Le théâtre dans les pays nordiques : un divertissement

Le théâtre dans les pays nordiques : un divertissement

Préambule : Etat des lieux du théâtre dans l’Europe elargie1

Avant de réfléchir sur la problématique énoncée, il convient d’établir en préambule un état des lieux du théâtre dans l’Europe élargie, autant du point de la structuration du théâtre dans chaque pays que de ses différentes formes de soutien en Europe.

Cela nous permettra par la suite d’analyser les problèmes que posent les différences dans les politiques théâtrales entre les pays européens2.

1. La structuration du théâtre en Europe

A. Le théâtre dans les pays nordiques : un divertissement ?

Si la France, mais également l’Allemagne, donnent un bon exemple d’un certain surinvestissement sur le théâtre, du fait de l’existence de personnalités aussi importantes que Vilar ou Brecht, les pays de tradition protestante (Pays-Bas, Royaume-Uni où la fréquentation des lieux de spectacle était considérée comme immorale, l’art restait pour ces pays une affaire privée) l’ont, jusqu’à une période assez récente, davantage considéré comme un divertissement, plutôt que comme une forme d’expression artistique.

  • Le théâtre au Royaume-Uni :

Le spectacle vivant est probablement le secteur culturel qui a le plus souffert de la politique restrictive des années Thatcher. Néanmoins, la reprise en vigueur du secteur se manifeste concrètement en 2001-2002.

Le théâtre réintégré au centre de la politique de l’arts council profite de revenus supplémentaires et d’une atmosphère de création et d’innovation.

La réputation du théâtre britannique à l’étranger, et plus particulièrement en France, bénéficie d’une aura largement stimulée par la forte diffusion des productions de West End et par le souvenir de la tradition dramatique shakespearienne. Celle-ci alimente le mythe d’un théâtre riche et créatif, producteur de valeurs sûres et reconnues.

Toutefois, cette image s’avère en vérité très éloignée de la réalité du théâtre britannique. En effet, celui-ci a traversé ces dernières décennies une longue période de crise qui a grandement entaché son dynamisme, réduit sa capacité créative et nuit à son rayonnement.

Si, à son arrivée au pouvoir, la gouvernement travailliste s’est attaché tout particulièrement au redressement de la situation théâtrale, il est encore trop tôt pour conclure à une réelle et définitive « renaissance créative » du théâtre britannique.

1Analyse basée en grande partie sur l’ouvrage de Robert Lacombe, Le spectacle vivant en Europe, (modèles d’organisation et politiques de soutien), La documentation française, 2004 et sur les informations contenues dans le site Internet www.culturalpolicies.net
2Il ne sera pas question de la structuration du théâtre en France et de ses formes de soutien dans cette étude, partant du principe qu’il est plus aisé d’obtenir les informations.

Il existe au Royaume-Uni 930 compagnies dramatiques. Très nombreuses en Irlande du Nord, on en trouve une centaine au Pays de Galles et une autre centaine en Ecosse. Les autres compagnies, à la très grande majorité, sont enregistrées en Angleterre.

Seules 74 d’entre elles sont régulièrement subventionnées par les arts councils. L’essentiel de ces compagnies sont itinérantes et travaillent sans lieu fixe (touring companies), tandis qu’un petit nombre bénéficie d’une salle propre (building companies).

Le Royaume-Uni dans son ensemble ne regroupe pas plus de 300 lieux proprement réservés au théâtre, à la danse ou à l’opéra (dont 180 en Angleterre). Londres à elle seule accueille 100 des 300 théâtres britanniques ! Le théâtre est scindé entre :

  • Les deux grandes compagnies prestigieuses, hébergées à Londres : la Royal Shakespeare Company et le National Theatre. Elles touchent plus de 77% du budget théâtral de l’ACE ;
  • Les petites indépendantes (the fringe) très précaires ;
  • et le théâtre commercial du West End, très actif, composé d’une trentaine de théâtres. Sa structuration se rapproche sensiblement de celle du théâtre privé parisien.

Il met majoritairement en scène des valeurs sûres telles que les grandes comédies musicales typiquement anglo-saxonneset des pièces classiques portées par des acteurs de renommée ; il vise d’abord l’Entertainment… Ce théâtre compense son manque de subventions par des tarifs relativement élevés et par le recours au mécénat privé.

Le statut des artistes au Royaume-Uni :

Le statut d’artiste en Grande-Bretagne n’a jamais été considéré comme un statut particulier. Il n’existe donc pas de statut équivalent à celui des intermittents en France et, mis à part les auteurs qui bénéficient de la protection des droits d’auteurs (public lending rights), les créateurs ne sont pas traités différemment des autres professions.

Seule exception, leurs impôts peuvent être répartis sur plusieurs années. A quelques rares exceptions près, les artistes travaillent en free lance, sont dans l’ensemble mal rémunérés, et ne bénéficient d’aucune couverture sociale.

Le soutien aux artistes s’opère essentiellement par le biais de subventions étatiques ou d’aides venant des fondations. Il se présente sous forme de bourses, d’aide à la formation ou au projet, de résidence, de prix de reconnaissance…

  • Le théâtre aux Pays-Bas1 :

Il y a beaucoup de théâtres dont 150 schouwburgen (théâtres municipaux) qui ont une programmation très diversifiée avec un spectacle chaque jour.

Les spectacles à public restreint sont « subventionnés » de fait par les bénéfices réalisés avec la programmation de cabaret (un genre hétérogène qui a les faveurs d’un très large public), de comédies musicales, de musiques actuelles ou de formes théâtrales commerciales.

A la différence de la France où chaque théâtre a une identité propre et ne fait pas un spectacle par soir. Le système néerlandais incite à se produire souvent sur scène.

1 Cf Marianne VALKENBURG, Pas de deux. Les échanges franco-néerlandais en danse, DESS Développement culturel et direction de projet. Lyon : ARSEC/Université Lumière Lyon 2, 2001, 86 p.

Les compagnies qui bénéficient d’une subvention pluriannuelle ont du reste l’obligation de donner un minimum de 80 représentations par an.

Les théâtres néerlandais ne sont financés que par les municipalités. L’Etat subventionne la création, via l’aide aux compagnies, et les collectivités locales financent la diffusion, l’infrastructure et son fonctionnement.

Mais cette répartition des tâches reste partiellement théorique parce que certaines municipalités subventionnent aussi des productions de spectacle.

Le théâtre dans les pays nordiques un divertissement

B. Le théâtre en Europe du Sud : Un léger désintérêt au profit du patrimoine bâti

En Europe du sud, notamment en Italie, le spectacle continue d’occuper une place secondaire au sein des politiques culturelles dominées par la prépondérance accordée à la préservation et à la valorisation du patrimoine.

En Grèce également, le spectacle vivant (qui dispose en 2003 de moins de 50 millions d’euros de soutien de l’Etat) semble avoir été délaissé par les politiques publiques en faveur du patrimoine qui reste incontestablement la priorité de tous les ministres de la Culture qui se sont succédés depuis la transition démocratique en 1974.

En outre, l’Espagne et le Portugal se singularisent par un important théâtre privé.

  • Le théâtre en Italie :

La scène italienne est caractérisée par une tradition théâtrale très forte, héritée de la célèbre Commedia dell’arte. Elle présente certaines particularités uniques, comme la tradition d’une intense mobilité interne sur tout le territoire national pour le théâtre et la danse. Le patrimoine bâti du théâtre est très dense sur le territoire.

Le théâtre italien est marqué par la prépondérance du secteur public : sur

2000 théâtres répartis sur l’ensemble du territoire, près de la moitié est de propriété publique. Le théâtre italien est avant tout une affaire régionale et ne figure pas parmi les grandes priorités culturelles de l’Etat.

Sur le modèle du Piccolo Teatro de Milan, s’est développé le réseau de 59 teatri stabili qui se répartissent sur l’ensemble du territoire.

En 2001, ces établissements, dont l’activité a été déclarée d’intérêt public en 1999, se sont partagé 43% des fonds accordés par l’Etat au théâtre. Il existe trois catégories de Stabili :

  • Les théâtres stables d’initiative publique (15), ont une personnalité juridique de droit privé. Ils se caractérisent par des activités à finalité artistique, sociale et culturelle, et par leur rôle de soutien et de diffusion au théâtre national. En 2001, ils se sont partagés 19,7 millions d’euros accordés par l’Etat.
  • Les théâtres stables d’initiative privée ou mixte privée-publique (12) se caractérisent par un projet artistique de production, de formation, de promotion, d’accueil et de représentations. En 2001, l’administration centrale leur a consacré 10,3 millions d’euros.
  • Les théâtres d’innovation sont la troisième composante du réseau des stabili. Ils opèrent dans le secteur de l’expérimentation, de la recherche et du théâtre pour jeunes et pour enfants. En 2001, les 32 théâtres stables d’innovation, situés majoritairement au nord, se sont vus attribuer 9,3 millions d’euros de la part du ministère.

Parallèlement à ce réseau évolue le groupe des théâtres municipaux (47), ensemble au sein duquel se distinguent 24 théâtres dits de tradition, appellation à mettre en relation avec leur ancienneté (pour la plupart, ils remontent au début du XVIIIe siècle) et avec la pluralité des activités qu’ils développent.

La tradition italienne est plutôt celle des tournées que des théâtres fixes. Ainsi, à côté des stabili, domine encore en Italie un théâtre de troupes itinérantes qui sillonnent le territoire avec le même spectacle. Les productions théâtrales évoluent dans un répertoire assez étroit.

Il existe une opposition nettement dessinée entre d’une part un théâtre institutionnel classique stable et bien installé, proposant des productions conventionnelles et, d’autre part, un théâtre indépendant marginalisé, qui évolue loin des espaces traditionnels dans lequel il n’a pas droit de cité.

A cette division bien marquée, s’ajoutent deux types de production qui, à l’image d’autres pays européens, ont tendance à occuper une place croissante sur la scène internationale et à mobiliser un public de plus en plus important : les comédies musicales à gros budget, et les spectacles assurés par une personnalité dont la renommée médiatique assure le succès populaire et le remplissage des salles.

L’Italie compte peu de théâtres privés stricto sensu (Milan est la ville qui en rassemble le plus), mais ils sont importants, prestigieux et fréquentés (Teatro Sistina de Rome).

  • Le théâtre en Espagne

La singularité du modèle espagnol réside pour partie dans la tradition fortement ancrée du développement d’une culture de rue ; tous le types de spectacles et d’activités se déroulent sur la place publique, dans le cadre de grands rassemblements populaires.

En matière de théâtre, on distingue quatre types :

  • Le théâtre traditionnel qui regroupe les représentations à caractère anonyme. Il se partage entre rituels populaires et actes liturgiques (représentations de la Passion…) ;
  • Le théâtre classique qui s’articule autour d’un théâtre d’auteur dont les textes remontent au moins à la période précédent la Seconde Guerre mondiale et qui va des représentations du théâtre classique grec au théâtre de mœurs du début du XXe siècle en passant par toute la production des auteurs du XVIe siècle et au-delà ;
  • Le théâtre contemporain qui inclut la représentation des auteurs postérieurs à la Seconde Guerre mondiale ;
  • Le théâtre d’auteur ou contemporain à proprement parler qui concerne les œuvres présentées par des compagnies qui les ont créées.

On peut introduire à l’intérieur de cet ensemble une seconde distinction entre le théâtre plus commercial (avec des langages théâtraux plus standardisés) et le théâtre d’avant-garde.

Par ailleurs, on peut parler en Espagne d’un théâtre pour adulte qui évolue à côté d’un théâtre spécifiquement destiné au jeune public, et un théâtre amateur (ou semi-professionnel) qui se distingue du théâtre professionnel.

Les différences entre ces deux derniers secteurs résident autant dans le degré de professionnalisme que dans les activités, voire les objectifs : dans le premier, c’est la composante ludique qui prime alors que le théâtre professionnel s’organise autour de relations contractuelles plus ou moins précises.

L’activité théâtrale non professionnelle représente une part importante de l’activité totale : 35% de l’ensemble des représentations qui ont eu lieu sur la scène espagnole sont produites par des compagnies amateurs.

Il existe en Espagne trois grandes catégories de compagnies :

  • Les compagnies « indépendantes », qui sont majoritaires et constituent la plus importante source de production dramatique stable en Espagne. Elles constituent 95% des centres existants et leurs travaux recouvrent un large éventail d’activités. Ces compagnies se répartissent entre les formations stables historiques (Furia del Baus), les formations stables de dimension plus petites et les compagnies alternatives. Les administrations espagnoles constituent leur principale source de financement.
  • Les compagnies « publiques » ou de répertoire sont minoritaires. En 1999, sur un total de 2 314 compagnies de théâtre, on en compte seulement 11 publiques (trois grandes compagnies nationales et huit dépendant des autonomies). En général, elles ne sont pas liées à des équipements publics qui sont des lieux de diffusion et non de production.
  • Enfin, les compagnies commerciales ne dépendent pas des subventions publiques, et organisent leur activité autour de la production de spectacles populaires à vocation commerciale (comédie, cabaret ou vaudeville). Ce type de théâtre est concentré à Madrid et à Barcelone où il dispose d’un très grand nombre de salles et d’une audience spécifique.

En matière d’établissements, le territoire compte 852 théâtres en 2002, qui se caractérisent par une prépondérance des infrastructures publiques.

Chacun des trois niveaux d’administration espagnols dispose de ses propres théâtres. Contrairement à l’Italie par exemple, la gestion et le fonctionnement de ses espaces ne font que rarement l’objet de financements croisés entre les différents niveaux d’administration.

Le statut de l’artiste en Espagne :

Le statut de l’artiste est caractérisé par une certaine précarité. Les artistes ne jouissent pas d’un système d’assurance efficace, et sont placés sous un régime de sécurité sociale qui ne leur assure de couverture que durant les représentations en public, les phases de répétition n’étant pas considérées comme des moments de production.

Cette précarité entraîne une série de fraudes de la part de certaines compagnies qui déclarent leurs artistes comme des administratifs pour pouvoir leur assurer un minimum de sécurité. Les artistes espagnols se voient donc multiplier les activités

car il n’existe quasiment pas en Espagne de compagnies permanentes qui puissent assurer un salaire aux acteurs. Ainsi, l’enseignement, les solos, la multiplication des contrats tout en leur assurant un revenu minimum, nuit à la régularité et à l’investissement dans un travail précis.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Bretagne Occidentale  - UFR Lettres et sciences humaines
Auteur·trice·s 🎓:
Sabrina PASQUIER

Sabrina PASQUIER
Année de soutenance 📅: Master 2 Management du spectacle vivant - Septembre 2006
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