Patrick Modiano : décrypter l’énigme dans encre sympathique

Université de Tunis
Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Français

Projet de mémoire de fin d’études en littérature et langue françaises

Sujet :
Patrick Modiano : Écrivain-policier dans Encre Sympathique
Patrick Modiano : Écrivain-policier dans Encre Sympathique

par :
Sarah Derwich

Encadré par :
Mme Beltaïef Emna Elaboré

Année universitaire
2019-2020

«Il semble que ce qui vous pousse brusquement à la fugue, ce soit un jour de froid et de grisaille qui vous rend encore plus vive la solitude et vous fait sentir encore plus fort qu’un étau se resserre.»
Patrick Modiano, Dora Bruder

Ce mémoire de mastère portera sur Encre Sympathique, roman de Patrick Modiano paru en 2019.

Le but de cette recherche est de prouver que l’œuvre modianienne n’est pas uniquement le fruit d’un traumatisme enfantin, d’un don, celui d’un style singulier, ou d’une mémoire hantée par le Paris de l’Occupation, mais c’est bien la combinaison de ces éléments auxquels s’ajoute l’influence de l’intertextualité qui la caractérise. Intertextualité qui a pour origine, ces livres qu’on lit dans la période de l’enfance ou de la jeunesse et qui nous marquent malgré nous.

Dans la vie de chaque être, il y a des moments de fugue, liés toujours à une certaine instabilité et à une situation de malaise. Se sauver face à une condition inconfortable ou menaçante est parfois un remède contre le danger qui nous entoure et contre cette sensation d’angoisse qui nous étouffe. Sécher les cours, démissionner de son poste de travail, déménager, quitter le domicile familial, se séparer de quelqu’un qu’on aime ou oublier, sont tous une sorte de fugue.

Qu’elle soit physique ou psychique, l’escapade peut présenter dès lors une zone de confort pour le fugueur qui cherche inlassablement à donner sens à sa destinée.

Chacun de nous a été pris, au moins une fois durant sa vie, par ce désir d’évasion. Chacun de nous a voulu à un moment donné, tout abandonner. Chacun de nous a laissé tomber, volontairement ou pas, une part de sa vie dans l’oubli. À chacun sa méthode de s’échapper, pour fuir une certaine réalité, le plus souvent embarrassante, pour esquiver un choix décisif peut-être, mais nous sommes, tout de même, tous rassemblés dans les mêmes zones ténébreuses de la fuite, et toutes ces contraintes qu’on a dues fuir, reviennent un jour ou l’autre, d’une manière brusque, et émergent de nouveau à la surface de notre mémoire et nous devons les affronter et en éclairer les ombres.

Néanmoins, le fait de partir sans avertir et sans laisser aucune trace, engendre une inquiétude intense chez les proches ou chez les personnes qui s’intéressent à notre existence pour une raison quelconque, d’une façon ou d’une autre.

Car, dans le monde dans lequel on vit, il y a tant de haine, de violence, de mal-être et de mal, que la disparition soudaine d’un être peut devenir synonyme de mort, de suicide ou même de génocide. De son côté, le fugueur laisse derrière lui des mystères à jamais irrésolus et des questions, le plus souvent sans réponses.

Frappé par la disparition de son frère, et par l’absence de ses parents, à un âge très jeune, Patrick Modiano semble faire des thèmes de la disparition, de l’absence et de la fugue, l’essence même de sa plume et le moteur de son écriture.

En effet, Patrick Modiano a recouvert presque toutes ses œuvres de ce rideau sombre et angoissant de l’effacement des êtres. Qu’ils soient proches ou étrangers, réels ou fictifs, morts ou vivants, Modiano, semble leur dédier tout son travail d’écrivain, afin de les sortir de cette zone d’ombre qui voile leurs parcours énigmatiques et ce, en dépeignant quelques périodes obscures de leur vie et de la sienne. Car, toute vie humaine, belle ou moins belle, signifiante ou non, est digne d’être racontée.

Tout Homme rêve de trouver ou de graver son passage existentiel à travers le temps, mais seules les histoires de vie les plus bouleversantes, et seuls les parcours les plus énigmatiques, les mieux narrés, survivent à l’épreuve du temps.

Les âmes les plus tyrannisées à travers l’histoire ont généralement abouti à ces trois conséquences : soit elles sombrent dans la folie, soit elles commettent l’irréparable, soit elles produisent de l’art. Les êtres dont le refoulé se traduit par la purge des maux grâce aux mots, semblent vainqueurs dans la mesure où les histoires frappantes et mystérieuses qu’ils écrivent apparaissent comme une échappatoire, une leçon de vie, une expérience vitale initiatique ou encore une œuvre d’art influente et inspirante.

Tel est les cas de notre écrivain qui, à travers des récits de témoignages, se prend des fois pour le porte-parole de certains disparus qu’il a côtoyés ou pas vraiment. Dans Livret de Famille, Modiano s’est mis à la place de son père en nous transmettant des scènes qui remontent à sa pré-naissance : «Je n’avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance.»

D’autres fois, on le voit se charger d’une affaire non résolue comme celle du Dora Bruder, jeune fille disparue lors d’une fugue en décembre 41, en plein cœur de l’Occupation , et recherchée par ses parents qui mettent une annonce dans un journal, malgré les dangers qu’ils encourent de la par leur appartenance à la communauté juive.

Dans un entretien qui date de décembre 1988, Modiano affirme : « Je ne savais encore rien de ce que j’ai retrouvé aujourd’hui. J’ai écrit ce roman : Voyage de noces, pour essayer de combler le vide que j’éprouvais quand je pensais à Dora Bruder dont je ne savais rien.» Par la suite, il écrira en 1996 la biographie de cette jeune fille, qu’il ressuscite en quelque sorte par le pouvoir de l’écriture et par une littérature qui a comme fonction de témoigner de la disparition d’êtres chers ou inconnus, d’enquêter sur ces êtres par devoir de mémoire.

Dans Encre sympathique, dernier roman de l’écrivain, le personnage principal revêt le manteau de détective de l’écrivain, suivant à la loupe les derniers pas d’une portée-disparue, afin de résoudre l’énigme de sa brusque disparition. Les rares traces qu’il retrouve d’une certaine Noëlle Lefebvre, vont le hanter durant des années.

L’énigme de son absence, dix ans plus tard, remonte à la surface de sa mémoire et, malgré lui, il reprend une enquête inachevée, un peu comme s’il avait une dette ancienne à régler. Modiano semble, à travers ce personnage, être un écrivain-enquêteur, mais que cherche-t-il à nous transmettre ? Autre question : pourquoi le choix scripturaire de l’enquête policière même s’il peut s’expliquer par les lectures influentes des romans de Georges Simenon pour lequel Modiano ne cache son admiration : «J’ai beaucoup lu Simenon.» ? Si Patrick Modiano n’était pas écrivain, aurait-il pu être policier?

C’est pourquoi, afin de répondre à ces interrogations, nous traiterons dans notre recherche, les thèmes de la disparition et la fugue, vus comme phénomènes mystérieux, et qui nécessitent une analyse de type policier.

Certaines critiques jugent que Patrick Modiano réécrit ses textes. On lui reproche même d’écrire toujours les mêmes livres parlant de l’oubli, des traces introuvables, de la mélancolie, des trous de mémoire et du temps perdu.

A cela le romancier répond, avec son hésitation habituelle: «Peut-être… Je ne sais pas…» Mais, sur les ondes de RTL, il ajoute : « C’est un seul livre, dès le début, mais écrit d’une manière discontinue avec vingt- neuf titres et avec des pauses entre-temps. » Il existe donc une continuité entre les œuvres de l’écrivain, œuvre que l’on peut décrire comme une mosaïque dont Encre sympathique semble être la dernière pièce ajoutée. Une œuvre caractérisée par des allers- retours qui nous forcera donc à faire communiquer ce dernier roman avec d’autres textes de l’auteur.

Mais notre travail consistera essentiellement à essayer de montrer les analogies qui existent dans Encre sympathique entre écriture mémorielle et roman policier, d’autant plus que le narrateur dit dans le texte au sujet du métier de policier : « Ce travail provisoire me fournirait toute une documentation qui pourrait m’inspirer plus tard si je me consacrais à la littérature. L’école de la vie, en quelque sorte. »

A la suite de cette affirmation indirecte, nous nous permettons de poser la question suivante : En quoi le domaine de l’investigation dans les romans policiers inspire-t-il la production littéraire modianienne?

Pour répondre à cette problématique, nous suggérons d’adopter le plan suivant:

Investigation sur le modèle de l’enquête policière (l’emprunt) :

L’atmosphère de l’angoisse

Un avis de recherche : le travail de la documentation

Le devoir d’un écrivain-détective (élucider l’énigme)

Inquisition mémorielle :

Le retour d’une affaire-classée (une mémoire amnésique)

Cartographie modianienne : lieux vraisemblables / lieux disparates

La superposition temporelle (désordre chronologique ou surimpression)

Penser sur l’encre :

Le projet d’un roman-documentaire ( le Nouveau Roman)

La fonction métalinguistique (l’outil stylistique: Modiano fidèle à sa plume/ l’économie langagière)

Le devoir d’un écrivain-témoin (le rôle de l’enquête dans la littérature: fonction testimoniale/ fonction cathartique?)

Bibliographie provisoire :

*Sources primaires 1- Texte de base :

Modiano Patrick, Encre Sympahique, Paris, Gallimard, Folio, 2019. 2- Autres ouvrages de Patrick Modiano :

Modiano Patrick, Rues des boutiques obscures, Paris, Gallimard, Folio, 1978. Modiano Patrick, Dora Bruder, Paris, Gallimard, Folio, 1997.

Modiano Patrick, L’Horizon, Paris, Gallimard, Folio, 2010.

*Sources secondaires

1- Sur Patrick Modiano et ses œuvres

a) Ouvrages :

Blanckeman, Bruno, Patrick Modiano ou l’écriture comme un nocturne, Editions Passage(s), coll.Essais, Paris, 2019.

Grenaudier-Klijn, France, La Part du féminin dans l’oeuvre de Patrick Modiano: Fonctions et attributs des personnages féminins modianiens, Editions L’Harmatton, coll.»Critiques littéraires»,2017.

Julien, Anne- Yvonne dir.in Modiano ou les Iintermittences de la mémoire, Hermann, coll.»Savoir Lettres», 2010.

Robin, Régine, Ces Lampes qu’on a oublié d’éteindre, Boréal, Paris, 2019.

Sitographie

*Articles numériques sur Encre Sympathique

Garcin, Jérôme, « Encre sympathique de Patrick Modiano : les résultats de l’enquête du Masque et la Plume », publié le 22 octobre 2019 par France Inter, consulté le 20 février 2020.

Jannière,Virginie, «On a lu Encre sympathique, le nouveau roman de Patrick Modiano, publié le 03 octobre 2019 par C-News, consulté le 20 février 2020.

« Nouveau roman de Patrick Modiano : la magie de son Encre sympathique », publié sur Franceinfo -Culture, consulté le 12 février 2020.

Interview avec Patrick Modiano sur RTL: « Patrick Modiano évoque Encre sympathique : «Retrouver, c’est le mouvement de mes livres» », consulté le 23 février 2020.

*Mémoire de thèses :

Andreeva Hélène, L’Eciture de Patrick Modiano ou la frustration de l’attente romanesque, Université de Limoges, parcours Sciences de langage, 2003.

Bando Mariko, La mémoire et la fiction dans les oeuvres romanesques de Patrick Modiano, Université de Limoges, parcours Lettres Françaises, 2015.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Patrick Modiano : Écrivain-policier dans Encre Sympathique
Université 🏫: Université de Tunis - Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis Département de Français
Auteur·trice·s 🎓:
Sarah Derwich

Sarah Derwich
Année de soutenance 📅: Projet de mémoire de fin d’études en littérature et langue françaises - 2019-2020
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