Le marketing crée-t-il l’homme politique ?

Université Robert Schuman Strasbourg
IECS Strasbourg

Diplôme de Formation Internationale à la GestionLe marketing crée-t-il l'homme politique Le marketing crée-t-il l’homme politique ?

Présenté par :
Cédric PUISNEY

Responsables de mémoire :
Philippe Nanopoulo

Année universitaire :
2004-2005

Remerciements

Introduction

Pourquoi un sujet politique dans une école de commerce ? Tout simplement par envie de traiter un sujet de prédilection dans un cadre marketing.

Beaucoup de citoyens se demandent l’intérêt d’aller voter, voire même de la politique et de la démocratie en général. Beaucoup de citoyens, guère optimistes, ressentent un ras-le-bol vis-à- vis de la politique, de la démagogie politique surtout.

Des promesses non tenues aux discours fleuves, on en vient à se demander si les hommes politiques sont élus pour améliorer notre quotidien et notre bien-être général, ou pour nous vendre des promesses irréalisables ? Depuis les années 1980, la communication a pris une place de premier choix dans la vie politique française, avec pour point culminant les années 2000.

Récemment, on a même créé le néologisme « raffarinade » en référence aux petites formules de Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre et ancien conseiller en communication.

« La politique ne peut plus promettre des lendemains qui chantent et repousser toujours la résolution des problèmes du quotidien »1, dixit M. Raffarin.

Vœu pieux, discours programme ? De trop de paroles et pas assez d’actes, on est passé à trop de discours volubiles.

En écoutant M. Raffarin et d’autres, on pourrait se demander si, finalement, on l’écoute comme on écoute un beau parleur, ou parce que son message va changer notre vie ? Est-ce que son talent de communicateur le sert dans son travail, ou est-ce que à force de trop communiquer, on ne devient plus que l’intermédiaire d’un discours vide de sens ?

Et d’ailleurs, comment un ancien diplômé d’école de commerce se retrouve-t-il à cette place ? Grâce à son talent de marketeur ou grâce à une nature politique dévoilée tardivement ? Question bien trop spécifique… Nous chercherons plutôt à savoir si la réussite politique est le « simple » fruit de son travail, de ses capacités ou si le marketing peut devenir un avantage de poids dans la course à l’élection.

Ou pour parler « populaire », la politique n’est-elle réservée qu’à ce qu’on appelle les grandes gueules ? On se rappellera ainsi du succès foudroyant de Bernard Tapie dans les années 1990.

Parti de rien, promu ministre en quelques années, protégé de François Mitterrand. Tapie laisse aujourd’hui encore le goût d’un politique charmeur à la parole facile et au talent insolent.

1 Jean-Pierre Raffarin, extrait d’un discours de politique générale, 03/07/2002 (http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr/raffarin_version1/fr/ie4/contenu/34626.htm)

Et si la politique devenait un gigantesque spot publicitaire, si l’homme politique devenait un produit de grande consommation, quel rôle jouerait le marketing ? Ce qui nous mène à la problématique : « Le marketing crée-t-il l’homme politique ? ».

Nous sommes donc face à une question qui mérite réflexion mais qui n’aurait de sens sans l’appui d’exemples récents, accessibles et complémentaires.

Nous étudierons les parcours de deux hommes politiques proches à maints égards et pourtant que tout semble opposer : Alain Juppé et Nicolas Sarkozy.

Même génération (ou presque), même famille politique, mêmes compétences, même ambition d’arriver à la tête de l’Etat… Et pourtant, en dehors de tout aspect judiciaire, le résultat en terme d’image diverge. L’un est perçu comme froid, cérébral, technocrate. L’autre comme arriviste, avide de pouvoir, beau parleur.

Comme postulat, nous définirons l’ « homme politique » comme un « gagnant », dans le sens où chaque homme politique est conditionné pour gagner une élection.

Avec des objectifs intermédiaires et un objectif final : maire, député, ministre, Président… Nicolas Sarkozy dit ainsi du « monde politique » qu’il « entoure et adule celui qui gagne (…) enterre celui qui (…) sent le souffre 2 ».

Il ne nous reste plus qu’à définir le rôle du marketing dans ce processus de conquête électorale. A l’heure de l’hyper médiatisation et de la société d’information, c’est une question d’actualité qui pourra intéresser les initiés à la politique comme les nombreux sceptiques en mal de compréhension.

A cette fin, nous orienterons notre recherche en deux parties. La première partie explicitera le concept de marketing et de communication politique : ses origines, sa philosophie, ses principales techniques…

2 Sarkozy N, Libre, Paris, 2001

Ensuite, nous dresserons un double portrait de MM. Juppé et Sarkozy. En replaçant leur parcours et leur actualité dans notre cadre de recherches, exposé en première partie, nous tenterons de répondre au problème posé.

1ère Partie : Marketing politique : Définitions

I.Histoire du marketing politique : Des Etats-Unis à la France

Avant d’entrer dans les détails du marketing politique, il convient d’en donner un rapide historique, de sa genèse aux Etats-Unis jusqu’à sa transposition en France.

A. Histoire du marketing politique aux Etats-Unis

1) La genèse du marketing politique aux Etats-Unis

Il faut remonter à 1952 pour voir apparaître un embryon de communication politique aux Etats-Unis. Cette primauté sur le reste du monde s’explique aisément par trois facteurs :

  • Le système électoral américain.
  • La tradition d’Etat démocratique.
  • L’avancement technologique.

 

  • Le système électoral américain

Une particularité américaine est d’organiser, depuis 1903, des élections « primaires » afin de désigner le candidat (républicain ou démocrate) à la présidentielle.

Chaque candidat doit ainsi faire preuve d’une communication irréprochable s’il veut s’imposer comme seul et unique candidat de son camp. Moins facile qu’il n’y paraît. Clinton a ainsi eu du mal à s’affirmer en 1992, dénigré pour son jeune âge.

Cette démarche présente l’avantage de favoriser un discours de qualité. Il est en effet moins facile de démontrer sa supériorité par rapport à un candidat de sa propre famille politique plutôt qu’un adversaire.

Uniquement réservée à la présidentielle dans quelques Etats, au début, cette élection s’est élargie, depuis les années 1970, à la quasi-totalité des Etats et à une majorité de fonctions.

  • Communication et démocratie

Beaucoup de fonctions, y compris non politiques, sont assujetties à un vote et donc à une communication démocratique… dès les années 1920. Le meilleur exemple à cette époque : les fameuses « causeries au coin du feu » du président Roosevelt radiodiffusées à partir de 1928.

  • L’avancement technologique

Si les Etats-Unis sont pionniers en marketing, c’est aussi avant tout grâce à un taux d’équipement en téléviseurs supérieur au reste du monde.

A titre de comparaison, près de 40% des foyers américains possèdent un téléviseur en 1952, contre 15% des foyers français en 1960 ! Or, c’est la télévision qui va véritablement lancer le marketing politique…

2) De la naissance à l’âge d’or du marketing politique américain

La télévision est donc le point de départ du marketing politique. Mais nous verrons ci-après que les Etats-Unis, très tôt, se sont intéressés à d’autres méthodes.

  • Les débuts (1952-1960)

Le véritable point de départ du marketing politique remonte à l’élection de 1952. Les Républicains prennent pour la première fois en considération la nécessité d’une communication politique. On découvre alors que les méthodes commerciales peuvent s’appliquer à la politique.

Sous l’impulsion de BBDO, un cabinet de relations publiques, mais aussi et surtout de Thomas Rosser Reeves Junior, un pionnier de la publicité audiovisuelle, Roosevelt va faire son entrée à la télévision.

L’homme politique achète de l’espace commercial et se vend à la « ménagère de moins de 50 ans ». A chaque Etat son spot ! Où l’on voit le candidat répondre à la question d’un citoyen local.

Deuxième révolution : Reeves, ancien artisan de l’agence Ted Bates, transpose son concept d’USP (Unique Selling Proposition) à la politique.

En d’autres termes, un discours, un slogan, doivent être simplifiés au maximum avec une promesse unique et différenciée de la concurrence. Reeves impose ainsi à Eisenhower l’argumentation autour d’un seul thème.

Par ailleurs, cette période découvre les joies du marketing direct. Pour la première fois, on interroge des électeurs par courrier sur les thèmes qui les préoccupent le plus.

Enfin, un dernier facteur, apparemment anecdotique est pris en compte : l’apparence. En plus de vouloir cacher l’âge du candidat Eisenhower, on lui impose de fixer le téléspectateur, aidé de quelques notes écrites, plutôt que de lire son discours. Technique préférable lorsqu’il s’agit de captiver son public pendant 30 minutes !

  • Le tournant de 1956

Dès 1956, les deux candidats, rodés à la publicité, innovent avec des spots publicitaires en leur faveur, mais aussi à l’encontre du candidat adverse. C’est ainsi que les Démocrates reprennent les spots d’Eisenhower de 1952. Une voix off ironisant ainsi sur les promesses non tenues : « How’s that again, General ? »

  • Le débat décisif

La dernière révolution a lieu en 1960 avec l’introduction d’un débat décisif, organisé en quatre rencontres. D’un côté, on trouve le jeune Kennedy, inconnu du public, au discours prolifique et au teint hâlé, dopé par ses conseillers en communication presse et audiovisuelle, Pierre Salinger et Léonard Reinsch.

De l’autre, un Nixon favori, mais fatigué et apparemment mal rasé… On connaît l’issue et beaucoup considèrent encore aujourd’hui que Nixon a perdu l’élection dès le premier débat.

3) La croissance (1964-1976)

Décomplexé, le marketing politique cherche ses limites. La publicité télévisée va les trouver au travers du « Girl with daisy spot ». Johnson, Vice-président et candidat, cherche à critiquer la position pro nucléaire de son concurrent républicain Goldwater.

Son spot montre ainsi une jeune fille arrachant les pétales d’une marguerite, en signe de décompte de l’arme atomique. Le tout conclu par un « votez Johnson ». Le spot fera un tollé. Autocensuré.

L’importance de l’apparence ne se dément pas. L’élection de 1968 voit l’utilisation des gros plans. Nixon, aidé de son réalisateur attitré, Roger Ailes, se fera ainsi cadrer au plus juste, à l’instar des stars de cinéma.

Le même homme aidera d’ailleurs Ronald Reagan et George Bush à être élus, avant de fonder la chaîne pro républicaine Fox News.

Quant à la publicité négative, elle fait toujours légion et transmet désormais des informations complexes. En 1972, Mc Govern dénonce ainsi, images et chiffres à l’appui, l’augmentation des prix sous Nixon, pour conclure par un « Avez-vous les moyens de vous permettre encore quatre ans de Mr Nixon ? »

Mais le summum du marketing est atteint en 1976, avec la réapparition des débats décisifs, abandonnés depuis 1960, mais aussi et surtout par la maturité des spots publicitaires dont la frontière entre la politique et le quotidien est de plus en plus mince.

Le spot de Ronald Reagan alternant une conférence de presse du candidat et des images d’actualité, le tout à proximité des journaux télévisés du soir pour créer un amalgame.

4) Maturité (1976- 2005)

Depuis lors, la communication politique américaine est éprouvée et repose sur des recettes immuables :

  • La prédominance du média télévision
  • L’USP (Unique Selling Proposition)
  • L’utilisation de la publicité négative
  • L’optimisation de tous les médias et l’intégration des nouveaux, dont Internet

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 8
1ère Partie > MARKETING POLITIQUE : DÉFINITIONS 11
I.Histoire du marketing politique : Des Etats-Unis à la France 12
A.Histoire du marketing politique aux Etats-Unis 12
1)La genèse du marketing politique aux Etats-Unis 12
2)De la naissance à l’âge d’or du marketing politique américain 13
3) La croissance (1964-1976) 14
4) Maturité (1976- 2005) 15
B.Histoire du marketing politique en France 15
1) Les débuts (1965-1974) 15
2) La croissance (1974-1988) 16
3) Maturité (1988-2005) 17
II.Fondements du marketing politique 18
A.Définitions 18
B.Comparatif marketing commercial / politique 19
1)Une approche différente 19
2)Les règles de base du marketing politique 20
C.Stratégie de campagne et marketing politique 21
1)L’analyse du terrain 21
2)Segmentation et ciblage 22
3)L’image de l’homme politique 23
4)Les thèmes de campagne 25
5)Organisation de la campagne 25
6)Le mix-communication 27
III.Information et opinion 30
A.Les sondages 30
1)Propriétés et types de sondage 30
2)Les sondages créateurs d’opinion 31
B.Le traitement de l’information 32
1)Cadrage 32
2)Amorçage 33
3)Effet d’agenda 33
4)Spin control 33
IV.Mise en application : les différents instruments 34
A.Les rencontres avec l’électorat 34
1)Les contacts directs 35
2)Les substituts de dialogue avec l’électorat 36
B.Presse, imprimés et affichage 37
1)La communication écrite interne 37
2)La communication écrite externe 37
3)L’affichage 39
4)Les différents types d’affichage 40
C.L’audiovisuel 41
1)Incompréhension du message et effet d’agenda 41
2)L’importance du non verbal 41
3)Le media-training 42
D.Les différents types d’interventions télévisées 44
1)Les débats 44
2)Les émissions politiques 45
3)Le journal télévisé 45
4)Les spots publicitaires 45
5)Les émissions non politiques 46
E.Le marketing direct 47
1)Le mailing 48
2)Le télémarketing 49
F.Les nouveaux médias 50
1)Du Minitel à Internet 50
2)Les différents usages d’Internet 50
CONCLUSION 52
2ème Partie > APPLICATION : LES CAS JUPPÉ & SARKOZY 53
Introduction 54
I.Homme politique, une vocation 54
II.Nicolas Sarkozy : De militant à expert en marketing politique 59
A.Les sondages 59
B.Action, communication : Stratégie marketing 1993-2005 60
1)1993-1999 : Sarkozy épisode I 61
2)1999-2002 : Mort médiatique et renaissance 61
3)2002-2004 : Sarko Superministre 63
4)Place Beauvau (mai 2002 – mars 2004) 66
5)Bercy (avril 2004 – novembre 2004) 71
6)Décembre 2004 – : Président de l’UMP 74
III.Alain Juppé : D’énarque à ex-ministre communicant 77
A.Les sondages 77
B.Action, communication : Stratégie marketing 1986-2005 78
1)De financier à marketeur (mars 1986 – mars 1993) 78
2)Ministre des affaires étrangères (mars 1993 – mai 1995) 79
3)Premier Ministre (mai 1995 – juin 1997) 80
4)Interlude (juin 1997 – janvier 2004) 84
5)2004 : Retraite annoncée et opération séduction 84
6)Retraite forcée (2004/2005) 87
CONCLUSION 89
REFERENCES 92
ANNEXES 93

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing crée-t-il l'homme politique ?
Université 🏫: Université Robert Schuman Strasbourg
Auteur·trice·s 🎓:
Cédric PUISNEY

Cédric PUISNEY
Année de soutenance 📅: Diplôme de Formation Internationale à la Gestion - 2004-2005
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