7 impacts de la lenteur judiciaire sur l’État et le citoyen 

2.Les probables conséquences du dépassement de la durée du jugement

Cette lenteur nécessaire est contrebattue par l’emballement contemporain qui affecte en « premier lieu la sphère économique, attise la sphère privée et menace les institutions administratives et politiques » écrivait Francis MALLOL en 2016. En effet, ce tergiversement juridictionnel ne manquera surtout pas d’avoir de répercussions indésirables sur le cours normal des choses. Ces répercussions sont celles d’abord qui touchent les parties à l’intérieur de l’instance (a) pour engranger L’État se trouvant externe à l’instance (b).

a- Les conséquences à l’intérieur de l’instance

Nous pouvons relever dans cette corvée, la « consommation » de l’illégalité (i), et la condamnation de l’Administration aux frais (ii).

La « consommation » de l’illégalité pour le requérant

En effet, par consommation de l’illégalité, nous entendons la production d’effets d’une décision administrative illégale, avant son annulation par le juge. Lorsque le requérant défère devant le juge administratif un acte illégal, à moins d’user de la procédure de sursis à exécution, qui, si elle est acceptée, suspend l’exécution de la décision attaquée, cet acte est d’office exécuté en application du principe du privilège du préalable dont bénéficient les actes administratifs.

Ainsi, devant une décision administrative révoquant un agent public, l’acte illégal aurait produit tous ses effets. L’État de droit voudrait que soit saisi le juge afin d’apprécier la légalité de ladite décision. Mais si la décision du juge doit intervenir cinq ans après l’édiction de l’acte, et même-ci le juge conclut à l’illégalité, celle-ci aurait déjà été consommée. Une décision prononçant l’exclusion des étudiants de l’université pour cinq ans par exemple, produirait ses effets, lorsque la décision du juge constatant l’illégalité d’une telle mesure interviendrait six ans plus tard. Et dans le cas où l’accès à l’université est subordonné à un âge limité, la réparation d’un tel préjudice est difficile.

Pour le cas d’une interdiction illégale d’une réunion publique, le commissaire du gouvernement MICHEL n’a pas manqué de constater que les décisions d’annulation du juge « perdent une grande partie de leur valeur, lorsqu’elles interviennent plusieurs
MALLOL (Francis), op. cit. p. 783
EBOH (Théodore-Enone), op. cit. p. 45

années après la mesure d’interdiction : la situation peut avoir profondément évolué entre temps et le préjudice politique et moral subi par les organisateurs de la réunion n’est guère atténuée par l’annulation ou par l’octroi d’une indemnité ».

Hormis le cas de la consommation de l’inégalité par le requérant, nous pouvons aussi assister dans certains cas, à la condamnation de l’Administration aux moratoires.

La condamnation de l’Administration aux moratoires

Le jugement tardif d’une requête contentieuse est certes préjudiciable au requérant, mais l’est encore plus à la partie défenderesse lorsqu’il s’agit plus particulièrement des marchés publics. En effet, lorsqu’en dehors d’un cas fortuit (la force majeure), l’Administration met unilatéralement en œuvre son droit de résiliation, et que le cocontractant saisit le juge administratif pour se voir condamner celle-ci du fait des préjudices qu’il estime avoir subi, lorsqu’une décision du juge n’intervient à temps pour inhiber tout lien contractuel (entendu par lien extracontractuel), cette lenteur peut à l’effet, être plus préjudiciable à l’Administration en ce qu’elle aura en aval à la reddition de la décision du juge, même si elle a pu bénéficier à sa disposition des avantages des mesures conservatoires depuis la naissance du litige ; non seulement à verser au requérant (au cas où celui-ci n’est pas solidaire) les charges contractuelles alléguées contre elle sous réserve des dommage et intérêt, mais aussi des dommages et intérêts moratoires, et les taux légales des intérêts ainsi que des conséquences qui résulteraient (pour le requérant) de son mode de financement, à compter de la date de la naissance du litige à la date de l’intervention de la décision définitive. Et si cette décision intervient 10 ans après la saisine du juge, alors les contribuables par le truchement de l’État, auront beaucoup plus de recettes à verser aux cocontractants évincés.

Ceci est le cas d’une collectivité publique condamnée (le 17 juillet 2009) en matière de marché public notamment celui des travaux publics, à verser à ses cocontractants, une somme de 1.180.461,48 euros, assortie de taux d’intérêts moratoires à compter de la date à laquelle est né le litige (5 juin 1989) et des taux légal issus à la fois de la capitalisation

Ibidem. CE, 19 mars 1933, Benjamin, GAJA

des intérêts échus, et des conséquences qui ont pu résulter des modes de financement de ce dernier à compter cette même date.

Pour éviter donc ces désagréments pour le Contribuable, il importe de réduire le délai de jugement des affaires, puisque en dehors des impacts internes à l’instance, il peut y avoir également d’autres impacts externes, conséquences de cette durée excessive de jugement.

b- Les conséquences à l’extérieur de l’instance

Il s’agit ici de mentionner les conséquences de cette lenteur sur le citoyen, l’ultime requérant (i) et sur l’État (ii).

Sur le citoyen l’ ‘’ ultime requérant ‘’ : La perte de confiance des justiciables

Face à la lenteur de la procédure, le justiciable s’estime doublement victime : de décisions illégales ou de pratiques fautives préjudiciables, d’une part, et d’une attente excessive, d’autre part. Et pour peu qu’il cède à l’émotion, il invoquera alors la connivence des juges avec les puissants, la discrimination qu’il endure, infligée par ceux-là mêmes qui devraient le protéger. On n’est pas loin de La Fontaine écrivant Les animaux malades de la peste : « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

Le général Mathieu KEREKOU, ancien Président de la République du Bénin, laissant exprimer sa colère, affirmait le 06 mai 2000 que : « La justice est pourrie, et que les juges favorisent l’impunité dans le pays ». Lorsque ce diagnostic vient d’un premier magistrat, on peut se demander ce que peuvent penser les citoyens ordinaires. La corruption est une gangrène qui mine les États africains aujourd’hui. Lorsque ce fléau gagne les milieux judiciaires, les conséquences sont graves ; il y a d’une part, la perte de crédibilité de la justice et d’autre part, le sentiment de vengeance qui habite les citoyens sans moyens. Dans un État moderne, le rôle de la justice est d’assurer le respect de l’État de droit, gage d’un développement socio-économique harmonieux. La construction de l’État de droit est perpétuelle et le rôle de la justice et surtout du juge de la légalité est
CE, du 17 juillet 2009, Req n°295653, publié au recueil Lebon

MALLOL (Francis), op. cit. p. 777.
JAE, op. cit. P. 56

V. Y. ADIGBLI, L’accès à la justice en droit béninois, Mémoire de DEA, Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie, UNB, 1998-1999, p. 30., cité par EBOH (Théordore-Enone), op cit.

primordial dans la protection des libertés. Son entrave par quelque moyen que ce soit, constitue un handicap à la construction de l’État de droit.

Cette lenteur est telle constituant une inhibitrice pour les justiciables, peut se montrer parfois défavorable pour l’État. En effet, il est à bien considérer que ce qui impacte les délais impacte la décision et que ce qui impacte la décision impacte à son tour, les parties en particulier l’Administration en la personne même de l’État.

Sur l’Administration représentée par l’État

L’État est tenu de réparer les dommages causés à un usager du service public de la justice (ou à une victime de voie de fait), par le fonctionnement défectueux de cette justice.

En effet, depuis le fameux arrêt Magiera du Conseil d’État français, la responsabilité pour faute de l’État peut amener le juge à condamner celui-ci au paiement des dommages-intérêts dans une quelconque affaire, lorsqu’il est établi que l’affaire en cause fait l’objet d’un retard abusif dans son jugement. L’article 115 de la loi n° 2022-12 du 05 juillet 2022 permet d’obtenir de l’État, la réparation des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en cas de prise à partie, notamment, le déni de justice (cf. supra).
C’est le cas d’une Collectivité publique condamnée en matière de marché public notamment celui des travaux publics, à verser aux cocontractants, une somme de 223 880,11 euros chacun assortie de taux d’intérêts moratoires à compter de la date à laquelle est né le litige et des taux légal issus à la fois de la capitalisation des intérêts échus, et des conséquences qui ont pu en résulter de leurs modes de financement à compter cette même date. CE, Sect., 17 juill. 2009, Ville de Brest (Annexe 6).
Trois arrêts consacrent la responsabilité de l’État en matière de délai de jugement excessif de service public de la justice défectueux en France. Il s’agit des arrêts Damont (CE, Ass, 29/12/1978, 96004, publié au recueil Lebon), Magiera (CE, Ass, du 28/06/2002, 239575, publié au recueil Lebon) et ville de brest (CE, Sec, du 17/07/2009, 29956503, publié au recueil Lebon) mais la plus spectaculaire est celui Magiera.
La Cour européenne des droits de l’homme adopte une approche plus globale du litige dans la mesure où la durée du procès englobe non seulement la phase préalable à la saisine du juge en cas de recours administratif (C. E. D. H. 26 avril 1994, Vallée c/ France, Recueil série A n° 289-A) mais également la phase d’exécution de la décision juridictionnelle (C. E. D. H. 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce, Recueil 1997-II n °00018357/91)

CORNU (Gérard), « Principe », Vocabulaire juridique, op. cit. TGI, Paris, 6 juillet 1994, Gaz. Pal., 1994, p. 37, n. Petit (S.) ; J.C.P., 1994, I, 3805, n° 2, obs. Cadiet (L.) ; « Dr. et Patrimoine », 1995, p. 9, n. Vaissere (F. de la) ; RTD civ, 1995, p. 957, obs. Perrot (R.).V. égal. Frison-Roche (M.-A.), « La responsabilité des magistrats, l’évolution d’une idée », JCP, 1999, I, 174, spéc. n° 67 ; « Déni de justice et interprétation de la loi par le juge », J.-Cl. Civil, art 4, 11, 1996, spéc. n° 24 : « La première hypothèse de déni de justice concerne les décisions de justice qui sont rendues si tardivement

Du moins qu’on puisse dire, cette volonté pourtant clairement affichée et exprimée en France, n’en est pas le cas dans notre contexte. Mais, du moins, la justice constitutionnelle est à pied d’œuvre à travers ses nombreuses décisions condamnant le juge judiciaire pour délai de jugement excessif.
Toutefois, lorsqu’un problème scientifique se pose avec acuité, il revient au chercheur d’y remédier en trouvant de solutions résilientes. À ces dires, « les remèdes dont nécessite » cette justice, sont à « rechercher ailleurs que dans le droit ».

qu’elles en perdent leur sens. À travers l’exigence du délai raisonnable exprimé par l’art 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est bien le spectre du déni de justice qu’il s’agit d’écarter.

En France, le Conseil d’État juge désormais de manière constante « qu’il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; que, par suite, lorsque la longueur d’une procédure juridictionnelle les mettant en cause a excédé une durée raisonnable et leur a causé de ce fait un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi provoqué par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ». CE, 25 janvier 2006, SARL Potchou et autres

Toutefois, dans un arrêt du 11 mai 2018, le juge administrative béninois avait considéré que quand du « 24 mai 1992, date de transmission du rapport de la commission de vérification au procureur de la République et l’enclenchement de la procédure judiciaire sur la base du procès-verbal d’enquête préliminaire établi le 03 mars 1993 à ce jour (11 janvier 2001 date de la décision DCC n° 01-008), il s’est écoulé plus de huit ans sans que la poursuite pénale exercée contre le requérant n’a pu abouti », qu’il y a lieu d’inférer qu’un tel délai découle indubitablement du « dysfonctionnement du service public de la justice », car il était anormalement long au vu des principes généraux qui régissent la justice, et constituait in fine, un préjudice pour le requérant auquel seule « l’Administration » en la personne de l’État, devra en répondre. Par conséquent, condamne ce dernier au « paiement à l’intéressé », des indemnités (Arrêt N° 89/CA, du 11 mai 2018, KANGNI Ekoué Marcel Joseph c / MFPTRA (Annexe 13). Mais dans l’arrêt n° CJ/39 de la Cour suprême du Bénin, du 27 novembre 2020, Nestor Adjavon , Barnabe Yelouassi, Christian Tolodji et Sebastien Germain Ajavon c/ Ministere public, direction générale des douanes et droits indirects (dgddi) et Société mediterranean shipping co (Annexe 14), qui se projette comme une première en matière judiciaire, dans lequel les requérants demandaient pour leur compte au juge de la Haute juridiction de constater la violation manifeste de l’article 7-4-d de la Charte africaine et d’en tirer par conséquent tous les conséquences de droit , le juge en outre, s’est quant à lui borné à prononcer la déchéance du pouvoir de ceux-ci alors même que l’arrêt n° 013/2017 rendu le 29 mars 2019 du juge Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples le lui intimait.

Le juge constitutionnelle garant des libertés fondamentales a depuis plusieurs années en vertu de l’article 7-4-d de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples faisant partie intégrante de la Constitution, fustigé le juge judiciaire par ses décisions pour délai de procédure anormalement long. Néanmoins ne disposant pas d’un réel pouvoir de contrainte juridictionnelle, ces décisions ne contraignent pas au respect de la chose jugée. On s’en rend raisonnablement compte que la responsabilité de la puissance publique fondée sur le service public de la justice défectueux, n’est pas encore une réalité. Voir DCC n° 21-002 du 07 janvier 2021, DCC n° 21-003 du 07 janvier 2021, DCC n° 21-081 du 11 mars 2021.

MONTEIRO (Célestin), op.cit. p.59

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Réflexion sur la gestion des délais dans le contentieux administratif au Bénin
Université 🏫: Université d’Abomey-Calavi - Ecole nationale d’administration (ENA) - Spécialité : Administration Générale et Territoriale
Année de soutenance 📅: Mémoire de fin de formation du cycle ii pour l’obtention du diplôme d’administrateur civil - 2020-2022
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