Le conducteur d’un véhicule autonome : Quel avenir ?

Quel avenir pour le conducteur d’un véhicule automatisé ?

Section 2. Quel avenir pour le conducteur d’un véhicule automatisé ?

§1. La fragilité du concept de conducteur avec l’arrivée des voitures autonomes: un superviseur plus qu’un conducteur.

Dans le cas d’une voiture complètement autonome, le rôle du conducteur se retrouve totalement bouleversé27.

Il pourrait donc être intéressant pour schématiser le rôle du conducteur, de faire un parallèle avec les véhicules équipés d’un dispositif de double- commande comme pour les véhicules d’auto-école.

Pour ces derniers, la jurisprudence opère une distinction entre la commande de la conduite du véhicule –agir directement et à tout moment sur un ou plusieurs organe(s) de contrôle et/ou de direction du véhicule– et sa maîtrise matérielle –l’exercice de conduite–.

27 Vingiano I. Quel avenir juridique pour le « conducteur » d’une « voiture intelligente » ?, 1e déc. 2014 – Revue Lextenso, petites affiches n°239, page 06.

A été considéré comme étant le conducteur celui qui peut à tout moment subtiliser le pouvoir de contrôle et/ou de direction (le moniteur), et non celui qui exerçait la conduite (l’élève).

Il aurait été intéressant d’appliquer la même solution pour les voitures à délégation de conduite, cependant ce n’est pas le parti pris de ce développement car celle-ci aurait certainement du mal à être transposée à un système informatique « robotisé »…

C’est pourquoi, la solution retenue consistera à considérer que l’opérateur que l’on nommait normalement conducteur deviendrait plus un superviseur avec la voiture automatisée.

En effet, « la supervision » d’un système automatisé par un humain n’implique pas que celui- ci agisse directement sur le processus en cours. Il observe les actions de l’ordinateur et les approuve ou les réprouve.

Le conducteur d’un véhicule autonome : Quel avenir ?

Lorsque le système fonctionne correctement, le superviseur vérifie simplement les affichages du système et reste vigilant vis-à-vis des signaux indiquant qu’une intervention pourrait être nécessaire, afin d’éviter une erreur ou un dysfonctionnement du système.

L’usager est ici dans une posture préventive. Son rôle semble être passif puisque la charge de travail de l’opérateur dans des conditions de fonctionnement normales du système est très largement réduite, mais à tout moment, celui-ci peut être amené à être actif.

Dans un tel cas, si une erreur se produit, l’usager doit directement contrôler le processus afin de rectifier l’échec de l’automatisation, et par la suite revenir à son activité de supervision.

Pour résumer, pour appréhender le rôle du conducteur au sein d’une telle technologie, il s’agit de distinguer le degré d’automatisation du véhicule afin de comprendre ce que le droit français est prêt à accepter ou non.

La délégation partielle de conduite sous-entend pour le conducteur qu’il soit en mesure de reprendre en mains les commandes du véhicule à tout moment, il a donc encore un rôle important, même s’il est revu à la baisse.

Néanmoins, pour un véhicule totalement autonome, il faudrait comprendre que sans pédales ni volant, le conducteur n’en serait plus un…

§2. La problématique de la reprise en main du véhicule en fonction du niveau d’automatisation du véhicule.

Cette question délicate a été traitée dans le plan Nouvelle France Industrielle (NFI).

La mission CGEDD-IGA a proposé la mesure suivante: sauf au niveau 5 où il n’y a pas de conducteur par définition, il faut veiller à ce que le conducteur soit apte à reprendre rapidement le contrôle en toutes circonstances.

On retrouve ici l’importance des notions de « contrôle » et de « maîtrise » du véhicule consacrées par la Convention de Vienne ou encore le Code de la route.

Toutefois, dès lors que le niveau d’automatisation atteint un certain stade, il faut se demander si ces notions sont encore adaptées puisque le conducteur aura détourné son attention de la conduite.

Avec la voiture semi-autonome, le confort annoncé est en réalité tout à fait relatif puisqu’on attend de l’opérateur qu’il reste vigilant et possède sa pleine intégrité physique et psychologique pour pouvoir reprendre en mains le véhicule, ce jusqu’au niveau 4 de l’échelle SAE.

Cependant, dans une situation d’urgence, peut-on affirmer qu’il y a assez de temps pour qu’un humain puisse reprendre le contrôle de la voiture, évaluer la situation et réagir en toute sécurité ?

Quel est le délai « réaliste » de reprise en main du conducteur selon les situations de conduite ?

A) Etudes et estimations du temps de reprise en main nécessaire.

A-1) Etude de la NHTSA.

La NHTSA aux Etats-Unis a publié en août 2015 un rapport intitulé Human Factors Evaluation of Level 2 and Level 3 Automated Driving Concepts à propos de l’évaluation des facteurs humains aux niveaux 2 et 3 de son référentiel.

Lorsqu’on arrive à un stade NHTSA 2 –pilote automatique en mains libres (« hands off ») et/ou pieds libres (« feet off ») –, la voiture peut être autonome mais la désactivation peut être toute aussi soudaine et sans avertissement.

Alors qu’au niveau 3, le constat est encore pire puisque le conducteur peut ne pas être constamment vigilant et pourtant devoir être prêt à tout instant à reprendre la conduite manuelle (en étant prévenu à l’avance à l’aide de signaux sonores).

Cette administration américaine a mené trois expériences: deux à un stade 2 et une à un stade

Elle a testé deux modalités d’alerte (visuelle ou visuelle + haptique) en fonction de trois niveaux de gravité:

  1. alerte de prudence (30 secondes),
  2. alerte d’urgence (30 seconde)
  3. alerte phasée (en deux phases: alerte de prudence de 10 secondes suivie d’une alerte d’urgence de 20 secondes).

Cette étude a permis de découvrir que le temps de réaction du conducteur était le délai entre le début de l’alerte et le moment où il a de nouveau posé les yeux sur la route; alors que le temps de reprise en main est le délai qui s’écoule entre le début de l’alerte et le placement des mains et des pieds sur les commandes du véhicule.

En cas d’alerte d’urgence, on constate que les réactions sont rapides: 1.2 seconde comme temps de réaction moyen et un temps de reprise en main compris entre 1.3 secondes et 2.4 secondes.

Par conséquent, les résultats d’une telle expérimentation sont les suivants: la façon dont le conducteur est alerté est très importante (l’alerte visuelle ne suffisant pas à elle-même) car les usagers ont tendance à faire confiance aux automatismes et à se laisser distraire puisque si le message ne signale pas un danger imminent, ceux-ci peuvent très bien décider d’achever leur tâche plutôt que de reprendre la conduite du véhicule.

A-2) Etude de l’université de Leeds.

L’université de Leeds avait déjà mené une étude publiée en novembre 2014 intitulée Transition to manual: Driver behaviour when resuming control from a highly automated vehicle.

Elle y démontrait qu’à un niveau 3 du référentiel NHTSA, même si les conducteurs étaient en capacité de reprendre rapidement la main après désactivation du pilote automatique, il fallait un certain temps avant que leur conduite redevienne « normale ». Excepté lorsque la désactivation se produisait à intervalle fixe.

Selon ce rapport, le délai pour une reprise en main confortable par le conducteur est nécessairement de 40 secondes.

Cependant, dans le cadre de cette étude, le comportement des conducteurs peut être biaisé par le fait qu’ils savent pertinemment ce qu’on attend d’eux et qu’ils devront reprendre le contrôle du véhicule.

Quoi qu’il en soit, en tous cas, le temps laissé à tout conducteur pour reprendre les commandes du véhicule autonome après le déclenchement d’une alerte d’urgence doit être au minimum compris entre 10 et 20 secondes.

Ce délai correspond néanmoins à un conducteur suffisamment attentif et à une distance parcourue importante à vitesse élevée.

B) Une transition délicate entre automatisation partielle (stade 2 SAE) et automatisation conditionnelle (stade 3 SAE).

En pratique, les deux référentiels instaurés par la NHTSA et la SAE se distinguent par leur degré d’automatisation.

Deux niveaux d’automatisation sont particulièrement délicats à appréhender lorsqu’il s’agit de mettre en cause l’attention du conducteur.

D’une part, les véhicules de niveau 2 (SAE) doivent être conçus de façon très clairvoyante pour ne pas engendrer de confusion dans l’esprit du conducteur concernant la transition entre le mode manuel et le mode autonome.

Celui-ci doit à tout instant savoir que son attention, sa vigilance et sa réaction sont indispensables pour une conduite sûre du véhicule.

La solution étant soit que le conducteur soit tenu d’effectuer à tout moment des tâches indispensables de conduite (ex: tourner le volant), soit que le système vérifie à tout moment que le conducteur est bien en position de reconduire en cas d’urgence et ce immédiatement (ex: en l’obligeant à poser les mains sur le volant).

D’autre part, le danger semble être le même pour le niveau 3 de la SAE International et pour le niveau 2 de la NHTSA.

C’est un stade critique qui nécessite en cas d’extrême urgence que le conducteur reprenne le contrôle de sa voiture dans un délai très court alors que sa vigilance n’était plus requise.

Au-delà même d’avoir le temps de reprendre le volant il faut impérativement que le conducteur soit en mesure de comprendre le contexte dans lequel évoluait l’automobile au moment où son pilotage automatique s’est interrompu.

C’est pourquoi, les constructeurs automobiles doivent fixer des procédures précises à ce stade pour que le conducteur reprenne la main aussi vite que possible pour assurer la sécurité de la conduite.

Les précédentes études l’ont démontré, le bon délai de reprise en main dans des circonstances normales semble être de minimum 10 secondes, néanmoins on peut se demander si un tel délai n’est pas encore bien trop long dans des circonstances exceptionnelles à un stade 3 voire 4 (SAE) ?

Le cas échéant, il faudra que les constructeurs automobiles répondent à cette question et fassent en sorte que la voiture s’immobilise sans danger si le conducteur ne réagit pas comme il l’aurait fallu.

Plusieurs constructeurs automobiles ont pris le contrepied comme Volvo et Ford, estimant que le niveau 3 est trop dangereux, et ont commencé à travailler directement sur des véhicules de niveau 4 du référentiel SAE pour ne pas que se posent de tels problèmes de transition.

Pour autant, beaucoup d’entre eux n’ont pas éludé le problème et s’apprêtent (comme les sociétés françaises Renault et PSA Peugeot Citroën) à commercialiser vers 2019-2021 des voitures de niveau 3 (SAE).

C) L’instauration d’une formation sur la délégation de conduite.

Le déploiement commercial des véhicules autonomes réclame que l’amélioration de sécurité soit très nettement supérieure aux nouveaux risques qu’ils pourraient engendrer.

Pour cela, il est nécessaire que les phases de transition entre les modes de conduite manuelle et autonome soient maitrisées.

Par exemple, quand le conducteur délègue la tâche de conduite au système autonome (transition manuelle/autonome), il faut que le système soit dans une configuration dans laquelle il puisse prendre le contrôle.

Dans le cas contraire, il est important que le conducteur soit bien conscient que le véhicule n’a pas pu se mettre en conduite autonome.

De même, durant les phases de reprise en main du véhicule par le conducteur (transition autonome/manuelle), il faudra s’assurer que le conducteur soit en état de reprendre le contrôle du véhicule et qu’il soit bien conscient que le véhicule n’est plus en conduite autonome.

Sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un nouveau permis de conduire, c’est pour autant un tout nouvel apprentissage de la conduite qu’instaureront les véhicules autonomes.

Une étude du laboratoire de psychologie des comportements et des mobilités (LPC) de l’IFSTTAR a permis à travers trois rapports d’éclairer les critères d’apprentissage sur lesquels il fallait se concentrer (au moins 3 compétences principales):

Apprendre à se servir convenablement d’un véhicule pleinement autonome c’est-à-dire connaître ce qu’ils peuvent attendre d’un véhicule en mode autonome ou non et maîtriser la manipulation des aides à la conduite et l’interface homme-machine.

Un haut niveau de confiance acquis grâce à une formation semble pouvoir améliorer le temps de reprise en main en cas d’urgence et ainsi atténuer les conséquences dommageables de l’excès de confiance sur les temps de reprise en main.

Connaître sa responsabilité qui découle de sa décision d’activer les automatismes, et les risques associés.

Cette formation aux pré-requis pourrait prendre la forme d’un certificat qui serait obligatoire pour conduire un véhicule autonome de niveau 3 et plus. De plus, pour garantir le maximum de sécurité routière, l’élaboration d’une norme universelle (du moins, au niveau européen) concernant l’information du conducteur, l’alerte et la reprise en main de la conduite par le conducteur semble primordiale.

§3. Un conducteur progressivement relégué au statut de passager.

On s’aperçoit que parmi les pays ayant ratifié la Convention de Vienne certains ont déjà adopté un point de vue plus avancé sur la question.

C’est le cas des gouvernements belges et suédois qui ont récemment fait part que, selon eux, de nouveaux amendements possibles à la Convention seraient envisageables.

Ils souhaiteraient ajouter un paragraphe 5 quart à l’article 8 afin de revenir sur l’exigence du conducteur et ainsi la supprimer.

Cette idée n’est pas nouvelle puisque les américains l’ont déjà intégré et sont même allés encore plus loin.

En effet, le 4 février 201628, la NHTSA a avancé que le Self-Driving System (SDS) de la Google car serait le conducteur au sens de la loi. C’est-à-dire que la voiture, équipée de son système d’intelligence artificielle, aurait toutes les conditions de capacité et de compétences pour prendre la place du conducteur.

28 Avis de la National Highway Traffic Safety Administration à propos de l’opportunité de considérer l’intelligence artificielle comme un conducteur, 04 fév. 2016: https://isearch.nhtsa.gov/files/Google%20–%20compiled%20response%20to%2012%20Nov%20%2015%20interp%20request%20–%204%20Feb%2016%20final.htm

Pour la première fois, une autorité envisage publiquement l’éventualité de désigner comme conducteur une machine, et non un être humain, et donc la possibilité d’étendre la notion de responsabilité.

Cet assouplissement n’a encore pas force normative, mais il est à parier que cette évolution se concrétise au fil du temps. En effet, le premier temps de cette évolution a été marqué par la dispense du conducteur.

Malgré l’attachement pour la NHTSA de la présence d’un titulaire du permis de conduire à bord du véhicule, la société Google, considérant qu’il était dangereux de laisser le contrôle à un humain lorsque la voiture est dirigée par un ordinateur, a mené un intense lobbying pour obtenir de l’administration américaine une déclaration d’autorisation.

Petit à petit, de nombreux Etats ont obtenu que les prototypes de voitures autonomes roulant sur leurs routes n’aient pas à « s’embarrasser » de la présence d’un conducteur…

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L'assurance automobile d'un véhicule à conduite déléguée
Université 🏫: Université Jean Moulin – Lyon III - Faculté de droit - Institut Des Assurances De Lyon
Auteur·trice·s 🎓:
Mélanie Thivillier

Mélanie Thivillier
Année de soutenance 📅: Mémoire dans le cadre du Master 2 Droit des affaires, spécialité Droit des assurances 2016-2024
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top