Université Clermont Auvergne

École de droit

Master 2 Droit public approfondi
Les droits des peuples autochtones sous le nouveau constitutionnalisme latinoaméricain en Bolivie et en équateur

Mémoire en vue de l’obtention de Master en Droit Public mention Carrières Publiques

Les droits des peuples autochtones sous le nouveau constitutionnalisme latinoa-méricain en Bolivie et en équateur

Présenté et soutenu par
Thayenne GOUVÊA DE MENDONÇA

Sous la direction de
Madame la Professeure Marie-Elisabeth BAUDOIN

Année universitaire
2021-2022

Membres du jury :
Marie-Elisabeth BAUDOIN, professeure à l’École de Droit de Clermont-Ferrand
Anne JACQUEMET-GAUCHÉ, professeure à l’École de Droit de Clermont-Ferrand

 

Dans le monde occidental, l’unité est un, tout vaut un, tout est un.

C’est à cause de cette façon de voir les choses qu’existe l’individualisme, la compétition individuelle.

Dans le monde andin, l’unité n’est pas un, l’unité est deux, tout vaut deux, tout est paire, c’est le monde de la dualité, de la complémentarité et depuis de cette logique se structure notre société.

Dans le monde occidental, l’homme est sur la terre, de là est née la conception que l’homme est séparable de la terre. Selon lui, il peut vendre la terre, l’aliéner, l’empoisonner ou la tuer ; cela n’a pas d’importance, car elle ne fait pas partie de lui.

Dans le monde andin, l’homme n’est pas sur la terre, l’homme fait partie de la terre. Il ne peut pas vendre la terre, la louer ou la tuer parce que la terre est sa mère et que nous sommes la terre elle-même.

Dans le monde occidental, le futur est en avant, en avant, toujours en avant, la science, la technologie, jusqu’à la bombe atomique et la destruction du monde.

Pour le monde andin, le futur n’est pas en avant, le futur est en arrière, le futur est dans notre histoire, dans nos racines, dans notre identité. Un peuple qui n’a pas d’histoire est un peuple qui n’existe pas.

Félix Cárdenas Aguilar

Remerciements

 

Introduction

Récemment, en Amérique latine, nous avons connu des progrès en matière de reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones. Cette reconnaissance, à la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle, va plus loin avec le développement d’une nouvelle théorie constitutionnelle que nous appelons Nouveau constitutionnalisme latino-américain (NCL).

Ce constitutionnalisme se développe à partir de la réalité sociale des peuples autochtones de la région andine et avec leur participation active à son élaboration, contrairement à d’autres constitutionnalismes, qui se sont développés seulement à partir du travail des juristes et à travers les représentants du peuple.

Avec le développement du NCL dans les constitutions de la Bolivie et de l’Équateur, les peuples autochtones ne font plus l’objet d’une simple reconnaissance constitutionnelle, comme on le voit dans les pays voisins.

Il y a dorénavant bien plus que l’élargissement de leurs droits et garanties par les nouvelles constitutions.

Désormais, les États du troisième cycle du NCL (Nouveau constitutionnalisme latino-américain) reconnaissent la colonisation constante et présente dans toutes les sphères du pouvoir et du savoir et s’engagent à la surmonter, inaugurant ce que certains auteurs qualifient de constitutionnalisme de transformation1, de transition2 ou d’État expérimental3.

1 SANTOS Boaventura de Sousa, Refundación del Estado en América Latina: Perspectivas desde una epistemologia del Sur, Lima : Instituto Internacional Derecho y Sociedad, 2010, p. 110.

2MARTINEZ DALMAU Rúben et VICIANO PASTOR Roberto, « Constitucionalismo de transición y nuevo constitucionalismo latinoamericano en el pensamiento de Carlos de Cabo », in HERRERA Miguel et al. (dir.), Constitucionalismo crítico : liber amicorum Carlos de Cabo Martín, Valencia : Tirant lo Blanch, 2015, p. 1237.

3 SANTOS Boaventura de Sousa, op. cit., p. 66.

La transition concerne le passage d’un État-nation conçu à partir du modèle européen à un État plurinational, authentiquement latino-américain, qui prend en compte la vision du monde des peuples originaires d’Abya Yala, autrement dit d’Amérique.

Aujourd’hui, la vision du monde des peuples autochtones (cosmovision autochtone) est non seulement reconnue, mais également promue par ces constitutions. L’État tel que nous le connaissions auparavant n’existe plus dans ces pays.

Depuis la fin du XXe siècle, des mouvements autochtones ont cherché à refonder l’État. Pour cela, ils ont cherché à incorporer la culture des peuples autochtones d’Amérique latine dans la notion d’État.

En effet, la refondation de l’État ne pourrait se faire autrement que par la promulgation d’une constitution qui marquerait une rupture de paradigme qui irriguerait tout l’appareil d’État. D’après le NCL, la refondation de l’État se fait par le peuple et non par ses représentants, en reprenant le concept originel de souveraineté populaire chez Rousseau.

Cela a conduit les spécialistes du phénomène NCL à le classer comme un « constitutionnalisme émancipateur », qui s’oppose au « constitutionnalisme colonial » présent dans la région.

Cet ancien constitutionnalisme imposait un ordre constitutionnel qui ne profitait en rien aux peuples autochtones. Au contraire, cet ordre ne profitait qu’aux héritiers des colons européens, maintenant ainsi une hiérarchie sociale qui excluait les peuples autochtones et les condamnait à disparaitre.

Ainsi, par le rétablissement de la souveraineté populaire, ce nouveau constitutionnalisme émancipe le peuple, notamment les groupes marginalisés depuis la colonisation de l’Amérique.

Ce constitutionnalisme entend être latino-américain et instaurer la décolonisation des pays de la région, à travers un nouvel ordre qui promeut la culture et protège les droits de ceux qui ont toujours été marginalisés dans la société. Ces derniers ne sont pas seulement les peuples autochtones, mais aussi les communautés d’ascendance africaine et les femmes.

Cependant, dans ce travail, nous n’aborderons que le premier groupe.

Malgré la lutte intense des peuples autochtones dans le processus de reconnaissance constitutionnelle et bien que la plupart des auteurs reconnaissent les progrès sans précédent réalisés par le NCL dans ces deux pays en matière de protection et de promotion des peuples autochtones, son efficacité est cependant discutable.

Certaines revendications ne furent pas envisagées par les constitutions et, même lorsqu’elles l’ont été, elles se heurtent aujourd’hui à des difficultés importantes pour se concrétiser.

Comme le soulignent Wolkmer, Maldonado Bravo4 et Irahola5, les tribunaux constitutionnels des deux pays finissent par limiter l’effectivité de la protection des peuples autochtones, rendant des décisions équivoques voire inconstitutionnelles.

4 WOLKMER Antônio Carlos et MALDONADO BRAVO Efendy Emiliano, « Pluralismo jurídico diante do constitucionalismo latino-americano: dominação e colonialidade », Cahiers des Amériques latines, 2020, n. 94, p. 45.

5 IRAHOLA Carlos Böhrt, El derecho a la consulta de los pueblos indígenas, « El Tribunal Constitucional y el TIPNIS », Revista Jurídica Derecho, 2015, vol. 2, n. 3, p. 72.

Sans aucun doute, les constitutions de la Bolivie et de l’Équateur innovent dans la protection des peuples autochtones. L’innovation se traduit dans le fondement d’une théorie constitutionnelle pour opérer une profonde transformation de l’État. Ainsi, pour mener à bien cette recherche, il faut d’abord déterminer le cadre de recherche (I), ainsi que la méthode utilisée (II).

Après cette présentation préliminaire de l’état de l’art et la délimitation de notre champ d’étude, nous présenterons l’intérêt du sujet (III) puis présenterons également notre problématique, ainsi que l’annonce de notre plan d’analyse (IV).

Sommaire

Introduction
Première partie la reconnaissance constitutionnelle des droits des peuples autochtones
Chapitre I – Une tentative de surmonter la colonialité de la dogmatique constitutionnelle
Section I -Le développement d’un nouveau constitutionnalisme lié au développement des revendications autochtones
Section II – La plurinationalité et l’interculturalité pour la transformation de l’Etat
CHAPITRE II – Un développement normatif constitutionnel à deux vitesses
Section I – La consécration des Etats plurinationaux
SECTION II – La consécration de l’autonomie autochtone
Deuxième partie Les droits des peuples autochtones dans les nouvelles constitutions andines
Chapitre I – Une volonté commune de promotion des droits fondamentaux des peuples autochtones
Section I – La volonté commune de protection et de valorisation de la culture autochtone
Section II – Le Buen Vivir/Vivir Bien : une tentative commune de refondation ontologique du droit
Chapitre II – Les défis de la concrétisation de la plurinationalité
Section I – Les défis liés à la concrétisation du droit à la consultation préalable
Section II – Les atteintes au pluralisme juridique
Conclusion
Bibliographie
Table des matières

Liste des abréviations
AIOCAutonomies autochtones originaires paysannes
APAlianza PAIS
APIBArticulation des peuples indigènes du Brésil
Art.Article
CCECour Constitutionnelle de l’Équateur
Cf.Confer
CIDOBConfédération des peuples indigènes de Bolivie
CNMCIOB-BSConfédération nationale des femmes originaires autochtones paysannes de Bolivie – Bartolina Sisa
CONAIEConfédération des nationalités indigènes de l’Équateur
CONAMAQConseil national des Ayllus et Markas du Qullasuyu CPEB
CREConstitution de la République de l’Équateur
CSCIBConfédération syndicale des communautés interculturelles de Bolivie
CSUTCBConfédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie
Dir.Directeur
DNUDPADéclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Éd.Édition
Et al.Et alii
Ibid.Ibidem
CIDHCommission interaméricaine des droits de l’homme
Cour IDHCour Interaméricaine des droits de l’homme
OIOrganisation internationale
OITOrganisation internationale du travail
ONUOrganisation des Nations unies
Op. cit.Opere citato
OPIPOrganisation des peuples autochtones de Pastaza
N.Numéro
NCLNouveau constitutionnalisme latino-américain
P.Page
P. ex.Par exemple
PUFPresses universitaires de France
Sect.Section
TCPTribunal constitutionnel plurinational
TIPNISTerritoire indigène et parc national Isiboro-Sécure
Vol.Volume

I– Le cadre de la recherche

Pour présenter le cadre de la recherche, nous avons choisi de préciser quelques définitions des termes du sujet (A), appuyés sur la doctrine spécialisée pour ensuite préciser le cadre historique de la recherche (B), qui a pour but d’introduire le lecteur dans le contexte du sujet et de son interprétation.

A – Définitions

Définition de peuple et de nation

Le terme « peuple » est polysémique. Le vocable « peuple » vient du latin « populus » et désignait l’ensemble des citoyens, la classe d’individus qui avaient des droits politiques dans la constitution romaine. Selon Martínez,

[…] avec le temps, d’autres conceptions plus modernes du terme ont surgi.

Ainsi le “Peuple” peut être compris comme l’ensemble d’individus vivant au sein d’une nation, d’une région ou d’une localité spécifique. Le “peuple” peut être compris également comme une identification ethnique (raciale ou culturelle), surtout dans les expressions de “peuples originaux” ou de “peuples autochtones”6.

Avec la modernité, le concept de peuple a évolué et s’est installé dans le droit constitutionnel et dans la théorie de l’État. Le peuple est désormais considéré comme « une manifestation du groupe humain qualifiée politiquement et juridiquement »7.

6 TORRES MARTÍNEZ Ruben, « L’État-nation, le peuple et ses « droits » », Cahiers d’études romanes, 2017, n. 35, p. 420.

7 GONZALEZ MARIN Patricio, « Algunas consideraciones sobre los conceptos de pueblo y nación en la teoría del Estado ». Revista De Derecho Público,2014, n. 17, p. 34.

Un groupe humain est toujours à l’origine de l’État et ce groupe peut se manifester par différentes formes sociales, le peuple et la nation étant les formes les plus importantes. Cependant le peuple n’est pas simplement un groupement d’individus.

Pour Burdeau et Carré de Malberg, le peuple est une partie de la population : cette dernière désigne tous les individus au sein d’un espace géographique et « peuple » désigne une partie de la population, celle qui a des droits et des obligations politiques.

Pour Carl Schmitt, le peuple est une entité organisée et formée par la loi constitutionnelle. De son côté, le vocable nation « vient du latin natio qui renvoie à l’idée de peuple et de “race” et à l’idée de naissance. Il est difficile de définir la nation sans faire référence à l’“État-nation” et au “nationalisme” »8.

Selon González Marín9, il n’y a pas un concept unique de nation tout au long de l’évolution de la théorie de l’État.

Nous pouvons en tirer au moins trois : celui de la Révolution française, où le concept de nation fut créé pour désigner les citoyens qui correspondaient à un peuple idéal, abstrait et homogène ; celui qui élargit le premier, puisqu’il désigne la recherche d’une homogénéité par un peuple uni par des liens spéciaux ; le troisième concept, selon l’auteur, est celui qui synthétise les deux premiers, lié à la recherche d’une solidarité majeure dans le groupe humain.

L’autochtone : définition

La bibliographie qui sert à encadrer cette recherche est, majoritairement, en langue espagnole. Ainsi, il faut d’abord procéder à une justification du choix des mots dans la traduction pour ensuite définir le terme.

En espagnol, en portugais, ainsi qu’en anglais, le mot utilisé pour désigner l’autochtone est le mot « indigène » : « indígena » dans les deux premières langues et « indigenous » en anglais. Pourtant, en français, le terme « indigène » n’est pas utilisé.

Les termes « indigènes » et « autochtones », en français, ne sont pas synonymes et entraînent des implications sociales, culturelles et politiques très différentes. Selon Sophie Gergaud10,

Dans la langue française, « indigène » ayant souvent été utilisé par les colons pour désigner les habitant·e·s des lieux considéré·e·s comme inférieur·e·s, le terme s’est teinté avec le temps d’une connotation négative. Peu à peu, « indigène » est devenu l’équivalent de barbare ou de sauvage, désignant des individus non civilisés.

Le terme « indigène » est donc intimement lié à l’histoire coloniale française.

La France considérait en effet que les indigènes de la République étaient une catégorie officiellement différente de citoyens. Gergaud rappelle que « ces sujets français étaient privés de la majeure partie de leurs droits et libertés, notamment la liberté d’aller et de venir ainsi que leurs droits politiques, le droit de vote et d’éligibilité » et qu’en 1986 l’Académie française a spécifié que le terme était relatif aux populations originaires des pays colonisés, sous le régime colonial.

Ainsi, le terme est lié à l’idée d’un rapport de domination, idée aujourd’hui rejetée.

8 ALPE Yves, LAMBERT Jean-Renaud, DOLLO Christine et al., Lexique de sociologie, Paris : Dalloz, 2007, p. 201.

9 GONZALEZ MARIN Patricio, op. cit., p. 56.

L’usage des termes est finalement discuté dans le cadre du Groupe de travail sur la Déclaration de l’ONU sur les peuples autochtones.

Le terme autochtone a été retenu, puisqu’ « il ne désigne plus seulement le rapport à la terre, mais également la place dans un système social complexe »11. Outre ce fait, retenir le terme « autochtone » a été un « choix faisant délibérément partie du combat des peuples autochtones pour se libérer de toute domination et assimilation »12.

En français le rejet du terme « indigène » a une connotation militante pour la reconnaissance de l’autochtonie.

Nous pouvons noter à travers notre bibliographie que ce terme en espagnol, ainsi qu’en portugais, commence à laisser sa place aux termes « nations/peuples originaires », en espagnol « naciones/pueblos originários », même si le mot « indígena » a subi des transformations au cours de l’histoire pour devenir un symbole de la résistance autochtone dans le continent américain13.

Maintenant que nous avons posé les prémisses de traductions, nous pouvons définir « autochtone » comme l’individu qui fait partie d’un groupe, ce groupe désignant un peuple ou une nation autochtone, qui partage des conditions sociales, culturelles et économiques qui se distinguent des autres secteurs de la collectivité nationale et qui sont « régies totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale »14.

De plus, les autochtones sont présents dans le territoire avant la colonisation.

Peuples ou nations autochtones ?

La Constitution de la Bolivie de 2009 introduit dans son chapitre 4 la définition de « nations et peuples autochtones originaires paysans ».

Dans l’article 30.I, elle affirme que « toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision et dont l’existence est antérieure à l’invasion coloniale espagnole » est une nation ou peuple autochtone.

La constitution de l’Équateur ne donne pas une définition de nations ou peuples autochtones, mais, dans son chapitre 4, elle fait référence aux droits des « communautés, peuples et nationalités autochtones ».

Ainsi, les deux constitutions n’offrent pas une définition qui sert à différencier peuples et nations autochtones.

10 GERGAUD Sophie, De la Plume à l’écran [en ligne], « De l’usage des termes « indigène » et « autochtone », disponible sur https://delaplumealecran.org/spip.php?article22 consulté le 08 juin 2022.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 STAVENHAGEN Rodolfo, « Los derechos de los indígenas: algunos problemas conceptuales », Revista Nueva Antropología, 1992, vol. 13, n. 43, p. 87.

14 Convention169 de l’OIT, article premier, Genève, 27 juin 1989.

En effet, en mettant ces mots l’un à côté de l’autre, ces constitutions les traitent comme des synonymes. D’après la définition de peuple et de nation ci-dessus nous pouvons comprendre pourquoi. Le terme nation désigne un tout homogène ou qui veut être homogène, c’est-à-dire un groupe de personnes qui partagent la même culture, langue, histoire, religion, etc.

Le terme peuple est purement juridique, il fait le lien entre l’État et la population, pourtant il peut être compris comme synonyme d’un groupe ethnique, comme dans le cas des peuples autochtones.

C’est pour cela que la convention 169 de l’OIT, dans son article premier, alinéa 3, souligne que « l’emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s’attacher à ce terme en vertu du droit international ».

Le terme le plus souvent employé est pourtant le terme peuple autochtone.

La conception du droit

Cette recherche a un cadre théorique bien délimité : l’étude des droits des peuples autochtones se fera à partir du nouveau constitutionnalisme latino-américain en cours en Bolivie et en Équateur. Pour bien comprendre les résultats de la recherche, il faut d’abord comprendre quelle est la conception du droit pour ces États et cette nouvelle théorie de la constitution.

En résumé, le NCL s’inscrit dans le cadre d’une théorie critique du droit.

Le droit, pour ces auteurs, n’est pas neutre comme le voudrait le positivisme juridique. Le droit « neutre » positiviste ne ferait que maintenir le droit hégémonique et moniste produit par l’État. Boaventura de Sousa Santos et les autres auteurs du NCL ont une conception sociologique du droit, c’est-à-dire que le droit serait le produit d’un phénomène social et plus précisément le droit serait émancipateur.

Autrement dit, le droit est vu comme émancipation, les normes viennent des luttes sociales, elles vont de bas en haut et non pas le contraire, qui serait une régulation sociale. Ainsi, pour comprendre le sujet de la constitutionnalisation des droits des peuples autochtones, il faut partir de cette prémisse théorique.

Il est important de souligner que les nations autochtones ne parlent pas de « gauche » ou de « socialisme » (notamment parce que les théories marxistes ne font pas partie de leurs cultures), mais de dignité et de respect.

Ainsi, le phénomène de la constitutionnalisation des droits de ces nations est un exemple de comment le droit peut servir à l’émancipation des peuples. Pourtant, ce n’est pas sans difficulté, comme nous allons le voir. C’est pour cela que Boaventura de Sousa Santos affirme que la lutte sociale doit être permanente.

Le nouveau constitutionnalisme latino-américain

Quelques notions

Nous allons avoir l’opportunité dans la première partie de ce travail de décortiquer le NCL dans son rapport avec les peuples autochtones, mais il est important de donner d’abord quelques précisions préliminaires sur ce constitutionnalisme.

Le nouveau constitutionnalisme latino-américain est un courant doctrinal en configuration15.

Selon Viciano Pastor et Martinez Dalmau16, le NCL est un phénomène qui a surgi en dehors de l’académie, plutôt comme un produit des revendications sociales qu’un produit des théories des professeurs de droit constitutionnel.

Selon Salazar Ugarte17, le NCL est la dénomination utilisée pour les processus constituants et leur résultat dans quelques pays de l’Amérique latine dans les dernières années du 20e siècle et la première décennie du 21e siècle. Pour cet auteur, le NCL est restreint à quelques constitutions (Venezuela 1999, Équateur 2008 et Bolivie 2009) qui partagent un ensemble de caractéristiques que quelques auteurs qualifient de « transformatrices »18.

Elles se distinguent des textes constitutionnels du néoconstitutionnalisme (constitutionnalisme d’après-guerre), théorie née de la doctrine qui préconise un modèle d’État constitutionnel de droit qui détient le monopole de la production juridique.

Les constitutions du NCL produisent une rupture avec la tradition constitutionnelle occidentale et se distinguent par quatre caractéristiques formelles : leur originalité, leur ampleur, leur complexité et leur rigidité.

Le nouveau constitutionnalisme latino-américain est originel parce qu’il récupère l’origine radicale démocratique du constitutionnalisme jacobin et adopte des instruments originaux qui permettent de garantir l’identité entre volonté populaire et constitution.

Il est ample parce que les textes des constitutions sont eux aussi longs et vastes. Par conséquent, ces constitutions sont complexes, même si elles ont un langage accessible, puisque leur ampleur les rend techniquement complexes.

Enfin, les constitutions du NCL sont rigides parce qu’elles ne permettent pas au pouvoir constitué de changer leur texte, les modifications sont nécessairement faites directement par le peuple.

15 MARTINEZ DALMAU Rúben et VICIANO PASTOR Roberto, Se puede hablar de un nuevo constitucionalismo latinoamericano como corriente doctrinal sistematizada? [en ligne], disponible sur http://latinoamerica.sociales.uba.ar/wp-content/uploads/sites/134/2015/01/Viciano-Pastor-Articulo.pdf consulté le 11 juin 2022.

16 Ibid.

17 SALAZAR UGARTE, « El nuevo constitucionalismo latinoamericano (una perspectiva crítica) », in GONZALEZ PEREZ Luis Raul et VALADÉS Diego (dir.), El constitucionalismo contemporâneo, Mexique : UNAM, 2013, p. 348

18 Ibid., p. 350

Les constitutions du NCL ont aussi des caractéristiques matérielles qui les distinguent : leur engagement à faire la promotion de la démocratie participative, leur longue charte de droits fondamentaux, l’intégration de secteurs historiquement marginalisés et leur engagement à surmonter les inégalités économiques et sociales.

Le NCL s’est engagé à faire la promotion de la démocratie participative pour établir des instruments de légitimité et de contrôle sur le pouvoir constitué, le peuple devient alors un acteur actif dans l’État en faisant « une absorption de l’État par le collectif »19.

La longue liste des droits prévue par les constitutions du NCL, à la différence du constitutionnalisme traditionnel, ne se limite pas à établir des droits fondamentaux génériques, elles s’occupent également de les individualiser et/ou collectiviser, mais encore, elles concèdent aux droits humains et aux droits sociaux une plus grande effectivité, au travers, par exemple, de la concession d’un statut constitutionnel aux traités de droits humains ou la possibilité aux citoyens de saisir le juge dans le cas de non-respect des droits constitutionnellement prévus (action d’amparo).

Par rapport à l’intégration des secteurs marginalisés de la société, les constitutions du NCL établissent l’État plurinational et concèdent un rôle éminent aux peuples autochtones.

Enfin, sur leur engagement à surmonter les inégalités économiques et sociales, ces constitutions incorporent plusieurs modèles économiques et ainsi posent un nouveau rôle de l’État dans l’économie.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Clermont Auvergne - École de droit - Master 2 Droit public approfondi
Auteur·trice·s 🎓:
Thayenne Gouvêa de Mendonça

Thayenne Gouvêa de Mendonça
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention de Master en Droit Public mention Carrières Publiques - 2021-2022
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