Chute et désillusion : 5 perspectives littéraires incontournables

Première partie : la revue de la littérature et la présentation du corpus

Cette partie du document consiste à évoquer les études précédentes sur la thématique « Chute et désillusion » dans un premier temps et en second temps, la présentation du corpus. Elle permettra de connaitre les contours du sujet et de bien l’aborder en une autre manière. Il est nécessaire de rappeler que nombreux sont les chercheurs qui ont porté leurs études sur la production littéraire de Kourouma. Seront mentionnés ceux dont les travaux font référence au thème du présent mémoire. Nous y parlerons également des travaux d’autres auteurs qui s’intéressent aux notions de chute et désillusion en dehors de l’œuvre d’Ahmadou Kourouma.

Cette première phase de ce travail constituera deux chapitres, un premier sera consacré au terme « chute » et aux études sur le terme « désillusion ». Les auteurs qui seront cités n’ont pas tous abordé les deux notions dans un même document raison pour laquelle on a choisi de traiter ce chapitre en deux temps. Et un deuxième qui consiste à présenter de façon générale les deux romans dans lesquels est tiré le thème d’étude.

Chapitre I : Revue de la littérature 1 :

Le thème de la chute :

En faisant une lecture sur les écrits des auteurs ayant abordé le terme de chute, il est évident de se rendre vite compte qu’ils ne l’abordent pas de la même façon. Les connotations qu’ils ont données à la notion varient d’un écrit à un autre et du domaine d’études, cela ne constitue pas un obstacle pour que l’on se propose de faire sur ces mêmes thèmes. Cela permet d’ailleurs d’avoir une large ouverture sur le sujet. Donc il est à retenir de ces études que la chute peut être considérée comme une fatalité, une modalité fondamentale de l’être humain ou une formalité.

1-1 Fatalité ou une modalité fondamentale de l’homme :

D’abord la chute est abordée par certains comme une fatalité. Dans ce cas, l’homme serait cet être errant dans la nature qui attend un ordre divin pour prendre le chemin de sa vie. Donc le chemin qu’il parcourt est indépendant de sa volonté puisque son itinéraire est déjà tracé par Dieu. C’est sous cet angle que Lara MAHFOUZ, dans son mémoire intitulé chute et transcendance dans le roman La fille d’Allah de Fayallah Haïk, aborde la notion de chute comme une fatalité. Son étude portant sur La fille d’Allah expose la situation de l’homme poursuivi par la fatalité, écrasé par la faute des pères. C’est de la même façon que Fama, personnage principal de Les soleils des indépendances, subit cette fatalité. En regardant l’itinéraire du personnage, il est évident de voir que tout ce que le personnage entreprenait l’entrainait vers sa chute.

Mais ici, il est perceptible que cet auteur ait une connotation religieuse du terme chute. Il l’évoque comme étant la résultante des mauvaises actions de l’homme comme le péché originel. Il apparait sur ce point que l’homme lui-même est l’artisan de cette fatalité. Ce mémoire constitue en quelque sorte une quête des origines, un questionnement sur Dieu, sur la religion, à travers la relation mystique avec la terre. Mais la fatalité qui pèse sur l’être humain guide immanquablement le personnage vers la chute et la déchéance.

De plus dans son article publié dans Revue Rue Descartes, Philippe Richard évoque la chute comme « une modalité fondamentale de l’être entre automouvement et capacité existentielle ». A la différence de l’auteur du mémoire susdit, Richard ne traite pas la chute comme étant les conséquences néfastes des mauvais actes des hommes, plutôt comme un processus à travers lequel l’homme découvre en lui le vide qu’il a et apprend à le combler. A ce propos, BERNANOS, G. dit ceci : « c’est du sentiment de sa propre impuissance que l’enfant tire humblement le principe même de sa joie », Richard se sert de cette citation pour appuyer sa thèse et soutient que ce qui arrive comme obstacle à l’homme durant son évolution doit lui permettre de combler un vide.

Pour ce faire, il s’inspire de la logique biblique de Genèse 2,7-8 selon laquelle l’être humain n’est pas au monde par malheur après être tombé de haut, mais qu’il est justement encore en train de tomber pour se construire et s’accomplir rythmiquement en son être. Dans ce cas, elle n’est pas un fait du hasard, c’est un fondement de l’être humain. Elle constitue une sorte d’épreuve que l’homme franchit pour se réaliser. La chute est, par conséquent, ce mouvement tout actuel résolument approprié à l’être et calqué sur ce vide qui se trouve ontologiquement logé au cœur de l’homme. Toute chute y compris en soi-même, est effectivement, et, avant tout, une question d’équilibre corporellement vécue.

Ensuite nous évoquons également l’article d’Oumar Guédalla, l’itinéraire spatial de Fama dans Les Soleils des Indépendances, dans lequel il compare le sort du personnage principal à celui d’Adam (le premier être humain crée par Dieu selon certains textes religieux musulmans). Il lui était prévu de vivre éternellement dans le bonheur, mais il a fait des actes qui étaient interdits commettant ainsi le péché originel. Pour cette imprudence, il fut banni du paradis et renvoyé vivre sur la terre en gagnant son pain à la sueur de son front. Il décrit un Fama au destin similaire à celui d’Adam, qui devait hériter du trône à la fin du règne de son père, mais le prince héritier rata cette occasion pour avoir montré ses muscles à l’administration coloniale.

L’étude de cette décadence de Fama laisse voir que le personnage principal est victime de la fatalité. Il était dans son destin de ne pas succéder à son père, cela pourrait signifier que le créateur ait fait de Fama un rebelle, réactionnaire qui refuse toute compromission avec le commis blanc qui a, finalement, offert la propriété de Fama à son cousin Lacina. Tout comme l’article susnommé, le héros est ici l’artisan de ce qui lui est arrivé. Fama erre dans la nature comme un héros adamique à la recherche de ses origines paradisiaques dans les différents espaces qu’il fréquente. Comme les causes de cette débandade du personnage principal, l’auteur aborde la colonisation comme la première bête noire de Fama dont il a vainement combattu.

10 Philippe Richard,De la chute dans l’existence à l’existence dans la chute, in revue Rue Descartes/2 numéro :34 pp :60-68.

11 Op.cit, (cité dans De la chute dans l’existence à l’existence dans la chute).

Sur ce point, Fama semble être l’artisan de sa propre déchéance. Son mépris envers l’administrateur colonial lui a privé la succession de son père et l’a condamné à vivre dans la bâtardise.

Mieux encore l’auteur désigne les indépendances comme mythème de décadence de Fama ; elles ont fragilisé les monarchies au moment où Fama succédait à Lacina. Les indépendances sont l’un des fruits du combat de Fama et acolytes, mais elles ont eu un effet boomerang pour des moins lettrés à l’instar du prince héritier du Horodougou. Cet article nous permet d’identifier l’impact de la colonisation sur le sort malheureux du prince héritier du Horodougou et les affres générées par les indépendances africaines.

2-1 Une formalité :

Nous acheminons avec l’aperçu sur la revue de la littérature du sujet d’étude sur cet article d’Idrissa Wattara qui traite la situation de Fama et Djigui comme l’échec d’une liaison : celle du monde d’hier et celui d’aujourd’hui. Dans cet article, il n’est pas clairement défini que cette débandade ressort de la fatalité ou du processus de fondement de l’être humain précédemment dit. Mais il décrit les personnages de Fama et Djigui comme l’incarnation d’une classe sociale, l’élite traditionnelle régnante mal barrée pour accueillir les bouleversements sociopolitiques nés de la colonisation et des indépendances.

Donc en analysant les causes de l’échec de cette transition, c’est-à-dire le passage de la féodalité au pouvoir politique, la culpabilité des protagonistes apparait. Et cela en raison de leurs attitudes et réactions faces aux réalités de la nouvelle ère venue. Les personnages sont victimes d’un hasard malheureux. Cet article tout comme les précédents comportent des éléments qui sont dans les questions de recherches et objectifs ; leurs exploitations permettront de bien cerner le débat. Il aborde le thème de la colonisation dans les deux romans que nous étudions, titré Monnè, Outrages et Défis, Les Soleils des Indépendances ou la poétique de la déconstruction et de la reconstruction culturelle.

Et enfin, nous achevons cette première partie de la revue de la littérature sur le thème de la chute en parlant de David Diop dans son article la conquête territoriale de l’Afrique par les Européens dans Monnè, Outrages et Défi d’Ahmadou Kourouma. C’est une analyse sur la résistance des africains à la pénétration coloniale qui a échoué pour de multiple raisons : entre autres le refus de l’union sacrée des résistants et les compromissions abominables qu’ils ont faites avec les envahisseurs. Dans cet article, la notion de chute est vue comme une formalité puisque les protagonistes ont été victimes de leurs mauvaises réactions.

Il y dresse le récit de la conquête coloniale en Afrique de l’ouest à travers le personnage de Djigui. Il ironise l’attitude de Djigui qui refusa d’exécuter l’ordre provenant de Samory de pratiquer la politique de la terre brulée et entreprit la construction d’une muraille qui ne résista pas aux forces du général Faidherbe qui conquirent Soba « sans coup férir ». Après cette première décadence, lorsque les envahisseurs ont assiégé Soba, Djigui coopéra avec les colons dans des compromissions qui précipiteront sa fin tragique. Cette collaboration est ici considérée comme la pire des erreurs du dignitaire de Soba. Cet article nous aidera beaucoup à entamer le chapitre sur la colonisation comme cause immédiate de la chute de la chute des personnages.

2 : La désillusion :

Le deuxième volet de la revue de la littérature est basé sur le deuxième élément du sujet d’étude « la désillusion », elle se définit comme la perte d’illusion ou encore la déception générée suite à la mauvaise tournure des évènements. Les articles qui seront abordés dans la partie ont traité cette notion comme l’opposition de l’aspiration de l’homme à la réalité des choses ou encore le désenchantement subi après avoir nourrit de convictions délirantes. Cette partie est traitée de façon univoque puisque les auteurs de référence évoqués ont presque la même connotation du terme.

1-2 : L’opposition des aspirations à la réalité :

C’est dans le même sens que nous mentionnons, en premier lieu, Mawuloe Koffi Kodah dans son article le pessimisme dans Les Soleils des Indépendances qui évoque le thème du pessimisme à travers le jeu des personnages du couple Fama/ Salimata, de Diamourou et de Balla son féticheur. Dans cet article il met l’accent sur la désillusion générée chez le personnage principal par les indépendances qui ont troqué le paradis terrestre promis contre l’enfer terrestre. Il le décrit comme un personnage bouleversé qui assiste impuissamment à la tournure contre volonté des évènements. C’est-à-dire les déceptions des nouvelles autorités et la trahison de ces dernières créent ce pessimisme. L’auteur de cet article s’appuie d’entrée sur cette citation de l’essayiste béninois, MIDIOHOUANi, O. qui dit ceci :

Avec le ‘départ’ des colons, on crut un moment qu’une ère nouvelle s’ouvrait pour l’Afrique qui allait voir l’amélioration du sort de son peuple. Mais très vite l’enthousiasme et l’espoir furent dissipés par une amère désillusion portée par un vent de désarroi. Le jour neuf qu’on attendait enfanta martyre et tourment et révéla la réalité à la fois tragique et tératologique des Soleils des Indépendances.

Dans ce passage, l’essayiste porte sa critique sur la déception causée par les indépendances africaines. Les indépendantistes ont dirigé au détriment de leurs peuples d’où le regret de l’Africain pour avoir tant dansé et chanté pour accueillir les indépendances. Et comme le dit le dicton devenu célèbre, « l’éléphant annoncé est arrivé avec un pied

cassé »[puisque le sort de l’Africain aux soleils des indépendances ne demeure pas différent de celui pendant la colonisation]. Dans cet article, le personnage principal, Fama, est au centre de l’étude du pessimisme. Tout comme beaucoup d’autres articles susdits, la désillusion aboutit ici à la chute du personnage principal symbolisant l’image d’une Afrique noire au lendemain des indépendances.

12 Midiohouani Ossito, L’idéologie dans la littérature négro-africained’expression française P :207.

13Dicton populaire pour exprimer une grande déception.

2-2 Nourrir de convictions délirantes :

De plus, article intitulé L’illusion, la désillusion et la déliquescence : Essai d’analyse de Maïmouna d’Abdoulaye Sadji de Marcel Nouago Njeukan évoque la notion de désillusion comme étant l’état d’une personne qui se trouve face à des réalités qui le dépassent ; des réalités injustifiées et mystérieuses qui manquent d’explication à cause de la tournure des évènements. Cet article comme celui susmentionné analyse la situation du personnage principal du roman qui se lance dans des projets délirants.

Le personnage éponyme Maïmouna, une villageoise, se laisse séduire par le mirage de la ville pour laquelle elle nourrit une grande envie de découvrir et y mener une vie de citadin. Mais lorsqu’elle atterrit en ville et commença son intégration qu’elle a eu beaucoup de mal à s’adapter au nouveau monde. Le personnage principal finit par le prendre en ses dépens au point d’être déçue et dégoutée de la ville dakaroise et fut obligée de retourner vivre au village avec autant d’amertume qu’elle n’avait à sa venue dans la capitale.

La désillusion est le reflet de l’homme en état de déception devant les réalités de l’existence et le personnage de Maïmouna tout comme Djigui et Fama en sont une parfaite illustration car, ils ont tous vécu un scénario pareil. Elle résulte aussi du fait de développer une conviction délirante, autrement avoir des prétentions démesurées au-delà de toutes les possibilités. Tout manquement à cette attente peut créer chez l’homme une grande désillusion. Donc, en observant de près le chemin parcouru par Maïmouna, nous nous rendons compte qu’elle a fait les frais de son arrivisme et de son utopie.

De plus, nous évoquons aussi l’article intitulé Entre l’idéal et la désillusion : le rapport au travail de jeunes praticiennes de Viviane Porte Bois qui traite la problématique de désillusion dans le même sens que l’article précédent. Il y évoque le problème de jeunes chercheures et cliniciennes ayant accumulé moins de dix années de pratique. Cet article stipule que les jeunes concernées par l’entrevue ont eu une grande désillusion en raison de la réalité sur le marché de l’emploi. Il précise que la formation que les jeunes ont reçu durant leurs circuits universitaires et le stage qu’ils ont fait ne répondent pas aux offres d’emploi.

Alors, la synthèse de cette entrevue montre une certaine désillusion de ces jeunes que l’auteur définit comme « aspirations versus réalités ». En effet, ces jeunes ne trouvent pas sur le marché de l’emploi les métiers pour lesquels elles ont été formées durant leur circuit universitaire et la désillusion s’installe chez elles quant à la possibilité d’orienter leur carrière selon leurs aspirations.

Dans cette partie, mention est également faite à la thèse Dissonance, malaise et violence postindépendance dans la littérature africaine anglophone : Du désenchantement à la déchéance ? soutenue par Etsè Awitor. Dans cette thèse il est question de chute et de désillusion, mais l’auteur traite l’un comme étant la cause de l’autre. Ce qui fait sortir le thème de « chute » du contexte de la fatalité et de fondement de l’homme, mais comme une formalité. L’auteur y évoque la période postindépendance de certains Etats africains, cette période est un moment de grande désillusion qu’il définit comme la perte des illusions.

Ainsi, il met l’accent sur la fourberie des chefs d’Etats africains des indépendances. Les indépendances acquises, les premiers chefs d’Etats ont trahi la mission qui leur était confiée ; ils ont confondu leurs proches au trésor public ainsi « la montagne a accouché d’une souris », les attentes de l’africain demeurent toujours sans réponses adéquates et l’espoir d’une Afrique souveraine et conviviale se dissipe au fil du temps.

Cette trahison de l’élite africaine a suscité le sentiment de rupture et de méfiance chez les citoyens africains qui n’ont pas tardé à s’insurger. La chute était donc palpable pour ces chefs d’Etats qui ont dû s’attendre aux révoltes populaires. Dans son introduction générale, l’auteur parle de la chute comme formalité puisqu’elle découle ici de la grande désillusion.

Et en dernier point de la revue de la littérature, l’accent est mis sur le titre Illusion et désillusion dans l’Emigré de Sénac de Meilhan, dont l’auteur est Laforge François qui considéré le roman « l’Emigré » comme un roman de la désillusion. Dans cet article, il met d’abord l’accent sur la réalité qui est, selon lui, une apparence et faux-semblant. Pour lui, c’est la réalité elle-même qui est trompeuse et est à l’origine de tous les désagréments ; elle n’est pas ce qu’elle parait et n’offre jamais ce qu’elle promet. Elle n’a rien de ce qu’elle ressemble. Elle met l’homme dans l’état de force, capable de réaliser ce qu’il envisage, mais en fin de compte l’homme se rend compte de l’impossibilité de ses ambitions.

Et quant à la désillusion, elle est celle qui n’aboutit pas à la cette réalité, mais reconduit à de nouveaux faux-semblants et tout y passe comme si le réel demeurait indicible et hors de portée du langage. Cet auteur soutient que la désillusion elle aussi ne nous rend pas compte de la réalité, mais crée d’autres fausses illusions et fait de la réalité incompréhensive et insaisissable.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Chute et désillusion dans Les Soleils des Indépendances et Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma
Université 🏫: Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako - Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage FLSL
Auteur·trice·s 🎓:
Fousseyni Mallé

Fousseyni Mallé
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master - Littératures et civilisations - Littérature africaine - 2021-2022
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