Une juridiques bâtie et La garantie de stabilité

Deuxième partie : Une juridiction bâtie sur des nouvelles normes

Ce projet d’accord représente le commencement d’une nouvelle ère dans le domaine de règlement des différends en matière d’investissement en marquant une sorte de révolution par rapport aux autres institutions.

On trouve dans la fiche explicative 58 une déclaration expresse de l’Union Européenne que cet accord relatif à l’investissement représente un premier pas vers la création d’un Accord de Protection des Investissements (API) multilatéral et un ordre juridique indépendant avec sa propre institution juridictionnelle.

Cette institution se fondera sur de nouvelles normes innovantes par rapport à ce qui est déjà existant dans le règlement des différends en matière d’investissement international.

Le caractère innovant de ces normes provient probablement du besoin de dépasser les défaillances largement constatées dans les institutions de règlement des différends actuelles tel que le CIRDI, la Chambre de Commerce Internationale (CCI), et le besoin d’accorder plus de protections aux parties prenantes en matière d’investissement international.

Les critiques que ces institutions ont subi ces derniers temps sont la meilleure preuve que les mesures prises dans le domaine de règlement des différends relatifs aux investissements ont atteint leurs limites et qu’un renouvellement s’impose.

Parmi ces insuffisances, on évoque la versatilité de la jurisprudence arbitrale en matière d’investissement international et le déséquilibre dans la protection des intérêts des parties prenantes dans le règlement des différends.

58 La proposition de l’union européenne pour un accord de protection des investissements, Fiche explicative, janvier 2019

Pour remédier à ces insuffisances, l’Union Européenne s’est lancée dans une stratégie de créer un nouveau mécanisme de règlement de différends sur le plan multilatéral.

Cette stratégie se base sur deux axes, le premier est d’instaurer un mécanisme de règlement des différends sur le plan bilatéral avec plusieurs pays séparément. C’est la raison pour laquelle elle s’est lancée dans une série d’accord de ce type. A ce propos, on note le CETA avec la Canada et le TTIP avec les Etats Unis d’Amérique.

Ce mécanisme il est le même dans chaque accord et apporterait plus de stabilité au contentieux arbitral dans cette matière et plus d’équilibre dans la protection des intérêts des parties dans ce domaine.

Le deuxième axe est d’amener chacun de ces pays à la négociation d’un mécanisme similaire sur le plan multilatéral comme l’indique l’article 3.12 de ce projet d’accord, l’article 8.29 du chapitre 8 du CETA59 et l’article 12 du deuxième chapitre du TTIP60.

Dans cette partie, on s’intéressera aux résolutions apportées par ce projet d’accord ou encore comment ce projet de juridiction pourrait maintenir plus de stabilité dans la jurisprudence arbitrale (chapitre 1) et quel serait le nouvel équilibre dans la protection des intérêts des parties prenantes du différend (chapitre 2).

59 https://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/ceta-chapter-by-chapter/index_fr.htm consulté le 24/08/2020

60 https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/november/tradoc_153955.pdf consulté le 24/08/2020

Chapitre 1 : La garantie de stabilité :

Selon Mme Rym Ben Khelifa dans sa thèse qui traite l’évolution en matière d’investissement international, l’une des causes de refoulement de l’arbitrage dans le règlement des différends relatifs aux investissements est l’instabilité de la jurisprudence arbitrale. 61

Cette inconstance de la jurisprudence, provient principalement des différentes interprétations d’une institution à une autre, d’un tribunal arbitral à un autre ou même d’un arbitre à un autre, parfois pour les mêmes motivations62.

A ce propos, Mme Ben Khelifa dans sa thèse propose deux types de solutions :

  • Premièrement, des solutions fondées sur de nouvelles normes organiques telles que la création d’un nouvel organe multilatéral permanent de règlement des différends relatifs aux investissements avec un mécanisme d’appel connexe.63
  • Deuxièmement, des solutions basées sur des nouvelles normes fondamentales telles que l’établissement d’un nouveau système d’interprétation qui soit « cohérent et équilibré, pouvant garantir la sécurité des investisseurs tout en sauvegardant l’intérêt public et le droit de réguler, tout en s’attachant, avant tout au texte du traité »64 et qui permet aux états « d’adopter des interprétations authentiques afin d’orienter le régime juridique de l’investissement dans les sens qu’ils entendent privilégier »65.

Afin de garantir plus de stabilité à la jurisprudence, ce projet d’accord concrétise ces solutions dans le système juridictionnel de règlement des différends qu’il apporte.

La conséquence serait un nouveau système juridictionnel bâti sur des nouvelles normes organiques (section 1) et des nouvelles normes fondamentales (section 2)

61 R. BEN. KHELIFA, « L’évolution du régime protecteur de l’investissement international », Thèse de doctorat, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis, 2014, Page.182.

62 R. BEN. KHELIFA, « L’évolution du régime protecteur de l’investissement international », Thèse de doctorat, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis, 2014. Pages.183-191 63R. BEN. KHELIFA, « L’évolution du régime protecteur de l’investissement international », Thèse de doctorat, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis, 2014, Page .187

64 R. BEN. KHELIFA, « L’évolution du régime protecteur de l’investissement international », Thèse de doctorat, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis, 2014, Page. 204.

65 R. BEN. KHELIFA, « L’évolution du régime protecteur de l’investissement international », Thèse de doctorat, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis, 2014, Page 204.

Section1 : Un système juridictionnel fondé sur de nouvelles normes organiques :

Le but de ce projet d’accord selon la fiche explicative est de créer une juridiction permanente avec son propre mécanisme d’appel connexe.

On va donc s’intéresser en premier lieu à la nouvelle cour d’investissement que cet accord apporterait (paragraphe 1) puis au nouveau mécanisme d’appel apporté (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La nouvelle cour d’investissement apportée : Cette nouvelle juridiction se caractérise par la permanence et l’autorégulation.

Ces deux critères apparaissent du moment où on parle de la constitution de cette juridiction (A) ou du renforcement des règles juridiques applicables en matière d’auto-récusation du corps arbitral (B).

-A- Les spécificités de constitution du tribunal :

Afin de bien examiner les spécificités de ce nouveau modèle, il serait judicieux d’indiquer les bases sur lesquelles se tenaient les autres institutions(a) avant de passer à l’innovation de ce modèle(b).

-a- Les bases organiques sur lesquelles se tenaient les autres institutions :

Dans d’autres institutions telles que le CIRDI et la CCI, on remarque une certaine continuité qui se concrétise par la création des corps assurant les tâches purement administratives et ne s’incline que rarement sur les points qui s’attachent à la constitution du tribunal arbitral lorsqu’un différend se produit.

Pour le CIRDI on parle du secrétariat, du conseil administratif et du président.

Le secrétariat assure la direction du personnel, le rôle de greffier 66 et l’enregistrement des demandes d’arbitrage67.

Le conseil administratif avec son président contrôle toute question relative au règlement applicable au sein du centre68.

Mis à part les tâches qu’il effectue en tant que président de conseil administratif, le président agit aussi sur d’autres points tels que la constitution du tribunal arbitral.

Le président intervient dans la constitution du tribunal arbitral de deux manières :

  • D’une manière indirecte en participant à mettre en œuvre une liste d’arbitres ou conciliateurs compétents69.
  • D’une manière directe en constituant le tribunal arbitral à défaut d’accord mutuel des parties sur cette question.70

Pour la CCI, c’est la Cour Internationale d’Arbitrage avec l’assistance de son secrétariat qui assure ces tâches administratives et à l’inverse de ce qui indique son nom, la cour est un organe purement administratif et non juridictionnel.71

66 Article 11 de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965s « Le Secrétaire général représente légalement le Centre, il le dirige et est responsable de son administration, y compris le recrutement du personnel, … Il remplit la fonction de greffier et a le pouvoir d’authentifier les sentences arbitrales rendues … »

67 Article 36 (3) de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965« Le Secrétaire général doit enregistrer la requête sauf s’il estime au vu des informations contenues dans la requête que le différend excède manifestement la compétence du Centre. Il doit immédiatement notifier aux parties l’enregistrement ou le refus d’enregistrement. »

68 Article 6 de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965

69 Article 13 (2) de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965

70 Article 37 (2) (b) et article 38 de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965

En ce qui concerne la constitution du tribunal arbitral, la cour n’agit que directement dans la constitution du tribunal et c’est à défaut d’accord mutuel entre les parties sur le corps juridictionnel.72

Cette permanence des corps administratifs dans le CIRDI et la CCI se renforce par une nomination du personnel pour une longue période.

On peut donner comme exemple le personnel du secrétariat dans le cadre du CIRDI qui sont nommés pour une période de 6 ans73 et l’exemple de la nomination des membres de la cour pour la CCI qui ne dépasse pas les 3 ans74.

Une juridiques bâtie et La garantie de stabilité

Cependant, la continuité des corps administratifs seulement, n’est pas suffisante pour garantir la stabilité des sentences arbitrales vu que d’un côté les tribunaux arbitraux se renouvellent avec chaque différend selon la volonté des parties, et de l’autre côté, ces corps administratifs n’agissent que rarement dans la constitution de ces tribunaux ce qui peut garantir une certaine stabilité, surtout dans le cadre d’arbitrage du CIRDI, étant donné que dans ce cas, il impose que le choix des arbitres soit fait de la liste déjà élaborée75.

De ce fait, on s’intéresse un peu plus aux innovations apportées par ce projet d’accord afin de maintenir plus de continuité en matière de règlement juridictionnel des différends relatifs aux investissements.

71 Article 1 du règlement d’arbitrage de la CCI

72 Article 12 du règlement d’arbitrage de la CCI

73 Article 10 de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965

74 Article 3 de l’appendice I : statut de la cour internationale d’arbitrage, du règlement d’arbitrage de la CCI.

75 Articles 40 (1) de la convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre états et ressortissants d’autres états, Washington 18/03/1965

b -Les innovations de ce modèle :

Contrairement à ces institutions, ce projet d’accord n’offre pas un simple modèle pour la création d’une juridiction arbitrale lorsqu’un différend se manifeste entre un investisseur et une partie de l’accord.

Ce projet d’accord invente une vraie instance arbitrale permanente qui réalise à la fois le rôle d’une juridiction et les tâches administratives qui en découlent.

La continuité de cette instance est assurée sur trois axes : la nomination, les fonctions à assurer, et la rémunération.

En ce qui concerne la nomination, ce tribunal de première instance sera constitué de 15 juges nommés dès l’entrée en vigueur de cet accord avec la structure suivante : 5 juges ressortissants de la Tunisie, 5 juges ressortissants d’états membre de l’Union Européenne et 5 juges ressortissants de pays tiers.

Ces juges seront nommés par le comité pour un mandat de 6 ans, sauf que 7 de ces 15 arbitres seront nommés par tirages au sort, sur une période de 9 ans dès l’entrée en vigueur de cet accord.

Une durée de 6 ans est adéquate pour garder une certaine stabilité dans le traitement des affaires auquel ces juges feront face et une durée de 9 ans pour bâtir ce nouvel ordre juridictionnel.

Afin de garantir la continuité de ce corps juridictionnel entre les mandats, le projet d’accord insiste sur deux faits. D’abord, l’occupation des nouveaux juges nommés de leurs postes avant même la fin du mandat de leurs prédécesseurs, ce qui permet la passation souple du travail dans ce poste.

Ensuite, le prolongement du mandat de certains arbitres qui seront choisis pour siéger dans une division arbitrale par autorisation du président du tribunal, le temps qu’ils assurent leurs tâches d’arbitres.

Ce modèle garantirait la stabilité dans les travaux des juges de cette instance, certes, mais leur nomination par le comité poserait probablement des doutes sur leur impartialité.

Selon ce projet d’accord et la fiche explicative qui l’accompagne, le comité est constitué que des parties de ce projet d’accord par conséquent, l’exclusion de l’investisseur du choix des arbitres.

Pour la question des fonctions à assurer, ces juges assureraient la continuité sur le plan administratif et sur le plan juridictionnel.

Sur le plan administratif, le tribunal est conduit par un président et un vice-président qui sont choisis par tirages au sort parmi les personnes ressortissantes des pays tiers.

Le président s’occupe de toutes les questions relatives à l’organisation du tribunal telle que la constitution de la division arbitrale qui traiterait chaque affaire aléatoirement.

Sur le plan juridictionnel, le tribunal traite « les affaires dont il est saisi en divisions de trois juges, composées d’un ressortissant d’un État membre de l’Union Européenne, d’un ressortissant de la Tunisie et d’un ressortissant d’un pays tiers. Chaque division est présidée par le juge ressortissant du pays tiers. »76.

Comme l’indique cet article ces juges sont choisis parmi les juges de tribunal, aléatoirement par le président.

76 Article 3.9 (7) de ce projet d’accord

Cette technique de division est généralement utilisée dans les juridictions étatiques pour assurer non seulement la continuité de l’institution publique mais aussi sa performance face à un large éventail de contentieux auquel elle fait face.

Selon cette technique, les parties du différend n’interviennent pas dans le choix du corps arbitral ce qui peut garantir d’une part l’impartialité des arbitres et d’autre part la continuité de ce corps juridictionnel et la stabilisation de sa jurisprudence.

De ce fait, ce corps juridictionnel serait permanent sur le plan administratif aussi bien que sur le plan juridictionnel contrairement aux autres institutions qui n’assuraient la continuité que sur le plan administratif.

Concernant les questions relatives à la rémunération, le projet d’accord propose un autre mécanisme pour le paiement des frais des arbitres afin de renforcer la pérennité et l’impartialité de cette structure.

D’abord, il propose que le président et le vice-président reçoivent une rémunération journalière pour chaque jour de travail en tant que président ou vice-président avec une rétribution mensuelle pour garantir leur disponibilité.

Ensuite, pour les juges qui siégeraient dans les divisions de règlement des différends, le projet d’accord propose deux alternatives pour leur rémunération.

La première, en leurs payant les frais ordinaires pour chaque affaire selon l’article 14 du règlement administratif et financier de la CIRDI avec une rétribution mensuelle pour garantir leur disponibilité.

La deuxième, en leurs payant un salaire régulier, en contrepartie ils siègeraient à temps plein sans exercer une autre activité professionnelle.

Dans ce sens, l’Union Européenne se réserve le droit de proposer l’engagement des juges à titre permanant afin de garantir l’impartialité totale de ces juges.

Toutefois, cette impartialité serait toujours dépendante de la structure du comité qui assurerait le choix des arbitres.

Une grande différence s’énonce entre le modèle apporté par ce projet d’accord en ce qui concerne la constitution et la permanence de ce cops juridictionnel par rapport aux autres institutions de règlement des différends relatifs aux investissements.

Cette différence se base sur des nouveaux fondements organiques qui sont la permanence et l’autorégulation.

On pourra confirmer ces deux fondements en examinant un peu plus le renforcement du régime juridique actuel appliqué en matière d’auto-récusation du corps arbitral.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les Modes de règlement des différends relatifs aux investissements dans l’ALECA
Université 🏫: Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis
Auteur·trice·s 🎓:
Assil CHAARI

Assil CHAARI
Année de soutenance 📅:
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