Le festival Mira : un exemple réussi de coopération

Le festival Mira : un exemple réussi de coopération

4. Le festival Mira : un exemple réussi de coopération entre les institutions théâtrales sud- européennes (France, Espagne et Portugal)

4.1 ¡Mira: origines, missions et objectifs

¡Mira! est né en 2001 de la volonté commune du Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées, du Théâtre Garonne (Toulouse), et du Centre de Développement Chorégraphique (Toulouse) – volonté également partagée par l’Office National de Diffusion Artistique (O.N.D.A.) – de relancer une dynamique d’échanges et de coopération entre la France et l’Espagne dans le domaine du spectacle vivant (théâtre, danse, musique), et de promouvoir ainsi la création contemporaine dans le grand sud-ouest européen.

En effet, comme l’explique Richard Coconnier, alors Directeur du Théâtre National de Toulouse et à l’origine du projet : « Mira est né du constat de la relative faiblesse des échanges franco- espagnols dans les domaines du théâtre et, dans une moindre mesure, de la danse et de la musique1 ».

Dès 2002, quatre structures culturelles -la Maison Antoine Vitez, en France, le Festival Grec de Barcelone, le Festival International de Théâtre de Sitges, et la S.G.A.E. (Sociedad General de Autores y Editores / Fundación Iberautor), en Espagne- se sont associées aux partenaires toulousains cités ci-dessus pour développer et mettre en œuvre ce projet.

L’union de ces forces vives, d’une part, et soutien de l’Union Européenne au projet dans le cadre du programme INTERREG III B SUDOE, d’autre part, ont alors permis à Mira de véritablement voir

le jour. L’Union Européenne a en effet choisi de soutenir Mira dès sa naissance, et décidé, en 2005, de renouveler son soutien pour deux ans.

Pour 2005-2006, après trois premières années de coopération centrées sur les relations franco-espagnoles, Mira amplifie son action et l’étend à l’ensemble du grand sud-ouest européen grâce à l’engagement de nouveaux partenaires français, espagnols, et, pour la première fois, portugais.

Projet de coopération, Mira se fonde ainsi sur le partenariat actif d’acteurs artistiques et culturels divers, unis par le même désir de développer la circulation des hommes, des idées et des œuvres dans un territoire commun -l’espace SUDOE (grand sud-ouest de la France, Espagne, Portugal)- affirmant son identité propre au sein d’une Union Européenne en construction.

Projet artistique et culturel, sans renier les formes traditionnelles de spectacle, Mira parie sur le soutien à de nouveaux auteurs, sur l’audace de formes nouvelles, sur la rencontre vivifiante entre des artistes à découvrir et un public qui ne demande qu’à être étonné, sur la complicité des professionnels au-delà des frontières.

1 Artez, revista de las artes escénicas, supplément février 2004, n° 82, p. 4.

Pour répondre à ses objectifs, Mira développe deux axes complémentaires :

1/ Des temps forts organisés alternativement par chacun des partenaires, sous la forme de festivals ou au sein de saisons culturelles, et consacrés prioritairement à la jeune création du grand sud- ouest européen dans le domaine du spectacle vivant (théâtre, danse, musique…)

2/ Des actions régulières destinées à développer de façon durable la connaissance réciproque et les collaborations entre les professionnels de ce même territoire.

Dans ce cadre, sont mis en œuvre en France, en Espagne et aujourd’hui au Portugal :

  • Des coproductions, des accueils en résidence, et des présentations de spectacles
  • Des rencontres entre professionnels (tables rondes abordant les problématiques relatives aux aspects artistiques, administratifs ou techniques de la coopération et de la création contemporaine) et avec les publics (rencontres autour d’une œuvre, d’un artiste…)
  • Des stages de formation artistique transnationaux
  • Des traductions, éditions, surtitrages de pièces de théâtre
  • Un programme d’aide à la mobilité des artistes et des professionnels

Autour du Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées, qui assume la coordination générale de Mira depuis sa naissance, les nouveaux co-organisateurs du projet sont ainsi : le Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine (France) ; le Teatre Lliure à Barcelone (Espagne) ; l’Asociación Cultural y Teatral Escena Contemporánea à Madrid (Espagne) ; diverses structures de création et diffusion à Séville (Escenarios de Sevilla)(Espagne) et le CITEC à Montemor-o-Velho (Portugal).

Enfin, Mira ne saurait exister sans la mobilisation croissante de professionnels de la culture espagnols, français et portugais, et le soutien de nombreux partenaires techniques et financiers, publics ou privés, au premier rang desquels la Communauté européenne.

4.2 Une rencontre entre publics et artistes

En 2002, Toulouse invite la création contemporaine espagnole, en présentant des artistes aussi radicaux que Rodrigo Garcia. En 2003, c’est la création française qui est présentée en Espagne, dans les deux principaux festivals catalans (Sitges et le festival Grec de Barcelone), avec des metteurs en scène comme Peter Brook.

En 2004, le grand sud-ouest français (Montpellier, Bordeaux, Perpignan…) invite artistes et professionnels espagnols mais aussi italiens, portugais et argentins dans un désir de partage avec un public plus large.

En 2005, ce sont les formes émergentes de la création française qui sont présentées à Bilbao, Madrid et Valencia. Tout au long de l’année de 2006, les échanges se multiplient : janvier-février à Madrid (Escena contemporanea), mars-avril à Toulouse et Bordeaux, mai et novembre à Barcelone (Teatre Lliure), tout au long des années 2005 et 2006 à Séville (Escenarios de Sevilla).

La prochaine édition du festival Mira aura lieu au Portugal du 21 juillet au 12 août 2006 dans le cadre du 28ème festival Citemor de Montemor-o-Velho.

Ainsi, ce projet de coopération permet aux publics de découvrir des artistes de la nouvelle génération des pays voisins. Ce projet montre progressivement un réel engouement du public, même s’il est parfois déstabilisé par certaines découvertes (R. Garcia, La Ribot…).

Richard Coconnier, co-directeur du festival a souligné également le fait que cet événement a révélé une vraie curiosité des professionnels pour le spectacle espagnol et portugais : « si le théâtre et la danse étaient peu présents sur les scènes françaises, c’était faute de ne pouvoir être vus par des programmateurs1. »

Bon nombre de spectacles vus dans le cadre de Mira à Toulouse tournent ensuite très largement en France (R. Garcia, Nico Baixas…). Il en va de même pour les spectacles français présentés dans ce cadre en Espagne (Barcelone, Séville, Sitges), qui ont permis d’ouvrir une fenêtre sur la création française.

Le festival Mira un exemple réussi de coopération

Mira est le fruit d’un partenariat transnational au service de la coopération artistique et culturelle entre France, Espagne et Portugal dans le domaine du spectacle vivant.

Ce projet constitue autant de nouvelles occasions de rendez-vous singuliers entre publics, artistes et professionnels des trois pays…

Plus que les coopérations d’un pays d’Europe à l’autre, l’heure est aujourd’hui à la construction, à une fédération des régions d’Europe, comme l’indique Robert Lacombe : « les regroupements de dynamiques locales sont aujourd’hui une dimension essentielle de l’Europe de la culture2 ».

La coopération entre les institutions théâtrales en Europe s’établit de plus en plus entre territoires conjuguant points communs et différences3.

1Ibid.
2Robert LACOMBE, Le Spectacle vivant en Europe (modèles d’organisation et politiques de soutien), La documentation française, 2004, p. 56.
3Un exemple significatif est celui du TNBA dont le directeur, Dominique Pitoiset, souhaite développer un projet entre les institutions théâtrales basées dans des villes portuaires européennes. Seront donc tissés avec la ville de Bordeaux des liens avec les cités portuaires que sont Venise, Gênes, Naples ou Palerme.

Conclusion

« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse c’est de l’isolement que meurent les civilisations. » Octavio PAZ

Les échanges européens dans le domaine théâtral sont aujourd’hui une dimension de l’action artistique et culturelle en Europe. Il y a peu, les gens de théâtre européens semblaient peu concernés par la nécessité de faire circuler le spectacle vivant.

Ce qui hier était encore considéré comme un fait exceptionnel, un signe de notoriété, est devenu une réalité. Le temps où les institutions théâtrales réduisaient leur répertoire au patrimoine national semble avoir pris fin.

On a assisté tout à la fois à une « dé-diplomatisation » et à une « banalisation » des échanges artistiques internationaux. Reste la volonté de porter la singularité au cœur de la collectivité, de défendre les droits de l’imaginaire dans un monde en danger d’uniformisation.

Néanmoins, la balance demeure inégale entre l’accueil des productions européennes dans les institutions théâtrales françaises et l’exportation du théâtre français en Europe.

Nous l’avons vu, de nombreuses difficultés restent à résoudre afin de proposer les spectacles français chez nos voisins européens.

Il convient, en ce sens, de souligner la ‘schizophrénie’ des grands décideurs français qui, d’un côté, s’inquiètent voire s’insurgent de la difficulté à diffuser le théâtre hors des frontières de l’hexagone et, de l’autre, maintiennent à peine les crédits dédiés à l’aide à l’exportation du théâtre au profit des arts de la scène émergents (cirque, arts de la rue…).

C’est que le théâtre est l’art de la contestation par excellence ; il instaure un rapport critique qui dérange nos dirigeants et diplomates.

En effet, comme l’indique Robert Lacombe : « le soubassement politique transparaît dans la structure esthétique1 », et il ne faut pas oublier que l’aspect politique dans les échanges internationaux entre institutions publiques persiste.

L’autre difficulté majeure étant celle du manque d’implication de l’Union européenne (manque de moyens financiers, manque d’harmonisation concernant le droit des artistes…) : « Tout se passe comme si l’Europe politique persistait à ignorer l’Europe de l’art pour mieux se consacrer à celle de l’acier, des céréales et de la monnaie2 ».

Rappelons que si la PAC (politique agricole commune) concerne en 2005 43% des crédits européens, les programmes spécifiquement dédiés à la culture représentent, quant à eux, 0,12% du budget communautaire.

1 Robert LACOMBE, op. cit., p. 18.
2 Ibid., p. 9.

Même si l’investissement réel dans une politique culturelle commune semble reporté à de lointaines échéances, ce manque de perspective n’empêche pas les gens du spectacle d’aménager eux- mêmes l’espace de l’échange.

Au-delà des volontés politiques, une réelle coopération entre la France et l’Europe du point de vue des productions théâtrales n’est possible que dans le cadre de réseaux, d’amitiés artistiques et de projets communs.

Cela passe par des coréalisations, mais également par des festivals, des ateliers, des programmes spécifiques, des publications et, progressivement, par des coproductions. Mais rien ne sert de se précipiter ; tout grand projet se construit sur le long terme, au fil des rencontres et des engagements.

Nous avons pu constater que l’essentiel des véritables coopérations entre théâtres européens s’effectue au sein des grandes régions d’Europe (espace SUDOE – sud de la France, Espagne, Portugal ; Quatre Moteurs pour l’Europe – Région Rhône-Alpes, Catalogne, Lombardie, Bade-Wurtemberg ; Arc Atlantique…).

Enfin, notons que même si la présente recherche s’est concentrée sur les échanges entre institutions théâtrales publiques, force est de constater l’ouverture progressive vers l’international pour des compagnies et des artistes français indépendants grâce à des organismes comme l’AFAA ou encore les pépinières européennes.

Depuis quelques années, il n’y a plus seulement le théâtre « institutionnel » qui ait droit de cité sur la scène internationale.

Ce travail ouvre de nombreuses perspectives que nous nous contenterons d’évoquer. Dans un premier temps, cette étude dénote que la question du public face au théâtre étranger est parfois mise au second plan au profit du développement des artistes et du renouvellement des formes ; dans les réseaux européens, la réflexion tourne moins autour de l’élargissement des publics qu’autour du besoin de faire circuler les artistes.

Tel est le cas en France, mais c’est encore plus frappant à l’étranger (Italie, Espagne, Portugal…).

Peut-être faudrait-il s’attacher davantage à développer un public autour du théâtre étranger, afin de créer un réel engouement, une réelle attente (comme commence à le faire la Convention Théâtrale Européenne ou le TNB, chacun à leur manière).

En outre, au vu de la vitesse à laquelle se développent les échanges dans le domaine du théâtre en Europe (qui élargit progressivement ses frontières), la question suivante se dessine : Peut-on encore considérer la scène européenne comme étrangère ? En effet, la communauté européenne est-elle encore de l’international, au même titre que le reste du monde, puisqu’on observe une normalisation à de nombreux niveaux : même monnaie, frontières extérieures communes, harmonisation progressive de quantité d’aspects de la vie économique et sociale… La tendance va- t-elle s’inverser en voulant préserver la diversité culturelle ? Les échanges entre artistes et metteurs en scène européens (au travers d’ateliers, de master-classes) ne vont-ils pas conduire à un métissage des cultures et donc des tendances artistiques ? Un phénomène de « modélisation » ne va-t-il pas se développer ? Certains diront, à l’instar de François Le Pillouër, que si les artistes soutenus sont de ‘bons’ artistes, ce problème n’a pas lieu d’être et que la priorité aujourd’hui est de construire une Europe culturelle forte, solidaire et fière de ses artistes et de sa diversité.

D’autres, moins optimistes, évoqueront la possible disparition de l’ ‘étrangeté’ et de l’ ‘exotisme’ au sein des spectacles de l’espace européen, qui conduira les opérateurs culturels à se tourner davantage vers les artistes des autres continents…

Toujours est-il qu’aujourd’hui, l’amélioration des échanges dans le domaine du théâtre entre la France et les autres pays européens constitue un petit pas dans la construction de l’Union européenne, un petit pas dans la connaissance de l’autre, un petit pas dans la compréhension mutuelle.

Bibliographie et Annexes

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Bretagne Occidentale  - UFR Lettres et sciences humaines
Auteur·trice·s 🎓:
Sabrina PASQUIER

Sabrina PASQUIER
Année de soutenance 📅: Master 2 Management du spectacle vivant - Septembre 2006
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