L’orgueil fatal de Djigui : un roi face à l’intransigeance historique

Chapitre III : L’intransigeance du roi Djigui :

Tout comme Fama, le roi Djigui, personnage central de Monnè, outrages et défis, avait ses propres défauts. C’est un musulman, mais à l’instar de tous les malinkés de l’époque, il faisait recours aux fétiches dans le besoin. Il était imbu de sa personne et comptait sur la protection des sortilèges du village pour contrecarrer tous les dangers. Cette croyance absurde aux divinités l’empêche de faire le nécessaire quand il le faut ; il prend rarement des initiatives sauf si les sacrifices deviennent vains.

À la manière des précédents, ce chapitre sera traité en deux sous-titres dont le premier sera consacré à l’orgueil de Djigui ; cette fierté du roi impactera négativement ses décisions. Le deuxième mettra au point son altruisme excessif qui le fait périr pour la cause des autres.

L’exemple de l’hospitalité et la protection offertes à Yacouba, le marabout, fera l’objet de ce volet.

1-3 Un roi orgueilleux :

L’un des plus grands défauts du centenaire est son orgueil démesuré qui l’empêche à faire des concessions quand il le faut. Cette attitude va lui causer beaucoup de torts durant la résistance coloniale. Il avait appris l’avancée des troupes coloniales sur les grands empereurs du Mandingue dont Samory, le plus puissant et craint de tous. De quoi faire pour éviter la surprise et débâcle infligées aux autres rois, il ne s’est pas préparé en fonction des renseignements donnés par le résistant toucouleur qui les avait défaites sur quelques fronts.

Avant de perdre tout contrôle, celui-ci avait un établi un plan que nous appelons la « tactique de la terre brulée » et projetait de le faire respecter par les autres royaumes dans l’optique de faire front commun contre les agresseurs. Le message transmis à Djigui par le griot de l’empereur de tout le Manding est le suivant :

L’Almamy Samory commande à tous les rois du Mandingue de se replier sur le Djimini. Face à certains affronts venant d’incirconcis, il faut comme le bélier, reculer avant d’asséner le coup définitif. Tous nos peuples doivent déménager, tous : Sénoufos, Bambaras, Malinkés. Les toits seront incendiés, les murs abattus. Ces païens d’incirconcis conquerront les terres sans vie, sans grains, sans eaux, sans le plus petit duvet d’un petit poussin et sauront que nous sommes une race sur la croupe de laquelle jamais ne sera portée une main étrangère. 31

31Op.cit., Monnè, Outrages et Défis, p :31.

Lorsque le griot de Samory vient annoncer au roi de Soba la défaite de l’armée de ce dernier face aux forces coloniales et lui demande, au nom de son maitre, d’évacuer son royaume, il renonça à cette tactique. Par conséquent, il s’adonne aux sacrifices pour la pérennisation de son pouvoir, ensuite Djigui ordonna la construction de la tata (un mur) qui, selon lui, empêchera l’invasion de l’armée du général Faidherbe.

L'orgueil fatal de Djigui : un roi face à l'intransigeance historique

En fait, quand Samory fut défait par les envahisseurs coloniaux, il dépêcha son griot d’aller prévenir Djigui pour que ce dernier se prépare en conséquence. Cette coalition aurait donné plus de solidité à la résistance africaine, mais l’envie a empêché les autres chefs de guerre de faire allégeance à Samory. La réaction du souverain de Soba surprendra bon nombre de personnes lorsqu’il conduira le messager autour de sa construction : « Admirez cette tata ! il entourera la capitale, sauf du côté de la montagne sur laquelle ont été enterrés les sortilèges qui interdisent le passage à tout envahisseur. » 32

Voilà la réponse de Djigui après l’annonce du danger imminent, malgré l’exploit des troupes françaises de vaincre le puissant résistant Samory ; il ne laisse paraître le moindre signe d’inquiétude. Il décide de rester et d’entendre que les agresseurs arrivent pour riposter. Et le seul acte concret de résistance était la réalisation de la muraille supposée empêcher l’invasion de l’armée du général Faidherbe. L’option proposée par le toucouleur, reculer pour bien assener, fut totalement rejetée par le dignitaire de Soba qui avait son propre plan.

Mais ce projet absurde avait une faille ; tout Soba n’était pas entouré par ce fameux mur, une des entrées du royaume, vers la colline Kouroufi où sont enterrés les sortilèges, était censée être infranchissable par n’importe quel envahisseur, donc cette partie de la ville était libre. Pour être sûr de la sécurité et la ténacité du mur, le roi a déployé la quasi-totalité des ressources de son royaume dans la construction de cette gigantesque tata qui s’annonce utopique aux yeux de Kindia Mory Diabaté, griot de Samory. Celui-ci tenta à nouveau de persuader le centenaire sur la puissance des français, mais il demeure intransigeant.

Cependant, il refusa même d’écouter les conseils du griot qui a vu les blancs vaincre Samory par la poudre et comptait sur la pérennité de la dynastie des Keita. Il montra son non catégorique et, de façon narcissique, mandata le griot d’aller dire à Samory qu’ils ont déjà vaincu les colonnes de Fadraba (mauvaise prononciation de Faidherbe par les indigènes). Il n’accorde aucune importance à l’alerte donnée par Samory et reste campé sur sa position initiale qui est de délivrer un combat singulier avec les envahisseurs.

Il croyait éperdument à la capacité de ses guerriers qu’il avait déjà « vendu la peau du l’ours avant de l’avoir rencontré à fortiori de le tuer ». Alors pour montrer au griot de Samory qu’il n’allait pas coopérer, il parla fièrement sur le ton suivant : « Retourne annoncer à Samory que ceux de Soba vaincront les païens ; que tu nous a vus les défaire » 33

Malgré les commentaires du griot sur l’efficacité des soldats français, le roi Djigui « durcit les oreilles » et finit par demander à son hôte de prendre congé et d’aller dire à son maitre (Samory) qu’il a vu les gens de Soba se défaire des envahisseurs blancs. Il ridiculisa même le griot en disant que celui-ci aurait trop bu pour louer ainsi la puissance des païens ou il est dans l’attitude des griots d’ajouter leurs parts à tout ce qu’ils rapportent, donc celui de Samory n’en fait pas exception.

C’est paroles de griot, il y’a surement de l’exagération pense-t-il. Cette démarche dénote son orgueil démesuré et le pousse à signifier un accusé de non réception de respecter les recommandations du Wassouloukè, pourtant réputé d’être un bon stratège de guerre. Les conséquences de ce refus de suivre les directives du roi toucouleur furent immédiates.

Alors, quelques jours plus tard les troupes coloniales ont commencé à caracoler autour de la tata avant de pénétrer, en si peu de temps, Soba au niveau de la colline Kouroufi, lieu protégé par les sortilèges supposés stopper l’avancée des blancs selon Djigui. Ni la tata ni les sortilèges n’ont rien pu contre les toubabs qui ont assiégé Soba « sans coup férir ». Quand il fut informé de l’arrivée des blancs, il se précipita d’aller à leur rencontre.

Le commandant de la troupe avait au sein de son armée un noir instruit, du nom de Soumaré, qui lui servait de traducteur. Ce dernier proposa à Djigui, au nom de son chef, d’éviter tout affrontement avec le Blanc et d’accepter la cohabitation. Cette proposition fut, illico facto, rejetée par le centenaire qui veut aller à la guerre. Le roi de Soba rétorqua et du coup, lança le défi au blanc en ces termes : « Répète au Blanc que je le défie ; je le défie ; le défie trois fois. Adjure-le qu’en male dont l’entrejambe sexuée avec du rigide […]. Nous les vaincrons malgré leurs canons.» 34

Nonobstant la capacité des envahisseurs de franchir la tata sans difficulté et encercler les troupes de Djigui, celui-ci ne fait montre aucun signe d’inquiétude et d’impuissance. Il jeta le défi en pleine figure des blancs par l’intermédiaire de l’interprète Soumaré qui lui en dissuada vainement.

33 Ibid., p : 34.

Il est très important de mentionner que Soumaré avait une bonne volonté d’épargner le roi des ennuis ; il ne traduisait pas les propos offensifs et jouait à l’apaisement, mais le roi ne se montre pas paisible et coopérant. Il se vanta, loua sa masculinité et se dit capable de tenir tête à la colonne française malgré leur arsenal de guerre.

Bien vrai qu’un un homme ne se laisse pas prendre comme une poule, Djigui savait ce que l’histoire aurait retenu de lui dans le cas échéant, mais il devait se rappeler cet adage bamanan qui dit littéralement : « les yeux ne prennent pas un fardeau, mais reconnaissent quand- même un objet lourd » 35 .

35 Avertissement que l’on dit à quelqu’un qui refuse de reconnaitre l’évidence d’un fait.

Autrement dit, l’homme reconnait le défi qu’il peut relever en faisant un simple constat sans même entreprendre. Pour nous dire que le roi devait prendre conscience de la supériorité du blanc en évaluant seulement leurs équipements de combat et trouver une autre issue moins défavorable. Il se fie uniquement à son instinct qui ne lui dicte que des projets suicidaires.

C’est pourquoi, il voulait tester son armée contre celle du Blanc, mais celle-ci maitrisa la sienne en une fraction de seconde. Il est obligé de reconnaitre son incapacité et l’inefficacité de ses sortilèges face à l’envahisseur. Au lieu de trouver un bon compromis avec les païens pour éviter une probable humiliation, il s’est entêté à livrer une bataille dont il ignore l’issue. Son armée a été vaincue et le roi fut considéré comme captif de guerre qui sera désormais à la merci des vainqueurs. Mais il a bénéficié dans un premier temps le privilège de conserver son titre honorifique de roi sans jamais exercer d’autorités sur qui que ce soit avant d’être totalement éjecté pour une autre raison qui sera évoqué dans le paragraphe suivant.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Chute et désillusion dans Les Soleils des Indépendances et Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma
Université 🏫: Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako - Faculté des Lettres, des Langues et des Sciences du Langage FLSL
Auteur·trice·s 🎓:
Fousseyni Mallé

Fousseyni Mallé
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master - Littératures et civilisations - Littérature africaine - 2021-2022
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