Fama, un prince déchu : conformisme fatal et chute inéluctable

Le conformisme tragique de Fama : un prince déchu face au monde moderne

Chapitre II : Le conformisme de Fama :

Ce chapitre concernera uniquement le personnage principal de Les soleils des indépendances. Parmi les causes de la chute des personnages, il y a le conformisme idéologique chez Fama, le prince déchu du Horodougou. Comme toute personne bien imprégnée de la tradition, Fama avait toujours des difficultés à s’adapter au nouveau monde (celui des indépendances) et malgré sa nouvelle vie dans la capitale de la Côte des Ebènes. Il s’est érigé en fin conservateur dans un monde qui n’est pas le sien et qui est en rupture de ban avec le passé.

Cette attitude de Fama va l’ouvrir la boite de Pandore partout où il sera. Il pensait pouvoir conserver ses privilèges de prince dans la capitale, mais il buta sur des obstacles prémonitoires de son déclin. Dans les deux sous-titres suivants, nous mettrons, dans le premier, l’accent sur les inconvénients de son inadaptation à la réalité de l’époqueet au second, il sera question de son voyage fatal, tremplin de toutes ses calamités.

1-2 L’inadaptation au nouveau monde :

Le prince héritier du Horodougou éprouvait beaucoup de difficultés à assumer son passage au nouveau monde. Mais le véritable enjeu de ce changement difficile pour Fama n’est pas seulement son malaise de quitter le monde traditionnel au profit du moderne, mais le refus symbolique du prince de digérer sa métamorphose de chef en subordonné. Le dernier et légitime descendant des Doumbouya s’obstine à vouloir maintenir ce qui est révolu et faire fi de ce qui est évident.

Ce comportement va apporter beaucoup d’ennuis au prince et confirmera ces propos de la psychologue, ANDERSEN, M. qui dit : « l’obstination est un entêtement qui épuise et occasionne des dégâts, tant sur autrui que sur soi-même » 24 .

Celle de Fama lui attira toutes les hostilités possibles avant d’entrainer ses prochains dedans. Cette liaison difficile de l’ancien monde et du nouveau, Fama le montrait à tout le monde à chaque occasion. C’est surtout lors de la rencontre des malinkés de la capitale autour des cérémonies de baptême ou de funérailles qu’il commence à s’agacer comme l’atteste ce passage : « Le griot continua à dire {…}, les princes du Horodougou avaient été associés avec les

24 Marie Andersen, L’art de se gâcher la vie.

Keita. Fama demanda au griot de se répéter {…}. D’un ton ferme, coléreux et indigné, Fama redemanda au griot de se répéter. » 25

Cela dit, Fama a pété le câble à l’idée d’être associé à quelqu’un dont il est opposé en totem. Alors son attitude pendant cette cérémonie montre qu’il n’est plus compatible avec le monde dans lequel il se trouve. Il a l’idée d’être un descendant légitime des Doumbouya, rois du Horodougou et en toutes circonstances, il a droit à un traitement de faveur. Mais durant toute cette cérémonie, les choses étaient à l’envers selon Fama et c’est à cause des indépendances. Celles-ci ont désordonné le déroulement de la vie au point que les fils d’esclaves peuvent maintenant diriger les nobles.

Et les recommandations de la tradition ne sont plus suivies à la lettre ; c’est cette inadvertance qui a poussé les maitres de la cérémonie à associer la part des Doumbouya et les Keita pourtant opposés dans leurs totems. Acte qui a heurté la sensibilité de Fama qui le trouve inconcevable et déshonorable envers sa dynastie. Voulant venger l’affront, il s’était en venu en mains avec le coupable avant d’être séparé par la foule.

En plus, c’est lors de son retour pour les obsèques de son cousin que Fama laissera voir son déphasage avec la réalité. Lorsque le décès de son cousin éloigné, Lacina, fut annoncé ; Fama entreprit de voyager sur le Horodougou pour participer aux obsèques du défunt. Il apporta en même temps les aides des autres malinkés habitant dans la capitale qui ne peuvent ou ne veulent pas effectuer le déplacement. C’est lors de ce voyage qu’il apparait que Fama est à des décennies de retard sur l’évolution du cours de la vie.

A la demande des agents du poste frontalier de présenter sa carte d’identité, il proféra toutes les vulgarités d’injurieuses contre ceux-ci avançant qu’il n’avait pas besoin de montrer un papier pour rentrer au Horodougou. Ici, le prince montre son mépris des nouvelles autorités des indépendances et fait fi de les reconnaitre comme l’atteste le passage suivant :

Là, Fama piqua le genre de colère qui bouche la gorge d’un serpent […]. Un bâtard, un vrai, un déhonté de rejeton de la forêt et d’une maman qui n’a surement connu ni la moindre bande de tissu, ni la dignité du mariage, debout sur ses deux testicules, sortir de sa bouche que Fama, étranger ne pouvait pas traverser sans carte d’identité ! Avez-vous bien entendu ? Fama étranger sur cette terre de Horodougou ! Fama le somma de se répéter. […] Fama éclata, injuria, hurla à ébranler tout le poste des douanes. 26

C’est sur le chemin, sa surprise fut grande lorsqu’un agent du poste de douane lui demande de présenter sa carte d’identité. Il l’injuria du père à la mère s’estimant être insulté par cet acte.

25Ahmadou Kourouma , Op.cit. note de bas de page 29, , p :13.

26Ibid., p :101.

Pour la simple raison que lui Fama, dernier et légitime descendant des Doumbouya et prince héritier, n’eut été la colonisation et les indépendances, à défaut d’être accueilli et escorté en héros dans son royaume, ne devait pas être soumis à de tels traitements. Chose que Fama ne digèrera jamais et continuera à braver les administrations. C’est ainsi que Fama traversa le poste pour enfin renouer la vie de son village natal et préparer les obsèques de son cousin comme il se doit. Dans cette tâche, il a été aidé sinon téléguidé par le féticheur Balla et le griot Djamourou.

Son refus de reconnaitre la légitimité des nouvelles autorités et son manque de respect envers elles lui attirent les colères de celles-ci et font de lui un adversaire à combattre. Tout comme les colonisateurs, Fama s’est mis sur la ligne de mire des autorités des « soleils » des indépendances à cause de son mauvais agissement. Ce mépris, il l’a pris à ses dépens, il est placé sur la liste des ennemis du pouvoir qui sont traités de réactionnaires dont les moindres faits et gestes sont scrutés par les autorités.

En réalité, Fama aurait dû bénéficier un peu de privilège en raison de son statut s’il ne s’était pas lui-même compliqué la tâche en bravant ouvertement les nouvelles autorités et les considérer comme « tous pourris ». Il ne les respecter jamais à l’occasion parce qu’il se croit toujours vêtit de ses habits de prince héritier. Sa rébellion contre les autorités et toutes les pratiques nouvelles l’ont coupé, l’ont esseule, du reste du monde. Difficile était pour lui de faire table rase de son passé glorieux pour un présent dépourvu de tout honneur. En fin de compte, c’est son refus de prendre conscience qui est à l’origine de ses désagréments.

2-2 Le voyage maléfique de Fama :

En dehors de son obstination de ne pas se rendre compte de la réalité du moment, Fama commit un autre péché, celui d’entreprendre un voyage qu’il n’aurait jamais dû faire tant ce déplacement était futile et néfaste. Mais la fatalité semble lui dicter ses lois, le personnage principal a un destin similaire à celui d’Adam (théorie de la consommation du fruit interdit par Dieu d’Adam et Eve). Son séjour au village pendant les obsèques de Lacina lui avait redonné le goût de la vie, il avait retrouvé le bonheur longtemps perdu et avait des conseillers pour guider ses pas. Mais le protagoniste a toujours emprunté le chemin qu’on lui a déconseillé, celui de l’égarement.

Après les funérailles du quarantième jour, venait maintenant la succession de Lacina. Sans faire trop de soubresauts, Fama fut intronisé comme le recommande les lois coutumières et selon l’ordre de la succession. Il hérita tous ceux que le défunt a laissés dernier lui (pouvoir, richesses et femmes), mais en réalité, Fama est tombé sur un royaume démuni par les durs « soleils » des indépendances. La pauvreté était le compagnon des gens du Horodougou, donc il lui manquait ce qu’il faut à un chef pour bien régner. Le seul bon butin de cette succession est peut-être Mariam, la plus jeune des veuves et la seule qui était encore féconde contrairement aux autres veuves et à la premièrement femme de Fama, Salimata, inféconde et stérile comme un caillou.

Malgré cette lueur d’espoir, le natif de Togobala décide de retourner dans la capitale informer Salimata et ses amis de la nouvelle puis faire ses bagages pour retourner définitivement à son fief et régner en roi. Dans les sociétés traditionnelles, un voyage n’est jamais entrepris par hasard ; il se prépare pour déjouer tous les éventuels désagréments au cours du chemin.

Pour le voyage de Fama, Balla le sorcier du village avait interrogé ses cauris ; le voyage s’est annoncé très maléfique même les sacrifices humains ne peuvent conjurer le malheur qui attend Fama. La seule solution, pour ne pas dire l’unique sacrifice salvateur, est de renoncer à ce voyage ; proposition que le protagoniste refusa catégoriquement comme l’atteste ce passage :

[…] le voyage de Fama dans la capitale (d’une lune dirait-il), son retour près de Salimata, de ses amis et connaissances pour leur apprendre son désir de vivre définitivement à Togobala […] était-il vraiment, vraiment nécessaire ? Non et non ! Car ce voyage de Fama portait un sort très maléfique […]. Balla l’a dit et redit. Fama a durcit les oreilles, il lui fallait partir. 27

Comme à son habitude, Fama n’accorde pas de crédit aux révélations du féticheur sur son voyage, un acte surprenant et étrange vu qu’il ressemblait à un conservateur. Il se fie à son instinct et décide de faire ce qui est nécessaire selon lui, laissant son griot pensif sur son sort et son devin convaincu de l’arrivée de la fin de son maitre.

En ignorant cette prédiction du sorcier Balla, Fama venait par-là de poser le jalon de sa propre décadence. Le féticheur avait une grande réputation dans son métier, personne n’avait vu le contraire d’une prévision de Balla et de surcroit concernant le sort du prince du Horodougou, Balla l’avait minutieusement fait. Ce voyage n’apportera que du malheur au dernier et légitime descendant des Doumbouya. Malgré l’insistance du maitre géomancien et du griot, le tout nouvel empereur refait ses bagages et reprend le chemin qui mène à la capitale de la côte des Ebènes.

Par ailleurs, cette coriacité du prince peut être interpréter comme un acte de défiance du savoir du sorcier. Dans les milieux bamanans et malinkés, les paroles qui sortent de la bouche d’un devin est comme parole de Dieu qui doit être suivie à la lettre. Celui qui prend l’audace de le consulter et de ne pas croire à ses révélations s’expose très souvent à ses représailles sans quoi les gens commenceront à douter de sa sagesse. Ça en faisait trop pour Fama, il le laisse partir et attendre puisqu’un adage populaire dit : « si tu ignores les conseils des gens, tu entendras tes propres conseils », tel sera le cas de Fama.

Dès son arrivée dans la capitale, Fama commence à rendre visite à ses anciens amis politiques, ses compagnons de l’époque anticolonialiste. Ils avaient rechargé leurs fusils d’épaules contre la mauvaise gouvernance des partis uniques alors que le pays couvrait une insurrection. Les rumeurs parlaient des complots, des grèves et les slogans

antigouvernementaux fusaient de partout. Fama et acolytes se mirent dans l’œil du cyclone. Le président et son parti unique qui gouvernaient avec une dent de fer se sentaient concernés et menacés par ces grognes populaires.

En conséquence, le gouvernement a procédé à des démarches nocturnes visant à anéantir les personnes suspectées d’inciter les citoyens à s’insurger. C’est de là qu’a commencé les représailles contre les opposants politiques. Tout cela devait alerter Fama sur ce qui se profilait à l’horizon, très naïf qu’il est, il continue à n’en tenir qu’à ses propres sentiments ; il ne change pas ses manières d’agir à fortiori de s’abstenir de la politique et malgré le constat dans ce passage:

Un conseil de ministre extraordinaire fut convoqué, délibéra tout l’après-midi et se termina par un grand festin à l’issue duquel quatre ministres furent appréhendés sur le perron du palais, ceinturés, menottés, et conduits en prison. Tout cela constituait des cris d’alarme que Fama aurait dû entendre ; il aurait dû retirer ses mains et pieds de la politique pour s’occuper des palabres de ses femmes. […] Fama continua pourtant à marcher de palabre en palabre, à courir saluer, la nuit, tel député, tel ministre et tel conseiller. 28

En dépit de l’épée de Damoclès qui pesait sur sa tête, Fama est resté indiffèrent aux manèges du gouvernement et ne donne pas d’importance à ce qui se tramait à leur encontre. D’autant plus qu’il a un problème conjugal plus sérieux et inquiétant, il intensifia ses activités politiques nocturnes. Il participait presque à toutes les réunions politiques ou palabres au cours desquelles, les sujets politiques brulants sont abordés, Fama en jouissait, en profitait et en faisait un prétexte ou moyen d’éviter de rentrer à la maison pour ne pas assister aux interminables querelles de ses deux femmes, Salimata et Mariam.

Au mépris de la disparition de trois de ses amis, il fait fi de la menace qui planait au- dessus de sa tête. Il n’en fait pas trop son affaire et continue à croire qu’appartenir à une suprême dynastie préserve les calamités des « soleils » des indépendances. Fama n’est pas du genre à faire ce que les autres font, agir et assurer ses arrières. Il se croit pressenti pour affronter n’importe quel danger et selon lui, un Doumbouya ne fuit jamais, donc pas question pour lui de déshonorer la dynastie malgré l’imminence du danger.

Il se vautre dans sa conception obsolète et absurde de la suprématie des Doumbouya. Ce qu’il ne comprenait pas, c’est que :

Ceux qu’on ceinturait ou qui disparaissaient dans les nuits n’étaient pas du même cercle de tam-tams que lui. Ils s’étaient tous enrichis avec l’indépendance, roulaient en voiture, dépensaient des billets de banque comme des feuilles mortes ramassées par terre […] Fama persistait et criait dans les palabres qu’il n’aurait de cesse tant que ses anciens amis ne seraient pas libérés. 29 ( p : 158)

Autrement, Fama s’enfonçait davantage dans les affaires politiques et n’ignorait pas que s’il n’était pas encore arrêté et incarcéré, ce serait de la chance ou les protections de Balla étaient encore efficaces. Les premiers arrêtés pesaient plus lourds que lui sur tous les plans, autrement dit, ils étaient des gros poissons et l’arrestation d’une petite carpe comme Fama n’était qu’une question de temps ou peut-être qu’il n’avait pas de poids aux yeux des auteurs de la cabale politique. Rien de cela n’éveille le soupçon du prince, il s’en glorifie et se croit offert un privilège de Dieu en raison de ses origines glorieuses.

Partout où il passait, il disait fièrement qu’il se battrait jusqu’à obtenir la libération de ses anciens amis ; pour ce faire il renoue sa ceinture pour mener ses démarches à ciel ouvert.

Finies les réunions secrètes et les démarches nocturnes en catimini. Fama frappait à toutes les portes pour solliciter l’aide et l’accompagnement et ne s’inquiétait pas si certains ne donnent pas de suite favorable à sa requête.

Cette ténacité le mettra dans la ligne de mire des autorités qui attendaient des prétextes pour sceller son sort. Il les leur a lui-même offerts par son imprudence ; il est traité de rebelle et est complice de ceux qui sont déjà aux arrêts. Puisqu’il s’exposait lui-même en levant le ton contre l’emprisonnement de ses amis ; son tour arriva : « Une nuit, alors qu’il sortait de la villa d’un ministre avec son ami Bakary, tous deux furent assaillis, terrassés, ceinturés, bousculés jusqu’à la présidence où on les poussa dans les caves » 30

Comme nous pouvons le constater dans le paragraphe ci-dessus, son sort est en phase d’être scellé, les autorités en avaient assez d’être narguées et défiées par un vulgaire homme arrogant. Elles l’ont appréhendé avec son ami Bakary et les ont envoyés chez ses amis qu’il cherchait. Et c’est de là qu’a commencé sa véritable descente en enfer.

29Ibid., p :158.

Des mesures drastiques et draconiennes furent adoptées par les geôliers pour éviter les tentatives d’évasions. Des tortures sans noms furent infligées aux détenus qui ne parvenaient plus à distinguer le jour de la nuit et vice-versa. Les jours leur paraissaient plus longs que les semaines et celles-ci plus longues que les mois. Aucun ancien détenu ne pouvait donner le moindre détail sur cette prison parce que tous y entrent et sortent mourants.

Le prince aurait pu s’éviter cette mésaventure à deux reprises, mais il ne suit que les conseils qui lui plaisent à l’oreille. Premièrement, l’annulation pure et simple du voyage lui avait été proposée ; il l’écarta. Et en deux, il avait été alerté dès son arrivée de la montée de la tension politique. Donc, le moindre geste imprudent peut attirer les ennuis. Il fait la sourde oreille et met la bouchée double dans ses activités politiques et en conséquence il est arrêté et incarcéré. En analysant l’attitude du protagoniste, il convient d’imputer son sort à la fatalité. Il semble suivre chemin déjà tracé.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Chute et désillusion dans Les Soleils des Indépendances et Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma
Université 🏫: Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako - Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage FLSL
Auteur·trice·s 🎓:
Fousseyni Mallé

Fousseyni Mallé
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master - Littératures et civilisations - Littérature africaine - 2021-2022
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