La gestion du savoir : les 5 concepts de base

Gestion du savoir, moyen de transformation et source d’innovation

Chapitre Second :

Gestion du savoir

Moyen de transformation et source d’innovation

Introduction

Au cours des dernières décennies, la révolution des technologies de l’information et des communications a entraîné des transformations profondes.

De partout à travers le monde, nous avons accès à la connaissance, en toute liberté, et une vitesse qui frôle l’instantanée. Cette rapidité des flux d’information, et la liberté qui en résulte ont mené à des développements extraordinaires.

C’est ainsi qu’apparaissent dans les entreprises, actuellement surtout dans les grands groupes, des plans stratégiques de gestion des connaissances.

Ils varient tous autour de trois axes essentiels : créer, capitaliser et partager leur capital de connaissances.

  • Créer parce que l’entreprise ne peut désormais survivre que si elle est en constante innovation.
  • Capitaliser car le patrimoine de savoir- faire est fragile (il suffit de voir comment il est dilapidé lors des départs en retraite ou des restructurations) et qu’on ne peut créer de nouvelles connaissances qu’à partir des anciennes.
  • Partager car l’enjeu est bien de passer d’une intelligence individuelle à une intelligence collective, accessible à tous les membres de l’organisation.

Une difficulté majeure s’expose pour les entreprises qui ont saisi l’idée de la stratégie du savoir est qu’il s’agit à ce stade de biens intangibles (les connaissances) et qu’il n’est pas évident au niveau opérationnel de gérer ces biens d’une façon classique.

Le problème se pose alors de passer de la volonté managériale à la réalisation opérationnelle d’un plan de gestion des connaissances

Dans ce second chapitre, nous allons étudier ce passage qui se traduit en fait par un changement organisationnel qui touche essentiellement la culture de l’entreprise, sa structure, son mode de gestion et les processus adoptés au sein de laquelle.

Nous allons commencer notre exposé sur la gestion du savoir par la définition des concepts de base sur lesquelles se fonde cette nouvelle tendance managériale, à savoir : l’information, la connaissance, l’économie de savoir, la stratégie de savoir et l’organisation apprenante.

Ensuite, nous essayerons de s’approfondir à l’analyse des deux principaux supports de la gestion du savoir :

  1. les système d’information (en tant qu’infrastructure technologique) et
  2. la culture de l’entreprise (en tant que composante sociale du projet).

Puis, nous allons procéder à l’étude des phases d’un projet KM, ses orientations, ses conditions de succès et les obstacles à éviter avant de mettre en place un tel projet.

Ensuite, nous examinerons deux moyens de soutenir le projet : le système de veille (en tant qu’outil de recueil, de stockage et de génération de connaissances) et la communauté de pratique (en tant qu’outil de partage, de création et de diffusion et de connaissances.

Enfin, nous allons analyser les principales implications du projet de KM sur l’organisation : les éventuelles transformations de structure et de comportements managériaux.

Section 1 :

Concepts de base

1-1- Information, connaissance et savoir

On ne peut pas entamer l’étude de la gestion de savoirs sans définir au préalable les termes : information, connaissance et savoir.

En fait, l’information est dans la littérature classique la base de toute connaissance ou savoir; et dans la littérature de la nouvelle économie ou de l’économie de savoir, l’apprentissage organisationnel se fait par la transformation de l’information en connaissance.

L’information est selon Monique Charbonneau : « toute donnée concrète ou abstraite, perceptible par les sens et susceptible d’être transformée en connaissance. Les informations constituent le point de départ du processus d’apprentissage. »*

La connaissance est selon le même auteur une information assimilée par l’apprenant et intégrée par son système cognitif dans un contexte et un usage.

Il ne faut pas donc confondre connaissances et informations l’information est linéaire et statique et elle provient des documents écrits ou numériques (bases de données ou livres). Elle doit être contextualisée pour en déduire le sens.

Un humain doit faire interagir l’information et la pondérer pour lui donner un sens et prendre une décision. L’appropriation contextualisée de l’information devient de la connaissance et l’utilisation pertinente de la connaissance devient du savoir nous permettant d’induire, de déduire, de prévoir ou de conclure, d’être actif ou attentif.

C’est le savoir être.

La connaissance est plus large que l’information : cette dernière est plutôt explicite tandis que la connaissance est plutôt tacite. Le KM n’est pas donc une mission des spécialistes de l’information.

Ce n’est pas non plus une affaire de technologie et de systèmes d’information. C’est une préoccupation stratégique qui s’intéresse essentiellement au facteur humain et donc de la configuration de l’organisation.

Le professeur au ‘Dartmouth College’ Thomas Davenport – l’un des 10 maîtres de la nouvelle économie – exp lique cela : « Comme la plupart des scientifiques, techniques, de gestion ou autres résident dans le cerveau des travailleurs, seule une faible partie s’en échappe pour de retrouver dans les documents écrits ou des bases de données»*.

Cette schématisation inspirée des travaux de Sait-Onge fixe les limites entre information et connaissance selon le degré d’intangibilité et la forme que peut prendre chaque composante :

travaux de Sait-Onge fixe les limites entre information et connaissance

Le savoir est comme défini par Monique Charbonne est « l’ensemble des connaissances approfondies acquises par un individu, grâce à l’étude et à l’expérience »*.

De son côté, le maître Hubert SaintOnge définit le savoir comme « la capacité d’agir de façon efficace lorsque requis »*.

Dans la suite de notre travail, nous allons considérer que les deux appellations gestion de connaissances et gestion de savoir sont similaires car elles désignent le même processus.

1-2- Connaissances individuelles et connaissances collectives

La connaissance peut être individuelle ou collective. Les connaissances individuelles sont les compétences des membres de l’entreprise qui peuvent relever d’une formation académique dans les divers domaines de gestion, d’organisation, d’ingénierie et d’économie, et d’une expérience accumulée dans un domaine donné.

La compétence collective ou encore la connaissance organisationnelle est la capacité de l’organisation à agir, c’est le potentiel intellectuel de l’entreprise qui est le fruit du processus d’apprentissage et de l’interaction entre les différentes connaissances individuelles des hommes.

Certes, la connaissance organisationnelle n’est pas la somme des connaissances individuelles des membres d’une organisation.

En fait, ce qui fait la performance d’une organisation n’est pas nécessairement les compétences de ses membres, mais l’aptitude de ses dirigeants à orchestrer harmonieusement l’ensemble de ces compétences, c’est-à-dire gérer un ensemble de conflits et de groupements d’intérêts fréquemment divergents.

Le savoir collectif peut donc être égal à la somme des compétences individuelles, il peut également être supérieur à cette somme. Cela dépend bien entendu de la performance de la structure de l’organisation.

L’objectif de la gestion du savoir appelé originalement knowledge Management (KM) est de réaliser une maximisation de la connaissance organisationnelle avec le même capital de capacités humaines. Le domaine du KM n’est pas donc la formation, c’est plutôt l’organisation.

Gestion du savoir, moyen de transformation et source d’innovation

1-3- Connaissances explicites et connaissances tacites

Le premier type de connaissances à prendre en compte est ce qu’on appelle les connaissances « tacites « . Elles font l’objet de toute une école de pensée (qui nous vient du Japon, dont c’est la culture de base), basée sur l’idée que « nous savons plus que ce que nous pouvons dire « (**).

Pour d’aucuns, la connaissance tacite, non formalisable, est le cœur de la richesse cognitive d’une entreprise. Le partage des connaissances tacites (fortement liées à la « culture d’entreprise « ) est l’enjeu de cette gestion des connaissances.

Ces connaissances se diffusent par des outils de travail partagé, où les nouvelles technologies de l’information et des réseaux interviennent fortement (intranet, groupware …).

Elles s’organisent dans et par des méthodes de management modernes, comme l’ingénierie simultanée, la reconfiguration de processus (Reengineering), la gestion des compétences qui pointent sur les connaissances essentielles à l’entreprise etc. Elles se transmettent par le compagnonnage, de plus en plus rare et coûteux.

Par opposition aux connaissances tacites, il y a les connaissances explicites. Parmi celles-ci, on peut distinguer celles qui sont  » explicitables « , mais pas encore explicitées : c’est toute l’expérience, le savoir- faire des spécialistes, des experts, difficiles à verbaliser et communiquer de manière structurée, c’est la connaissance enfouie dans les documents de toutes sortes et que l’on ne retrouve jamais par une simple consultation, qu’il faut  » exhumer  » de manière systématique, etc.

L’explicitation de ces connaissances ne peut jamais être complète, car elle sera toujours limitée par la barrière du tacite. Mais un grand nombre de méthodes et d’outils sont déjà disponibles pour cette tâche.

Certaines de ces connaissances peuvent être explicitées simplement, en les transcrivant, de manière plus ou moins structurée. C’est le cas dans la mise en place de systèmes qualité (dont la première règle est « écrire ce qu’on va faire » *), ou de fiches de retour d’expérience, ou dans la rédaction de publications.

C’est aussi le cas des  » documents secondaires  » qui synthétisent les connaissances contenues dans des documents donnés.

Certaines connaissances peuvent être explicitées grâce à des outils de modélisation. La modélisation est une démarche qui peut être assez lourde à mettre en œuvre, mais très puissante par rapport à la simple transcription.

On peut modéliser les connaissances :

  • Soit en observant les systèmes étudiés et en faisant un modèle formel : mathématique, physique, automatique ou semi- formel : analyse fonctionnelle, analyse des systèmes.
  • Soit en interrogeant directement les « sources de connaissances  » (essentiellement les experts et spécialistes ou un corpus documents qu’on analyse), en mettant en œuvre des techniques de représentation spécifiques, c’est l’ingénierie des connaissances (Knowledge Engineering).

Dans la catégorie des connaissances explicites, il y a celles déjà transcrites, disponibles dans l’entreprise et accessibles sous forme d’information.

Une première forme de transcription, très courante, est la base de données, gérée par un système de gestion de base de données (SGBD) ou système de gestion des données techniques (SGDT).

Ces bases de données peuvent atteindre des tailles gigantesques et le problème n’est plus le stockage, mais l’extraction de connaissances à partir de ces gisements (on parle de « Data Warehouse »), d’où de nouvelles problématiques appelées « Data Mining » ou « Knowledge Discovery » !

Une seconde forme de transcription de connaissances disponibles dans les organisations est concrétisée sous forme de documents. Sous forme papier, ils constituent des fonds documentaires souvent considérables et cette forme, même à l’heure de l’informatique, est encore la plus pérenne et la plus utilisée.

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Numérisés, les documents sont gérés par des logiciels de gestion électronique de documents (GED), selon des techniques similaires à celles utilisées pour les données.

Des outils sophistiqués de recherche documentaire permettent de trouver un élément d’information dans un texte en s’appuyant sur des analyses syntaxiques, sémantiques ou pragmatiques.

1-4- L’économie de savoir

Dans un monde où les frontières s’estompent, dans une période où la société industrielle cède peu à peu le pas à une société d’information et à l’économie du savoir on voit se développer un environnement fondé sur la connaissance tant à l’échelle des personnes, qu’à celle des entreprises et des nations.

Une façon simple et commode de résumer ce qui émerge dans l’économie du savoir consiste à identifier les pôles moteurs d’une telle économie, et à décrire leur rôle, leur contribution à la nouvelle dynamique sociale.

Il existe trois pôles moteurs dans l’économie du savoir selon Jean-Marie Toulouse: la production de connaissance, le processus de production de biens et services, et le pole des compétences des personnes.

  • Le premier pôle moteur est constitué par le phénomène de la production de connaissances c’est-à-dire : la production des connaissances, la diffusion des connaissances produites.
  • Le second moteur de l’économie du savoir c’est celui représenté par le processus de production de biens et de services. Ce pôle, c’est le royaume de l’entreprise souvent privée, parfois coopérative et dans certains secteurs pub lics.

Ce n’est pas la forme de propriété qui importe mais bien la capacité d’offrir de façon concurrentielle, efficace et continue des produits et des services de haute qualité et ce, dans un environnement économique ouvert.

Dans une telle économie les entreprises sont continuellement poussées à produire à distribuer leurs biens et services aussi bien, voire, mieux que les autres. Ce qui implique alors, c’est la capacité à inventer des nouveaux « comment », et à trouver des nouveaux savoir- faire, donc à produire des connaissances.

Ce qui importe c’est la capacité à produire et à distribuer efficacement ; donc un intérêt pour les coûts, la rentabilité, la productivité. Apparaissent alors les concepts de valeur, la description et l’analyse de la chaîne de valeurs et les concepts de l’étalonnage : le « Benchmarking »

Le troisième et dernier pole moteur est celui des compétences principalement les compétences des personnes. Dans une économie du savoir, les firmes doivent accorder une place centrale à la compétence de leur personnel. Refuser ou négliger de le faire, c’est mettre en danger la capacité à produire et à livrer des produits et des services.

« L’économie du savoir place donc toutes les firmes devant d’immenses risques mais également devant d’immenses possibilités » (*). Cette économie propose :

  1. D’améliorer le niveau d’éducation et de formation : une population éduquée est une population qui peut créer, transférer et utiliser la connaissance.
  2. De mettre en place une infrastructure d’information dynamique pour assurer une communication efficace, ainsi que le traitement et le transfert d’information.
  3. De favoriser la libre circulation de la connaissance en supportant les investissements en technologies de l’information et des communications et en encourageant l’entrepreuneurship.
  4. Finalement, de mettre en place un système d’innovation, i.e un réseau de centres de recherche, d’universités, d’entreprises privées et de groupes qui accumulent l’information, l’assimilent, l’adaptent aux besoins locaux de nouvelles connaissances.

En conclusion, on peut affirmer que tous les PME, les entreprises transnationales, les pays en émergences, les pays prospères travaillent vers un même objectif : celui de l’économie du savoir.

1-5- La stratégie de savoir

On di qu’une entreprise adopte une stratégie de savoir lorsqu’elle met en place un système de gestion de connaissances.

Le KM s’inscrit dans le cadre de la stratégie de l’entreprise car le bénéfice des investissements en connaissances est perçu sur le long terme. Un projet de KM type mettra, selon les professionnels de la discipline, entre 12à18 mois à démontrer sa valeur.

La dimension stratégique du KM découle de la faite que la connaissance est un capital immobilisé pour l’entreprise moderne : il a un avantage économique futur et il s’accumule dans le temps.

Il est d’ailleurs un moteur déterminant de l’innovation qui est une source d’avantage compétitif durable et défendable. C’est là où les entreprises modernes peuvent créer de la valeur, dans un environnement caractérisé par un progrès technologique au rythme exponentiel notamment en matière d’information.

Hubert SaintOnge, directeur ‘strategic Capabilities’ chez la firme canadienne Clarica et l’un des premiers dirigeants au monde à avoir occupé le poste de gestionnaires de savoirs, présente trois raisons pour affirmer que l’on doit créer la valeur à l’aide des connaissances :

  • Les idées sont le moteur de la compétitivité.
  • L’innovation coûte moins cher que la compétition.
  • Les clients changent et demandent des solutions intégrées.

Pour le faire, SaintOnge propose trois recommandations pour orienter la stratégie de l’entreprise qui évolue dans un monde d’économie de savoir :

  • Multiplier les compétences pour faire la concurrence.
  • Accélérer le pas pour suivre l’évolution rapide du milieu.
  • Réinventer les affaires en redéfinissant les limites.

Les auteurs de nos jours considèrent la stratégie au centre des orientations stratégiques de l’entreprise moderne. On présente alors le diagramme de la symétrie suivant :

diagramme de la symétrie

1-6 Notion de l’organisation horizontale apprenante

J.-C. Tarondeau dans son livre « Le Management des savoirs » rappelle que

« L’avantage des structures fonctionnelles verticales réside dans leur capacité de mémorisation en profondeur. Elles sont conçues pour recevoir et développer de l’expertise dans un domaine limité.

Elles sont fondées sur des savoirs spécialisés, elles facilitent leur développement et accumulation, mais elles présentent une rétention des savoirs et une fermeture sur l’environnement et elles n’apprennent que sur une faible étendue. »

Les organisations apprenantes sont conçues pour stimuler l’apprentissage individuel, favoriser la mise en commun des savoirs individuels, les compétences métier, en leur servant de réceptacle et en organisant leur déploiement.

Les organisations transversales apprennent beaucoup des actions menées en relation étroite avec leur environnement. Elles présentent néanmoins le risque de mémoriser moins, d’où l’appel au KM et aux techniques de coaching.

Selon Jane Linder, pour qu’une entreprise détienne un avantage compétitif et se qualifie d’entreprise apprenante, elle doit implanter un processus continu de transformation de l’information en savoir collectif en quatre étapes(*):

  1. Rrecueillir, classifier et stocker l’information et les connaissances individuelles;
  2. Sensibiliser l’organisation à l’existence et aux avantages de s’approprier l’information et les connaissances individuelles transformées elles-mêmes en information;
  3. Encourager l’organisation à interpréter l’information et à stocker les conclusions collectives qui deviennent elles- mêmes de nouvelles informations;
  4. Utiliser ces informations afin de modifier ses comportements, processus, produits et services et accroître ainsi ses avantages compétitifs.

En d’autres mots, il faut maintenir, promouvoir et développer les canaux de communication formels et informels qui permettent aux employés d’exprimer leur opinion et de parler facilement et directement tant à leurs pairs qu’à leurs supérieurs.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Gestion des connaissances et Innovation
Université 🏫: Institut des Hautes Etudes Commerciales – Carthage
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Projet de fin d’études - 2003/04
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