Du mode dramatique au mode narratif

1-3- Du mode dramatique au mode narratif

1-3-1- Les didascalies narratives

D’après Bashar Samir présente les didascalies comme une instance narrative. il précise d’ailleurs que dans le théâtre, le narrateur est un personnage autre que ceux qui peuplent la pîèce. Il s’agit d’un narrateur qui encadre et raconte les actions des personnages.

Il précise donc que « le texte dramatique comporte une couche discursive ; le discours narratif d’un narrateur afin d’accomplir le monde dramatique dans un registre énonciatif différent du registre dialogal». (Bashar, 2020:229)

Par ailleurs, Les didascalies narratives « interviennent pour les moments forts de l’action(…) rendent perceptibles au lecteur, par un artifice d’écriture, ce qui est donnée immédiate pour un spectateur : l’enchaînement des répliques et du jeu ou de leur simultanéité, peut être encore ce qui relève de la mise en scène, le rythme des actes et des paroles. » (Bombard, 2009:101-118).

Ainsi, la voix didascalique est, selon Burgonye, « chargée de décrire et de situer l’espace et le temps diégétique. Elle peut également ajouter des renseignements sur les conditions sociales et affectives des personnages, (…) sur leur état (…) » (Burgonye, 2007:134).

Ainsi, le texte dramatique selon Bashar Sami YOUSSIF « inclut des aspects de narrativités à partir d’un narrateur qui remplit des fonctions de médiattion narrative. il établit effectivement des affinités avec la narration et la description afin de rapporter le cadre et l’ambiance non verbale. »(Bashar, 2020:225).

Dans L’Eden Cinéma, les didascalies narratives sont nombreuses et contribuent à accentuer la présence de l’auteur dans le récit comme c’est le cas dans l’extrait qui suit : « rires silencieux et extasiés des deux enfants » (Duras, 1977:24).

Dans ce fragment l’indication scénique retrace les paroles d’un narrateur en apportant des précisions sur la diégèse.

Il arrive que la didascalie ne soit pas faite afin d’être représentée, et ainsi, elle donne la possibilité au lecteur de décoder des échanges verbaux, de saisir des subtilités dans le texte, qui ne sont pas compréhensibles par la mise en scène.

L’indication scénique sous forme de question, « croit-elle au mensonge de Suzanne ? On ne devrait pas le savoir. » (Duras, 1977:115) fournit au lecteur des « informations sur la conscience des personnages » (Burgonye, 2007:136) et rappelle un narrateur qui serait omniprésent, « installant la complicité avec le récepteur (lecteur) » (Burgonye, Idem)

Toujours dans L’Eden Cinéma, ces didascalies narratives interviennent aussi quand il s’agit de décrire l’espace. Ici, le souci de précision est mis à nu. On est fixés sur l’espace scénique avant l’entrée en scène des personnages.

La scène c’est un espace vide qui entoure un autre espace rectangulaire. L’espace entouré est celui d’un bungalow meublé de fauteuils et de tables de style colonial. Mobilier banal, très usé, très pauvre.

L’espace vide autour du bungalow sera la plaine de Kam, dans le Haut Cambodge, entre le Siam et la mère. Derrière le bungalow, il faudrait une zone lumineuse qui serait celle de piste des chasseurs le long de ces montagnes du Siam. (Duras, 1977:10)

Cette didascalie décrit l’environnement autour du bungalow, un milieu particulier où les personnages s’immortaliseront à travers leurs actions diverses. L’auteur évolue de l’extérieur vers l’intérieur du bungalow, qui révèle les sentiments réels des personnages.

Cet intérieur dévoile une certaine intimité de la vie en famille dont La mère est au centre du récit : « Le bungalow est fermé. Fermé par un manque de lumière. Eteint .La plaine est éclairée. Des gens arrivent devant la scène fermée : La mère, Suzanne, Joseph, le Caporal.

La mère s’assied sur un siège bas et les autres se regroupent autour d’elle ; s’immobilisent et restent ainsi, immobiles devant le public – cela pendant trente secondes peut-être pendant que joue la musique. » (Duras, 1977:11). Ceci informe le public et le lecteur que les choses vont bientôt commencer.

On peut donc entendre les premières paroles des enfants Joseph et Suzanne : Puis ils parlent de la mère. De son passé. De sa vie. De l’amour par elle provoqué. La mère restera immobile sur sa chaise, sans expression, comme statufiée, lointaine, séparée- comme la scène- de sa propre histoire. Les autres la touchent, caressent ses bras, embrassent ses mains.

Elle laisse faire : ce qu’elle représente dans la pièce dépasse ce qu’elle est et elle en est irresponsable. Ce qui pourrait être dit ici l’est directement par Suzanne et Joseph – La mère, objet du récit- n’aura jamais la parole sur elle-même. » (Duras, 1977:11)

L’auteur fait usage des didascalies narratives dans le texte pour renforcer sa volonté à nourrir le lecteur, à l’informer sur les faits vécus par les personnages, comme le témoigne cet extrait:

Ils se lèvent tous. La mère et les enfants avec le caporal et, lentement, sur la musique, ils vont vers la scène et se séparent. Les enfants prennent une direction.

Le caporal en prend une autre. La mère reste seule devant la scène. Toujours la musique qui diminue. Immobile, elle attend que s’installe le décor sonore : les bruits du soir de la plaine. Puis des cris d’enfants, des rires, des aboiements des chiens, des tam-tams.

Puis les claquements d’un fouet. Et les cris de Joseph à travers les rumeurs de la plaine. La scène s’éclaire de lumière blanche et la mère pénètre seule, lâchée – adulte- dans la lumière aveuglante.

Elle va et vient puis elle va s’adosser à un pilier du bungalow. Elle regarde la direction supposée du cheval(…) De l’autre côté arrivent Suzanne et le caporal qui s’arrêtent et regardent aussi vers la direction supposée du cheval. (1977: 30).

Il parait indéniable que Marguerite Duras renouvelle les formes traditionnelles du théâtre surtout par le rôle qu’elle octroie aux didascalies qui ne se contentent pas seulement d’apporter certaines indications sur le temps et l’espace mais qui portent le nom de didascalies narratives dont le rôle est de développer l’histoire des personnages.

Dans Le paquet, la première didascalie présente le personnage dans un espace public vide, dans un accoutrement bizarre : « Sur la scène, un banc public et à quelques kilomètres de lui une poubelle. Un homme entre. La cinquantaine, pauvrement vêtu.

Ses vêtements, quoique propres, semblent aussi fatigués que lui. Il a une barbe de trois jours.il inspecte le lieu, regarde vivement à droite, à gauche, devant lui, face au public, il semble avoir une très légère réaction de satisfaction. » (2010:9).

Ce caractère étrange, s’amplifie quelques instants après quand on le voit accablé par le poids d’une charge qui semble le dépasser. Ce fardeau visible le pousse à effectuer les va-et-vient et il donne l’air d’un étourdi ayant perdu ses repères.

Il paraît aussi essoufflé, décontenancé : « Il n’y parvient pas. Il le pose contre, au prix d’un effort important. Il s’assied. Reprend son souffle, s’éponge le front avec un grand et vieux mouchoir froissé. Vérifie les liens du paquet. Sourit. (2010:).

Et donnant une fausse impression, cette charge lui parait lourde et il donne l’air de vouloir s’en débarrasser. Il semble confus par rapport à tout ce qu’il aura subi durant son existence. C’est pourquoi il ne cesse de gesticuler et de tourner en rond.

Du mode dramatique au mode narratif

Il reste encore un long moment, serrant son paquet contre lui, puis il le laisse choir à terre. Bruit sourd qui fait mesurer la lourdeur du paquet. Il grelotte, prend les deux pans de sa veste, s’entortille dedans. Il fixe toujours la salle, puis il baisse la tête. Ses épaules s’affaissent. Tout son corps s’affaisse.

Il se penche, se met à quatre pattes, ramasse avec une grande lassitude tous les carnets et papiers, les fourre dans les poches, puis regarde encore la salle. Il se redresse, saisit le paquet par un bout, se relève difficilement, puis commence à le traîner lourdement, avec bien du mal. Il quitte la scène par le fond tandis que l’obscurité devient encore plus dense et le dérobe tout à fait à la vue. (Claudel, 2010:9-10)

Ainsi, à travers l’usage des didascalies narratives, Marguerite Duras et Philippe Claudel renforcent la présence de l’auteur sur scène en rendant sensible une parole narratoriale pendant le spectacle.

Le lien entre le texte théâtral et la littérature narrative est dès lors apparent. A travers ces éléments, ces deux pièces se détachent du dialogue théâtral traditionnel.

Ainsi, selon Schaeffer, la « relation d’exemplification globale » des éléments constitutifs du récit est mise en évidence, car les didascalies narratives qui sont d’usage permanent dans les romans, dominent l’univers du récit théâtral de notre corpus.

Ici, à travers ces caractéristiques, notre corpus nous plonge plus dans un roman que dans une pièce théâtrale. En conclusion, L’Eden Cinéma et Le Paquet sont des récits dans la mesure où ils en illustrent les propriétés. L’écart est alors considéré comme un « échec ».

1-3-2- Le récit des souvenirs

Tout discours rapportant une série de faits ou sentiments passés tels que le narrateur pense les avoir personnellement vécus. De là, comme énonciation d’un vécu, il est couramment admis que le récit de souvenirs n’est pas l’énonciation de ce qui a été ; mais il est seulement l’exposé de ce qui a été perçu par le narrateur.

Aussi, en tant que texte rapportant une série de faits ou sentiments, le récit n’est pas la présentation d’un souvenir isolé tournant autour d’une même et unique circonstance. Il énonce plusieurs souvenirs appartenant à une chaîne de faits s’inscrivant dans la durée.

En fin, le récit de souvenir expose un point de vue personnel. Il n’a pas vocation de rapporter le point de vue d’un tiers ou d’une communauté humaine ; s’il le fait, il n’en dit que ce qu’il croit être l’opinion d’autrui, nullement celle-ci.

Aussi, le récit peut rapporter ce que le témoin pense avoir vécu, s’il sait que son récit n’est que la version personnelle des faits rapportés, il croit néanmoins qu’elle est conforme à ce qu’il a perçu à chaud alors qu’il n’en est rien.

De ce fait, il rapporte uniquement ce qu’il s’imagine avoir vécu au moment où il en parle, autrement dit, le souvenir qu’il en a au présent de la narration.

Dans L’Eden Cinéma, le récit que font Joseph et Suzanne est un récit souvenir dans la mesure où ils se rappellent toute l’histoire de La mère qu’ils mettent sur scène.

C’est un récit qui suit un ordre logique, fait de moult péripéties et de tensions. Ainsi, Duras, à travers les personnages, refait le film de son enfance dans les moindres détails, malgré qu’elle y ajoute une petite dose de fiction.

En effet, Duras relate la vie sa mère chérie qui, dans les années 20, quitte le Nord de la France pour s’installer au delta du Mékong, dans l’espoir d’une vie meilleure.

Une fois là-bas, elle fera face aux absurdités de la vie au point d’en mourir à petit feu. A travers ces personnages narrateurs, Duras décrit la vie de la mère, certes insipide et pathétique, mais tout de même captivante.

Dans Le paquet, le personnage raconte toute sa vie, ses aventures et mésaventures qu’il est le seul à maitriser que quiconque, dans un style, satirique, humoristique, poétique et simple. Il se souvient de sa vie passée au service militaire, en compagnie du Lieutenant De Bagnolet (surpris de constater que tout le monde l’aime).

C’est le seul élément qui fait figure de dialogue dans cette pièce : « comment faites-vous caporal pour être aimé de la chambrée ? – Je ne sais pas mon lieutenant » (Claudel, 2010:12). Sans être arrivé au bout de son récit, le personnage change de sujet.

Cette fois ci, il parle de sa femme, histoire aussi inachevée. Maintenant c’est le récit d’un souvenir en rapport avec Maurice Boulart, retrouvé mort dans un accident : « je me souviens parfaitement de Maurice Boulart dans sa R8. 27 août 1980.

Dix-sept heures trente-deux d’après le rapport de la gendarmerie. » (Claudel, 2010:13). Le personnage va ainsi de souvenir en souvenir pour faire part de son état d’âme. En fin de compte, c’est une pièce remplie de souvenirs qui constituent son expérience dans la vie, un homme qui aura tout vu dans la vie.

Philippe Claudel dessinerait, à travers ce personnage, une partie de son enfance marquée par son inscription à l’Université de Nancy mais ne la fréquentant guère, passant son temps à dessiner, à fréquenter les musées, à écrire des poèmes, des nouvelles, des scénarios, à jouer de nombreux courts métrages, à créer deux radios avec des amis et à pratiquer intensément l’alpinisme.

Ces multiples fonctions que cet auteur a occupées dans sa vie reflètent celles du héros dans Le paquet qui nous présente un homme seul mais ayant accompli plusieurs fonctions : militaire, garagiste, poète, psychanalyste etc.

Dans l’épilogue de Juste la fin du monde, Louis revient sur une autobiographie « une chose dont je me souviens ». Il revient sur une période antérieure à son retour, antérieur à la pièce jouée devant le spectateur « c’est pendant ces années où je suis absent ».

Lagarce, ayant appris qu’il est atteint du Sida, a créé un personnage en rapport avec ses derniers instants sur terre. C’est un destin inéluctable. Louis précise : « le chemin sera plus court », créant une analogie avec sa vie qui prend fin prématurément. Il meurt à l’âge de 38 ans, en 1995, alors que le personnage dans l’œuvre a 34 ans.

Ainsi, que l’on se trouve au théâtre, dans un roman ou encore dans un poème, le récit des souvenirs est souvent présent car il retrace la vie de l’auteur à travers le discours des personnages.

En particulier, dans notre corpus, Lagarce, Claudel et Duras exposent des moments cruciaux qui ont marqué leurs parcours, leurs vies, ou encore, leurs derniers instants.

Enfin ici, Les relations « de modulation par ressemblance» reposant sur les classes analogiques, ont montré que les récits des souvenirs qui sont d’usage permanent dans les romans, dominent l’univers théâtral de notre corpus.

Aussi, à travers cette rétrospection sur les faits nostalgiques des personnages, notre corpus nous plonge plus dans un roman que dans une pièce théâtrale.

L’écart est encore considéré ici comme « variation » étant donné que notre corpus nous rappelle le genre romanesque. Et la catégorie ici est uniquement lectoriale

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le mélange des genres dans la dramaturgie française contemporaine à travers L'Éden Cinéma
Université 🏫: Université de Maroua
Auteur·trice·s 🎓:
Tchingdoube valentin

Tchingdoube valentin
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme de master ès lettres
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