Sauvegarde ou redressement : choisir en temps de crise COVID-19

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Chapitre 2 : Les procédures Curatives : La Sauvegarde ou le Redressement, quels critère de choix ?

Les procédures curatives prévues par le nouveau livre 5 du code de commerce sont en parfaite concordance avec la crise sanitaire actuelle, dans la mesure où elles constituent un moyen d’évasion de la défaillance pour les entreprises en difficultés.

En effet, il s’est avéré que les séquelles économiques causées par la COVID-19 sont d’une ampleur auxquelles les procédures préventives n’ont pu suffire. Pour beaucoup d’entreprises, les procédures préventives sont insuffisantes pour leurs permettre de rebondir et reprendre leur activité normale.

Il est vrai que l’affaiblissement des entreprises en cette période de crise nécessite des remèdes plus robuste que de la simple prévention. Nous pouvons dire qu’une bonne partie d’entreprises souffrantes ne répondent pas aux thérapies préventives et donc nécessite des remèdes plus solide et vigoureux.

Bien que les procédures curatives 27 nécessitent des sacrifices de la part du dirigeant et des créanciers, mais elles permettent à l’entreprise de mettre en place une vraie stratégie de restructuration.

Toutefois, la sauvegarde et le redressement se rejoignent quant au mécanisme d’intervention mais diffèrent au niveau de l’exorbitance et de la contrainte qu’elles impliquent, ainsi qu’au niveau de la nature des difficultés qu’elles sont censées traiter.

Ces interférences se manifestent lors de l’ouverture des procédures curatives et en fonction de la situation financière de l’entreprise.

Section1 :Ouverturevolontaire « Leplandesauvegarde »ou obligatoire « Le Redressement »

Face à cette pandémie mondiale, les entreprises affaiblies , souffrantes mais qui sont toujours en capacité de continuer leurs activités, font face à deux situations :

27 Les techniques de sauvetage des entreprises en difficulté – Pascal, Nguihé Kanté – L’Harmattan – 2019

Soit l’entreprise n’est pas encore en cessation des paiements mais éprouve des difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter seule et qui pourraient provoquer la cessation de paiement. Dans le cas d’espèce, le dirigeant pourra bénéficier de la procédure de sauvegarde 28 .

Soit l’entreprise est en état de cessation des paiements mais toutefois sans être dans une situation irrémédiablement compromise, dans ce cas le CDE se doit de faire la demande d’ouverture d’une procédure de redressement 29 . La même option est accordée aux créanciers de l’entreprise et au tribunal de commerce compétent, d’office, sur requête du PTC dans le cadre de la conduite de la prévention externe ou sur requête du MP.

D’emblée, nous pouvons constater les points d’interférence caractérisant les deux procédures curatives : dans la procédure de sauvegarde la demande d’ouverture est purement volontariste et est réservée uniquement au CDE, tandis que dans le redressement, la demande d’ouverture est obligatoire et est de nature impérative, reconnue à une pluralité d’intervenants tels que le CDE, le PTC ….

Et donc le législateur, en mettant en place l’innovation majeure ; la procédure de sauvegarde d’inspiration américaine transposée dans le droit français, a cherché à mobiliser les énergies pour éviter la volatilisation des entreprises viables et leur liquidation. Le but étant le maintien et la survie de l’entreprise.

Autrement dit, l’entreprise en difficultés qui n’est pas en cessation de paiement disposera de solutions juridiques protectrices, sans pour autant retirer au CDE la maitrise de la procédure. Il bénéficie du monopole de déclenchement de la sauvegarde et conserve son pouvoir de décision et de gestion tout au long du déroulement de la procédure. Contrairement au redressement et liquidation qui implique un risque confiscatoire des pouvoirs du CDE et installe une conduite contraignante et impérative de la procédure. C’est ce qui explique l’aversion habituelle des CDE face aux procédures collectives et leur tendance à retarder indéfiniment la demande d’ouverture. Par cette attitude de fuite en avant, ils finissent par achever les dernières ressources de l’entreprise et creusent dangereusement leurs passifs, les entrainant à la liquidation comme seule procédure encore envisageable face à la situation si gravement détériorée.

28 Droit des entreprises en difficulté – édition 8 – Pierre-Michel le corre – Dalloz- 2017

40 29 Mémento LMD – Droit des entreprises en difficultés – Edition 3 – Lethielleux Laetitia – Gualino – 2012

Sur la base de cette interférence des procédures curatives, nous pouvons dire que l’ensemble de l’édifice procédural a été construit autour d’un évènement majeur et décisif : la cessation de paiement. C’est la survenance ou non de celle-ci qui définira les champs des possibilités ouvertes devant les entreprises affectées par la COVID 19. Si l’entreprise est d’ores et déjà en cessation de paiement, elle n’aura d’autre choix que de demander l’ouverture d’une procédure de redressement, à condition que sa situation ne soit pas complètement compromise. Si sa situation, même dégradée, ne constitue pas une cessation de paiement caractérisée, la porte de la sauvegarde lui restera ouverte.

En effet, pour les entreprises impactées par la COVID-19, la réelle problématique est d’identifier la cessation des paiements tout en notant que les deux procédures comportent des mesures de protection pro entreprise en vue de leur réhabilitation et de leur sortie de crise. Les mesures du confinement et de distanciation sociales étaient annoncées de but en blanc causant ainsi un renversement des priorités, une détresse économique, financière, des créances en souffrance, et une trésorerie insidieuse mais en l’occurrence une souffrance psychologique dont les séquelles peuvent perdurer sur le long terme.

On assiste à des scenarios cauchemardesques, car la recrudescence des appréhensions de l’angoisse et de l’irritabilité est évidente.

Les CDE ne cessent de lever haut leur voix pour s’indigner contre les dispositions législatives régissant le droit des difficultés des entreprises marocain. La sagesse voudrait que soit ouvert le bénéfice de la procédure de sauvegarde au profit des entreprises malgré leur état de cessation de paiement. Avec obligation pour ces victimes de la crise de prouver que leur état d’impécuniosité était bien enregistré postérieurement à l’état d’urgence sanitaire, alors qu’avant la crise elles étaient financièrement confortables et que leur insolvabilité est intrinsèquement liée à la crise, preuve comptables à l’appui.

Les nouveaux contours des critères d’accès à la nouvelle procédure de sauvegarde doivent repartir sur les chapeaux de roues, puisque les dégâts matériels, voire immatériels laissent sans voix.

41 Et donc, la réflexion essentielle à mener, sera de caractériser objectivement leur situation au regard du critère de la cessation de paiement, sachant que les deux procédures, redressement ou

sauvegarde, contiennent autant de mesures de protection pour les entreprises en vue de leur sortie de crise. Mais qu’est-ce que la cessation de paiement ? Et comment la caractériser ?

Section 2 : Critère de la cessation de paiement : Concept ambigu et flexible Comme susmentionné, les procédures de sauvegarde 30 et de redressement judiciaire ont la même finalité : poursuivre l’activité de l’entreprise, apurer le passif et maintenir les emplois. Toutefois, et contrairement à la procédure de sauvegarde, le redressement judiciaire 31 n’a lieu que lorsque l’entreprise est déjà en état de cessation des paiements.

Il parait d’après l’article 570 du code de commerce que, outre le fait de lier l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l’existence d’un état de cessation de paiement, la loi a donné une nouvelle définition à la cessation des paiements : il s’agit de l’incapacité du débiteur d’être en mesure de régler son passif exigible 32 par son actif disponible.

L’actif disponible : L’actif disponible représente des actifs qui peuvent être réalisés en peu de temps . Il inclut l’existant en caisse et en banque, ainsi que le réalisable susceptible d’une conversion immédiate en disponible : effets de commerce, titres de placement des stocks de marchandises……

Par ailleurs, une entreprise « riche » par son patrimoine immobilier mais dont l’activité a été fortement impactée par la crise sanitaire, peut rapidement tomber en cessation de paiement, dès qu’elle vient à manquer de liquidités. Nous remarquons cependant, que les juges marocains sont particulièrement flexibles en ce qui concerne l’appréciation de la disponibilité de l’actif. Des entreprises qui sont objectivement dans une situation largement compromise, avec des liquidités au plus bas et une activité fortement dégradée, se voient pourtant ouvrir le bénéfice d’une procédure de redressement et même de sauvegarde, alors qu’elles devraient logiquement relever directement de la liquidation. On peut augurer que cette forte flexibilité et le manque de rigueur dans l’appréciation de la notion d’actif disponible par les juges ne pourra que s’aggraver dans le cadre des procédures collectives ouvertes dans le contexte de la crise sanitaire.

30 Article 560 du Code de Commerce

31 Article 570 du Code de Commerce

42 32 Les procédures collectives : 22 fiches pour décrypter le droit des entreprises en difficulté-édition 2-Sarah Farhi-Gualino- 2020

Le passif exigible : Le passif exigible s’entend de l’ensemble des dettes certaines, liquides et exigibles. Les dettes litigieuses , contestées dans leurs montant ou dans leur principe , ne sont donc pas prise en compte puisqu’elles ne sont ni certaines ni liquides . Mais le débiteur ne peut se contenter de son refus de payer pour écarter une dette de son passif exigible. Il doit en outre établir le bien-fondé de son refus, c’est-à-dire le caractère litigieux de la créance et les moyens qu’il a par ailleurs de l’honorer.

Quant à la condition d’exigibilité, elle doit être entendue dans son sens juridique et non comptable: sont exigibles les dettes échues au jour du jugement qui ouvre la procédure collective, qui sont logiquement les seules pour lesquelles le débiteur encourt le reproche du non-paiement. Mais l’octroi de moratoires 33 par les créanciers conduit à soustraire de ce passif exigible les dettes auxquelles ils sont attachés, à la condition que le débiteur en établisse l’existence.

C’est ainsi que tribunal de commerce d’Agadir a prononcé le 11/02/2020 dans un jugement que

« La Cour ne peut statuer sur l’ouverture de la procédure de traitement des difficultés de l’entreprise qu’après l’audition du chef de l’entreprise ou sa convocation légale à comparaître devant la chambre de conseil.

Le législateur a imposé cette procédure eu égard au rôle important que joue la personne auditionnée au sein de l’entreprise. En effet, les déclarations du CDE peuvent éclairer sur la situation financière, économique et sociale, sur la nature des difficultés encourues par l’entreprise et permettent d’évaluer le degré de dysfonctionnement sur la base duquel la décision d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire pourrait être prononcée. » 34

33 Délais de paiement

34 Jugement n° 112/8319/19 – Tribunal de commerce d’Agadir en date du 11/02/2020

En temps de crise, l’imprécision de la notion de cessation des paiements rend encore plus difficile pour les entreprises, la définition d’une stratégie judiciaire adaptée à leur situation.

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