5 façons dont le patrimoine culturel du Cameroun lutte contre l’extrémisme et la Covid-19

Paragraphe 1 : Le poids des enjeux politiques

Conflits et risques aux biens culturels

La situation sécuritaire dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun s’est détériorée depuis la fin de l‘année 2017. La région a connu des violences meurtrières depuis la fin de l’année 2016. Dans l’Extrême-Nord, l’armée est également déployée pour combattre les djihadistes de Boko Haram323 qui lancent des assauts répétés contre la population camerounaise depuis 2014. Ainsi, le Cameroun est confronté à plusieurs crises complexes : les instabilités politiques, économiques, sociales et culturelles dues aux exactions de la secte islamique Boko Haram d’une part, la crise sécuritaire dans les deux régions anglophones d‘autre part, ce à quoi s’ajoute la pandémie de COVID-19. On estime que plus de 460 000 personnes ont été déplacées dans ces régions en raison de la violence. Les crises ont causé de nombreux dommages humains, matériels et culturels à la population camerounaise. Elles constituent toujours la principale menace pour le patrimoine culturel. Elles entraînent non seulement la destruction des biens culturels, mais aussi leur trafic illicite.

Depuis le début de ces hostilités, de nombreuses institutions muséales ont fermé leurs portes, et celles qui résistent ont vu leurs œuvres détruites, pillées et volées. Plus de la moitié des musées des régions en crise n’ont plus de personnel en service, même s’ils n’ont pas fermé. Le Musée royal de Babungo324 et le Musée royal de Mokolo325, dans les régions du Nord- Ouest et de l’Extrême-Nord du Cameroun, font partie des nombreuses institutions qui sont gravement touchées par la crise sécuritaire dans l‘ouest et le nord du pays. En outre, des bâtiments éducatifs et sanitaires, y compris des monuments historiques, ont été partiellement ou totalement détruits. De plus, l’apparition du coronavirus a porté un coup très dur dans une situation déjà très difficile car le phénomène est d’envergure nationale et mondiale. Des petits et grands musées, des sites culturels tant publics que privés, ont dû fermer leurs portes, la

323Boko Haram est un groupe terroriste salafiste et djihadiste présent en Afrique de l’Ouest. Le mouvement a été créé dans le nord-est du Nigeria, à Maiduguri, en 2002, par Mohamed Yusuf. D’abord qualifié de secte prônant un islam radical et rigoriste, il s’est ensuite rapproché d’Al-Qaïda puis de l’État islamique.

324Le musée présente un échantillon d’objets importants et significatifs du riche patrimoine culturel et artistique de Babungo, anciennement le centre le plus important pour la ferronnerie au Cameroun. Le trésor des talentueux rois-sculpteurs de Babungo, avec des milliers de pièces, reste encore le plus impressionnant de tout le Grassland. Les objets d’art de Babungo expriment sans doute tous les aspects de la vie sociale et le

patrimoine artistique comprend des œuvres de différentes collections dans tout le royaume, mais près des trois-quarts des pièces importantes étaient conservés dans la résidence royale.

325 Le Musée Royal du Lamidat de 1er Degré de Mokolo est situé dans la ville de Mokolo au Cameroun, chef-lieu du Département du Mayo-Tsanaga, Région de l’Extrême-Nord, à 59 km environ à vol d’oiseau de Maroua. C’est une institution culturelle à caractère ethnographique qui a pour mission d’assurer la conservation, la valorisation et la promotion du patrimoine culturel des peuples Mafa et Peul.

plupart pour une durée indéterminée. On estime que 90 % des 33 musées et sites patrimoniaux du Cameroun font l’objet d’une fermeture totale, partielle ou définitive. L’activité culturelle au Cameroun tire près de 80% de ses revenus des visites, et ces visiteurs constituent la principale source de revenus du pays.

L’insécurité résiduelle au Mali depuis la crise de 2012 est le plus grand danger auquel doit faire face le patrimoine culturel du pays. Les groupes armés séparatistes ont saccagé plusieurs mausolées de la ville de Tombouctou, classée au patrimoine mondial, ainsi que des villages des falaises du Bandiagara. Cette dernière région continue à souffrir des violences intercommunautaires, qui menacent également le patrimoine architectural. Plusieurs sites archéologiques ont été pillés pour alimenter le marché international des antiquités.

Le terrorisme

Le marché de l’art et des antiquités représente un secteur à risque en matière de financement du terrorisme (tout comme de blanchiment de capitaux, cf. infra).

La dimension terroriste est largement reconnue par la communauté internationale, comme le prouvent les nombreux textes à ce sujet du Conseil de sécurité des Nations Unies, du G20, du GAFI, de l’Union européenne de l’UNESCO ou encore les rapports des unités d’investigation financière des États membres326. Le Conseil de sécurité des Nations unies a souligné dans la résolution 2347 que des organisations terroristes « génèrent des revenus en procédant, directement ou indirectement, à des fouilles illégales et au pillage et à la contrebande d’objets appartenant au patrimoine culturel provenant de sites archéologiques, de musées, de bibliothèques, d’archives et d’autres sites, qui sont ensuite utilisés pour financer leurs efforts de recrutement ou pour renforcer leurs capacités opérationnelles d’organiser et de perpétrer des attentats terroristes ». À ceux qui chercheraient à relativiser le phénomène en questionnant son ampleur par rapport à d’autres sources de financement du terrorisme (armes,

326United Nations Security Council Resolutions « 2253 » https://www.undocs. org/S/RES/2253 (2015), « 2199 » https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/ pf0000232934, « 2462 » (under the binding Chapter VII of the Charter of the United Nations) and 2347 note with grave concern that terrorist organizations generate income from the trafficking of cultural goods ii) the Resolution adopted by the United Nations General Assembly on Return or restitution of cultural property to the countries of origin on 13 December 2018 .PDF , in particular its article 17, the ongoing work on this topic of the Financial Action Task Force (FATF), iii) the G20 Hamburg 2017 action plan G20 Hamburg 2017 action plan, iv) the Global Counter Terrorism Forum (GCTF) ( ), v) the Global Coalition to Counter ISIL and other international bodies in combating the financing of terrorism.

pétrole, drogue), peut être faite la réponse d’un agent d’INTERPOL : « il suffit de 10 dollars pour fabriquer une bombe ».

Le trafic a toujours existé dans le monde. La spécificité de l’organisation dite de « l’État islamique » est de l’avoir institutionnalisé327. Daesh en a fait une partie intégrante de l’organigramme de son « Ministère des finances », afin de générer des sommes conséquentes (en délivrant des permis d’excavation et en prélevant des taxes, en stockant les objets, en organisant de manière directe leur commercialisation328 vers les pays de marché329); afin également de réaliser un projet idéologique : faire tabula rasa, anéantir le passé pour imposer son projet de remodèlement identitaire et totalitaire de sociétés privées de repères, comme avant eux les Nazis ou les Khmers Rouges. Sauver des statues de la destruction comme du pillage, c’est contrer le projet des terroristes et criminels330 331.

La résilience des peuples face aux idéologies extrémistes est intimement liée au rapport qu’ils entretiennent avec leur histoire.

Aller au musée national du Bardo à Tunis, qui a été la cible d’une attaque terroriste en 2015, permet de comprendre non seulement le passé islamique infiniment riche de ce pays, mais également ce qu’il contient de romain, de carthaginois, de chrétien, de juif… Ce musée est devenu aujourd’hui un symbole de la lutte contre la radicalisation.

Beaucoup d’Irakiens, quelle que soit leur confession ou leur appartenance politique (comme l’ont illustré par exemple les références à l’Histoire dans les slogans des manifestants de la place Tahrir en 2019), peuvent se reconnaître dans le fait de savoir que c’est dans leur pays que sont nées la civilisation, l’écriture, la musique, l’astronomie, les premières lois et la notion d’État, concepts à la base des civilisations modernes. Tout ce que les terroristes ont voulu détruire et faire oublier pour imposer leur vision unidimensionnelle de l’Histoire. La France, avec le Louvre, est aujourd’hui en train de participer à la rénovation du Musée de Mossoul.

327

330Voir le travail de Floyd sur l’iconoclasme taliban des années 2000 et son analyse sur le positionnement de l’Occident.

331

Notre intérêt (à l’heure où les priorités sont de stabiliser les zones en crise, de stopper le terrorisme, la radicalisation, etc.) n’est-il pas d’aider ces peuples à se construire, à s’éduquer, à se connaître eux-mêmes, à comprendre l’autre332 ? La coalition internationale contre Daesh ne s’y est pas trompée, en déclarant en 2018 que lutter contre le trafic de biens culturels fait partie intégrante de l’effort de stabilisation d’une zone en crise333.

Comme l’indique TRACFIN334 dans son rapport publié en 2020335, l’ouverture de procédures judiciaires relatives au trafic d’antiquités organisé par des groupes terroristes a permis d’identifier le rôle de plusieurs intermédiaires dans la déclinaison du trafic en Europe. Ses ramifications financières convergent vers réseaux structurés, organisés pouvant impliquer des musées, curateurs, marchands d’art et galeristes occidentaux qui participeraient au blanchiment des « antiquités du sang ». De nombreuses enquêtes internationales sont en cours.

Outre les éléments déjà connus, il y a la dimension du risque terroriste pour l’avenir, sur la base de ce que nous savons du passé, de l’analyse de la menace. Par exemple, Mohammed Atta, pirate de l’air de l’attentat du 11 septembre 2001, aurait tenté pour « acheter un avion », de vendre des antiquités d’Afghanistan (où il avait lui-même séjourné) à Hambourg336 (ville où a été arrêté en 2020 un marchand soupçonné d’être depuis des années au centre d’un vaste réseau de trafic d’antiquités de plusieurs pays du Proche et Moyen-Orient, en lien avec de prestigieuses maisons de ventes et antiquaires européens et autres337). Dès 2005, dix ans avant l’apogée du Califat, le Colonel Matthew Bogdanos a publié dans le New York times un article intitulé « le terroriste dans la galerie d’art »338. Il a alerté le monde sur le fait que lors d’opérations anti-terroristes en Irak, des antiquités étaient régulièrement découvertes avec des armes. Il est également possible de s’interroger sur le fait que Mohammed Al Bakraoui339,

334« Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », service de renseignement placé sous l’autorité de Bercy

336

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auteur des attentats de Bruxelles en 2016, ait réussi, avant cela, à générer avec ses complices des dizaines de milliers d’euros grâce au vol de tableaux en Belgique. Ou bien sur la prolifération de l’offre sur internet d’objets originaires de pays aujourd’hui en crise, comme le Yémen ou la Libye ; la découverte par la police irakienne en septembre 2020 d’une vingtaine de bibles syriaques volées par Daesh, murées dans la cuisine d’une maison à Mossoul en attendant d’être transmises à un trafiquant d’un pays voisin. Ou encore sur le fait que certains marchands, connus pour vendre des antiquités au statut parfois ambigu, continuent d’être invités dans des foires d’art internationales prestigieuses et que peu soit entrepris pour sensibiliser les acheteurs.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’encadrement juridique du trafic illicite des biens culturels en droit international
Université 🏫: Université du Sahel - Membre du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES)
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master en Droit Public - Mention : Relations Internationales - 2023
Juriste internationaliste .
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