La communication traditionnelle dans l’éducation de l’enfant

La communication traditionnelle dans l’éducation de l’enfant

Partie 3 : apport et impact de la communication traditionnelle

Chapitre V : l’apport de la communication traditionnelle dans l’éducation de l’enfant

5.1 Les fonctions esthético-éthiques de la parole

En Afrique en général et, en terre Boko en particulier, la parole est le symbole du beau primant sur le bien tant il est vrai qu’elle est une esthétique de l’éthique.

Son apport est si considérable qu’il est impérieux de signifier qu’elle fait l’homme et par conséquent, elle participe à la formation de la personnalité de base de l’individu dès sa première enfance.

C’est grâce à l’éducation65 traditionnelle qui, elle-même procède par l’oralité que l’enfant apprend les mécanismes de fonctionnement de la parole.

Cependant, cette parole esthético-éthique repose sur une dimension socio-éducative que nous nous évertuons à mettre en lumière dans ce travail.

En effet, les fonctions esthético-éthiques de la parole assurent une fonction éducative. Lesdites fonctions s’appuient sur la rhétorique Kongo par des tournures linguistiques dotées d’esthétique et d’éthique. Pour ce faire, pour comprendre la dimension socio-éducative des fonctions esthético-éthique de la parole, nous auscultons quelques tournures linguistiques :

  • La gradation : figure de rhétorique ou de style par laquelle on assemble plusieurs idées, plusieurs expressions qui enchérissent les unes sur les autres. Il s’agit d’une progression évolutive de la pensée dans une structure phrastique. Ladite figure est d’une récurrence significative dans la rhétorique Kongo.

Elément stylistique et esthétique, la gradation contribue à initier l’enfant aux formules expressives qu’il mettra en exergue dans un avenir proche. Autrement dit, ladite figure confère à l’enfant l’opportunité de s’exercer aux formules oratoires qu’il emploiera bien plus tard.

L’agent éducateur (un membre de la collectivité ou un membre de la famille, dikanda etc.) lui enseigne du jour le jour à formuler de façon objective une figure rhétorique à partir de son registre lexématique ou vocabulaire. A titre d’illustration, les Kongo de Boko disent : « yenda yende, yenda djoke, yenda dumuki »

65Joseph, Ki-Zerbo, Eduquer ou périr, Paris, Unicef-Unesco, 1990, p. 99

Traduction littérale

/va /marché/va /couru/va/ sauté/

Traduction Littéraire

Va! Cours ! Saute !

Cette formule expressive peut intervenir lorsqu’un aîné par exemple charge l’enfant d’une commission quelconque. Pour éviter qu’il ne s’amuse en cours de route ; ce qui peut causer une perte de temps, l’ancien ou le supérieur lui dira : « marche ! Cours ! Saute ! ».

Cette formule langagière encourage l’enfant à exécuter une tache dans un bref délai. La même formule peut avoir une deuxième dénotation. Il en est de cela, lorsqu’un adulte s’adresse à un enfant récalcitrant qui a commis un acte condamnable comme le vol et qui refuse d’exécuter sa punition.

Ici, le dénoté second veut dire : « quel qu’en soit les circonstances tu seras punis ». L’enfant apprend des formules comme celle-ci qui agissent durant tout son processus socialisation.

  • L’allitération : est une figure de rhétorique qui consiste dans la répétition recherchée d’un son identique telle une consonne ou voyelle. Cette figure de rhétorique peut s’employer pour tout le monde comme pour les enfants (jeune garçon, ntoko) ayant la même fourchette d’âge et ayant suivi l’initiation ensemble telle la circoncision.

Primo, la figure allitérative ci-dessous corrobore cette objectivité de la communication traditionnelle dans sa fonction esthético-éthique.

kosi kole ko, kosi katela mfumu andi ko

Traduction littérale

/un /deux/pas /nuque/n’avertit son maître/pas/

Traduction Littéraire

Un n’est pas deux, la nuque n’avertit point son maitre

Cette parole codée peut être dite suivant plusieurs contextes. Soulignons que la dite parole décrit une situation événementielle et elle stipule que l’on n’est toujours ignorant de quelque chose.

Cette forme illustrative permet à l’enfant de savoir que l’on ne peut jamais se suffire dans la vie, l’on a toujours besoin de quelqu’un pour savoir. Ici, le dénoté second renvoi à l’étonnement, la surprise. Nous relevons ici, une forme non seulement éthique du langage mais aussi esthétique.

Pour ce qui est de la deuxième illustration, il s’agit d’une parole chanté qui soumet l’enfant (première enfance) à un exercice du langage verbal.

« Kotiko koko, kotiko »

Cette chansonnette traduisant l’allitération, s’inscrit plus dans l’esthétique que dans l’éthique. L’enfant est chargé de répéter ces expressions substantives dotées d’esthétique pour non seulement améliorer sa diction dans une certaine mesure mais aussi contribuer à l’éveil de son esprit.

  • L’anaphore: consistant à jouer avec la construction phrastique, l’anaphore consiste en la répétition, la reprise d’un même segment ou d’un même mot, en tête d’une expression ou d’un vers.

Mise en usage dans la rhétorique Kongo-Boko, l’anaphore intervient à grande échelle dans le cadre de l’éducation, en conférant au sujet socialisé un sens éthique mais aussi le goût de l’esthétique. Il en est de cet exemple la rhétorique suivante :

« Mwana tambula, mwana dia »

« Mwana sala, mwana dia »

Traduction littérale

/enfant/accepte/enfant/mange/

/enfant/travaille/enfant/mange Traduction littéraire L’enfant qui obéit, mange L’enfant qui travaille, mange

Cette figure de rhétorique peut être prononcée par un père, tata à l’endroit de son enfant (jeune garçon, ntoko) qui manifeste de la paresse à travailler.

La communication traditionnelle dans l'éducation de l'enfant

Lorsqu’il lui demande de l’accompagner à la chasse mais ce dernier préfère s’amuser et pour le moraliser ; il prononcera cette formule anaphorique : « Mwana tambula, mwana dia » ; « Mwana sala, mwana dia ».

Dès que l’enfant écoute cette figure de rhétorique ; il est contraint d’obéir à son père pour ne pas être privé du repas. Nous pouvons percevoir dans cette rhétorique, la fonction esthétique et surtout éthique de la parole mise en lumière.

  • Euphémisme : cette figure de rhétorique sert à modeler le caractère pénible d’une idée ou d’un sentiment en l’exprimant de façon plus douce, plus indulgente, plus décente. Il s’agit d’un écart entre ce qui est dit et ce que l’on pense. La formule euphémique est utilisée par les Kongo de Boko pour initier l’enfant (première à la troisième enfance) non seulement à la sagesse mais à lui donner le goût de l’esthétique en l’enseignant l’éthique.

En Afrique comme à Boko, la sagesse s’impose à tous ; il est donc utile de modeler son langage en apprenant des tournures expressives dotées d’esthétique et d’éthique tel que l’euphémisme pour ne pas emmener sa langue à fourcher et à commettre l’irréparable en vexant autrui par des paroles crues.

L’enfant est soumis à cette figure de rhétorique pour lui permettre de ne pas prononcer des énormités quand il discute avec un ancien ou un supérieur. L’objectif principal de cet apprentissage à la formule euphémique c’est d’apprendre à l’enfant le respect et la sagesse.

Un proverbe populaire dit : « avant de parler, il faut tourner sept fois sa langue» c’est-à-dire qu’il est nécessaire de réfléchir avant d’accomplir l’acte de la parole. Cette réflexion locutoire veut que l’enfant qui s’adresse à une personne plus âgé (ancien), sache agencer ses mots afin de dire sa pensée.

Dans la langue Kongo, l’euphémisme apparait comme de l’huile qui lubrifie le moteur. La parole euphémique s’applique avec la gestuelle des yeux c’est-à-dire que l’enfant ne peut s’adresser à un ancien en le fixant des yeux ; cela dénote le respect.

L’exemple de rhétorique euphémique que nous pouvons prendre dans ce cas d’espèce est celui-ci : l’enfant (actant A) est au champ, makanga, avec son père (actant B) qui s’en va dans l’herbe pour faire des petits besoins ; dès son départ son enfant (actant A) reçoit la visite de son ami (actant C) et ce dernier lui pose la question : « où est ton père ? » l’enfant ne dira pas : « Nena kele ku matsitsi» c’est-à-dire qu’il est allé faire caca dans l’herbe mais il utilisera l’euphémisme en disant simplement : «lulenda mukela, ku matsitsi kwa kena » ou

«lulenda mukela, rambuka karambukiri » signifiant : « vous pouvez l’attendre, il est juste dans l’herbe ». Dans cette illustration imagée, nous pouvons percevoir le caractère sagestial mis en relief par l’enfant (actant A) en prononçant une éthique de la rhétorique Kongo.

L’esthétique et l’éthique de la parole s’accompagnent toujours de la gestuelle, le respect de la tonalité, l’articulation et le débit.

In fine, dans notre cas, nous avions justement fait le choix de ces quelques figures de rhétorique à savoir : la gradation, l’allitération, l’anaphore et l’euphémisme, pour nous permettre de comprendre le fonctionnement esthético-éthique de la parole qu’exercent, les Kongo dans le cadre de la socialisation de l’enfant.

Il faut le préciser qu’il existe beaucoup de figures stylistiques qui mettent en lumière l’esthético-éthique de la parole dans la dimension socio-éducative.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Communication traditionnelle : un aspect de l’éducation chez les kongo du pool (cas des Kongo de Boko)
Université 🏫: Université Marien Ngouabi - Faculté des lettres, des arts et des sciences humaines (flash)
Auteur·trice·s 🎓:
Chris Emmanuel Bakouma Malanda

Chris Emmanuel Bakouma Malanda
Année de soutenance 📅: Mémoire Pour l’obtention du diplôme de Master - 2019-2020
Titulaire de la licence des Littératures et Civilisations africaines 2017 - 2018 .
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