Reconsidération de l’utilité du principe de précaution à la scène locale

II. La reconsidération de l’utilité du principe de précaution à la scène locale

Les enjeux environnementaux susceptibles d’impacter l’environnement ainsi que les craintes de la population pour leur santé sont illustrées sur la scène locale. Ils font alors l’objet d’une prise en compte par les élus et plus précisément les maires qui prennent alors des initiatives pour apporter une réponse aux administrés.

Dès lors que le risque n’est pas avéré, ces derniers se tournent vers le principe de précaution qui permet de mettre en avant les craintes et donc de légitimer les actions relatives aux pouvoirs de police générale du maire. Cependant, l’intervention des maires se retrouve extrêmement limitée. Ces limites conduisent finalement à remettre en cause l’utilité du principe de précaution lui-même. D’une part, il demeure être un principe non invocable en matière de police générale (A).

D’autre part, dès qu’il est invoqué, celui-ci est très rapidement neutralisé (B). Ces éléments permettent donc de le remettre en cause sur la scène locale.

A. Un principe non invocable en matière de police générale

En matière environnementale, nombreuses sont les activités régies par une police administrative spéciale. Par conséquent, nombreuses sont les activités ayant un caractère exclusif et relevant des autorités étatiques. D’autant plus que le domaine environnemental est étroitement lié au domaine sanitaire.

Ainsi, à titre d’exemple, la culture des organismes génétiquement modifiés qui possède un réel impact sur la santé humaine relève d’une police administrative spéciale confiée aux autorités étatiques sur le fondement des articles L.531-1 et s du Code de l’environnement. Il en est de même s’agissant des polices spéciales relatives aux communications électroniques. En ce sens, les antennes relais sont jugées comme nocives pour la santé humaine notamment au niveau des ondes qu’elles dégagent.

En l’absence de péril imminent dont la notion est restreinte par la juge administratif, les arrêtés des maires au titre de leurs pouvoirs de police administrative générale et sur le fondement du principe de précaution doivent être annulés pour incompétence101.

101 CE, 9 oct. 1996, n°159192, Commune de Taverny

En ce sens, l’ensemble des solutions retenues pour ces activités rendent impossible l’intervention du maire en la matière. Par ailleurs, elles ne lui permettent pas d’invoquer le principe de précaution pour justifier des éventuelles mesures prises au titre de leurs pouvoirs de police administrative générale en matière environnementale et plus généralement pour la santé de la population 102.

Les intérêts environnementaux ayant des conséquences sur la santé humaine sont gérés au niveau national afin de couvrir l’ensemble du territoire et de garantir l’effectivité, l’unité et la conformité du droit sur cet ensemble.

Cette gestion nationale permet également d’assurer une certaine sécurité des maires relative à leur responsabilité. Nonobstant, cette organisation pose l’intérêt et l’utilité du principe sur la scène locale. Si, le principe est inopérant en matière d’installation des antennes relais et de culture d’organismes génétiquement modifiés, il n’en demeure pas moins que celui-ci laisse penser qu’il n’a jamais vocation à s’appliquer.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat semble limiter la portée du principe. Assisterions-nous alors à une hypothèse dans laquelle, le Conseil d’’Etat semble être mal à l’aise avec les contours divergents du principe de précaution ? Les contours du principe sont flous, pour autant les conséquences qu’ils peuvent entraîner sont concrètes. En limitant la portée du principe de précaution et en réduisant de manière considérable l’utilité de celui-ci sur la scène locale, le juge peut conduire à une véritable confusion entre le principe de précaution et le principe de prévention 103.

La véritable question est relative donc aux compétences des autorités locales et plus largement des maires. Si, celui-ci est pris en compte par les autorités étatiques, il n’en demeure pas moins qu’il est difficilement invocable pour les maires. Par conséquent, les autorités locales et notamment les maires ont un droit d’information104 mais il n’apparaît pas la possibilité pour eux d’utiliser le principe de précaution.

102 CE, 15 janv. 1986, Sté Pec-Engineering : Lebon, Tables 1986, p. 635 – CE, 29 sept. 2003, n°218217, Houillières du bassin de Lorraine.

103 CE, 14 mars 1914, Gurnez : Lebon 1914, p. 350

104 CE, ass., 7 mars 1930, Cie aérienne française et Chambre syndicale de l’industrie aéronautique : Lebon 1930, p. 257.

En ce sens, il paraît évident de conclure que le principe de précaution n’a aucune utilité pour l’échelon local. Sauf, si, on considère qu’il semble conserver un intérêt en matière d’autorisation d’urbanisme.

C’est peut-être l’unique raison qui permet à la scène locale de le maintenir en éveil. En matière d’urbanisme, conformément à la jurisprudence Association du Quartier Les Hauts du Choiseul (précédemment évoquée) le principe de précaution est applicable, ce qui permet au maire au titre de son pouvoir de police de l’urbanisme d’intervenir en la matière. Toutefois, son intervention se limite très concrètement aux activités qui figurent dans le Code de l’Urbanisme.

En définitif, il ne s’agit pas de toutes les activités susceptibles d’impacter l’environnement et par conséquent, la santé humaine. L’utilité du principe de précaution sur la scène locale n’est donc pour ainsi dire, pas totale.

Là encore, en matière d’urbanisme, le principe de précaution semble poser des problèmes. Il pourrait parfaitement justifier un refus d’autorisation de la part du maire, à titre d’exemple avec l’installation des antennes relais. D’autant plus que, le juge n’opère qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de l’autorité administrative. Autrement dit, le juge procéderait à une annulation qu’en cas de doutes fondés.

Pourtant, certains105 auteurs estiment, qu’il s’agit là d’un détournement du principe de précaution et qu’en ce sens, il n’est pas invoqué de manière directe.

La jurisprudence d’ailleurs en la matière ne permet pas de répondre quant à la possibilité pour les maires d’intervenir sur le fondement du principe de précaution. D’autres auteurs affirment que la police spéciale empêche toute immixtion possible des autorités locales et en l’occurrence le maire y compris au titre de la police de l’urbanisme. C’est ce qu’affirme du moins les auteurs Karim HAMRI et Jean-Philippe SORBA106.

Par conséquent, le principe de précaution semble de plus en plus perdre de son utilité au niveau local. D’autant plus que, eu égard aux enjeux économiques que représentent ces activités, il est fort à parier que la logique se poursuivre ainsi.

105 Il est important de revoir la portée des arrêts de 2011, à la lumière de la jurisprudence Commune de Valence : l’exclusivité absolue de la police administrative spéciale des communications électroniques semble aujourd’hui ne plus faire de doute.

106 E. Untermaier, « L’interdiction des règlements municipaux anti-OGM par le Conseil d’État », note sous CE, 24 sept. 2012, Cne de Valence : AJDA 2012, p. 2122

Enfin, l’article 5 de la Charte de l’Environnement permet aux autorités publiques « dans leur domaine d’attributions, lorsque la réalisation d’un dommage bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques et d’adopter des mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Depuis l’arrêt de 2010 relative à l’Association du Quartier Les Hauts du Choiseul, ce principe est transversal. Néanmoins, le juge souligne régulièrement qu’il « n’a ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence ». Ainsi, le principe de précaution ne permet pas un dépassement de la part d’une autorité administrative. « L’article 5 de la Charte de l’environnement ne saurait être regardé comme habilitant les maires à adopter une réglementation locale portant sur une activité de police spéciale ».

Il en résulte donc que l’invocation par un maire du principe de précaution afin de justifier l’usage de son pouvoir au titre de la police générale en matière environnementale est inutile.

Il est possible donc d’affirmer que le principe de précaution n’est pas invocable en matière de police générale, son utilité est donc fortement remise en cause. Il faut bien craindre l’absence totale de marge de manœuvre des autorités locales en la matière y compris sur le fondement du péril imminent. Le juge semble donc vouloir encadrer sa portée et le rendre non invocable, le cas échéant, le neutraliser en cas d’invocabilité.

B. Un principe neutralisé en cas d’invocabilité

Comme il a été question précédemment, nombreuses sont les activités dont le contentieux est qualifié de « mono-forme ». Pour ces activités le principe n’est pas invocable à l’échelle locale. A contrario, les activités relevant du domaine de l’urbanisme peuvent soulever la question de l’invocabilité.

Conformément à l’arrêt Association du Quartier les Hauts du Choiseul, le principe de précaution demeure invocable. Or, les mesures qui relèvent du principe de précaution nécessitent l’appréhension d’un « risque incertain en l’état des connaissances scientifiques ».

De ce fait, il est demandé aux autorités compétentes dans le droit de l’urbanisme de prendre en compte la situation sanitaire pour laquelle elles ne possèdent pas de compétences. Autrement dit, le maire doit réaliser une expertise sur le fondement d’un rapport réalisé par des experts. Il ne possède donc pas de pouvoir d’appréciation sur le fondement du principe de précaution. Charlotte DENIZEAU disait « peut-on demander qu’une appréciation à la fois si complexe, aux enjeux si lourds, soit portée, ponctuellement par une autorité locale ? 107 ».

C’est en ce sens qu’en cas d’invocabilité, le principe de précaution demeure véritablement neutralisé. En effet, il est complexe d’admettre l’invocabilité du principe par les autorités locales dans un domaine environnemental. Le principe reste neutralisé par les autorités de police spéciale.

En ce sens, Charlotte DENIZEAU souligne ainsi qu’il serait « plus adapté (…) de prendre en compte le principe de précaution en amont du dépôt de la demande108 ».

Nonobstant, à l’heure actuelle, le principe peut être uniquement pris en compte qu’au moment de l’instruction des demandes individuelles par les autorités locales du fait qu’il n’existe pas de réglementation étatique fixant une réduction des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis prenant en compte l’évolution des technologies de l’information.

Cette hypothèse est d’ailleurs illustrée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Société Orange109 de 2012.

107 C. Denizeau, « Principe de précaution et droit de l’urbanisme » : RFDA 2012, p. 864. Partageant ce point de vue, v. également : Y. Jegouzo ,« L’imprévisible principe de précaution» : AJDA 2012, p. 233 ; ou P. Soler-Couteaux, «Principe de précaution : l’urbanisme est-il à la hauteur de l’enjeu ?» : RDI 2012, p. 241.

108 C. Denizeau, « Principe de précaution et droit de l’urbanisme », préc

109 CE, 30 janv. 2012, n° 344992, Sté Orange France c/ Cne de Noisy-le-Grand : RDI 2012, p. 176 et 327, obs. P. Soler-Couteaux ; DA avr. 2012, p. 50, note J.-L. Pissaloux.

En l’espèce, le maire de la commune de Noisy-Le-Grand aurait pu s’opposer à la déclaration préalable d’une installation des antennes relais sur le territoire de sa commune.

Le principe aurait donc pu garder une certaine utilité. Cependant, l’obligation et l’exigence d’apporter des éléments circonstanciés conduisent les autorités locales à établir avec certitude le risque de survenance d’un dommage. Toutefois, le principe de précaution ne concerne pas un risque avéré mais un risque suspecté.

« S’il ressort à l’avenir qu’il existe un risque sérieux donc avéré et réel, l’autorité administrative pourra alors agir sur le fondement du principe de prévention110 » Le Conseil d’Etat semble confondre la notion de précaution et celle de prévention.

Dès lors, même si le principe est invocable en l’espèce, il semble neutralisé par le juge qui réalise une interprétation du principe telle qu’il le réduit simplement à un principe platonique et sans réels effets. Par ailleurs, si le principe est invocable ou non, il n’en demeure pas moins que ses effets sont fortement encadrés. Ainsi, le principe de précaution à l’échelle locale semble d’être d’une utilité relative. D’autant plus que, l’arrêt Organe illustre parfaitement le fait qu’il ne soit pas fondé à ce niveau.

De manière générale, le Conseil d’Etat fait preuve de réticences face au principe. D’abord, parce que le juge possède une vision trop exigeante conduisant à une confusion de la prévention et de la précaution.

Cette confusion ne permet pas d’apporter des réponses quant à la possibilité pour les « maires d’intervenir sur ce domaine111 ». Par ailleurs, l’interprétation du principe est variable selon les autorités, c’est pour cette raison qu’il existe encore de nombreuses problématiques relevant des compétences des autorités de police administrative en la matière.

Peut-on considérer que les visions moins strictes du juge judiciaire et européen s’agissant du principe de précaution permettront à l’avenir d’apporter des réponses plus claires afin d’observer une convergence jurisprudentielle sur ces enjeux environnementaux ? Cette affaire reste à suivre.

110 C. Denizeau, « Principe de précaution et droit de l’urbanisme », préc.

111 A. Van Lang, « Nouveaux développements du contentieux administratif des antennes-relais » : RDI 2012, p. 325. V. également en ce sens, J. Raynaud, « Regard critique sur les réticences envers le principe de précaution » : JCP E 2008, p. 2532 ; ou L. Benoît, « Le principe de précaution reste… un principe » : Environnement, n° 4, p. 27.

Pour autant, et au travers de toutes ces divergences, il faut souligner que d’étonnantes décisions illustrent parfaitement l’audace dont fait preuve le juge. C’est le cas de la décision Cergy-Pontoise qui semble singulière.

En conclusion, et eu égard à l’ensemble de ces éléments, le destin de l’utilité du principe de précaution sur la scène locale semble désormais bien fixé. En effet, il paraît disproportionné sur le long terme, que celui-ci puisse être maintenu. D’autant plus, qu’il est pratiquement impossible et d’ailleurs même en cas de péril imminent que celui-ci puisse être invoqué par le maire au titre de son pouvoir de police générale.

Quant au fait, qu’il puisse intervenir sur le fondement de son pouvoir de police de l’urbanisme, son intervention reste conditionnée et encadrée par des règles fixées par les autorités étatiques. Ces règles ne lui permettent pas de réaliser une intervention conformément à sa volonté.

Dès qu’il peut être invoqué, le principe reste neutralisé par les autorités étatiques et indépendamment de la volonté à agir des maires. Son utilité est donc remise en cause, du moins, si elle n’est que pour l’heure envisagée, sur le long terme, elle sera belle et bien fondée.

Conclusion

Depuis son inscription à la Charte de l’Environnement en 2005, adossée à la Constitution de 1958, le principe de précaution est désormais un véritable principe constitutionnel. Mentionné pour la première fois à l’échelle internationale au Sommet de Rio en 1992, il est un composant indispensable au concept « sustainable development » autrement dit, au développement durable.

Arrivé en France avec la loi Barnier de 1995, il figure ainsi à l’article L.110-1 du Code de l’Environnement.

D’abord centré sur l’environnement, il s’est très vite dispersé dans de nombreux domaines et notamment celui de la santé humaine. En ce sens, c’est un principe qui n’a cessé d’évoluer au cours de ces dernières années. Son évolution est également provoquée par des progrès marquants au sein de notre société. Ces progrès sont très régulièrement la crainte de nouveaux risques pour l’environnement et pour la santé des êtres vivants.

Le principe de précaution est un principe aux contours fluctuants. Quant au concours entre la police spéciale et la police administrative générale, celui-ci est extrêmement délicat.

La combinaison de cet ensemble illustre parfaitement la complexité que représente aujourd’hui l’application de ce principe par les autorités de police administrative. D’autant plus que celui-ci, est rythmé par des conflits permanents entre la police administrative spéciale détenue par les autorités étatiques et la police administrative générale détenue par les maires.

La définition du principe de précaution ne mentionne pas réellement les conditions dans lesquelles s’exercent la mise en œuvre du principe par les autorités compétentes.

Le principe de précaution fait l’objet d’une interprétation divergente selon les autorités. De plus, il est très régulièrement confondu avec le principe de prévention au sein de la jurisprudence. Il est donc réellement complexe de retrouver sa véritable utilité. C’est la raison pour laquelle, le concours entre la police administrative générale et spéciale dans l’application du principe de précaution fait l’objet de très nombreux contentieux.

Ainsi, l’appréciation du juge administratif en la matière exerce un rôle indispensable à la compréhension de cette articulation.

L’urgence climatique, la dégradation massive de l’environnement et l’évolution des nouvelles technologiques jugées parfois nocives pour l’environnement et la qualité de vie des êtres vivants ainsi que la crainte toujours plus fondée de la population ont entraîné une multiplication des législations afin d’encadrer ces activités. Bien que, pour la plupart de ces activités, le risque ne soit pas scientifiquement prouvé, il n’en demeure pas moins qu’à l’échelle locale les craintes sont bien fondées.

C’est la raison pour laquelle, le maire est l’autorité la plus sollicitée par les administrés qui souhaitent faire entendre leurs craintes. C’est en ce sens qu’un important contentieux a été mis en avant. Le principe de précaution repose sur une ligne directrice qui est pour le moins difficilement compréhensible : le fait de ne pas avoir de certitude scientifique concernant un risque, n’est pas une raison pour ne pas agir. A cela s’adjoint le rôle des autorités.

Les conditions relatives à l’interventionnisme de maire en sa qualité de police administrative générale ont occasionné des approfondissements doctrinaux donnant lieu à des solutions jurisprudentielles bien établies.

En théorie, le principe de précaution ne permet pas un bouleversement de l’ordre des compétences administratives. Dès lors qu’une activité susceptible de porter atteinte à l’environnement et plus généralement à la santé de la population est encadrée par une police administrative spéciale, celle-ci est exclusive.

Par ailleurs, nombreuses sont les activités qui relèvent d’une police administrative spéciale. Pour ces activités, l’intervention de la police générale, et plus précisément l’intervention du maire n’est pas tolérée. En effet, cette intervention signifierait d’une part la remise en cause du caractère unitaire de l’Etat français. D’autre part, une rupture du caractère uniforme de l’application du droit européen.

Ce qui n’est pas envisageable en droit.L’exclusivité de la police administrative spéciale permet de mettre en lumière, le principe selon lequel, le maire ne détient pas les compétences d’expertises nécessaires pour mettre en place des mesures proportionnées afin de palier à un éventuel risque.

D’autant plus que, l’attribution d’une nouvelle compétence pour le maire sur le fondement du principe de précaution pourrait représenter un danger quant à sa responsabilité en matière administrative mais également en matière pénale. Toutefois, il est en théorie possible pour une police administrative générale d’intervenir dans une activité régie par la police administrative spéciale en justifiant d’une carence de l’autorité étatique ou encore d’un risque de péril imminent justifiant une intervention dans l’urgence. La théorie demeure complexe et trouble davantage cette articulation en pratique.

En pratique, les problématiques persistent toujours autant. En effet, dans la pratique, il s’avère que le justificatif du péril imminent dépend de l’appréciation du juge et du cas en l’espèce. Pour ainsi dire, le péril imminent n’est pas systématiquement justifié, il devient d’ailleurs de plus en plus rare qu’il puisse être invoqué.

Ce phénomène s’explique par le fait de vouloir garantir une application uniforme du droit sur l’ensemble du territoire. Pour l’Etat, les risques susceptibles de provenir d’une activité concernent l’ensemble du territoire et non pas seulement une partie.

Ainsi, les mesures prises par une autorité de police spéciale paraissent suffisantes pour réguler un risque incertain et simplement présumé. Par ailleurs, les autorités étatiques détiennent la compétence d’évaluation. Elles peuvent sur ce fondement mener une expertise sur l’ensemble du territoire, il est donc légitime que ces mesures puissent s’appliquer de manière égalitaire à l’ensemble de celui-ci.

Par conséquent, le péril imminent et la carence d’une autorité de police spéciale ne sont pas toujours des justificatifs valables qui permettent systématiquement au maire d’intervenir et d’empiéter sur les activités de la police spéciale.

Toutefois, le principe de précaution peut être contourné au travers de la police de l’urbanisme détenue par le maire. Ce contournement permet au maire de pouvoir répondre à une partie des craintes de ses administrés. La police de l’urbanisme permet d’assurer un contrôle efficace du respect des règles et des procédures d’urbanisme.

Faute de pouvoir en l’état actuel des connaissances scientifiques exercer son pouvoir de police générale pour règlementer une activité, le maire peut en effet, et toujours de manière indirecte interdire ou réglementer une activité susceptible d’impacter de manière grave l’environnement et la santé humaine.

En effet, celui-ci peut intervenir pour rejeter une demande d’autorisation d’urbanisme sans pour autant appliquer directement le principe de précaution. Nonobstant, le principe d’indépendance des législations ne lui permet pas d’intervenir sur l’ensemble des activités, seules les activités figurant dans le Code de l’Urbanisme et pouvant impacter l’environnement sont concernées.

Enfin, le refus des autorisations fait l’objet d’un contrôle du juge administratif qui finalement illustre une neutralité du principe en la matière. Cet outil n’est pas une garantie totale pour l’intervention du maire.

Les prémisses de la reconnaissance des maires et de leurs compétences sur le fondement du principe de précaution ont été marquées au cours de l’année 2019 et notamment avec la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a bouleversé la théorie. Ce bouleversement explique aussi le paradoxe en la matière.

En effet, en octobre 2019, le préfet des Hauts-De-Seine demande au juge des référés une suspension de l’arrêté du maire du 13 juin 2019 dans lequel, celui-ci interdisait l’utilisation des pesticides sur le fondement du principe de précaution. Les pesticides étaient destinés à l’entretien de son territoire. Le préfet souligne le fait que le maire aurait excédé ses pouvoirs de police générale.

En effet, il dispose que le principe de précaution ne peut autoriser le maire à excéder son domaine de compétences. Pourtant, ici, le juge donnera raison au maire.

C’est la raison pour laquelle, la reconnaissance des maires provoque une difficile appréhension du concours entre les deux autorités dont relève l’application du principe de précaution. Les règles relatives à l’intervention du maire face au principe de précaution ont donné lieu à des réflexions doctrinales conséquentes.

D’ailleurs, en pratique, là encore, l’origine européenne des polices spéciales est bien visible. Elle illustre parfaitement la fermeté des polices spéciales et notamment leur caractère exclusif. Cette fermeté est reprise dans l’ensemble des décisions du Conseil d’Etat.

D’autant plus que, la volonté de préserver le modèle unitaire français influence l’interprétation du juge face aux compétences des autorités. Le maire est donc dans la plupart des cas mis à l’écart afin de respecter cette vision.

La naissance d’un nouvel interventionnisme du maire est illustrée par une prise de conscience du risque qui demeure de plus en plus présente dans notre société. Nombreuses sont les activités qui peuvent engendrer des dommages irrémédiables à l’environnement ainsi qu’à la santé humaine. Le Conseil d’Etat ne mentionne la notion de concours mais d’immixtion de l’autorité de police générale dans l’exercice de la police spéciale.

Par conséquent, dès lors qu’une police spéciale existe, il juge que soit l’intervention de la police générale est complètement écartée et ce même en cas de péril imminent, soit le maire peut intervenir sur le fondement du péril imminent dans des conditions strictement définies. En l’espèce, la reconnaissance du maire au titre de ses pouvoirs de police générale sur le fondement du principe de précaution est récente.

Le volontarisme municipal est depuis plusieurs années mis en lumière par des pensées politiques prépondérantes. En effet, la société actuelle et les autorités locales sont plus favorables à s’opposer à des nouvelles technologies pouvant impacter l’environnement et plus généralement la santé de la population.

L’intervention du maire sur le principe de précaution est très limitée, si l’arrêté municipal est jugé pour la plupart du temps illégal, puisqu’il illustre un empiétement de la police générale sur la police spéciale, il n’en demeure pas moins qu’il permet de sensibiliser sur la règlementation de ces activités. C’est en ce sens que l’interventionnisme du maire est présent.

Cependant, la reconnaissance de l’intervention du maire reste très fragile. Il possède un droit d’information mais n’a pas de compétences stricto sensu sur le principe de précaution. Par ailleurs, cette reconnaissance entraîne des conséquences pour lesquelles le juge administratif souhaite limiter l’apparition. En effet, cela reviendrait à remettre en cause l’équilibre du droit, son application unitaire et le respect des règles de l’Union Européenne. Cette reconnaissance bien qu’elle soit faible, peut entraîner des conséquences sur le principe de précaution.

A l’incertitude encadrant la portée du principe de précaution s’adjoint la légitime interrogation sur la remise en cause de la primauté reconnue à la police spéciale.

C’est pour cette raison qu’en pratique, l’interprétation du juge demeure stricte afin de cantonner le principe de précaution aux seules autorités qui relèvent de l’Etat. Les limites qui sont imposées au maire conduisent finalement à remettre en cause l’utilité du principe de précaution lui-même. D’une part, il demeure être un principe non invocable en matière de police générale. D’autre part, dès qu’il est invoqué, celui-ci est très rapidement neutralisé. Ces éléments mènent à la question de son utilité sur la scène locale.

Son utilité est très régulièrement remise en cause. Le principe de précaution est souvent critiqué. C’était encore le cas dernièrement avec la commission ATTALI en février 2008 qui demandait l’abrogation du principe.

En effet, les scientifiques soulignent une crainte de voir le principe de précaution entre les mains d’autorités qui ne sont pas compétentes pour mener une véritable expertise. C’est le cas des maires.

Ils mettaient en avant le fait que, si le principe est mal interprété, il peut s’avérer être un véritable frein à la recherche et l’innovation. En donnant à diverses autorités, la possibilité d’utiliser le principe de précaution, celui-ci augmente fortement les chances d’assister à des dérives prépondérantes et gravissimes. C’est en ce sens, que le principe est accusé de générer une insécurité juridique, une inertie de l’économie et une paralysie pour la recherche.

A contrario, son utilité demeure pourtant indispensable dans notre société. Son champ d’applicable est variable et est bien au-delà du domaine environnemental. Le principe de précaution permet désormais de garantir un droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Toutefois, l’interprétation dépend également du contexte. Par exemple, le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID 19 a illustré sa dimension nécessaire et planétaire.

Pour autant, il faut que l’environnement soit le vecteur d’une atteinte à la santé publique afin que le principe de précaution soit applicable. A titre d’exemple, l’arrêté du maire de Nice obligeant le port du masque dans les lieux publics pour les personnes de plus de 10 ans a été annulé par le Conseil d’Etat. Celui-ci a jugé qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’environnement et l’atteinte à la santé.

Là encore, la compréhension du principe de précaution demeure complexe. Ce qui conduit, à une mauvaise application de celui-ci par les autorités, d’où le conflit entre le maire et l’Etat.

Paradoxalement, son utilité demeure fortement limitée. Premièrement, les mesures mises en place ne doivent pas réaliser une rupture du principe d’unité, d’uniformité et d’équilibre du droit. Deuxièmement, les possibilités pour le maire d’intervenir sont conditionnées par un non bouleversement de l’ordre des compétences administratives. Troisièmement, les mesures doivent faire l’objet d’une expertise menée par les autorités compétentes mais dont les conditions d’exercice ne sont pas réellement déterminées. Dernièrement, le tout à un coût économiquement acceptable. Cette approche est critiquable. Par conséquent, les mesures doivent être proportionnées, économiquement acceptable et provisoires.

Elles s’inscrivent par ailleurs dans une notion qui ne possède pas de définitions unanimes. Pourtant, elles ont le devoir de respecter cette définition.

Cela implique de mettre en œuvre des procédures d’évaluations constantes. Cette obligation d’évaluation constante et continue est nécessairement rendue difficile, pour des raisons très liées avec la connaissance scientifique. Pour pouvoir prendre de telles mesures, elles doivent disposer d’études scientifiques récentes et d’informations fiables. Ce n’est pas toujours le cas. En effet, toutes les informations relatives à l’environnement et à la santé humaine ne sont pas toutes accessibles.

En contrepartie, les autorités doivent être en mesure d’identifier un risque déterminé et hypothétique en évaluant les bénéfices et les risques des mesures envisagées. C’est une tâche complexe.

Finalement, à la réponse du concours entre la police générale et spéciale dans l’application du principe, il est nécessaire d’affirmer que le processus est complexe et varie d’une vision à l’autre. Depuis des années d’existence, qu’il s’agisse de l’échelle internationale avec l’Organisation Mondiale du Commerce ; La Cour de Justice de l’Union Européenne et la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou de l’échelle nationale avec le juge administratif, l’ensemble des décisions ont toujours été contradictoires.

Sur le territoire national, la jurisprudence n’est pas unanime et varie d’une part selon les juridictions et d’autre part en fonction de la société.

D’autant plus, à ces divergences, se rajoutent des dérives. En effet, deux dérives ont pu être constatées. L’une réside dans la confusion entre le principe de précaution et le principe de prévention qui débouche finalement à une mauvaise interprétation en l’espèce des cas et donc à une confusion des règles relatives au concours de police spéciale et générale. L’autre résulte d’une méconnaissance des exigences de gravité et d’irréversibilité du dommage environnemental et sanitaire qu’impose la Charte de l’Environnement.

Outre les dérives constatées, nombreuses sont les difficultés qui ne permettent pas d’appliquer concrètement le principe.

Ainsi, les pouvoirs des maires face aux autorités de police spéciale semblent tourmentés par l’ensemble de ces éléments. Les avis divergent, les mesures prises par les polices spéciales sont suffisantes puisqu’ils permettent de couvrir l’ensemble du territoire. A contrario, les avis des populations à l’échelle locale ne sont pas réellement pris en compte et c’est pour cette raison que les craintes demeurent toujours plus fortes.

Par conséquent, l’intervention du maire peut s’avérer indispensable afin de mettre en avant les craintes fondées ou non de ses administrés face à des activités qui peuvent s’avérer dangereuses pour leur environnement et leur santé.

D’autant plus que les autorités de police administrative doivent concilier son application entre d’une part les défenseurs de l’environnement qui s’inquiètent des projets technologiques et biotechnologiques, dont les effets immédiats sont difficilement mesurables, et dont les conséquences pouvant s’avérer irrémédiables sur l’environnement notamment les milieux naturels et la santé humaine. D’autre part, les opposants au principe de précaution qui voient en lui un outil dévastateur pour le droit, la société et la croissance. Toutefois, l’ensemble de cette réflexion et de ces propos relèvent de l’appréciation du juge administratif qui diverge selon les cas illustrés.

Dès lors, il n’existe pas une réponse unique en la matière. Et c’est d’ailleurs toute la problématique actuelle qui gravite autour du droit.

« Sa formulation devrait être alors dans le doute, mets tout en œuvre pour agir au mieux. Agir au mieux, qu’est-ce que cela veut dire ? S’abstenir dans certains cas, bien sûr, mais, dans d’autres, trouver les bonnes modalités de l’action en minimisant la prise de risques.

Qui pourrait nier que, dans tous les secteurs de l’activité humaine, on peut accomplir des progrès pour diminuer les prises de risque, comme en témoigne l’analyse d’affaires et de scandales récents ?

L’important est donc bien de donner au principe de précaution un contenu positif, c’est-à-dire une définition utilisable, assortie, comme nous le ferons ici, d’un mode d’emploi qui puisse être compris de tous et servir à tous les acteurs, y compris la police administrative et les juges.

Seule cette clarification fondamentale pour que s’établisse un consensus, permettra au principe de précaution de devenir un véritable instrument de progrès social et non plus une pomme de discorde entretenant les contradictions au lieu d’aider à les résoudre ou un obstacle dressé contre les avancées scientifiques et technologiques. » Philippe KOURILSKY

En suivant cette logique, le principe de précaution permettrait sur le long terme à la police administrative de comprendre les conditions qui régissent ses pouvoirs dans ce domaine si obscur.

Ce mémoire illustre la dimension puissante mais insaisissable du principe de précaution et de son application par les autorités de police administrative.

Ab esse ad posse valet, a posse ad esse non valet consequentia

De l’existence d’une chose on conclut à sa possibilité ; de la possibilité d’une chose, on ne peut conclure à son existence.

Bibliographie :

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Lorraine - Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz - Master 1 Droit Public
Auteur·trice·s 🎓:
LIGONNET Chloé

LIGONNET Chloé
Année de soutenance 📅:
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