L’articulation du principe de précaution tendant à l’exclusivité de la police spéciale

II. L’articulation du principe de précaution tendant à l’exclusivité de la police spéciale
La prise de conscience écologique, l’urgence climatique, les risques sanitaires ont entrainé la multiplication des législations encadrant les activités susceptibles de porter atteinte à l’environnement et à la santé de l’Homme. Le concours de police générale et de police spéciale environnementale est à l’origine d’une importante situation de conflit régulier que le juge administratif a dû résoudre. Cette résolution l’amène à consacrer une très large exclusivité des polices spéciales environnementales. La jurisprudence relative aux concours de police et notamment celle relative à l’immixtion de la police générale au sein d’une activité relevant de la police spéciale semble prédominante. Toutefois, aucune généralisation ne semble véritablement possible. C’est la raison pour laquelle, il est possible de constater l’existence d’une jurisprudence tournée vers l’exclusivité de la police spéciale (A). Enfin, force est de constater le rejet bien visible d’une éventuelle compétence des maires sur le fondement du principe de précaution (B)
A. L’existence d’une jurisprudence tournée vers l’exclusivité de la police spéciale
La jurisprudence a longtemps été tournée vers une exclusivité de la police spéciale. Autrement dit, elle a toujours rejeté l’intervention de l’autorité de police générale dès lors que les mesures mises en place avaient un objet identique à celui qui été mené par la police environnementale spéciale. La jurisprudence encadre de plus en plus les activités susceptibles de porter atteinte à l’environnement et la santé humaine. En 2011, le Conseil d’Etat s’oriente au travers de sa jurisprudence de manière prépondérante vers une nouvelle forme d’exclusivité de la police spéciale. En effet, la police spéciale des communications électroniques, plus précisément l’installation des antennes relais marque une exclusivité totale de la police spéciale. En effet, il appartient aux autorités compétentes de mettre en œuvre la règlementation s’agissant de l’installation des antennes de téléphonies mobiles et d’en établir une règlementation nationale.
Il n’en demeure pas moins, que certains maires utilisent leur pouvoir de police générale pour interdire l’installation de ces antennes sur le fondement de l’article 5 de la Charte de l’environnement. Ils se fondent sur les risques que les ondes électromagnétiques sont susceptibles de générer sur la santé humaine. Toutefois, le Conseil d’Etat a toujours refusé l’intervention de la police générale du maire dans le champ des antennes relais. CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis40. Or, en réalisant une interprétation à contrario, il était possible de penser que le maire restait compétent à titre dérogatoire pour des mesures particulières dérogeant à la règlementation nationale. En réalité, la position du Conseil d’Etat en la matière a été encore plus drastique. Il a en effet, refusé la légalité des mesures particulières prises en cas de circonstances locales justifiant l’intervention de l’autorité de police générale. CE, 26 décembre 2012, Commune de Saint-Pierre d’Irube41. En définitive la jurisprudence relative aux antennes relais fait apparaître la police spéciale comme étant exclusive. Une solution identique a été retenue l’année suivante, s’agissant de la police spéciale des OGM. Cette compétence appartient au ministre de l’agriculture après consultation du ministre de l’environnement et des experts. Les craintes pour la santé humaine et les dégradations de l’environnement ont été soulevées par les maires. Le Conseil d’Etat est intervenu à plusieurs reprises pour interdire l’intervention du maire dans ce domaine qui ne lui appartient pas. CE, 24 septembre 2012, Commune de Valence. La formulation permet alors de retenir la même interprétation que pour les antennes relais.
En 2019, le Conseil d’Etat a continué son interprétation jurisprudentielle menant à une exclusivité de la police spéciale. Il s’est inspiré de son ancienne interprétation pour statuer sur la question des compteurs électriques communicants « compteurs Linky ». L’installation relève de la règlementation prise par le Premier Ministre et le ministre chargé de l’énergie. A cette époque, un important mouvement des maires se met en place. Les maires estiment que l’installation de ces compteurs représente un réel danger pour la santé de la population.
40 CE, ass., 26 oct. 2011, n° 326492, Commune de Saint-Denis, Lebon ; AJDA 2011. 2219
41 CE 26 déc. 2012, n° 352117, Commune de Saint-Pierre d’Irube, Lebon T. 883 ; AJDA 2013. 1292, note
A. Van Lang ; D. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle
Ils prennent dès lors des arrêtés afin d’interdire les compteurs au sein de leur territoire sur le fondement de l’article 5 de la Charte de l’environnement. Cependant, le Conseil d’Etat consacre l’exclusivité, encore une fois de la police spéciale. CE, 11 juillet 2019, commune de Cast 42. Par conséquent, il est possible de conclure sur le fait que la jurisprudence du Conseil d’Etat marque une importante exclusivité de la police spéciale. Cette importance occupe une place désormais totale pour l’ensemble des activités qui font souvent réagir les maires sur le fondement du principe de précaution.
En revanche, une situation nouvelle, n’est pour l’heure pas encore remontée totalement jusqu’au Conseil d’Etat. Il s’agit de la police des produits phytopharmaceutiques43 et plus précisément des pesticides. L’utilisation de ces produits relève de la compétence d’une police spéciale et notamment du ministre de l’agriculture après avis d’un organisme expert, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Devant l’urgence de ces dernières années du fait des conséquences du glyphosate sur la santé humaine, une réforme est en cours. Nonobstant, les maires n’ont pas souhaité attendre la réforme et ont décidé sur le fondement de l’article 5 de la Charte de l’environnement d’interdire l’utilisation de ces substances sur le territoire de leurs communes. Pour l’heure, les tribunaux qui ont eu à se prononcer sont divisés. Le tribunal de Rennes dans sa décision du 25 octobre 2019, a repris la jurisprudence dégagée par le Conseil d’Etat à propos des antennes relais et des organismes génétiquement modifiés afin de consacrer « l’exclusivité de la police spéciale44 ». Tandis que le tribunal de Cergy-pontoise a consacré une exclusivité limitée de la police spéciale afin de permettre au « maire d’intervenir en la matière en cas de danger grave ou imminent ou encore en cas de circonstances locales particulières45 ».
42 CE 11 juill. 2019, n° 426060, Commune de Cast, Lebon ; AJDA 2019. 1479 ; AJCT 2019. 579, obs. O. Didriche ; Dr. adm. 2019, n° 54, note G. Eveillard ; EEI 2019, n° 54, note L. Cytermann.
43 La directive 91/414/CEE définit comme produit phytopharmaceutique tout produit destiné à protéger les végétaux ou les produits végétaux contre tous les organismes nuisibles ou à prévenir leur action pour autant que ces substances ou préparations ne soient pas autrement définies ci-après.
44 TA Rennes, 25 oct. 2019, n° 1904029, Préfet d’Ille-et-Vilaine c/ Commune de Langouët, concl. M. Touret
45 TA Cergy-Pontoise, 8 nov. 2019, n° 1912597, Préfet des Hauts-de-Seine, AJDA 2020. 307, note C. Hermon ;
AJCT 2020. 109, tribune A.-S. Denolle ; v., égal
Il en est de même avec la CAA dont nombreuses sont celles qui se positionnent sur la décision du TA de Rennes, d’autres moins nombreuses se rangent derrière la position du TA de Cergy-Pointoise.
Le fait que la jurisprudence ne soit pas fixée, trouble l’analyse encore fragile du concours entre la police générale et la police spéciale, concernant les activités liées à l’environnement susceptibles de porter atteinte à la santé humaine. Les produits phytopharmaceutiques sont à la convergence de deux courants jurisprudentiels en la matière. Néanmoins, la position du TA de Rennes semble la plus logique eu égard aux anciennes jurisprudences dégagées par le Conseil d’Etat. Par conséquent, force est de constater une évolution jurisprudentielle qui ne cesse d’être centrée vers une exclusivité de la police spéciale. Du côté de la doctrine et des auteurs, les avis divergent et ne semblent pas tous être en adéquation avec la jurisprudence du Conseil d’Etat. En effet, la majorité des auteurs est radicalement opposée à l’exclusivité de la police spéciale. C’est le cas de Jacques MOREAU46 qui illustre le fait « qu’il n’y a pas de police spéciale qui serait exclusive par nature ». René CHAPUS47 souligne le fait « qu’il est rare que cette concurrence soit exclue et que seule la police spéciale puisse être exercée ». Plus strictement, Etienne Picard affirme que « poser un principe d’exclusivité des polices spéciales, c’est méconnaître la nature et la consistance de la fonction de police ». A contrario, Yves Gaudemet considère « qu’en cas de concurrence entre une autorité de police générale et une autorité de police spéciale les règles sont nuancées, et qu’en dehors, la plupart reste le principe selon lequel, la police spéciale est exclusive ». Force est de constater qu’il existe un écart dans la vision des auteurs. Certains affirment une exclusivité totale, tandis que d’autres illustrent une exclusivité partielle.
En revanche, la notion d’exclusivité reste bien ancrée dans les propos. Ainsi, il est possible d’affirmer que les pensées juridiques sont tournées vers une logique d’exclusivité avec des aménagements qui ne sont pas toujours respectés.
46 Jacques MOREAU est un universitaire français, Le maire et la santé, Jacques Moreau, Dans Les Tribunes de la santé 2007/1 (n° 14), pages 53 à 58
47 René CHAPUS est un juriste français, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas (Paris II), spécialisé en droit public (et notamment en droit administratif). René Chapus, Droit administratif général, vol. 1 et 2, Paris, Montchrestien, coll. « Domat droit public », septembre 2001, 15e éd. (1re éd. 1985 et 1986), 1440 et 808 p., broché
D’autant plus, que les activités ayant d’éventuelles conséquences environnementales et sanitaires sont de plus en plus nombreuses. Par conséquent, le principe de précaution est de plus en plus utilisé par les maires, son évolution fait l’objet d’une interprétation différente selon l’évolution de la société.
Surtout que le risque est de plus en plus marqué au sein de cette société pour laquelle les craintes sont toujours plus fondées et pour lesquelles les autorités ont l’obligation d’apporter une réponse adaptée.
Nonobstant, le droit n’est pas uniforme, il diverge selon la doctrine et les auteurs. En effet, il n’existe pas une définition unique, une interprétation commune et une vision identique du droit. C’est exactement le même processus pour l’ensemble des principes qui forment le droit et en particulier le principe de précaution qui concerne à la fois le droit public et ses branches que le droit privé. Son interprétation est variable et évolutive. C’est la raison pour laquelle, l’exclusivité de la police spéciale sur le fondement du principe de précaution n’est pas toujours perçue à l’identique. Le jugement du Conseil d’Etat est quant à lui conduit au travers d’une logique d’exclusivité totale. Il est donc tout à fait proportionné d’affirmer que la jurisprudence tend à une exclusivité des polices spéciales.
Si, le Conseil d’Etat n’a jamais réellement affirmé un quelconque principe général d’exclusivité. Il n’en demeure pas moins que l’articulation du principe de précaution mène au rejet systématique du maire dans ce domaine.
B. Le rejet de fonder une nouvelle compétence au maire sur le principe de précaution
Le principe de précaution est le principe qui justifie le plus l’exclusivité de certaines polices spéciales. Ce principe, à l’article 5 de la Charte de l’environnement énonce en effet que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent […] à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
A première vue, ce principe semble être selon la jurisprudence, le seul à être doté d’un effet direct, le rendant opposable aux mesures administratives. CE, 19 juillet 2010, Association Quartier les hauts de Choiseul48. Pourtant, force est de constater qu’un certain nombre d’activités encadrées par les polices spéciales, entrent dans le cadre et dans le champ d’application du principe de précaution. En effet, les ondes qui proviennent des antennes de téléphonies mobiles, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, la culture d’organisme génétiquement modifiés, l’installation des compteurs Linky et plus largement l’ensemble des nouvelles innovations et technologies sont très régulièrement jugés comme pouvant porter atteinte à l’environnement incluant pour ainsi dire la santé humaine. Toutefois, l’ampleur du danger reste pour l’heure incertain, en l’état des connaissances scientifiques du moment. A fortiori, il n’existe pas d’affirmations scientifiques concrètes qui confirment que ces activités sont à l’origine d’une atteinte grave pour l’environnement. Il n’existe pas non plus de réponses fiables concernant le lien de causalité entre ces activités et l’apparition des pathologies au sein de la population, comme par exemple le développement des cancers. De plus, la consommation des OGM soit de manière directe, soit par la dissémination sur le territoire est aussi de plus en plus accusée d’être susceptible de provoquer sur le long terme des atteintes graves à la santé humaine.
48 CE 19 juill. 2010, n° 328687, Association Quartier « Les hauts de Choiseul », Lebon 333 ; AJDA 2010. 2114, note J.-B. Dubrulle ; D. 2010. 2468, obs. F. G. Trébulle ; RDI 2010. 508, obs. P. Soler-Couteaux ; AJCT 2010. 37 ; Constitutions 2010. 611, obs. E. Carpentier ; JCP A 2011, n° 55, note D. Del Prete et J.-
V. Borel ; et n° 2119, note P. Billet ; RDI 2010. 508, obs. P. Soler-Couteaux
De plus, la culture des OGM est considérée comme ayant un rôle prépondérant dans la dégradation de l’environnement.
Ces activités pourraient alors totalement rentrées dans le champ d’application du principe de précaution. En effet « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement » le principe de précaution peut donc à priori s’appliquer. Cependant, ces activités sont pour la plupart régies par des polices spéciales, et deviennent de facto étrangères au principe de précaution. En effet, les potentiels dangers de ces activités sont documentés et font l’objet d’une évaluation régulière. A titre d’exemple, la présence dans l’eau potable des substances comme les nitrates engendrent des risques pour l’environnement et la santé qui sont désormais bien connus. L’application du principe de précaution aurait alors pu être justifiée à l’époque, lorsqu’il n’y avait encore pas de connaissances scientifiques sur le sujet. Désormais, il ne l’est plus du fait de l’existence des connaissances permettant de gérer les risques. Etant donné, que les activités relèvent de plus en plus des polices spéciales, il est affirmé que le risque est « prévu ». C’est la raison pour laquelle, l’idée de transmettre des compétences en la matière aux maires est rejetée.
Ensuite, sur le fondement des articles L.2212-1 et L.2122-24 du Code général des Collectivités Territoriales le maire : « est chargé sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de l’exercice des pouvoirs de police, dans les conditions prévues aux articles L.2212-1 et s ». Le police du maire permet donc de garantir l’ordre public au travers d’une réglementation locale prévue à cet effet. Toutefois, l’exercice de ses pouvoirs s’effectue dans un domaine dont la certitude est bien ancrée. Ses pouvoirs lui permettent ainsi d’assurer la sécurité, la salubrité et la tranquillité sur son territoire. Par sécurité, il est possible de percevoir la mise en application du principe de précaution afin d’assurer la sécurité des administrés face à un risque. D’autant plus que, l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales relatif aux pouvoirs de police générale du maire dispose qu’il « appartient au maire de prévenir par des précautions convenables, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature. ». Toutefois, ici la précaution doit être entendu comme une obligation de prudence et non au sens du principe.
La précaution est donc entendue au travers de la juxtaposition de la prévention et plus précisément du verbe « prévenir ». C’est la raison pour laquelle, l’obtention d’une nouvelle compétence pour le maire semble s’éloigner. Le problème réside également au travers de la notion du risque incertain. En effet, cette condition est la principale composante du principe de précaution. L’incertitude scientifique porte sur les effets de l’activité envisagée et plus précisément sur la question des effets nocifs sur l’environnement et la santé ou encore le lien de causalité entre l’activité envisagée et les possibles conséquences environnementales et sanitaires. Le maire ne peut agir sur des activités dont le risque est incertain. A contrario, il peut agir uniquement sur les activités dont les risques sont certains et pour lesquels d’ailleurs, il possède un pouvoir de police spéciale en la matière. En effet, le maire est titulaire de pouvoirs de police spéciale en matière environnementale, notamment sur les nuisances sonores49 et la circulation dans les espaces naturels50. Cependant ces activités ne nécessitent pas l’intervention du principe de précaution.
Aussi, il convient de distinguer l’obligation d’agir qui appartient à l’Etat et donc qui semble être plus conforme à la définition du principe de précaution et la possibilité d’agir qui appartient quant à elle, au maire. Par conséquent, le juge vérifiera toujours les compétences techniques et le pouvoir d’expertise du maire. L’article 5 de la Charte précise que les autorités compétentes doivent appliquer des mesures dans le domaine de leurs « attributions respectives ». D’autant plus que la notion « d’attributions respectives51 » ici fait référence à la compétence de la police spéciale et non à celle du maire. Rappelons, que la police spéciale intervient sur un domaine particulier et pour lequel, elle possède des compétences propres. Ainsi, un maire ne peut interdire des activités qui n’entrent pas dans son champ d’attribution. D’autant plus que, l’utilisation du principe de précaution ne fait que conclure le raisonnement du juge, qui à ce stade a déjà établi l’incompétence de l’autorité de police générale. Par conséquent, le rejet d’une éventuelle compétence de la part du maire semble fondé au travers de l’articulation du principe et de la jurisprudence.
49 Article L.1311-1 du Code de la santé publique
50 Article L.2213-4 du Code général des collectivités territoriales
51 v., égal., Cons. const. 19 juin 2008, n° 2008-56 DC, AJDA 2008. 1614 , note O. Dord ; D. 2009. 1852, obs. V. Bernaud et L. Gay ; et 2448, obs. F. G. Trébulle ; RFDA 2008. 1233, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud
Ce rejet d’une nouvelle compétence au maire, tient également à la volonté de nombreux scientifiques. En effet, les scientifiques ont régulièrement mis en lumière les dangers que représentait le principe de précaution, dès lors qu’il était abusivement compris par les autorités non compétentes en la matière. Pour la recherche scientifique et le développement technologique, le principe de précaution rétrograde les avancées. En février 2008, la commission Attali52 critique le principe de précaution. Elle démontre, qu’il s’agit d’un principe pouvant conduire à une insécurité juridique et surtout à un blocage de l’économie française. Cette dernière demandait l’abrogation du principe dans l’ordonnancement juridique. En 2013, une proposition de loi constitutionnelle déposée au bureau de l’Assemblée Nationale visait à retirer la valeur constitutionnelle du principe. Elle n’a pas été aboutie. Sur ce point « Un principe de précaution abusivement compris est un principe selon lequel, l’Homme n’aurait jamais cultivé une pomme de terre, développé l’automobile ni même peut-être cherché à maîtriser le feu53 ». D’ailleurs, les scientifiques n’hésitent pas à souligner « l’obscurantisme moyenâgeux » d’un principe de précaution mal compris. Il est donc perçu comme étant un obstacle aux recherches et aux innovations. C’est en ce sens, qu’il fallait limiter les pouvoirs des autorités et notamment ceux du maire en la matière. La tendance est donc claire, plus les autorités compétentes pour réguler les risques potentiels sont nombreuses, plus la probabilité de céder à l’irrationalité est forte. C’est la raison pour laquelle, le Conseil d’Etat contribue à une restriction de la police générale et donc du maire dans ce domaine. Le rôle de Conseil d’Etat exprime bien la volonté de contribuer à un cantonnement de la compétence dans ce domaine. Ces propos sont également illustrés par Danièle LOCHAK54 qui montre la volonté de préserver ce domaine. C’est tout l’objet de sa jurisprudence d’ailleurs. Par conséquent, la possibilité d’attribuer des pouvoirs au maire est bien rejetée.
Finalement, les pouvoirs du maire restent résiduels et conservatoires. Dans le cadre de ses pouvoirs résiduels, le maire peut intervenir seulement si, un texte ne confère pas de pouvoirs particuliers à une autorité spéciale.
52 La commission Attali est une commission pour la libération de la croissance française. Elle est chargée de rédiger un rapport fournissant des recommandations et des propositions afin de relancer la croissance économique de la France. Les travaux ont débuté en 2007 et le rapport final est rendu en 2008.
53 C. Rouillier, Recherches sur l’aléa dans la jurisprudence administrative, thèse, Brest, 2019, p. 407 et s., spéc. p. 409
54 D. Lochak, Le rôle politique du juge administratif français, LGDJ, Bibl. droit public, 1972
Force est de constater que nombreuses sont les activités qui sont désormais encadrées par un texte et donc par une police spéciale. Auquel cas, pour le maire, il ne lui reste plus que des compétences conservatoires afin de prévenir d’un risque imminent, là encore, ces compétences ne sont pas toujours autorisées et demeurent provisoires comme il a été question précédemment. Par conséquent, le maire est l’autorité qui reste encore bien démuni face au principe de précaution.
A ce stade, force est de constater que l’impéritie du maire au titre de ses pouvoirs de police administrative générale est fortement conditionnée par l’existence d’activités qui sont de facto encadrées par la police spéciale, et qui par principe ne permettent donc pas au maire d’intervenir. De plus, l’exception qui permet au maire d’intervenir sur le fondement du péril imminent est très régulièrement rejeté. A cela, se rajoute, l’articulation du principe de précaution qui s’oriente vers une exclusivité totale de la police spéciale, exclusivité qui demeure renforcée par l’existence d’une jurisprudence tournée vers cette même logique. Enfin, l’hypothèse dans laquelle le maire peut se voir attribuer de nouvelles compétences pour intervenir sur le fondement du principe semble de plus en plus être rejetée. A ce processus, il ne faut pas perdre de vue, que les défenseurs de l’environnement s’inquiètent des projets technologiques et biotechnologiques, dont les effets immédiats sont difficilement mesurables, et dont les conséquences, peuvent s’avérer irrémédiables sur l’environnement, notamment dans les milieux naturels ainsi que sur la santé humaine. Enfin, l’exclusivité de la police administrative s’explique également par le désir de respecter l’ordre constitutionnel des compétences. Cet ordre exerce un rôle majeur dans l’impéritie du maire face au principe de précaution. Il convient alors d’analyser cette dimension.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Lorraine - Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz - Master 1 Droit Public
Auteur·trice·s 🎓:
LIGONNET Chloé

LIGONNET Chloé
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