Chapitre 2 Une reconnaissance fragile de l’interventionnisme du maire
Le volontarisme municipal est depuis plusieurs années mis en lumière par des pensées politiques prépondérantes. En effet, la société actuelle et les autorités locales sont plus favorables à s’opposer à des nouvelles technologies pouvant impacter l’environnement et plus généralement à la santé de la population. L’intervention du maire sur le principe de précaution est très limitée, si l’arrêté municipal est jugé pour la plupart du temps illégal, puisqu’il illustre un empiétement de la police générale (le maire) sur la police spéciale (l’Etat), il n’en demeure pas moins qu’il permet de sensibiliser sur la règlementation. En ce sens, le juge administratif a annulé l’ensemble des arrêtés des maires qui interdisaient la culture des OGM sur le fondement du principe de précaution. Cependant, sur le long terme, l’Union Européenne a modifié la règlementation en la matière en laissant la possibilité aux Etats de mettre en œuvre ou non cette culture. La France a choisi d’interdire la culture des OGM. La séparation entre les deux types d’autorités n’est donc pas absolue en ce sens. Pour autant, si la reconnaissance encore fragile des maires est bien présente, elle a également entraîné des conséquences assez marquantes en la matière (I) poussant parfois à reconsidérer l’utilité du principe de précaution sur la scène locale (II).
I. Les conséquences de la reconnaissance du maire dans l’application du principe de précaution
Comme il a été question précédemment, la reconnaissance timide mais réelle du maire au travers de divers outils lui permet d’intervenir sur des activités encadrées par une police spéciale. Cette reconnaissance bien qu’elle soit faible, peut entraîner des conséquences sur le principe de précaution. A l’incertitude encadrant la portée du principe de précaution (A) s’adjoint la légitime interrogation sur la remise en cause de la primauté reconnue à la police spéciale (B).
A. L’incertitude encadrant la portée du principe de précaution
L’incertitude encadrant la portée du principe de précaution est conduite par la reconnaissance des maires. Toutefois, la portée du principe relève d’interprétations divergentes qui finalement rendent celle-ci incertaine : D’une part l’interprétation du juge administratif, d’autre part l’interprétation du maire… L’ensemble gravitant autour de notions qui ne font pas l’objet d’une définition unanime. Ce qui complexifie davantage la portée du principe.
D’abord, un récent arrêt92 de la Cour de Justice de l’Union Européenne datant de 2019 a mis en avant l’importance de la portée du principe de précaution. En effet, la CJUE dispose que « l’importance et la portée du principe de précaution qui justifie l’adoption de mesures restrictives lorsque la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait ». Par ailleurs, si sa valeur constitutionnelle a été reconnue dans une décision du 3 octobre 2008 relative à la commune d’Annecy par le juge administratif, il n’en demeure pas moins que celui-ci a rappelé à plusieurs reprises la portée du principe. En effet, « S’il s’impose à toute autorité publique dans ses domaines d’attribution, n’a ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence93 ». Cette logique est également partagée par le Conseil Constitutionnel dans diverses décisions94. Elle repose sur la volonté de cantonner la portée du principe de précaution aux domaines qui relèvent de la compétence d’une autorité de police spéciale.
A ce titre, on peut alors souligner que, le principe de précaution s’appliquerait seulement à l’hypothèse dans laquelle une autorité de police spéciale est jugée compétente pour une activité particulière pouvant porter atteinte à l’environnement et/ou à la santé de la population. A contrario, dans certaines affaires le juge administratif a reconnu la possibilité pour le maire d’intervenir sans toutefois mentionner le principe de précaution. Cette non-exploitation du principe de précaution peut conduire à la légitime question de sa portée.
92 CJUE, 1er oct. 2019, n° C-616/17.
93 CE, 24 septembre 2012, N°342990 Commune de Valence
94 Cons.Const. 19 juin 2008, n°2008-564 DC, loi relative aux organismes génétiquement modifiés
Par ailleurs, dans certaines décisions, le juge administratif a mis en avant la méconnaissance du principe de précaution par les autorités compétentes. C’était par exemple le cas, de la mise sur le marché du Roundup Pro 360 dont la substance active était le glyphosate. En l’espèce, le juge a constaté qu’il y avait bien une réelle méconnaissance du principe de précaution. TA Lyon, 15 janv. 2019, n° 1704067. Cette décision laisse donc en suspens la question de l’effectivité de la portée du principe et le véritable rôle du maire en la matière. En effet, cette décision peut laisser le doute quant au fait que le maire soit compétent pour protéger l’environnement et donc plus généralement la santé de la population sur le fondement de l’article L.2212-2 du CGCT. En l’espèce, le juge laissait entendre que le motif d’ordre public pouvait justifier l’intervention du maire au titre de son pouvoir de police générale. Donc, la portée du principe de précaution est incertaine du fait d’une interprétation variable des juges. Interprétation qui dès lors s’effectue systématiquement au cas par cas.
La portée du principe de précaution est confrontée à une absence de définition unique et à des sources plurielles qui conduisent à une interprétation divergente de sa portée. C’est la raison pour laquelle, la reconnaissance des maires et les règles relatives au concours entre la police générale et la police spéciale forment une articulation complexe. Pour comprendre l’incertitude encadrant le principe de précaution, il convient de rappeler les notions qui ont permis l’émancipation du principe.
D’abord, sur la scène internationale, en 1992, le principe 15 de la Déclaration de Rio disposait que « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». La formulation paraît ambiguë. En effet, elle indique qu’en cas d’absence de certitudes scientifiques, il est possible de mettre en place une mesure visant à prévenir la dégradation de l’environnement. La formulation est fondée sur un doute et non sur une certitude scientifique.
En droit européen, la décision de la CJUE en date du 5 mai 1998 95 illustre une nouvelle interprétation du principe. Cette vision est complètement contradictoire « lorsque des incertitudes subsistes quant à l’existence ou la portée de risque pour la santé de la personne des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. ».
Enfin, à l’échelle nationale, la loi Barnier du 2 février 1995 dispose que « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ». Cette définition sera reprise et transposée à l’article L.110-1 du Code de l’Environnement. Pour autant, la définition retenue dans le Code l’Environnement s’éloigne de celle retenue par la Charte en son article 5
« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Toutes ces notions conduisent à réaliser une double appréhension de la portée du principe. D’une part, le principe signifie qu’en présence d’un doute scientifique, il serait interdit d’engager une action ou une activité dès lors qu’on ignore ses conséquences. D’autre part, il signifie qu’il y a la présence d’une obligation de moyen et donc la nécessité d’étudier et d’évaluer les risques. Par conséquent, en cas d’incertitudes, il faut adopter des mesures de précautions effectives et proportionnées. L’ensemble de ces notions ne mentionnent pas de manière directe, les autorités concernées et la compétence qu’elles détiennent face au principe de précaution.
95 National Farmers’ Union et autres du 5 mai 1998, aff. C- 157/ 96 ; Royaume- Uni c/ Commission du 5 mai 1998, CJUE
C’est pour cette raison que l’articulation de la police spéciale et la police générale est difficilement compréhensible sur ce sujet, puisque les notions qui sont censées guider les autorités ne mentionnent pas les conditions dans lesquelles leur pouvoir vient s’appliquer.
De plus, qu’il s’agisse de l’environnement ou de la santé, les textes ne mentionnent pas ces domaines, ou présentent des mentions contradictoires. Pour l’un, il est possible de penser que le principe de précaution s’applique uniquement à l’environnement, pour l’autre, que celui-ci s’applique uniquement à la santé de la population. Les autorités se retrouvent pour le moins démunies face à la portée du principe de précaution qui demeure incertaine. Finalement, les autorités ont une vision différente sur cette portée, c’est pour cette raison qu’elles l’appliquent en fonction de leur propre vision. Par conséquent, la portée incertaine du principe engendre des conséquences dans l’organisation et le rôle de la police administrative.
Enfin, le principe de précaution, possède des conditions d’application fluctuantes. Ce qui ne permet donc pas d’éclairer les règles relatives aux polices spéciales et générales en la matière. A contrario, les conditions renforcent de manière prépondérant la portée incertaine du principe. D’abord, l’incertitude scientifique, elle est relative aux effets de l’activité ou de l’action, que cette activité ou cette action ne soit qu’envisagée ou ait déjà commencé. La précaution va donc tenter d’évaluer le risque inconnu ou mal connu, impliquant que des mesures soient prises avant même l’identification certaine du dommage. L’incertitude scientifique s’inscrit au sein d’une expertise. Ces données doivent être fiables. Les mesures de précaution sont prises uniquement dans la mesure où elles sont fondées. C’est dans la décision du Conseil d’Etat du 15 décembre 2010, société KWS France Sarl que figure cette obligation. Là encore, n’apparaît pas de réelles conditions quant à la portée du principe et à l’intervention des polices en la matière. De plus, il faut procéder à une évaluation de ce risque à partir des données scientifiques du moment, mais justement cette évaluation peut être difficile à mener dans un domaine enclin à l’incertitude scientifique. Les conditions qui permettent d’appliquer le principe ne sont pas non plus favorables à sa portée et aux rôles des autorités en la matière.
Aujourd’hui, les définitions mettent en valeur un principe incertain. Les textes ne sont pas identiques, ils divergent. La portée normative n’est pas la même, un principe autonome d’un côté et un principe directeur de l’autre. Le juge doit mettre en place le principe de précaution eu égard à la définition du code de l’environnement et la définition constitutionnelle. Il est donc extrêmement complexe d’appréhender la notion de « précaution » pour les autorités de police administrative. De plus, il est difficile donc pour elles, de mettre en application le principe du fait de son incertitude.
La reconnaissance d’une possible intervention des maires sur les autorités de police spéciale face à un principe incertain mène vers la possibilité de remettre en cause la primauté de celle-ci.
B. La remise en cause de la primauté de la police administrative spéciale
Cette remise en cause de la primauté de la police administrative spéciale a été mise en valeur suite au raisonnement96 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pointoise, le 8 novembre 2019. Parmi les nombreux contentieux relatifs aux arrêtés municipaux, celui de 2019 relatif à la règlementation de l’utilisation des pesticides a été particulièrement marquant. En l’espèce, en octobre 2019, le préfet des Hauts-De-Seine a ordonné au juge des référés du tribunal la suspension de l’arrêté du 13 juin 2019, dans lequel le maire de la commune de Gennevilliers avait interdit l’utilisation des pesticides sur son territoire sur le fondement du principe de précaution. Le préfet avait souligné que le maire aurait excédé ses pouvoirs d’autant plus qu’une police spéciale encadrait cette activité. En ce sens, il mentionne le fait que, le principe de précaution ne « saurait avoir pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de son domaine d’attribution ». A contrario, le maire a souligné la volonté de protéger la population face aux pesticides et illustre en ce sens la carence dont avait fait preuve l’Etat dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale. Au terme, le juge des référés du tribunal de Cergy-Pontoise rejeta la requête du préfet sur le fondement que des circonstances particulières justifiées l’intervention du maire.
96 TA Cergy-Pontoise, 8 nov. 2019, n°1912597
Nonobstant, il est permis de se demander ici, si l’intervention du maire était réellement indispensable à la résolution du litige en l’espèce ou au contraire s’il ne s’agit pas d’une tentative de remise en cause de la police administrative spéciale.
Et pour cause, le juge a longtemps justifié la légitimité du maire de la commune à intervenir en la matière. Il a insisté sur le caractère fondé de l’arrêté attaqué. Pourtant, l’utilisation des pesticides est réglementée par une police spéciale qui a pour objet de garantir une cohérence nationale des décisions prises et donc de préserver le critère uniforme du droit sur l’ensemble du territoire tout en assurant le critère unitaire de l’Etat. Par conséquent, ces mesures permettent de protéger l’environnement et la santé de la population de manière équilibrée et en égalité au territoire. Cette logique a été présente dans de nombreuses décisions97 sur lesquelles le juge a été insistant. En revanche ici, il vient conclure la possibilité pour la police générale (le maire) d’intervenir sur le domaine d’attribution d’une police spéciale (Etat). Par conséquent, il est possible de conclure que cette précision laisse entrevoir la volonté du juge de relativiser l’importance et la portée qui ne justifierait plus obligatoirement une primauté de la police spéciale de l’Etat sur la police générale du maire. D’autant plus, que cette approche sera rendue possible à l’occasion de litiges similaires98.
Deux appréciations peuvent être relevées. D’une part, la volonté de transmettre aux maires des compétences dans ce domaine pourrait potentiellement être liée au principe de libre administration99 dont disposent les collectivités territoriales. Celui-ci pourrait fonder l’intervention des maires exposés à des pressions locales les incitant à agir rapidement. D’autre part, l’intervention de la police spéciale ne saurait obligatoirement rendre l’intervention du maire et donc de la police générale impossible.
97 V. en ce sens, CE, 26 octobre 2011 n°326492 Commune de Saint-Denis
98 V. en ce sens, TA Cergy-Pontoise, 25 nov. 2019, n° 1913835 ; TA Cergy-Pontoise, 19 déc. 2019, n°1915044, 1915047 et 1915048.
99 Article 72 de la Constitution. V. en ce sens, « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre- mer […]. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi […]. Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences.»
En effet « l’existence d’une police spéciale ne saurait pas être un motif légitime pour rendre impossible l’action de la police générale et plus particulièrement l’intervention du maire 100 ».
Toutefois, ces appréciations mettraient en évidence un empiètement de la police générale du maire sur la police spéciale de l’Etat, ce qui comme précédemment constaté remettrait en cause la règle relative aux polices spéciales, le principe d’unité du droit et le caractère unitaire de l’Etat français. Autrement dit, ces affirmations peuvent effectivement illustrer une certaine remise en cause de la police spéciale et finalement son utilité face au principe de précaution.
Ainsi, une modération semble être retenue s’agissant de l’interprétation de cette porte ouverte. En effet, la décision retenue par le tribunal administratif de Cergy- Pontoise ne semble pas s’être étendue à toutes les activités relevant de la police spéciale. Il n’en demeure pas moins que cette décision peut conduire sur le long terme à une véritable remise en cause de la police spéciale et sa primauté sur le principe de précaution. D’autant plus que, cette décision s’inscrivait dans un contexte étatique favorable à la protection de la santé et de l’environnement. En effet, le juge dans le domaine du principe de précaution rend des décisions pour lesquelles le contexte sociétal joue un rôle prépondérant. Prenons l’exemple de la crise sanitaire actuelle, cette crise a remis en avant le rôle du maire sur le fondement du principe de précaution, le juge porte une appréciation vis-à-vis de la situation actuelle. A Nice, le maire avait pris l’initiative d’annuler la Foire sur le fondement du principe de précaution. En effet, le risque lié au coronavirus restait encore fortement élevé. Cette décision a été confirmée par la suite par le préfet de Nice. Là encore, la crise sanitaire a énormément influencé le jugement.
Finalement, l’intervention du maire sur le fondement du principe de précaution et notamment la décision du tribunal administratif en 2019 peuvent conduire à terme à une réelle intervention du maire. Nonobstant, cette intervention conduirait à une remise en cause de la police spéciale. En effet, il est possible de se demander à quoi pourrait-elle bien servir si une police générale permettrait de garantir la protection de l’environnement et de la santé des populations.
100 Denolle A.-S., « Concours de polices en matière environnementale : quelle place pour le maire ? », AJCT 2019, p. 370
Malgré le fait, que l’intervention du maire ne soit pas toujours tolérée, il n’en demeure pas moins que la tolérance, bien qu’elle soit limitée et peu courante constitue une forme de remise en cause de la police spéciale. C’est en ce sens que sur le long terme, il est possible de se demander si la police spéciale possèdera toujours une primauté sur la police générale.
Ainsi, l’ensemble des éléments mentionnés peuvent conduire à une réelle réflexion en la matière. A cette dimension, s’adjoint alors l’ultime problématique relative à l’utilité du principe de précaution et notamment de sa portée.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Lorraine - Faculté de Droit, Economie et Administration de Metz - Master 1 Droit Public
Auteur·trice·s 🎓:
LIGONNET Chloé

LIGONNET Chloé
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