7 causes et impacts des lenteurs judiciaires au Bénin

B- Les probables cause et conséquence du dépassement de la durée de jugement

Les problèmes relatifs à la Chambre administrative de la Cour suprême du Bénin sont alimentés par certaines causes (1) qui produisent des conséquences souvent indésirables tant sur les parties que sur l’État (2).

1.Les probables causes du dépassement de la durée de jugement

Plusieurs causes peuvent soudoyer cette lenteur souvent constatée sur la Chambre administrative.

À la lecture des arrêts, le recensement des causes de retard peut apparaître explicite ou implicite. La lecture de ces arrêts fait constater que ceux-ci sont de moins en moins explicites sur les causes des retards ; ce qui justifie avec acuité nos recours aux entretien et questionnaire à l’endroit des autorités judiciaires concernées, pour isoler et comprendre les blocages ou les difficultés, sources de retards excessifs.

2 section (dans lesquels onze (11) datant de 2019) et 24 devant la 3 section (dans lesquels huit (8) datant de 2019.

Même si le législateur a prévu des procédures accélérées comme le référé, celle ordinaire souffre d’un manque de célérité

MALLOL (Francis), « Veuillez patienter » : regard dubitatif sur la qualité et la célérité de la justice administrative », in

Revue française d’administration publique, vol. 159, N°3, 2016, p-p 775 -788, précisément p. 776

À cet effet, L’ainé Théodore Enone EBOH n’a sans doute encore rien vu de telles lorsqu’il affirme indubitablement que « L’arrêt ZITTY Sylvain Victor est révélateur de la lenteur de la Chambre administrative du Bénin » puisqu’il a été rendu vingt-cinq (25) ans » après sa saisine. EBOH (Théodore- Enone), Les délais dans le contentieux de l’excès de pouvoir au Bénin, Mémoire de Maîtrise Droit public, 2004, Université d’Abomey-Calavi, ex-UNB, pp. 39- 43 précisément p. 42.

Parmi les causes de retard, on en distinguera deux (02), celles qui sont extérieures au système judiciaire et juridictionnel proprement dit et qui tiennent à un contexte politique ou économique et à l’organisation judiciaire (a), et celles qui sont propres à la procédure administrative (b).

Nous en avons recensé une troisième qui est commune à tous les types de procédure. (Celle-ci fait l’objet d’un tableau en annexe (Annexe 2).

a- Les causes externes

Nous évoquerons dans cette partie, les causes tenant au contexte politique et économique (i) et à l’imbroglio organisationnel (ii).

Le contexte politique et économique

L’examen minutieux de la jurisprudence de la Cour et des entretiens faits, fait apparaître une relation entre les problèmes du délai de jugement des affaires et les changements de système politique et économique intervenus au Bénin. Le passage d’un régime révolutionnaire après la souveraineté internationale au renouveau démocratique a entraîné des adaptations dans le domaine du rapport au droit et au procès, de la formation des juges, et a suscité des réformes en droit processuel, des modifications dans la répartition des compétences entre les juridictions, à leur tour, sources de retards.

En effet, pendant la période dite révolutionnaire, les activités juridictionnelles de la Cour ont connu pour un bon moment, de ralentissements. Cet état de chose obligeait toutes les fois requises les dirigeants de la Cour d’alors, à déférer les recours en instance à d’autres dates. Les affaires nouvelles s’ajoutant à celles en instance qui constituaient déjà un résidu, ont surabondé la Cour qui agonissait en matière de ressources.

De même, de nouveaux principes constitutionnels, d’indépendance de la justice et de séparation des pouvoirs qui sont entrés progressivement en application ont engendré des retards dans les procédures. À cela s’ajoute, l’imbroglio organisationnel.

L’imbroglio organisationnel

Le fait est que le Bénin ait consacré une unité de juridiction dans son ordre juridique, lui joue un effet d’immondice. En effet, spécialement dans notre cas, les

Il est ici des principes de la déconcentration et de la décentralisation qui génèrent à eux seuls dans leur rapport avec les citoyens un bon nombre de contentieux.

magistrats de l’ordre judiciaire sont également ceux chargés d’animer les formations juridictionnelles de l’ordre administratif. On comprend aisément quoique nous pensions, que nous sommes dans une dualité de juridiction ‘’ dissimulée ’’. Les magistrats de l’ordre judiciaire étant la plupart du temps formés en droit privé, le fait est que ceux-ci aient une appétence particulière pour les matières civiles au détriment de celles administratives se confirme à bien des égards. D’abord ils se siéent le plus confortablement possible dans la matière civile ou pénale que dans celle administrative. Ensuite, les règles de procédure administrative sont souvent peu connues de certains. Cette analyse se trouve renfoncée par les acceptions du président de la Cour suprême béninoise lorsqu’il affirme que « Beaucoup de magistrats animant ces chambres depuis lors, n’ont reçu, avant coup, aucune formation particulière ou spécifique sur le droit du contentieux administratif ». Cet état de chose favorisant la porosité de la matière administrative en ce qui concerne le respect de la procédure et, en particulier, celle du jugement, est la preuve vivante que l’organisation des règles régissant le contentieux administratif au Bénin doit être profondément repensée.
De tout ceci, il ressort que la meilleure solution soluble pour amoindrir du moins l’effet de lenteurs qui engloutit le traitement stipulant des requêtes administratives contentieuses, demeure celle du recrutement selon la règle de la spécialisation dévolutive des divers acteurs de la chaîne administrative contentieuse. C’est sur ce point que Jean- Marc FAVRET conclut à l’idée que la « bonne administration de la justice administrative, […] inspire les règles et principes de fonctionnement de justice administrative qui sont, principalement, garantir l’impartialité de la justice administrative et remédier à ses lenteurs ».

Par ailleurs, d’autres causes d’ordre interne peuvent également justifier ces lenteurs.

Il en est ainsi puisque lors de la 8eme Session de la formation continue des acteurs judiciaires sur le « contentieux administratif » qui a eu lieu du 19 mars au 3 aout 2018, certains en témoignaient leur absence. Cf liste de présence des acteurs ayant participés à la formation

ADOSSOU (Victor), avant-propos du recueil des arrêts de la Chambre administrative, Cour suprême, 2020, p. 19

En effet la matière administrative en suivant la norme communément admise, est jalouse des autres matières puisqu’étant une matière à part entière, les règles qui la régissent sont exorbitantes de celles communes.

FAVRET (Jean‑Marc) (2004), « La bonne administration de la justice administrative », RFDA, p. 943‑952. Citée par BOYER-CAPELLE (Caroline), « GESTION DES DOSSIERS ET QUALITE DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE » in Revue française d’administration publique, vol. 159, n¨°3, 2016, pp. 727 à 738 précisément p. 738

b- Les causes internes

Ces causes ont trait à l’encombrement du prétoire (i) et à l’insuffisance des juges (ii) desdites formations.

L’encombrement du prétoire

L’encombrement des juridictions dû notamment à l’augmentation du contentieux non suivi d’une augmentation de moyens est l’une des principales causes de durée excessive des procédures.

Une analyse minutieuse nous révèle qu’avant l’effectivité des Chambres administratives des juridictions de fond qui a eu lieu en 2017, la Chambre administrative de la Cour suprême demeurait le seul juge en premier et dernier ressort de tous les affaires administratives contentieuses. Elle est restée pendant plus d’un demi-siècle pratiquement la seule juridiction administrative de la République. Cet ordre de choses qui perdurait jusqu’à un passé récent, en atermoyant l’essence même de l’auguste juridiction, produirait un accroissement incontrôlé de requêtes sur la chaine des affaires appelées à être jugées.

Lorsque nous y comptabilisons la matière électorale, cette lenteur peut également trouver sa justification par le rôle prépondérant de la Cour en matière de gestion du contentieux électoral. En effet, la gestion du contentieux électoral communal à elle confiée par le constituant n’est pas de nature à arranger les choses. Nous le disons ainsi puisque couramment en période électorale, toute affaire relevant du contentieux ordinaire est irrémédiablement hibernée au détriment de celles électorales qui elles, sont cadrées dans un délai impératif délimité par le constituant lui-même. Nous pouvons dès lors affirmer sans ambages au vu de ceci, que la gestion par nature du contentieux électoral par la Cour a de forts incidents sur le cours normal du contentieux ordinaire faisant parti de ces dévolutions quotidienne.

On assistera lorsque le problème n’est pas étouffé, à un accroissement réel et virtuel du nombre d’affaires pendant que le personnel juridictionnel demande à être étoffé.

Elle était l’unique juridiction en matière de recours pour excès de pouvoir, le plein contentieux, ainsi que le contentieux des élections locales.

L’insuffisance des juges

En vertu de l’article 134 de la Constitution béninoise, les présidents de chambre et les conseillers sont nommés parmi les magistrats et les juristes de haut niveau, ayant quinze ans au moins d’expérience professionnelle.

En apposition à cette disposition, pour se retrouver à la Cour suprême, il faut avoir quinze (15) ans au moins d’expérience professionnelle. Pour le cas des magistrats, ils doivent faire une ascension depuis le tribunal de première instance jusqu’à la Cour Suprême en passant par la cour d’appel. Or, pendant plusieurs années, avec les programmes d’ajustement structurel, il y a eu un gel du recrutement des agents dans la fonction publique. Les magistrats n’ont pas été épargnés comme le montre une analyse de JAE : « Le recrutement des magistrats- qui n’en continuent pas moins d’être formés, chaque année, aux frais de l’Etat- a cessé depuis une quinzaine d’années, sous le poids des contraintes imposées par les programmes d’ajustement structurel ». Le retard est aussi engendré par le départ à la retraite (ou parfois leur décès) de certains juges, remplacé tardivement ou non remplacé. Cette question est donc liée à la gestion du corps des magistrats et à leur recrutement.

Mais à l’analyse, et au vu des informations que nous avons pu recueillir, la Chambre administrative de la Cour suprême ne compte au moment où nous parlons, deux

(02) juges non professionnels, cinq (05) juges professionnels, quatorze (14) auditeurs, cinq (05) greffiers et quatre (04) personnels administratifs.

Selon les statistiques du dernier recensement, le Bénin compte environ 12.506.347 d’habitants. À ce nombre, si on ajoute les ONG, les autres personnes morales, etc., par an, la Chambre administrative est susceptible de compter plusieurs milliers de recours. Si nous prenons les sept (07) juges que compte actuellement la Chambre administrative, le rapport entre le nombre de la population et un juge est de 1.786.621. Ce ratio dit toute l’insuffisance du personnel dont souffre la justice administrative. Ce constat n’est pas de nature à faciliter la flexibilité de l’activité juridictionnelle de la Cour. Néanmoins, des efforts sont louables. En effet, jusqu’à la date du 10 août 2022, date notre compulsion du rôle générale et le répertoire des arrêts de ladite Chambre, il n’y a qu’à ce jour que soixante-

Fondation JAE, N° 311 du 19 juin au 2 juillet 2000, p. 56. Cité par EBOH (Théodore-Enone), op. cit.
Voir à cet effet DCC n° 12-092 du 26 avril 2012, Codjo Calixte KPEDE contre Cour Suprême (Annexe 10)

Institut National de la Statistique et de la Démographie, quatrième Recensement générale de la population, RGPH4 (2021)

douze (72) dossiers pendants dans lesquels 28 relèvent de la 1 Section, 20 sont devant la 2 Section et 24 relèvent de la 3 Section.

Toutefois, le contexte politique et économique, l’imbroglio organisationnel, l’encombrement du prétoire et l’insuffisance des juges ne justifient pas à eux seuls la lenteur de la juridiction administrative. La Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en harmonie avec le Conseil d’État, a identifié quatre (04) autres causes qui pourraient favoriser à la base le retard du jugement des affaires.

Il s’agit des causes résultant de la complexité de l’affaire, du comportement dilatoire des parties à l’instance, et des autorités judiciaires nationales.

À évidence, ces lenteurs dans le cadre de notre analyse, produisent de conséquences malsaines.

Voir à cet effet Affaire Wilfred Onyango Nganyi et 9 autres c/ Tanzanie 18 mars 2016, requête 006/2013 et CE, Ass., du 28 juin 2002, Garde des Sceau ministre de la Justice c/ Magiera (Annexe 5), respectivement de la CDHP et du CE

La complexité peut justifier une durée importante de la procédure. Cette complexité peut concerner les règles de droit applicables au litige ou les faits de la cause. Voir arrêt N° 04/CA 12 janvier 2012 KPEDE C. Calixte C/ Ministère de l’Intérieur de la Sécurité et de la Décentralisation (Annexe 11)

Le comportement dilatoire du requérant qui peut se caractériser par la communication tardive des mémoires, le fait de soulever de nouveaux moyens après la clôture de l’instruction obligeant ainsi le juge, si ces moyens sont opérants, à rouvrir l’instruction ou encore en l’absence du requérant à l’audience, peut allonger le délai de jugement de l’affaire. Dans une décision, la Chambre administrative retenait à la décharge du requérant, certaines circonstances de nature à provoquer un encombrement exceptionnel de la haute juridiction. Voir à cet effet, l’arrêt N° 141/CA 07 décembre 2012, AKPLOGAN Bonaventure C/ Ministre des Affaires Etrangères et de l’Intégration Africaine (MAEIA) (Annexe 12). De même, l’administration qui est partie à l’instance (soit parce qu’elle est l’auteure de la décision attaquée, soit parce qu’elle est l’auteure du dommage dont il est demandé réparation) peut tarder à communiquer des pièces indispensables au jugement de l’affaire, sachant que normalement celle-ci possède plus des documents et des justificatifs à présenter que le requérant car il arrive parfois que celui-ci ne possède aucune pièce à introduire. C’est le cas lorsqu’ « il y a eu plus de cinquante-cinq (55) ajournements durant toute la procédure » imputables à l’administration, celle-ci ne peut être vue comme dilatoire vis-à-vis de la du juge africain (Voir l’arrêt de la Cour africaine sur l’Affaire Wilfred Onyango Nganyi).

Le comportement des acteurs judiciaires peut amener à une durée excessive de jugement. Dans le contexte béninois, on s’aperçoit vraisemblablement de ce que les magistrats chargés d’animer les formations juridictionnelles administrative (Ceci se remarque beaucoup plus au niveau des juridictions administratives de fond.) s’abstiennent parfois lorsqu’ils éprouvent le besoin, de diligenter convenablement les mesures d’instruction à l’endroit du greffe qui à son tour, doit opérer leur communication aux parties.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Réflexion sur la gestion des délais dans le contentieux administratif au Bénin
Université 🏫: Université d’Abomey-Calavi - Ecole nationale d’administration (ENA) - Spécialité : Administration Générale et Territoriale
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de formation du cycle ii pour l’obtention du diplôme d’administrateur civil - 2020-2022
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