Deux romans, une chute : les paradoxes de l’indépendance africaine

Chapitre II : Présentation du corpus

Dans cette rubrique, nous allons présenter les deux romans de KOUROUMA, A. qui constituent notre corpus. Il y a vingt ans d’écart entre les dates de publication de ces ouvrages, mais cela n’enlève rien en la similitude de l’intrigue des deux ouvrages et la continuité de l’histoire du premier dans le deuxième.

Cependant il y a une certaine ambiguïté chronologique des faits racontés dans ces romans. Il est de constater que le début de l’histoire du deuxième roman est antérieur à celui du premier, mais cela n’affecte pas à ce qu’ils aient en commun la thématique « chute et désillusion », sujet de la présente recherche. Le chapitre comporte deux sous-titres dont un par roman.

: Les soleils des indépendances (1970)

Ce roman est la première production romanesque d’Ahmadou Kourouma. Il a fait polémique à cause de l’engagement politique dont il faisait preuve et en raison des sujets abordés. Il a défrayé la chronique dès sa première parution, les critiques sont allés dans différentes directions. L’univers de ce roman met les lecteurs au milieu d’une période bien déterminée de l’histoire du continent africain, l’occupation coloniale et l’avènement des indépendances en Afrique. Ceux deux axes constituent l’intrigue même du roman.

Premièrement la colonisation ; l’auteur met sur scène les habitants du royaume de Horodougou aux prises avec leurs nouveaux alliés. Comme nous le savons, ce phénomène était un détachement de force militaire des puissances métropolitaines dans les colonies pour imposer sa domination. Le but de la mission était de civiliser les noirs, disaient-ils à leurs victimes. Dans le royaume imaginaire du Horodougou, le doute et la méfiance se sont vite installés lorsque le Blanc a entrepris plusieurs projets qui n’ont rien à voir avec la prétendue civilisation.

Pour mener à bien son projet, il fallait l’adhésion des notables de la ville pour sa validité. Mais Fama, personnage principal et héritier légitime du trône s’est montré très sceptique. En adoptant cette posture, il s’est déclaré ennemi de l’entreprise impérialiste. En conséquence, l’administrateur colonial lui a défavorisé à la succession de son père au profit de son cousin Lacina. Ce scepticisme du prince aurait apporté un coup dur au manège colonialiste si toute fois beaucoup de citoyens venaient de côtoyer le point de vue de l’insoumis.

Après ce premier revers, Fama et d’autres notables victimes du commis blanc, ont dû quitter le royaume pour éviter l’humiliation. Privé des privilèges que lui octroyait la royauté, il se lance dans le négoce dans la capitale des Ebènes pour subvenir à ses besoins. En parallèle de son nouvel emploi, il s’activait aux côtés de ceux qui combattaient la colonisation. Ces luttes ne sont pas restées infructueuses puisque les indépendances tomberont plus tard sur l’Afrique comme une nuée de tourterelles. Toutes les victimes du système colonial savourent joyeusement la venue de la nouvelle ère, mais le l’inattendu sort réservé aux citoyens par les nouveaux dirigeants constitue le second axe de ce roman.

Deuxièmement les citoyens sous l’égide des autorités indépendantistes. Après l’acquisition des indépendances, le quotidien des indigènes ne demeure pas moins différent que pendant la colonisation. La justice pour tous, l’égalité et la liberté promises pour la nouvelle ère ont été un privilège pour ceux qui tirent les rênes du pouvoir. Et aux autres membres de la société, la résignation et les dures corvées ou la prison. Les gens nourrissent de remords d’avoir lutté pour les indépendances qui ont périclité le négoce et mis fin au pouvoir féodal.

Dans les communautés malinkés, les activités les plus prolifiques étaient la guerre et le commerce, mais les autorités politiques ont amené la coopérative pour monopoliser l’économie. Par conséquent, de nombreuses personnes ont vu leurs activités périrent au profit d’un système de vampirisme des leaders du parti unique. A cela, s’ajoute la désacralisation de l’autorité traditionnelle par le nouveau pouvoir. Tout comme le système colonial, les « soleils des indépendances » ont aussi dévié la trajectoire qu’ils s’étaient prescrite. La déception est devenue palpable. Et en toute logique, il y’a eu rupture de ban entre dirigeants et populations.

: Monnè, outrages et défis (1990)

Vingt ans après le succès de « Les soleils des indépendances », Kourouma fait un retour fracassant sur la scène littéraire avec un deuxième roman qui dépeint la pénétration française en Afrique. Il décrit la ville fictive de Soba, fief des Keita dont le souverain est Djigui. Au moment que les habitants de ce royaume mandingue préparaient les sacrifices pour la pérennité de la dynastie du roi, ils reçurent un émissaire de l’empereur du Wassouloukè (qui est de Wassoulou), Samory Touré, qui leur prévint de l’avancée des blancs et de prendre des précautions adéquates. Le toucouleur avait proposé la tactique de reculer pour mieux attaquer. Cette proposition fut rejetée par le roi Djigui qui croyait à la capacité des siens pour opposer une résistance implacable.

Par ailleurs, il ordonna la construction d’un mur qui fut faite avec les meilleurs soins ; cette citadelle était censée être capable de stopper les troupes françaises. Le griot du Wassouloukè 14 qui assistait à cette mise en scène des gens de Soba était stupéfait et tenta une dernière fois de dissuader Djigui. Celui-ci resta ferme sur sa position et n’attendait que l’arrivée des colonnes françaises pour en découdre avec elles. Quand l’armée du général Faidherbe, commandant de la troupe coloniale, envahit l’entrée de Soba, le commandant propose l’armistice à Djigui dans l’optique d’éviter des pertes en vie humaine. Le roi opta pour l’affrontement, mais ses guerriers furent maitrisés en une fraction de seconde par les soldats français. Le Blanc s’empara du royaume et dicta ses lois sur tout Soba.

Quant au sort du roi après la prise de sa ville, il fut obligé de se lancer dans une collaboration compromettante avec les envahisseurs afin d’assurer sa survie. Il garda son titre honorifique de roi sans être accrédité de prendre une décision unilatérale. Dans ce partenariat, il devait soutirer aux villageois les ressources nécessaires : matérielles et humaines pour la réalisation des innombrables projets du Blanc. Cet acte a été considéré comme une trahison du dignitaire envers son peuple, du coup; il perdit leurs sympathies. Après avoir soumis ses concitoyens aux travaux forcés, il cautionna leur enrôlement dans l’armée française pour combattre l’Allemagne. En guise de récompense pour la contribution, on octroya l’indépendance aux indigènes.

Maintenant place aux festins de joie et de danse dans tout le royaume pour accueillir les indépendances tant souhaitées. Cette nouvelle ère est venue avec ses structures sociales qui ont complètement bouleversé les lois coutumières. Cette liberté était multidimensionnelle, elle rimait avec la fin de l’esclavage, de l’autorité parentale et de toutes les pratiques de privilèges dans la société ; autrement dit les cartes furent redistribuées.

14 Un habitant du Wassoulou ou encore l’autre appellation de Samory.

Quand la députation arriva, le souverain la juge déshonorable pour les Keita et refuse de se porter candidat. Mais il plaça sa confiance à l’un des prétendants, allié de son fils aîné et adversaire de son autre fils Béma. Cela créera la tension entre le roi et Béma et une farouche rivalité fraternelle qui aboutira à une guerre civile entre partisans des deux camps. Comble de l’ironie, les candidats ayant bénéficié l’appui du centenaire se sont montrés ingrats après leur ascension politique. Ils ignorèrent le vieillard et ses sujets et s’occupèrent du développement de leurs seules tribus. Il se tord de remords d’avoir fait confiance à un étranger au détriment de son fils et s’est retiré dans le Bolloda 15 à contempler les multiples « monnèw » qu’il vient de cumuler.

Afin de venger la partialité de son père, Béma, qui ne digérait toujours pas sa défaite, complota avec le nouveau commandant dans le dos de Djigui. Ils font parvenir au gouverneur de la colonie la lettre de démission du roi du parti communiste et avaient apporté au vieillard l’accusé de réception et de remerciement du gouverneur. A la suite de cet affront, Djigui décide de désacraliser le pouvoir de Béma en effectuant le fameux voyage (voyage prémonitoire du déclin de la dynastie des Keita) à Toukoro, l’origine des Keita. C’est sur ce chemin qu’il se donna la mort lorsque sa monture refusa de quitter le territoire de Soba. Ainsi, la ville plombe dans l’anarchie totale. A l’instar de la colonisation qui a déchu le pouvoir royal, les indépendances ont aussi apporté leurs lots de déception chez les indigènes.

15Vestibule, symbole et siège du pouvoir traditionnel.

En fin de cette partie consacrée à la revue littéraire sur le thème du mémoire et à la présentation du corpus, il est à remarquer que les études précédentes abordent différemment les notions de « chute » et « désillusion ». Et la dernière rubrique permet de placer le lecteur au centre de l’histoire des romans afin de les aider à faire le lien avec le thème. Nous constatons que les deux romans ont en commun d’une part l’agression coloniale et d’autre part les conséquences néfastes des indépendances.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Chute et désillusion dans Les Soleils des Indépendances et Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma
Université 🏫: Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako - Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage FLSL
Auteur·trice·s 🎓:
Fousseyni Mallé

Fousseyni Mallé
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master - Littératures et civilisations - Littérature africaine - 2021-2022
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