espèces protégées par l’Annexe II de la CITES (voir Image p. vi). Toujours dans son rapport, l’OMD souligne l’importance de cette coopération notamment en ce qui concerne le trafic d’ivoire.

L’utilisation de la plateforme électronique Elephant Trade Information System a permis aux douanes de saisir trois tonnes et demie d’ivoire camouflées par des bouteilles en plastique (voir Image p. vii). Cet outil informatisé est un exemple de l’efficacité de la coopération entre l’OMD et les organes de la CITES.

Grâce à une coopération entre les différents acteurs de la lutte contre le trafic illicite, l’OMD a lancé son « Manuel de formation sur la prévention du trafic illicite des biens cultuels » dit PITCH le 30 novembre 2018. Ce document sera distribué exclusivement aux participants des ateliers de formations qu’organise l’OMD. Consciente de la complexité et de la multitude de forme que peut prendre le trafic illicite, l’OMD a conçu ce manuel comme un outil « adaptable aux besoins de chaque région »120 . L’objectif principal de cet outil est de renforcer le travail des douanes sur le terrain.

Cependant, le manuel n’exclut pas le travail des autres acteurs, puisque certains modules seront « présentés [par] des par des experts de la communauté muséale, universitaire et de la recherche, ainsi que par des spécialistes issus des ministères de la Culture et de la police »121 . D’ailleurs, cette dernière joue un rôle incontestable dans le contrôle de la circulation des patrimoines.

116 http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/illicit-trafficking-of-cultural-property/legal-andpracticalinstruments/unesco-wco-model-export-certificate/

117 Rapport de 2016, publié en 2017 est disponible en ligne :

/media/wco/public/global/pdf/topics/enforcement-and-compliance/activities-andprogrammes/illicit-trade- report/itr-2016-en. PDF

118Illicite Trade Report, p. 8-9.

119Ibidem. p. 109.

120Idem.

Paragraphe 2 : La coopération entre les institutions culturelles et les professionnels du marché de l’art

Bien que les musées ou les marchands soit les « derniers maillons de la chaîne »122 , ils jouent un rôle important dans la sécurisation des transactions et donc de s’assurer de la provenance des biens qu’ils acquièrent, avant de les faire entrer dans leurs collections ou avant de les vendre.

Aujourd’hui, beaucoup de musées se retrouvent confrontés à des demandes de restitution ou de retour de biens culturels. Ces demandes concernent généralement des biens archéologiques, mais aussi, des biens obtenus pendant la période coloniale, ou durant la Seconde Guerre Mondiale. De plus, l’obligation de diligence requise posée par la Convention d’UNIDROIT a fait prendre conscience de l’importance de connaitre la provenance des biens culturels qu’il est possible d’acquérir sur le marché. Cette obligation, a fait évoluer les pratiques en lien avec le marché de l’art notamment. Les acheteurs doivent être vigilants sinon leur négligence pourra être sanctionnée par l’impossibilité d’indemnisation en cas de restitution ou de retour.

Depuis 1970, l’International Council of Museum (ICOM), se penche sur la question d’éthique en matière d’acquisition des collections. C’est durant cette même année, que l’ICOM publie « L’éthique des acquisitions », document qui servira plus tard lors de la rédaction du Code de déontologie de l’ICOM. Ces recommandations sont fondées sur un certain nombre de principes123 et notamment sur la nécessité de connaitre clairement la provenance du bien que le musée acquière, quelle que soit sa nature. Ainsi, ces principes ne concernent pas seulement le patrimoine culturel mais également le patrimoine naturel.

121Idem

122J.-C. Gandur, « Due diligence : Les derniers maillons de la chaine », Uniform Law Review, vol. 20, 2015, p. 652 123« Quelle que soit la spécialité ou la catégorie du musée, quel que soit le lieu où il se situe dans le monde, certains principes d’éthique et d’intégrité professionnelle doivent être appliqués par les personnes qui en ont la charge, en ce qui concerne les acquisitions. En bref, cela signifie que l’origine de tout objet à acquérir, quelle que soit sa nature, doit être complètement, clairement et correctement documentée. Cela est tout aussi important pour un objet du type généralement défini comme «artistique» que pour un objet relevant de l’archéologie, de l’ethnologie, de l’histoire et des sciences naturelles ».

Il faudra cependant attendre 1986, lors de la 15e Assemblée Générale, pour que l’ICOM adopte son Code de déontologie. Ce Code a pour but de « fixer les normes minimales de pratiques et de performances professionnelles pour les musées et leur personnel »124. Aujourd’hui le Code est en à sa quatrième version, et dès son article premier il est rappelé que « les musées sont responsables vis-à-vis du patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel […] [et] ont pour obligation première de protéger et de promouvoir ce patrimoine […] ».

Afin de protéger ce patrimoine, le Code de déontologie, prévoit un certain nombre d’obligations qu’ont les musées et notamment celle de faire preuve de diligence125 dans l’acquisition mais également dans la présentation d’un bien. Cette obligation de diligence requise a d’ailleurs été repris directement de la Convention d’UNIDROIT. Elle est aujourd’hui un élément important du Code de déontologie de l’ICOM.

Aujourd’hui de nombreux codes d’éthique, concernant notamment l’acquisition des biens par les musées ont été adopté126. Par exemple l’AAM (Association américaine des musées) a produit différents codes d’importance, comme le Code of Ethics for Museums (Code éthique pour les musées) ou encore les Guidelines on Exhibiting Borrowed Objects, (Principes sur l’exposition des objets empruntés).

L’action de l’ICOM dans le contrôle de la circulation des patrimoines ne s’arrête pas à l’adoption d’un Code de déontologie. L’ICOM est un acteur actif dans la lutte contre le trafic illicite des patrimoines. Il encourage la ratification des Conventions UNESCO et UNIDROIT, qui sont « les seuls outils juridiques internationaux existants pour lutter contre ces trafics »127.

L’ICOM a également mis en place des Listes Rouges où elle répertorie des biens culturels particulièrement victimes de pillages ou d’exportation illicite. C’est ainsi, qu’elle a mis en place une Liste rouge d’urgence des biens culturels syriens et iraquiens en péril. Ces Listes ont pour but d’aider les différents acteurs, c’est-à-dire, les négociants d’art, les institutions, les officiers de police ou encore les douanes, à repérer et identifier les objets syriens et iraquiens protégés par des législations nationales et internationales en matière de biens culturels.

125 L’ICOM définit cette obligation de diligence comme : « l’obligation de tout mettre en œuvre pour établir l’exposé des faits avant de décider d’une ligne de conduite à suivre, en particulier pour identifier la source et l’histoire d’un objet avant d’en accepter l’acquisition ou l’utilisation ».

126 Liste d’autres codes de déontologie existant : http://archives.icom.museum/other-codes_eng.html

127http://archives.icom.museum/measure_fr.html

Pour renforcer la lutte contre le trafic illicite, certaines parties à la Convention de 1970 ont mis en place des unités de répression qui coopèrent entre eux dans la protection du patrimoine culturel.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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