2002-2004 : Sarko Superministre

2002-2004 : Sarko Superministre

3) 2002-2004 : Sarko Superministre

Mai 2002 : En pleine vague bleue, Nicolas Sarkozy est nommé ministre de l’Intérieur. Il s’attendait au poste de Premier Ministre. Qu’importe ! Il n’aura de cesse de se mettre en avant. En trois ans et deux ministères, l’homme est partout, même là où on ne l’attend pas. Son agenda politique est théâtralisé.

Il est vu, reconnu, populaire. Il éclipse son chef de gouvernement, J.P. Raffarin, dépassé par l’hyperactivité médiatique de son ministre.

La double activité ministérielle de notre protagoniste étant riche, nous reviendrons plus en détails sur ces deux périodes. Avant cela, nous ferons un rapide tour d’horizon des techniques récurrentes dans l’action ministérielle du nouveau Nicolas Sarkozy.

  • Co-branding familial

Le premier élément de la politique de communication de Nicolas est sa femme. Cécilia et Nicolas sont mariés depuis 1996, mais leur union dépasse le cadre familial. Pendant 15 ans, elle a géré la communication de son maire de mari. Mais c’est en 2002 que le public la découvre véritablement.

Même si la relation médiatisée n’a rien d’artificiel, elle s’inscrit bien dans une vision très anglo-saxonne de la politique. Nicolas Sarkozy n’a d’ailleurs jamais caché son admiration pour Tony Blair, encore moins pour les Etats-Unis, que ce soit pour leur système démocratique ou surtout pour le mythe de la réussite aux plus entreprenants.

Aux congrès de l’UMP, Cécilia fait fi du protocole. Elle ne siège jamais au 2ème rang, réservé aux femmes de dirigeants, mais dans un coin de la scène, voire au premier rang. Souvent, en fin de meeting, Nicolas ne manque d’ailleurs pas de la nommer. Démarche peu commune en France, plutôt usitée dans les pays anglo-saxons.

Depuis 2002, le couple Sarkozy s’affiche partout. Cécilia devient presque une marque à l’instar de Nicolas. Au printemps 2004, Nicolas rencontre Jacques Séguéla, l’auteur du slogan

« Génération Mitterrand ». Les deux hommes discutent notamment du rôle du couple dans l’image de l’homme politique. Cécilia renvoie une image trop agressive, surtout en comparaison avec le couple Ségolène Royal – François Hollande.

Le 5 juillet 2004, l’Express titre : « Ils changent la politique » avec, en couverture, une double photo des couples Sarkozy et Hollande. L’image de Cécilia bénéficie à Nicolas dans une optique de présidentiable.

Effet Séguéla ou pas, Cécilia semble sourire davantage. Elle s’expose seule aux médias, emmène l’une de ses filles à la garden-party de l’Elysée. Signe du bonheur, le couple apparaît soudé et épanoui dans Paris Match.

Cécilia devient le « supplément communication » de Nicolas. Pour preuve : dans un communiqué du CSA, le Conseil « a décidé de comptabiliser au bénéfice de la majorité parlementaire les seuls propos à caractère politique prononcés par Cécilia Sarkozy au cours de l’émission Soyons directs diffusée le vendredi 24 octobre sur M6, ce qui représente 19 minutes sur les 21 minutes du temps de parole total qui lui a été accordé. » 31

  • La méthode Sarko : l’omniprésence (médiatique)

Nicolas Sarkozy n’a jamais caché son admiration pour la « nouvelle frontière » de Chaban- Delmas. Lui qui parle sans cesse de « fixer un nouvel horizon pour la France » 32 ou encore de « nouvelle offre politique ».

Mais la définition d’un nouvel horizon passe d’abord par une présence remarquée. Le cœur de sa stratégie : « Mon seul système, c’est l’omniprésence » 33 Un exemple : en une journée, Sarkozy peut assister à un meeting électoral à Nogent, faire une tournée de félicitations des gendarmes à Angoulême, passer par Nîmes et animer un meeting à Béziers !

31 Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, (www.csa.fr)
32 Le Monde, 25/03/04 – Extrait d’un meeting électoral à Nice, le 23/03/04
33 Confidence faite le 15/02/2004, Darmon M, Sarko Star, Paris, 2004

Cette omniprésence se travaille, s’entretient. « En une année, un responsable politique national fait désormais plus de télévisions et de radios qu’un homme politique n’en faisait durant toute sa carrière au début des années 90 ». 34

Une actualité pas assez riche en France peut se corriger par des voyages à l’étranger. L’homme fait parler de lui tout en peaufinant une stature internationale… une stature de présidentiable. En trois ans d’activité, le ministre se fera photographier aux Etats-Unis, en Chine, en Egypte, en Israël, etc.…

Il est d’ailleurs intéressant de noter une moindre communication lors de ses déplacements au Sénégal et au Mali, peut-être due au passage de son chef et Président de la République, en tournée africaine presque au même moment… Finalement, le ministre de l’Intérieur fera autant parler de lui dans l’Hexagone qu’à l’extérieur.

  • Sarkozy et ses conseillers

L’homme ne serait pas aussi bien « marketé », aussi « médiatiquement » habile sans quelques personnages-clé : Cécilia, Brice Hortefeux (son conseiller politique), Claude Guéant, Frédéric Lefebvre (son chargé des relations avec le Parlement) et surtout Franck Louvrier.

Après avoir rencontré le maire de Neuilly au RPR en 1999, il deviendra son chef de cabinet. Sarkozy ministre, c’est Louvrier qui contrôle la politique de communication, qui, entre autre, choisit les journalistes habilités à voyager avec son chef.

A chaque voyage, quelques journalistes triés sur le volet, en fonction du « support » qu’ils représentent et du message à transmettre. L’électorat de droite sera plus réceptif au Figaro. Le Monde est de premier choix dans tous les autres cas.

C’est cette équipe qui gère donc la communication du seul ministre à ne jamais annoncer en avance ses déplacements hebdomadaires. L’effet de surprise est la règle d’or.

34 Sarkozy N, Libre, Paris, 2001

4) Place Beauvau (mai 2002 – mars 2004)

Chirac élu sur le thème de l’insécurité ; Sarkozy est nommé pour régler ce problème. Ses lois d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) du 29 août 2002 et sur la sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 2003 iront dans ce sens.

Un petit pas vers le déjà ancien programme présidentiel. Un grand vers la stature de présidentiable ? Retour sur quelques événements marquants…

  • Effet d’agenda et marketing relationnel

Fraîchement nommé, le « premier flic de France » s’impose un agenda bien rempli. Il est partout sur le terrain :

« Au début, il voulait sortir tous les jours », se souvient un haut fonctionnaire. » Le soir même de son entrée en fonction, le 8 mai, il rend visite aux policiers du commissariat de Saint-Ouen, puis à ceux de Bobigny, en Seine-Saint-Denis.

Un peu plus tard, il suit une patrouille de la Brigade anti criminalité (BAC) dans la cité de l’Abreuvoir, à Bobigny. A 1 heure du matin, il assiste, à Paris, à une opération de lutte contre la prostitution.

Deux jours plus tard, Nicolas Sarkozy visite les abords du forum des Halles. Le 13 mai, on le croise même dans le métro. Le nouveau ministre de l’Intérieur hérite au passage d’un surnom : «Speedy». On voit du Sarko partout. » 35

Le décor est planté pour les forces de l’ordre et les médias qui reprennent ces informations à la chaîne. Dans le même temps, le ministre entretient ses réseaux, promeut de jeunes agents à de hauts postes, invite à dîner les éléments les plus méritants.

Il flatte les policiers, les écoute, revalorise leurs salaires. A ceux qui n’aiment pas les 35h, il va jusqu’à leur racheter 85€ chaque jour de RTT.

Mieux, il transcende les règles de marketing politique. Le relationnel devient son cheval de bataille. Non content d’avoir son « personnel » dans la poche, il invite parfois les victimes de crimes et délits. Sarkozy est devenu empathique.

35 Extrait de « Flic story », L’Express, le 24/10/2002

Il « reçoit une commerçante de Pantin qui a écrit à Cécilia parce qu’elle avait été cambriolée trois fois. Lorsqu’il lit dans la presse que la famille d’une des jeunes femmes assassinées dans la Somme se plaint des lenteurs del’enquête, le ministre envoie une voiture la chercher pour la rencontrer à Beauvau.

Une dizaine d’enquêteurs supplémentaires ont, depuis, été affectés aux recherches. » 36

  • « 100 minutes pour convaincre » ou l’art du « spin control »

Les émissions politiques restent le B-A-BA de l’homme politique, a fortiori pour Nicolas Sarkozy. 100 MPC (France 2) est certainement sa plus belle vitrine, avec deux passages en deux ans.

Le premier passage (9/12/2002) rassemble 5,8 millions de téléspectateurs. Le 1er flic de France dresse un premier bilan. Le futur homme d’Etat fourbit ses armes, étoffe son discours. Ce soir-là, il fait usage des meilleures techniques de spin control.

A Elizabeth Guigou, qui explique la situation difficile dans son fief électoral de Bondy, il répond du tac au tac et lui donne rendez-vous sur place. Le ministre pratique le milking a story, en reprenant à son avantage un différend entre la mère d’un collégien et la police. Action, communication : la méthode est rodée.

Le ministre se rendra effectivement à Bondy sous l’œil bienveillant d’une caméra. Las ! M. le ministre ira au commissariat de police. Mme le maire attendra à la mairie. En vain.

Face à J.M. Le Pen, Sarkozy use du stocking the fire, provoquant le leader d’extrême droite sur son thème fétiche de l’immigration, avec une citation choc : « Mon père est étranger. Si le droit du sang était en vigueur, je ne serais pas Français, avouez que ce serait dommage. »

Signe des temps, un sondage Le Point-Ipsos placera Sarkozy à 67% de popularité au lendemain de l’émission. Non seulement il gagne des points, mais il en fait perdre à ses adversaires ! A Elizabeth Guigou : 5 points.

A Alain Juppé qui, entre novembre et décembre 2002, passe de 68 à 54% de popularité auprès des sympathisants de droite, même si cette chute s’explique également par d’autres facteurs. 37

36 Extrait de « Flic story », L’Express, le 24/10/2002
37 Ipsos (www.ipsos.fr)

  • Ð Voyages et fausses confidences

Quand il ne gère plus les affaires intérieures, le ministre voyage à l’étranger et distille quelques confidences à la presse. Dans l’une d’elles, « off », lors d’un voyage à Hong-Kong, il nargue Chirac à distance en affirmant que le sumo est un sport peu intellectuel et que la culture chinoise l’inspire davantage que la culture japonaise.

Une semaine plus tard, le « off » devient « on » grâce à Paris Match 38 : la veille des vœux de Sarkozy à la presse, à 50m de l’Elysée… Entre la communication à retardement et celle prévue de longue date, l’effet d’agenda ne rate pas. Par le bouche à oreille, l’affaire fait l’effet d’une bombe.

2002-2004 Sarko Superministre

  • 100 minutes pour convaincre, acte II

« Pas seulement quand je me rase ». Les téléspectateurs français se souviendront longtemps de cette réponse de Nicolas Sarkozy face à Alain Duhamel lors de son 2ème passage à 100 minutes pour convaincre (20/11/2003).

Reprenant les propos de Laurent Fabius, qui pense à 2007 parfois en se rasant, Sarko va bien au-delà : il ne vit que pour la présidentielle ! Le débat face à Tariq Ramadan où le ministre défend un islam de France, le bilan de son action après 18 mois, tout est calculé. Mais le spectateur n’aura retenu que son désir de présidentiable.

Heureux de sa prestation, l’homme confira plus tard avec malice : « Vous savez quel a été le score le plus significatif pour moi en 2003 ? 6,6 millions de personnes ». 39 En référence à l’audience de ce deuxième 100 MPC …

38 Paris Match du 15/01/2004
39 Darmon M, Sarko Star, Paris, 2004

  • Ð Les réseaux : Sarko et les Relations Publiques

Nicolas Sarkozy entretient ses réseaux de prescipteurs partout, et même là où on ne l’attend pas. A la suite du débat sur France 2 avec Tariq Ramadan, ce dernier pourrait ainsi le remercier : Il est en effet très courtisé, interviewé par plusieurs magazines (Nouvel Obs et Figaro Magazine).

Ramadan n’est pas officiellement ami avec Sarkozy. Pourtant, son livre Peut-on vivre avec l’islam ? (sorti en avril 2004) mentionne le ministre en 4ème de couverture : en référence à 100 MPC, mais pas seulement. Dans une dédicace de 4 lignes, Ramadan conclut par « A Cécilia et Nicolas Sarkozy en particulier ».

  • Communiqués de presse

Si la télévision est le terrain de jeu médiatique favori de Nicolas Sarkozy, la presse garde un rôle prépondérant. Les vœux de nouvel an à la presse en sont le meilleur exemple. Le 14/01/2004, le ministre dresse ainsi son bilan de 2003, devant pas moins de 250 journalistes.

« La France est sur la bonne voie en matière de recul de la délinquance ». 40 Chiffres à l’appui :

  • Baisse de la délinquance de 3,38 % en 2003, la première en six ans
  • Moins de 4 millions de crimes et délits (3.974.694), pour la première fois depuis 2000

En bon orateur, il passe rapidement sur les crimes et délits contre les personnes (+7,3%) ou encore les actes de violence contre les force de l’ordre (+30%). Le thème des prisons surpeuplées sera éludé.

« J’essaierai, cette année, de rester le même, de conserver ma liberté de parole et d’action, libre d’agir et de penser. C’est un défi permanent et je continuerai. » 41 Il est « Libre » Max !

Mais cette liberté de parole, peut-être à l’excès, trouve parfois un écho négatif, y compris dans son camp. Lorsqu’il quittera la place Beauvau, l’attachée de presse de Dominique de Villepin, son remplaçant, dira : « Avec nous, ce ne sera pas comme avec Sarkozy.

Lui ne faisait que de la communication. Désormais, les choses seront différentes. » 42 En effet, entre place Beauvau et Bercy, en 23 mois de fonction ministérielle, Sarkozy cumulera pas moins de 14 couvertures de grands hebdomadaires français d’information ! Alors Sarkozy : action ou blabla ?

40 RTL (http://www.rtl.fr/rtlinfo/article.asp?dicid=168279)
41 Allocution du Ministre de l’Intérieur pour les vœux de nouvelle année, le 16/01/2004
42 Darmon M, Sarko Star, Paris, 2004

  • Un bilan mitigé ?

Après deux ans d’exercice, Nicolas Sarkozy peut notamment citer la redistribution des forces de police et gendarmerie, la création des GIR (groupes d’intervention régionaux), l’arrestation d’Yvan Colonna, la création d’un conseil français du culte musulman, la fermeture de Sangatte, la suppression de la double peine et le dialogue sur les rave parties.

(Le degré d’achèvement de chacun de ces résultats étant soumis à l’appréciation partisane de chacun.)

A cette action ministérielle, il convient d’ajouter la partie communication :

Pour Sangatte, il se rendra deux fois sur place avec la presse. Sans compter les innombrables passages télévisés où il le rappellera à qui veut l’entendre…

Pour les rave parties (Teknival sur le plateau du Larzac), il se rend à Toulouse pour rencontrer ravers, élus locaux et José Bové de la Confédération paysanne qui doit occuper au même moment le plateau pour un grand rassemblement altermondialiste. José Bové dira :

« Sarkozy veut jeter le discrédit sur les paysans du Larzac, qui seraient des gros beaufs qui refuseraient les jeunes. 43» A tort ou à raison ? S’attaquer au problème des raves joue indéniablement en faveur de l’image du ministre auprès des jeunes.

Enfin, l’essentiel du travail de Nicolas Sarkozy – l’insécurité – est à interpréter de plusieurs manières. Chirac dira a posteriori : « Nous devons maintenant nous attaquer aux racines de l’insécurité, pour la faire reculer dans la durée (…) nous ne pourrons continuer à progresser qu’en passant à la vitesse supérieure 44».

Un bilan qui semble en décalage par rapport à celui annoncé par Nicolas Sarkozy, en particulier lors des traditionnels vœux à la presse.

Daniel Vaillant, son prédécesseur socialiste, fustigera l’action de Sarkozy : « au-delà de la communication, quels sont les résultats obtenus ? 45» Pourtant, quoi que vaille son action,

43 Libération, « Larzac : Sarkozy entre dans la danse », le 13/08/2003
44 Extrait du discours de Jacques Chirac, lors de la cérémonie de sortie des gardiens de la paix de la 197ème promotiondel’écolenationaledepolicede Nîmes,le8/11/2004 (http://www.elysee.fr/magazine/deplacement_france/sommaire.php?doc=/documents/discours/2004/0411NI01.ht ml)
45 Extrait de « Sécurité, la poudre aux yeux » par Daniel Vaillant, Libération, le 22/04/2004

Nicolas Sarkozy n’a jamais été aussi populaire qu’après son action place Beauvau. Or, quoi qu’on en dise, c’est un facteur primordial de réussite dans un objectif de conquête de pouvoir.

« Nicolas Sarkozy est le personnage le plus populaire du gouvernement. Il incarne la priorité n° 1 fixée par le président de la République pour son quinquennat : la sécurité. Il est populaire, dynamique, omniprésent, s’occupe de tout, des transports à l’éducation nationale.

Son langage est clair, direct, concret, pratique; il tranche avec l’ordinaire langue de bois. Il n’a pas peur de briser les tabous (Sangatte, les rave parties ou la suppression de la double peine pour les immigrés).

Comme il intervient sur le terrain dès qu’il se passe quelque chose, on se demande parfois s’il ne possède pas le don d’ubiquité. C’est le Spider-Man des médias. Bref, c’est le Zorro de la droite. » 46

46 Extrait de « Le bilan de Sarkozy » par Claude Allègre, L’Express, le 04/12/2003

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing crée-t-il l'homme politique ?
Université 🏫: Université Robert Schuman Strasbourg
Auteur·trice·s 🎓:
Cédric PUISNEY

Cédric PUISNEY
Année de soutenance 📅: Diplôme de Formation Internationale à la Gestion - 2004-2005
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