Formalisme et impacts des procédures de sauvegarde en crise COVID-19

Section 3 : Formalisme de la demande

La demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement produit plusieurs bouleversements juridiques d’où la nécessité d’un formalisme rigoureux. Ce qui nous importe le plus dans cette partie c’est de connaître le formalisme d’ouverture des procédures de et leurs applications en ces temps de COVID-19.

Tout d’abord, l’ouverture des procédures est subordonnée à la saisine du tribunal qui prononce un jugement à cet effet.

Le législateur a déterminé limitativement les personnes habilitées 35 à la saisine, il s’agit essentiellement du débiteur, des créanciers du tribunal, du ministère public, du procureur ou du PTC dans le cadre des missions qu’elles lui sont confiées dans la prévention externe.

Par ailleurs, Le débiteur doit faire une demande au plus tard dans les 30 jours suivant la date de la cessation des paiements. Ce délai était seulement de 15jours dans le cadre de l’ancien livre V du code de commerce.

Toutefois, le non-respect du délai de 30 36 jours pourrait donner lieu à des sanctions, c’est ainsi que la cour d’appel de commerce de Casablanca a prononcé dans un arrêt du 28 septembre 2000 « La déchéance commerciale à l’encontre d’un commerçant qui a omis de déclarer l’état de cessation de paiement dans le délai de 15jours. »

La demande est déposée au secrétariat greffe du tribunal , elle doit mentionner les causes de cessation de paiement et doit être accompagnée de plusieurs documents 37 . L’ensemble des documents doivent être datés, certifiés, et signés par le CDE.

Toutefois, la complexité de la demande d’ouverture d’un redressement judiciaire constitue un réel obstacle pour les petites entreprises et les commerçants individuels dans la mesure où la préparation de la demande d’ouverture nécessite un certain savoir et doit être étayé par un conseil juridique.

35 La cour d’appel de commerce de Casablanca a confirmé cette limitation légale dans son arrêt n°377/2002 du 15 Février 2002 en énonçant que seul : « le chef d’entreprise, les créanciers, le ministère public et le tribunal d’office, peuvent demander l’ouverture de la procédure de traitement des difficultés de l’entreprise à l’exclusion des actionnaires qui ne sont pas mentionnés par le législateur. »

36 Article 575 du Code de Commerce

37 -Les états de synthèse du dernier exercice comptable visé par le commissaire aux comptes s’il existe ;-L’énumération et l’évaluation de tous les biens mobiliers et immobiliers de l’entreprise ;- La liste des créanciers avec l’indication de leur résidence, le montant de leur droit, leurs créances et leurs garanties à la date de cessation de paiement ;-La liste des débiteurs avec les mêmes spécifications ;-Le tableau des charges (salariales, électricité…) ;-La liste des salariés et leur représentant s’il en existe ;-Un extrait du modèle 7 du registre de commerce ;-Situation de la trésorerie des trois derniers mois.

Dans la crise que nous traversons actuellement, et face aux besoins des petites entreprises en accompagnement juridique spécialisé, pour certains praticiens, il est indispensable de mettre au sein même des tribunaux de commerce, des cellules d’accueil , dédiées à l’information, au conseil et à l’accompagnement juridique des entrepreneurs, afin de les aider à mener à bien leur demande d’ouverture de procédures collectives, avant que leurs entreprises ne sombrent définitivement et de manière irréversible dans la défaillance.

À compter du dépôt de la demande de sauvegarde ou de redressement, le tribunal dispose de 15 jours pour statuer sur la demande, après avoir auditionné le CDE. C’est ainsi que la cour de Cassation a prononcé dans un arrêt n° 198/3/1/2015 du 23/06/2016 : « La Cour ne peut statuer sur l’ouverture de la procédure de traitement des difficultés de l’entreprise qu’après l’audition du chef de l’entreprise ou sa convocation légale à comparaître devant la chambre de conseil.

Le législateur a imposé cette procédure eu égard au rôle important que joue la personne auditionnée au sein de l’entreprise. En effet, les déclarations du chef de l’entreprise peuvent éclairer sur la situation financière, économique et sociale, sur la nature des difficultés encourues par l’entreprise et permettent d’évaluer le degré de dysfonctionnement sur la base duquel la décision d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire pourrait être prononcée »

La décision d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement est notifiée dans les 8 jours 38 du jugement au CDE et fait l’objet d’un dépôt immédiat au registre de commerce, d’une publication dans le bulletin officiel, dans un journal d’annonce légal, et dans les livres de la conservation foncière le cas échéant. Cette large publicité tranche avec la confidentialité des procédures préventives. Elle vise notamment à informer les créanciers de l’entreprise afin qu’ils puissent déclarer leurs créances dans les délais impartis par la loi.

38 Article 584 du Code de Commerce

Section 4 : Choix de la solution : continuation, cession, ou liquidation

La date du jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement est fondamentale, puisqu’elle marque un bouleversement juridique majeur pour l’entreprise et ses partenaires. Elle déclenche une période d’observation qui est décisive pour fixer le sort de l’entreprise.

Et donc, un bon pilotage de cette phase d’observation avec un bon pronostic vital de l’entreprise, peut aboutir à l’adoption d’une thérapie permettant la restructuration de l’entreprise que ça soit au niveau des dettes ou au niveau de la gestion interne.

Juridiquement, cette phase matérialise la particularité des procédures curatives , car elle s’articule autour de mesures exorbitantes qui visent à créer une véritable protection pour l’entreprise. Dans le redressement comme dans la sauvegarde, son objectif est double : d’une part, «observer» l’entreprise afin de proposer un diagnostic et définir un protocole de traitement adapté, d’autre part, « ménager » l’entreprise, et l’entourer de soins afin de lui permettre de reconstituer ses forces et de résoudre ses difficultés.

Dans la situation actuelle que nous vivons, la période d’observation constitue pour les entreprises un soulagement. En effet, dès le prononcé du jugement d’ouverture d’une procédure de redressement les prérogatives accordées aux créanciers face à leur débiteur seront instantanément et impérativement suspendues. Autrement dit , elle suspend donc les poursuites individuelles des créanciers quel que soit le montant de leurs créances et leur nature : privilégiée ou chirographaire. D’autres mesures de protection des entreprises ont été mise en place dont l’arrêt des cours de tous les intérêts 39 , qu’ils soient légaux ou conventionnels, ainsi que des intérêts et majorations de retard….

De même que sera interdit l’inscription d’hypothèques, de nantissements et de privilèges au cours de la période d’observation.

Dans un soucis d’efficacité des contraintes sont imposées aux créanciers, le législateur a interdit au débiteur le paiement des créances 40 antérieures au jugement d’ouverture.

Cette interdiction d’ordre public qui expose, en cas de non-respect, le débiteur et ses créanciers à de sanctions patrimoniales et pénales ; elle se justifie par un objectif d’ordre juridique et économique.

Juridiquement, elle vise à maintenir l’égalité entre les créanciers de l’entreprise. Le débiteur ne doit pas pouvoir choisir de rompre cette égalité en décidant de payer un créancier au détriment des autres. Le paiement des créanciers est organisé par le tribunal dans le cadre d’un plan de sauvegarde, de redressement ou de liquidation.

39 Article 572 du Code de Commerce

40 « Le jugement ouvrant la procédure (de redressement ou de sauvegarde) emporte de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture » .

Économiquement, l’interdiction de payer les créances antérieures échues et donc exigibles, s’explique par la volonté de soulager la trésorerie de l’entreprise et de lui permettre de la reconstituer afin de réussir sa remise sur pied. Cette volonté de permettre le rebond des entreprises est encore plus nette dans le cas des créanciers postérieurs au jugement d’ouverture.

En effet, les sacrifices infligés aux créanciers antérieurs contrastent avec les privilèges et les incitations dont bénéficient les créanciers qui acceptent de continuer à traiter avec l’entreprise au cours de la période d’observation. Autrement dit, au moment où les créanciers antérieurs voient leurs droits neutralisés, les créanciers postérieurs, jouissent à l’inverse, d’un statut privilégié, puisqu’ils sont payés à l’arrivée de l’échéance de leurs créances.

À défaut, ils sont payés par priorité, y compris les créanciers qui détiennent une créance privilégiée. Ces mesures impératives d’ordre public induisent une inversion totale des principes du droit commun et chamboulent profondément les règles habituellement en vigueur en matière d’exécution des obligations contractuelles.

D’ailleurs, l’exorbitance de la période d’observation est encore plus nette avec le dispositif des contrats en cours d’exécution. Prévu par l’art 588 du code de commerce, le syndic nommé par le jugement d’ouverture, peut obliger les cocontractants à continuer à exécuter les contrats qui les lient à l’entreprise, sans qu’ils puissent exiger comme condition préalable, le paiement des créances échues et non encore payées.

L’enjeu de ce dispositif réside dans la protection des entreprises contre le risque de rupture contractuelle mettant en péril définitivement la continuité de leurs activités et les condamnant à la liquidation.

Les exceptions induites par la période d’observation et les bouleversements qu’elle provoque sont tempérés par son caractère très ponctuel. La durée de la période d’observation est fixée à 4 mois 41 renouvelables une fois, à la demande du syndic.

41 Article 595 du code de commerce

Cette limitation dans le temps est impérative, elle vise d’une part, à réduire l’exorbitance juridique qui accompagne le déploiement de la période d’observation et d’autre part, à fixer rapidement un protocole de traitement : plan de continuation, de cession ou de liquidation.

Plan de continuation :

Le tribunal peut prononcer l’adoption d’un plan de continuation, tant que l’entreprise présente des perspectives sérieuses de redressement de sa situation et de paiement de ses dettes. Le plan de continuation peut s’étaler sur une période de 10 ans sans pouvoir la dépasser, son adoption peut donner lieu à l’adoption des décisions de changement de stratégie de gestion de l’entreprise, l’arrêt, l’adjonction ou la cession de certaines branches d’activités, et le cas échéant à la résiliation des contrats de travail pour motif économique.

Plan de cession 42 :

Toujours dans un le but de maintenir les emplois, d’apurer le passif patrimonial de l’entreprise et de maintenir les activités susceptibles d’exploitation autonomes, le législateur donne une autre chance à l’entreprise pour lui éviter de frôler la mort consécutive à l’ouverture de la liquidation judiciaire.

42 Article 635 du code de commerce

Il s’agit en fait d’adopter un plan de cession totale ou partielle de certaines branches d’activité afin de permettre sa survie malgré les turbulences et les difficultés de rebondissement qui y sont rattachées. Cette chronologie dans l’adoption des mesures n’est pas anodine, elle tend à faire bénéficier l’entreprise des mesures adoucissantes pour dépasser le cap des difficultés, en lui évitant d’être conduite immédiatement vers la liquidation, issue fataliste, dont les séquelles prennent du temps pour disparaitre.

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