La difficile appréhension du fait d’un véhicule autonome

La difficile appréhension du fait d’un véhicule autonome

Titre 2. Compromis à l’insuffisance du régime juridique français actuel en matière d’assurance automobile sans conducteur.

Le vide juridique autour de la notion de responsabilité pour des accidents de la circulation impliquant des voitures autonomes obligent à émettre plusieurs hypothèses.

La première serait d’envisager, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses, un partage de responsabilité en distinguant clairement la garde de la structure et la garde du comportement (Chapitre 1).

Mais les trop grandes difficultés d’applicabilité du régime spécial du fait des choses amènent à se demander si ce partage de responsabilités ne pourrait pas s’effectuer selon une autre distinction: celle d’une responsabilité du gardien (propriétaire) du véhicule, pour le risque social qu’il créer, qui demeurerait responsable en cas d’accident sauf si une défectuosité était prouvée, auquel cas le fabricant se verrait inquiété sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux (Chapitre 2).

Chapitre 1. La difficile appréhension du fait d’un véhicule autonome mu par une intelligence artificielle: une application discutable du régime de responsabilité du fait des choses.

Section 1. La responsabilité civile du robot écartée au profit d’une responsabilité civile « du fait » d’un robot: une application discutable.

§1. Le refus de reconnaissance d’une personnalité juridique aux « voitures robots ».

La difficile appréhension du fait d’un véhicule autonome

La résolution adoptée par le Parlement européen le 16 février dernier soulève qu’à terme cette autonomie des robots « pose la question de leur nature et de leur appartenance à l’une des catégories juridiques existantes (personnes physiques, personnes morales, animaux ou objets ?). » et considère que « dans l’hypothèse où un robot puisse prendre des décisions de manière autonome les règles habituelles ne suffiraient pas à établir la responsabilité du robot, puisqu’elles ne permettraient pas de déterminer quelle est la partie responsable pour le versement des dommages et intérêts ni d’exiger de cette partie qu’elle répare les dégâts causés. »

Ainsi, doit-on constituer une nouvelle catégorie juridique dont l’attribut premier serait la personnalité juridique pour intégrer le robot ? De nombreux débats ont déjà eu lieu sur la question de savoir si les systèmes juridiques devraient conférer la personnalité aux agents artificiels autonomes63.

63 Touati A. Il n’existe pas de régime adapté pour gérer les dommages causés par des robots, 1e fév. 2017 – Revue Lamy Droit civil, Nº 145.

Alain Bensoussan, avocat spécialiste du droit de l’informatique, a créé l’Association du droit des robots (ADDR) pour appeler à la création d’un cadre juridique propre à la robotique.

A propos de la voiture sans conducteur, il déclare « autonome, elle l’est par rapport à son gardien juridique, mais en outre, elle est capable de prendre des décisions qui ne sont pas le résultat d’automatisme.

C’est précisément dans ce cadre qu’il convient de doter les robots de droits et de devoirs, en termes de responsabilité, de traçabilité, de dignité. » Sa solution serait de créer une personnalité-robot, tout comme la personnalité morale est venue, avec le temps, se distinguer de la personnalité juridique.

Pour cela, il faudrait créer une nouvelle espèce dotée d’un nom, d’un numéro d’immatriculation, etc.

Il est évident que les robots prennent de plus en plus d’importance, et, bien plus que de constituer des sources possibles de responsabilité, ces entités deviennent de véritables agents compétents juridiquement.

N’étant pas doté d’intention et de conscience, seule la responsabilité civile des robots est actuellement envisagée par le Parlement européen en dehors de toute responsabilité pénale.

Cependant, le Comité économique et social européen (CESE), organe consultatif de l’Union Européenne est venu s’opposer à cette idée dans un avis d’initiative.

Distinction de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale

Selon lui « les effets correctifs préventifs du droit de la responsabilité civile s’en trouveraient vidés de leur substance (…) cela créerait des possibilités d’abus de même qu’un risque moral au niveau tant du développement que de l’utilisation de l’intelligence artificielle ».

Pour lui, ce serait une forme de déresponsabilisation des concepteurs du système64, « un risque moral inacceptable ».

Il faudra donc surveiller de près la décision de la Commission européenne à ce sujet, car les arguments soulevés par le CESE semblent convaincants…

64 Loiseau G. & Bourgeois M. Du robot en droit à un droit des robots, 24 nov. 2014 – Revue LexisNexis, La semaine juridique Edition Générale n°48, doctr. 1231.

§2. La responsabilité du fait d’un robot: une solution ingénieuse mais difficile d’application en l’état.

L’idée d’engager la responsabilité d’une « machine », mue par une succession d’algorithmes, et ayant une personnalité juridique propre semble encore trop futuriste.

Par conséquent, il parait moins déroutant de penser que l’utilisateur d’une voiture connectée et totalement autonome puisse voir sa responsabilité engagée en cas de sinistre causé par celle- ci.

Les régimes succédant à la loi Badinter devraient donc envisager cette solution, mais, la voiture autonome répond-elle aux exigences posées par le régime de responsabilité du fait des choses, qui est une responsabilité sans faute ?

Il semblerait que pour les véhicules semi-autonomes la réponse soit plus positive que pour les voitures à délégation totale de conduite, dû à la notion de « reprise en main » du véhicule exigée.

La question se pose puisque par principe, sont exclues du domaine d’application de l’article 1384 alinéa 1er les choses qui relèvent de régimes spéciaux de responsabilité telles que:

  • les produits défectueux (article 1386-1 du code civil)
  • les véhicules terrestres à moteur (Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985).

Il faudra donc se questionner sur la façon dont le législateur pourrait décider d’appliquer ce régime de responsabilité –s’il était retenu comme étant le plus approprié–.

On le sait ce régime particulier nécessite de remplir trois conditions, qui, lorsqu’elles sont réunies, instaure une présomption de responsabilité: l’existence d’une chose, qui intervient dans la réalisation du dommage, et dont on cherchera à déterminer le gardien.

Ce mouvement a été consacré par l’arrêt Teffaine en 1896 qui consacre pour la première fois une responsabilité sans faute fondée sur l’article 1384 du Code civil.

L’arrêt Jand’heur de 1930, lui, précisera par la suite que la présomption de responsabilité établie par l’article 1934 alinéa 1er du Code civil à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable.

A) La qualification juridique de « personne » ou de « chose » inadaptée à la voiture autonome: absence de définition juridique.

En droit français, il existe une subdivision entre les personnes et les choses mais pour les voitures autonomes, le schéma est plus complexe que cela.

En effet, l’autonomie fonctionnelle de la voiture automatisée qui pourrait être un facteur de responsabilité a du mal à s’accommoder de cette distinction en ce qu’elle n’est pas une personne et ne peut être résumée à une simple chose65.

65 Merabet S. Intelligence artificielle, 1e nov. 2016 – Revue Lamy droit civil, n°142.

En réalité, l’intelligence artificielle est programmée par un individu et constituée d’un ensemble de règles adaptées à un objectif, qui visent à permettre au logiciel de se comporter de la façon la plus « rationnelle » possible pour l’atteindre.

Si la programmation des différents scénarios possibles est le fait de leur opérateur, c’est le logiciel programmé lui-même qui, recevant les données extérieures, prend une décision quant à l’action qu’il faut exécuter.

Dès lors, quelle qualification juridique peut-on donner à une voiture dotée d’une telle intelligence artificielle ?

Si elle devait se rapprocher d’une notion, ce serait certainement une chose. A partir de là, on pourrait imaginer que le régime de responsabilité du fait des choses lui soit applicable.

Mais en réalité, ce serait une chose de nature immatérielle, incorporelle, dépourvue de contours physiques. Or le problème réside dans le fait que l’imputabilité d’un dommage suppose de pouvoir localiser précisément l’entité en étant responsable, un objet corporel par définition.

Par conséquent, cette imprécision rendra la détermination du « fait de la chose » d’autant plus compliquée et donc l’application de ce régime aussi…

B) Un fait imperceptible et imprévisible de l’intelligence artificielle.

La condition d’un « fait » de la chose entre ensuite en ligne de compte. Il faut que la chose ait joué un rôle actif dans la réalisation du dommage.

En l’espèce, il est facile de concevoir le rôle actif de la chose, ici la voiture autonome, entrant physiquement en contact avec une autre voiture, un autre usager de la route ou un piéton.

Cependant, le fait requis par l’article 1384 alinéa 1 a été délimité par la jurisprudence comme n’impliquant pas nécessairement un contact matériel entre la chose et le siège du dommage, tout comme depuis l’arrêt Jandh’eur de 1930 il n’y a plus lieu de distinguer suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main de l’homme, qu’il s’agisse d’une chose dangereuse ou non.

Néanmoins, toutes ces délimitations sur le fait de la chose dans la réalisation du dommage supposent en toutes circonstances que, même sans contact avec le siège du dommage, la chose doit être corporelle.

Ce serait alors se demander si la responsabilité en cas de réalisation du dommage doit être imputée à la voiture elle-même -en tant que corps mouvant- encore sous le contrôle du conducteur selon la législation en vigueur, ou bien s’il faut rechercher la responsabilité de l’intelligence artificielle -ou de son programmateur- qui a pris la décision de mouvement ?

Il semblerait qu’avec la loi Badinter une voiture autonome puisse être reconnue « impliquée » dans un accident de la circulation sans chercher à comprendre de quelle manière, ni le rôle causal détenu par l’intelligence artificielle. Ce qui serait plus aisé pour procéder à une indemnisation rapide et complète.

Qui plus est, l’imprévisibilité du dommage engendré par une voiture autonome est à souligner.

En effet, avec la pratique du machine learning, il est probable que le programmeur, qui ne fait que concevoir un algorithme ne puisse pas prévoir et imaginer l’importance des dommages occasionnés par la voiture en cas de réalisation du risque.

Machine Learning: Comment une machine apprend-t-elle ?

Retenir la responsabilité du fait des choses reviendrait donc ici à imputer systématiquement la responsabilité à celui qui en avait la garde, comme une présomption de responsabilité, peu importe le fait de celui-ci…

C) La garde, une notion délicate.

La condition qui appelle le plus d’attention est et restera celle de la garde.

A l’origine, la jurisprudence retenait une conception juridique de la garde qui soutenait que seul le propriétaire pouvait avoir la qualité de gardien. Mais cette conception a montré ses limites notamment en cas de vol où il y a une dépossession involontaire de la chose.

C’est l’arrêt FRANCK du 2 décembre 194166 qui a procédé à un revirement de jurisprudence en déclarant qu’a la garde de la chose celui qui en a l’usage, la direction et le contrôle. Par définition:

  • Le pouvoir de contrôle vise la capacité d’empêcher que la chose cause un dommage;
  • L’usage désigne le fait de se servir de la chose, généralement dans son intérêt;
  • La direction, elle, se réfère au pouvoir effectif du gardien sur la chose lui permettant de la déplacer à sa convenance.

66 Cass. chambres réunies, 02 déc. 1941 Franck, Publié au bulletin: https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000006953144&fastReqId=986660969&fastPos=1

Ainsi, le problème de la dépossession involontaire de la chose s’en trouvait résolu car ce dernier pourra s’exonérer de sa responsabilité, mais surgit le problème exposé ci-dessus de la garde d’un véhicule autonome, avec une notion de conducteur totalement bouleversée.

On le sait, la finalité de cette règle de droit est que soit obligé à réparation celui qui était le plus à même de prévenir le dommage en contrôlant la chose.

Or, la spécificité de la voiture sans conducteur tient à son autonomie, à son intelligence artificielle.

Dès lors, peut-on réellement considérer que l’utilisateur d’une voiture autonome qui a été dépossédé de son pouvoir de contrôle et de direction puisse être responsable de sa défaillance et des dommages engendrés67 ?

67 Coulon C. Du robot en droit de la responsabilité civile: à propos des dommages causés par les choses intelligentes, avril 2016 – Revue LexisNexis, responsabilité civile et assurances n°4, étude 6.

La voiture autonome mue par une intelligence artificielle ne répond pas tout à fait à la définition d’une chose matérielle dont on aurait la garde comme elle est entendue de nos jours dans le régime de responsabilité du fait des choses. Si la notion de garde en elle-même pouvait être conservée, il faudrait certainement la concevoir différemment.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L'assurance automobile d'un véhicule à conduite déléguée
Université 🏫: Université Jean Moulin – Lyon III - Faculté de droit - Institut Des Assurances De Lyon
Auteur·trice·s 🎓:
Mélanie Thivillier

Mélanie Thivillier
Année de soutenance 📅: Mémoire dans le cadre du Master 2 Droit des affaires, spécialité Droit des assurances 2016-2030
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