Décryptage des approches et théories en recherche sociale 

SECTION 2 : CONSTRUCTION DE LA DEMARCHE DE RECHERCHE

Dans cette seconde section, nous allons présenter les approches, théories, (A) et méthodes (B) qui seront utilisés dans le cadre de notre recherche

APPROCHES ET CADRE THEORIQUE

Cette partie de notre travail réunit l’ensemble des approches, théories mobilisées pour notre recherche.

Cependant, il convient de dire que la partie centrale de notre travail consiste à identifier les politiques de développement. Une politique publique n’étant pas toujours établies d’avance, la professeure Corinne LARRUE, propose de la reconstruire sur la base d’éléments empiriques à travers de textes, de programmes, de projets, afin de lui donner une identité. C’est pour cette raison que nous allons nous baser sur les approches (a) et les théories(b) suivantes.

Approches

L’approche en science sociale désigne un état d’esprit caractérisé par la prudence et un certain égard par rapport à l’objet de la recherche. L’approche se différencie de la méthode en ce qu’elle ne comporte pas d’étapes de traitement particulier. Elle est adaptée à l’étude des objets dont les mouvements sont difficilement prévisibles.

En raison de notre étude, nous avons opté pour les approches suivantes.

Approche synthétique multimodal :

On peut distinguer 4 principales approches intellectuelles en sciences sociales. L’approche hypothético-déductive de Liebniz qui préconise une analyse des phénomènes par la mobilisation exclusive de la raison ; l’approche expérimento-inductive du philosophe anglais Locke, qui recommande de faire une exploitation rationnelle des données recueillis au cours de l’expérimentation ; L’approche synthétique-multimodale d’Emmanuel Kant où on se sert de plusieurs théories et modèles expérimentaux pour arriver à expliquer un phénomène ; et l’approche dialectique inspirée par Hegel, et qui postule que la vérité est le fruit des examens successifs ballotés par la contradiction entre la thèse, l’antithèse, et la synthèse.

Notre travail s’inscrit dans une analyse qui va mobiliser des théories précises, mais aussi, une comparaison de cas d’espèce qui nous impose d’expérimenter notre objet d’étude. C’est pourquoi nous avons convoqué l’approche synthétique-multimodal kantienne.

Approche Cognitive :

L’approche cognitive des politiques publiques a émergé sur la critique de l’analyse classique des politiques publiques. Elle a ensuite a été enrichie par de valeureux travaux.Vivien Schmidt par exemple, a montré comment le monde est passé d’une vision keynésienne de l’économie à une vision néolibérale, sous l’impulsion de Ronald Reagan et de Margaret Tchatcher, dans les années 1970. Il a aussi proposé le concept de discours politique, proche du « policy narratives » de Claudio Radaelli, pour désigner des forces de transformation des conceptions globales ou référentiels globaux.

En effet, l’approche cognitive propose d’identifier les référentiels dans lesquels les différents acteurs s’inscrivent pour agir. Théorisé par P. Muller, le référentiel renvoie à une structure de sens qui s’articule sur des valeurs, des normes, et des images des relations causales ou algorithmes, pour un groupe donné. Le spectre de cette représentation sociale au sens de Jodelet.D, constitue le champ des possibles dans une société donnée . Dans les faits, il y a toujours un référentiel, dominant aux autres, qui peut changer en fonction des circonstances.

Dans le cadre de notre travail, cette théorie nous permet d’identifier les référentiels, en termes de motivations, et d’objectifs, qui habitaient les responsables communaux qui nous intéressent. Etant donné qu’une politique publique vise forcément un objectif.

Les approches présentées vont nous permettre d’exploiter les théories suivantes.

Theories

Par théorie, nous entendons un corpus de lois explicatives d’un phénomène donné. Opérer la saisie d’une politique publique, comme nous allons le faire au cours de notre travail, sous-entend l’adhésion à des postulats et théories précises. Nous présenterons donc les théories, et les principaux postulats qui soutiennent notre travail.

Individualisme méthodologique

L’individualisme méthodologique a pris racine dans les milieux académiques économiques dans les années 1800. Plus tard, au 20ème siècle, c’est l’économiste Joseph Schumpeter qui va valoriser cette théorie telle qu’elle est connue aujourd’hui, depuis Max Weber. Ce courant est connu pour son opposition au paradigme holiste. Soutenu par Pierre Bourdieu, l’holisme pose les actions de l’individu comme le résultat de la structure de la société et du statut social dans lequel il se trouve. L’individualisme méthodologique reconnait les structures sociales, et leur effet sur l’individu, mais revendique, la capacité qu’à l’individu de faire ce qu’il désir, selon ses croyances, malgré les contraintes structurelles.

Cette théorie nous permettra de mettre en évidence notamment la capacité du Maire, et du délégué du gouvernement, à mettre des stratégies particulières en œuvre pour impulser le développement dans leur circonscription de prédilection.. Elle va aussi nous permettre de saisir la volonté sous-jacente (ou le sens) aux actions menées sur le terrain par les décideurs communaux. Par ailleurs, elle va nous permettre d’entrevoir l’existence, s’il en est, d’acteurs prenant part aux politiques publiques de développement au sens de l’école des ajustements mutuels. Ces explications seront enrichies par les éléments d’explication qu’offre la théorie néo-institutionnalisme.

Néo-institutionnalisme

Le néo-institutionnalisme est né sur les cendres de l’institutionnalisme classique. En effet, dès les premières décennies de la seconde moitié du 20ème siècle, l’institutionnalisme classique a été âprement critiqué pour sa tendance « formalistelégaliste », et sa logique plus descriptive qu’explicative. Cette vague de critiques à provoquer le renouvellement de ce courant.

Le renouvellement s’est traduit par la prise en compte d’autres objets tels que l’individu, les groupes et la société, et la valorisation de l’autonomie de l’Etat. Selon André Lecours, cela a abouti à 3 types d’institutionnalisme  qui nous seront tous utiles :

L’institutionnalisme historique : centré sur le principe de path dependance, il considère que les actions individuelles résultent d’un processus de développement institutionnel où chaque configuration prépare la prochaine. Il nous donne une base explicative sur le comportement des exécutifs communaux étudiés. En effet, ceux-ci cherchent à développer leur circonscription car des règles établies le leur demande et le leur permet ;

L’institutionnalisme sociologique : centré sur les perceptions individuelles, il nous donne un cadre plus clair pour saisir les motivations, et les référentiels des exécutifs communaux étudiés. Cet institutionnalisme va quelque peu opérationnaliser l’approche cognitive ;

L’institutionnalisme du choix rationnel : cet institutionnalisme met en valeur la capacité des acteurs à agir sur la réalité en tenant compte des contraintes des institutions. Il nous montre comment les exécutifs déjouent les difficultés.

Approche Séquentielle :

L’approche Séquentielle est incontournable dans l’analyse des politiques publiques. Brewer, Anderson, et Harold D. Lasswell, font partie des auteurs qui ont proposé ce type d’approche pour l’analyse des politiques publiques. Cette approche, qu’ils qualifient de processuelle, perçoit les politiques publiques comme un ensemble de phénomènes spécifiques organisés dans le temps. C’est sur cette base que la célèbre grille de Charles O. Jones a vu le jour. Cette grille propose d’analyser les politiques publiques à partir de 5 étapes ou séquences :

Séquence 1 – problem identification : Dans cette phase, le problème est saisi et définit par le gouvernement. On parle d’émergence du problème, et de mise sur agenda ;

Séquence 2 : program development : c’est dans cette phase qu’un programme, ou politique publique est développé. Les autorités étudient les solutions proposées pour résoudre le problème, prennent une décision et planifient sa mise en œuvre ;

Séquence 3 : program implementation : c’est au cours de cette phase que les décisions sont mises en œuvre, en fonction des moyens mis à disposition ;

Séquence 4 : program evaluation : c’est la phase au cours de laquelle les décisions appliquées sont évaluer sur la base de critères précis ;

Séquence 5 : program termination : c’est la phase de terminaison du programme. A cette phase, le problème de départ a été résolu. La politique publique prend fin, ou laisse place à une nouvelle politique.

Dans son ouvrage, la professeure Corrine LARRUE a proposé le tableau synthétique suivant :

Emergence des problèmesMise sur l’agendaFormulation et adoption du programmeMise en œuvre du programmeEvaluation
ContenuEmergence d’un problème

Perception du problème

Représentation du problème

Définition du problème et identification du modèle de causalité

Demande d’action publique

Sélection (filtrage) des problèmes émergents

Ebauche de formulation du modèle de causalité

Réponses des pouvoirs publics pour les problèmes reconnus comme devant faire l’objet d’une politique

Formulation du problème, définition du modèle de causalité

Définition de la ou des solutions adaptées au problème défini et acceptables

Filtrage entre les solutions idéales et les moyens disponibles

Application des solutions retenues

Actions de la machine administrative

Changement du comportement des groupes cibles

Détermination des effets éventuels de la politique

Evaluation de l’efficacité, de l’efficience, de l’utilité, de la satisfaction par rapport au problème d’origine

Principales questions de l’analysteComment la prise de conscience du problème se fait-elle ?Quels facteurs vont faire agir le gouvernement vis-à-vis du problème ?Quelles sont les solutions proposées et acceptées par le gouvernement ? Sont-elles en cohérence avec la résolution du problème ?Les décisions du gouvernement sont-elles mises en application ? Et comment ?Quels sont les effets directs et indirects de la politique ?

Tableau 1: les différentes séquences d’une politique publique

(Source : Analyser les politiques publiques d’environnement, Corinne LARRUE)

Ce tableau a l’avantage de présenter une vue d’ensemble de ce qu’on attend d’une politique, et du questionnement à avoir sur le terrain pour la reconstituer. C’est pour ce caractère plus ou moins exhaustif et opérationnel que nous avons opté de l’utiliser pour étudier les politiques de développement des communes sélectionnées. Mais il faut préciser que Pierre Muller recommande d’utiliser cette approche de manière souple, car il peut arriver que les phases ne se suivent pas comme prévu, et que certaines soient inexistantes. Les approches et les théories mobilisées pour ce travail contribueront à compléter ce tableau.

Par ailleurs, le cadre théorique présenté va nous permettre d’interpréter les données qui seront recueillies par un ensemble de méthodes et de techniques qu’il convient de présenter.

CADRE METHODIQUE

Le cadre méthodique renvoie à l’ensemble des méthodes et des techniques utilisées pour la collecte et l’analyse des données.

Les méthodes

La méthode est un ensemble de règles indépendantes de toute recherche et de tout contenu, qui encadre des schémas de raisonnement et de perceptions afin de rendre accessible une réalité donnée. Il convient de la différencier de la méthodologie. Cette dernière renvoie plutôt à l’étude des méthodes et des techniques et de leur usage. Pour atteindre nos objectifs de manière scientifique, nous avons adopté :

La méthode comparative

La méthode comparatiste est considérée comme l’une des seules véritables méthodes en Sociologie. Selon Philippe C. Schmitter, la méthode comparatiste est « peut-être la meilleure dont nous disposons » en science politique, pour générer des connaissances valides. Dans le cadre de notre travail, nous avons opté pour la méthode comparative du cas d’espèce ou étude de cas, et la comparaison binaire. Défendue par le politologue Harry Eckstein, l’étude de cas consiste à mettre une théorie existante à l’épreuve, en la comparant à un cas concret du phénomène que cette théorie tente d’expliquer. La comparaison binaire, elle, portera sur deux cas : CUD et CBGT.

En effet, l’un des intérêts de notre recherche est de savoir si l’approche séquentielle des politiques publiques de Charles O. Jones correspond à la réalité des politiques publiques des CTDs camerounaises étudiées, et par extrapolation, en Afrique. Il s’agira alors de comparer si les phases effectives de ces politiques publiques correspondent à celles du modèle séquentiel sus-évoqué.

La dogmatique juridique.

On peut définir la dogmatique juridique comme l’étude ou l’interprétation des normes juridiques. Les collectivités territoriales décentralisées sont des entités qui évoluent dans le cadre de l’Etat de droit au Cameroun. De ce fait, nous serons amenés à exploiter les textes qui encadrent leur statut, et leur domaine d’activités, notamment les lois sur la décentralisation, le régime des communes, et le Code Générale des CTDs.

Les techniques de collecte de données et d’analyse

En science sociale, la technique renvoie à des procédés d’opérations limitées sur des éléments concrets empiriques, et destinés à atteindre un objectif précis dans la recherche. Elle permet généralement d’aboutir à un résultat à un moment donné de la recherche. Pour répondre à notre problématique de manière scientifique, nous avons adopté les techniques de collecte de données suivante :

La technique documentaliste :

Elle consiste à rassembler et exploiter des documents et des médias (procès-verbaux, discours, PCD, rapports) afin d’en savoir le plus possible sur l’objet de la recherche. Nécessaire selon Omar Aktouf, cette technique nous permettra de connaitre l’existence d’une volonté politique de développement, d’avoir des éléments d’information sur l’élaboration, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques de développement. Nous allons consulter les procès-verbaux des réunions des exécutifs communaux et des conseils municipaux, les discours, les Plans Communaux de Développement, les rapports, auxquels on aura accès ;

Interview semi-directive :

Elle consiste à poser une série de question plus ou moins ouvertes afin d’avoir des informations précises et larges. Cette technique nous permettra d’avoir un regard d’ensemble sur la volonté politique, l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des politiques de développement dans les communes étudiées (des responsables communaux, conseiller municipaux, et anciens conseiller municipaux, anciens maires, chefs de projet). Elle nous permettra aussi d’avoir une idée des documents disponibles ;

L’observation directe :

Elle consiste à observer directement l’objet de la recherche, ou l’environnement dans lequel le phénomène se manifeste, dans le but de collecter des informations précises.

Pour notre travail, cette technique va nous permettre de contrôler l’effectivité de la réalisation des programmes de développement, des projets de développement.

L’analyse de contenu direct quantitative et qualitative

Une telle analyse consiste à interpréter les informations chiffrées, et les informations de sens, selon leur sens manifeste. Elle va nous permettre d’interpréter, de donner du sens aux documents collectés contenant des chiffres, aux discours, aux procès-verbaux, et aux entrevues.

ANNONCE DU PLAN

Notre travail va s’articuler sur un plan de deux parties composées chacune de deux chapitres, ainsi qu’il suit :

Partie I : Etats des Lieux des Politiques De Développement Des Collectivités Territoriales Décentralisées Au Cameroun

Chapitre 1 : Origines Sociojuridiques Des Politiques De Développement Dans Les Collectivités Territoriales Décentralisées Camerounaises

Chapitre 2 : Champ D’opportunités et Phases théoriques Des Politiques de Développement Des Collectivités Territoriales Camerounaises

Partie II : Les Politiques De Développement De la Communauté Urbaine De Douala (CUD) Et La Commune De Bangangté (CBGT).

Chapitre 1 : Elaboration Des Politiques De Développement De La Commune De Bangangté Et De La CUD.

Chapitre 2 : Mise En Œuvre Et Suivi Des Politiques De Développement Dans Les CTDs Camerounaises : Cas De La Commune De Bangangté Et De La CUD.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Yaoundé II - Faculté des Sciences Juridiques et Politiques - Département de science Politique
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté et soutenu publiquement en vue de l’obtention du Master II en Science Politique - 2018 - 2019
Doctorant-Chercheur . Spécialités : décentralisation, développement local, et politiques publiques
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