Alain Juppé : d’énarque à ex-ministre communicant

Alain Juppé d’énarque à ex-ministre communicant

III. Alain Juppé : d’énarque à ex-ministre communicant

A. Les sondages

Nous nous intéresserons à la cote d’avenir d’Alain Juppé sur la période mai 1993- février 2005 (cf. annexes). Deux raisons à cela : même si Juppé entre dans le classement Sofres des personnalités politiques en 1988, sa cote évolue véritablement à partir de 1993, soit lors de son 2ème ministère.

Par ailleurs, cela permet une comparaison plus aisée avec Nicolas Sarkozy.

A chaque tendance, nous expliquerons les raisons que nous développerons dans les parties suivantes consacrées à la corrélation entre son action et sa communication politique.

  • Ministre des affaires étrangères (mars 1993 – mai 1995)

Juppé qui occupe déjà son 2ème ministère est toujours un inconnu. Poussé par Jacques Chirac,

« le meilleur d’entre nous » sort pourtant lentement de l’anonymat et termine à 50% d’opinions favorables en mai 1995, alors qu’il est nommé Premier Ministre.

  • Premier Ministre (mai 1995 – juin 1997)

Un mois après sa prise de fonctions, il culmine à 63%, probablement sous l’annonce des réformes à venir. Pourtant, il perdra tout en quelques mois (-20%). Les grèves de décembre 1995 l’achèvent.

La courbe ne s’en remettra pas. Premier pic négatif en décembre 1996 (24%). Petite remontée (39%) en mars 1997, avant de rechuter. Démission en juin 1997.

  • Ombre et retraite (1997-2005)

Entre juin 1997 et 2002, c’est la traversée du désert. Alain Juppé réapparaît ensuite épisodiquement, sous les feux de l’actualité bordelaise notamment. Sa cote de popularité est basse et stable.

En 2004, il est condamné dans l’affaire des emplois fictifs au RPR. Son impopularité s’accentue. Eclipsé par le nouveau président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, il plonge à 16% d’opinions favorables en novembre. Il quitte alors tous ses mandats pour au moins un an.

Dans la partie suivante, nous approfondirons la corrélation qui existe entre l’action juppéenne, le marketing politique et les sondages d’opinion.

B. Action, communication : Stratégie marketing 1986-2005

Notre aperçu des sondages omettait la période 1986-1993 par manque d’intérêt. Malgré sa fonction ministérielle (1986-1988) et tout le bien exprimé par Chirac à son sujet, Alain Juppé reste en effet tapi dans l’ombre du RPR et de son chef entre 1986 et 1993.

Malgré cela, nous passerons en revue cette période inconnue du grand public et pourtant fort intéressante dans notre cadre de recherches. Nous prolongerons l’analyse de l’homme jusqu’à sa chute en 2004.

Alain Juppé d’énarque à ex-ministre communicant

1) De financier à marketeur (mars 1986 – mars 1993)

Alain Juppé n’a pas eu d’élément générateur de notoriété instantanée, contrairement à Nicolas Sarkozy (prise d’otages de Neuilly). Il faut attendre 1986, pour que, jeune ministre du budget et porte-parole du gouvernement (mars 1986 – mai 1988), il accorde ses premières interviews à l’échelle nationale, sans pour autant percer en termes de notoriété.

Le 17/07/1986, il débat sur Europe 1 face à Roland Dumas, ancien ministre des relations extérieures de François Mitterrand. Le jeune Juppé, inexpérimenté, se fait cloisonner dans ce débat, tout comme dans son parti : Eclipsé par Philippe Séguin et Edouard Balladur.

A la question « A l’exception de Jacques Chirac, quelle serait, selon vous, parmi les suivantes, la personnalité qui serait la plus apte à diriger le RPR ? 56», Alain Juppé est dernier avec 3% !

56 Le Point, le 24/11/1986

  • Défaite de Chirac en 1988

Juppé, maladroit, fait pourtant son chemin. Interrogé dans Objections (19/01/1990) sur France Inter, il analyse la défaite de son chef : « Peut-être (…) n’avons-nous pas suffisamment mis en avant les mesures sociales très importantes que nous prenions, par exemple pour la famille, par exemple pour les handicapés (…) C’est peut-être un défaut de communication ? »

  • Juppé, nouveau chef du RPR

Tout cela ne l’empêche pas d’évoluer au sein du RPR. Après la défaite de 1988, Chirac le propulse à la tête du parti afin de le transformer en machine à gagner pour 1995. Le parti est remodelé, modernisé. On lui insuffle une bonne dose de marketing et de communication.

Alexandre Basdereff, un ancien élève de Juppé, lorsque celui-ci enseignait à l’ESSEC, se retrouve ainsi au RPR, après un an passé à étudier le marketing direct aux Etats-Unis.

Jusqu’en 1993, Basdereff crée ainsi un fichier informatique de sympathisants et de donateurs. Sous l’impulsion d’Alain Juppé, le marketing contribuera grandement à redynamiser le parti.

L’erreur de l’homme sera sa dévotion totale envers le parti et son fondateur, Jacques Chirac. Si Alain Juppé sait se montrer déterminé comme chef rassembleur de son parti, il en oublie parfois de dévoiler son côté humain.

Extrait de l’émission l’Heure de vérité (France 2) du 10/04/1989 : « Quelle est la faute qui vous inspire le plus d’indulgence ? – Je ne sais pas… Je peux vous dire celle qui m’en inspire le moins, c’est la sottise. –

Mais l’indulgence, aucune si je comprends bien ? – Sur la sottise, non… » L’homme est fort. Il ne pardonne pas la médiocrité et le fait savoir.

Alain Juppé ne s’arrête pas sur l’opinion publique et les sondages qui ne décollent pas. Il continue son projet de modernisation, notamment de la communication interne.

Le parti la refinance, engage des journalistes professionnels pour rédiger le désormais nouveau communiqué officiel à l’attention des militants RPR : « La lettre de la nation ».

Juppé ordonne également la refonte des meetings sur le modèle américain : fond bleu, interludes musicaux entre chaque discours et clips vidéo. Effet immédiat. Il parvient à abaisser l’âge moyen des sympathisants RPR. Passé au travers du filet médiatique, il va enfin pouvoir le percer à partir de 1993.

2) Ministre des affaires étrangères (mars 1993 – mai 1995)

Juppé et la « tentation de Venise 57 » : parfois mélancolique au point de vouloir tout quitter, parfois la simple envie de s’échapper à l’étranger. C’est le point de départ du quai d’Orsay.

Autant Juppé est froid et peu humain devant les caméras, autant l’homme sait faire preuve d’humanité dans certaines circonstances. Il aidera ainsi une productrice de télévision à adopter un enfant cambodgien.

Alors que le Premier Ministre Hun Sen est victime d’un attentat, le dossier est bloqué. Trois jours de négociation et Alain Juppé débloque la situation.

57 En référence à son ouvrage La tentation de Venise, Paris, 1993

Il n’en (re)parlera jamais, ni à cette femme, ni aux médias. Ce n’est qu’en 2001 que cette anecdote sort au grand jour au travers de sa biographie, Le Joker.

Le ministre entretient alors de bonnes relations avec la presse. « On aimait bien Juppé parce qu’il était sympa et qu’il ne racontait pas des craques, confirme Gilles Brisson, vieux briscard de Libération, c’est l’un des mecs qui m’ont le plus étonné car, contrairement à beaucoup, il se moquait de tout le monde, y compris de lui-même et de Chirac, avec beaucoup d’humour. »58

Mais Juppé, innocent, s’emballera trop vite en invitant quelques journalistes dans son nouvel appartement parisien qu’il partage avec sa deuxième femme, Isabelle.

Il apprendra vite à ses dépens que les confidences et les secrets gagnent toujours à être révélés. Deux ans plus tard, le scandale des HLM de Paris l’éclabousse. Il ne pardonnera plus rien à la presse.

58 Edwards-Vuillet C, Le Joker, Paris, 2001

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing crée-t-il l'homme politique ?
Université 🏫: Université Robert Schuman Strasbourg
Auteur·trice·s 🎓:
Cédric PUISNEY

Cédric PUISNEY
Année de soutenance 📅: Diplôme de Formation Internationale à la Gestion - 2004-2005
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