ChapitreII: Les défis de la concrétisation de la plurinationalité
Section I : Les défis liés à la concrétisation du droit à la consultation préalable
A- Les peuples autochtones ont le droit à la consultation préalable, libre et informée

B- Un droit fondamental menacé par l’État lui-même

Malgré le large cadre normatif, le droit collectif à la consultation préalable, libre et informée rencontre plusieurs difficultés pour sa mise en œuvre, notamment le fait qu’il est souvent menacé par les États eux-mêmes.

La consultation est fréquemment menée sans respecter les paramètres établis par les instruments internationaux, puisqu’il n’y a pas de loi spécifique qui régule le processus de consultation préalable des peuples autochtones, dans aucun des deux pays.

De plus, la consultation est souvent réduite à une simple procédure formelle pour que l’État puisse poursuivre sa politique, sans réellement procéder au dialogue interculturel que requiert la consultation. Par exemple, en Équateur le droit à la consultation préalable, libre et informée fut réduit à un référendum dans le cas Rio Blanco193 et en Bolivie la construction de l’autoroute qui lierait les départements de Beni et de Cochabamba commença sans la consultation des peuples du Territoire autochtone et parc national Isiboro-Sécure (TIPNIS).

La consultation préalable des peuples autochtones

Dans nos recherches au sein de la thématique du droit à la consultation préalable, nous avons pu énumérer quatre défis pour la concrétisation de ce droit au sein de chaque État. Ces défis forment une sorte de barrière au droit à la consultation et se trouvent, avec quelques petites divergences, dans les deux pays.

Comme les sujets de la consultation sont d’une part l’État et de l’autre les peuples autochtones affectés, il est logique que ces barrières viennent des États eux-mêmes, qui gardent toujours les vestiges de la colonialité, étant donné que l’État plurinational (et par conséquent l’émancipation des peuples) est toujours en construction.

Les difficultés en Équateur

Les 4 difficultés pour l’application du droit à la consultation préalable en Équateur

Le premier défi identifié en Équateur pour la mise en œuvre du droit à la consultation préalable est l’absence d’une loi organique qui régule le processus de consultation. Selon la constitution équatorienne de 2008, l’exercice des droits constitutionnels sera développé par les lois organiques194.

En effet, le droit à la consultation est un droit humain prévu dans la constitution et dans les instruments internationaux et de cette façon il ne dépend pas d’une loi pour son application et son exigibilité, cependant le droit à la consultation est un processus et certains effets juridiques sont réservés à une loi par la norme constitutionnelle elle-même.

Ainsi, le droit à la consultation préalable des peuples et nations autochtones doit être régulé et garanti par une loi organique et malgré le commandement constitutionnel, jusqu’à ce jour il n’y a aucune loi organique dans l’ordonnancement juridique équatorien qui régule le processus de la consultation préalable.

Il faut souligner que cette dernière doit être régulée au travers d’une loi organique en conformité avec le principe de la réserve de loi et non pas au travers d’une législation secondaire. Le principe de la réserve de loi comporte une garantie essentielle de l’État de droit, sa finalité est d’assurer que certaines décisions, celles qui sont jugées les plus pertinentes pour la communauté, soient adoptées par des organes directement représentatifs.

De cette façon, cette loi doit prévoir les aspects relatifs à la procédure, au déroulement de la participation, aux délais, aux réparations et aux effets juridiques en cas d’omission ou transgression de ce droit et également les sanctions de violation du droit à la consultation préalable.

193 Cf. Équateur, Cour constitutionnelle, Action extraordinaire de protection constitutionnelle n. 2546-18- EP.

194 Article 132, n. 1 et article 133, n. 2 de la Constitution de la République de l’Équateur.

Pourtant en 2012, après la décision constitutionnelle de 18 mars 2010 qui a déclaré l’inconstitutionnalité de la Loi 45 de 2009 sur l’exploitation minière (Ley de mineria), promulguée sans la consultation préalable des peuples autochtones, le Conseil de l’administration législative (CAL) a édité une instruction pour l’application de la consultation pré-législative pour les droits des communes, communautés, peuples et nationalités autochtones.

Dans ce document, il fut établi que la finalité de la consultation pré-législative est de réaliser un processus de participation citoyenne qui permette aux titulaires des droits collectifs d’être consultés afin qu’ils puissent se prononcer sur des questions spécifiques qui peuvent les affecter directement et qui sont incluses dans les projets de loi au sein de l’Assemblée nationale.

L’instruction édictée contient les prérequis minimums, toutefois elle n’est pas conforme aux normes de droit international, ni à ce qui est établi en matière constitutionnelle sur le principe de réserve de loi pour le droit à la consultation préalable. Il faut souligner, d’ailleurs, que cette instruction ne fut pas objet d’une consultation préalable. Aujourd’hui, il, y a plusieurs projets de loi « arrêtés » dans l’Assemblée nationale.

L’édiction d’une loi qui compte avec la participation effective des peuples autochtones éviterait ainsi les détournements de finalité du droit à la consultation préalable.

Le deuxième défi rencontré pour la concrétisation du droit à la consultation préalable dans le pays est justement le manque de volonté politique pour le faire. Par exemple, même si les instruments internationaux disposent clairement que les sujets de la consultation préalable sont l’État et les peuples autochtones affectés, l’État équatorien délègue souvent ce devoir aux personnes privées qui réaliseront l’exploitation des ressources naturelles195.

Au-delà du manque de volonté politique de respecter les droits des peuples autochtones, le non-respect du droit à la consultation préalable a lieu parce que le texte constitutionnel ne dispose pas clairement que le sujet actif de la consultation des peuples autochtones est l’État. En outre, en 2018, même après la condamnation de l’Équateur par la Cour IDH en 2012 pour la violation du droit à la consultation préalable du peuple Kichwa de Sarayaku, l’État a réduit le droit à la consultation à un référendum dans le cas Rio Blanco mentionné ci-dessus.

Le troisième défi consiste dans la base économique extractiviste du pays. L’économie fondée sur l’extraction des ressources naturelles entre en conflit avec les intérêts des peuples autochtones, comme évoqué dans la section consacrée à l’étude du « vivre bien ».

peuple Kichwa - Le droit à la consultation préalable menacé par l'État lui-même

Le quatrième défi identifié en Équateur est lié au consentement des peuples autochtones. En effet, le but de la consultation préalable est d’arriver à un accord entre l’État et les peuples autochtones et ainsi obtenir leur consentement concernant les mesures qui les affectent directement. Ni la constitution ni les traités internationaux ne disposent que le consentement des peuples autochtones soit obligatoire pour l’approbation de la mesure.

Selon les normes et jurisprudences internationales196, le consentement des peuples autochtones est obligatoire dans quatre situations :

  1. 1) lorsque le projet implique un déplacement forcé, la relocalisation des peuples autochtones ou le transfert des terres qu’ils occupent ;
  2. 2) lorsque le dépôt, le stockage ou l’élimination de matières dangereuses sur les terres ou territoires autochtones sont prévus ;
  3. 3) lorsqu’il s’agit de l’exécution de plans de développement ou d’investissement à grande échelle qui génèrent un grand impact sur le territoire d’un peuple autochtone ; et
  4. 4) dans le cas de projets, en particulier d’extraction de ressources naturelles sur les terres des peuples autochtones, qui pourraient avoir un impact social ou culturel important sur la vie des peuples respectifs197.

195 Cf. Cour IDH, Peuple autochtone Kichwa de Sarayaku c. Équateur, 27 juin 2012.

196 Cf. GALVIS PATIÑO María Clara et RAMÍREZ RINCÓN Angela Maria, Digesto de jurisprudencia latinoamericana sobre los derechos de los pueblos indígenas a la participación, la consulta previa y la propiedad comunitaria, Washington, Due Process of Law Foundation, 2013, p. 208.

197 Ibid., p. 208.

Ainsi, dans ces quatre situations, les peuples et nations autochtones ont un pouvoir de veto. Si la mesure ne porte pas une atteinte grave aux peuples autochtones et qu’elle n’est classée dans aucune de ces quatre situations, alors le consentement n’est pas obligatoire.

La finalité de la consultation ne serait ainsi pas une finalité de résultat, mais de moyen, ce qui bénéficierait à l’État. En Équateur, si le consentement ou l’accord n’est pas obtenu, l’État doit suivre les mesures disposées dans la constitution (et dans la loi qui n’existe pas encore).

La constitution, à son tour, « envisage le concept de “priorité nationale” pour subordonner toute raison sociale, politique ou juridique contraire à celle du gouvernement ou de l’autorité de l’État »198. C’est-à-dire « qu’avec un simple acte administratif de qualification d’un projet comme priorité nationale, toute raison perd de sa valeur, donc, il n’y a pas de consultation préalable qui vaille »199.

Ainsi, nous pouvons conclure que le consentement non obligatoire vide le contenu du droit à la consultation préalable.

198 SIMBAÑA Floresmilo, Consulta previa y democracia em el Ecuador, Chasqui Revista latinoamericama de comunicación, n. 120, 2012, p. 7.

199 Ibid., p. 7.

Les difficultés en Bolivie

Les 4 défis pour la concrétisation du droit à la consultation préalable en Bolivie

Le premier défi identifié en Bolivie pour la mise en œuvre du droit à la consultation préalable coïncide avec celle de l’Équateur : l’absence d’une loi qui prévoit les aspects relatifs à la procédure, la manière de participation, les délais, les réparations, les effets juridiques en cas d’omission ou transgression de ce droit, etc. En réalité, la reconnaissance du droit à la consultation préalable en Bolivie a un « large et désordonné espace normatif ».

Ce droit est reconnu dans la loi n. 3058 du 17 mai 2005 sur les hydrocarbures et dans la loi n. 535 du 28 mai 2014 sur l’exploitation minière et la métallurgie, qui sont des lois spécifiques pour l’exploitation de ressources naturelles et non pas sur le droit à la consultation préalable.

Cependant, à l’instar de la constitution équatorienne, le texte constitutionnel bolivien dispose dans son article 109 que les droits reconnus par la constitution, dont le droit à la consultation préalable, sont d’application directe et immédiate et de cette façon ils ne nécessitent pas d’une loi pour leur exigibilité.

Mais de même qu’en Équateur, l’édiction d’une loi qui compte avec la participation effective des peuples autochtones éviterait des détournements de finalité du droit à la consultation préalable.

Le deuxième défi pour la concrétisation du droit à la consultation préalable en Bolivie est celui du manque de volonté politique, comme en Équateur, même si ce pays compte avec beaucoup plus d’autochtones sur son territoire et avec un gouvernement dirigé, entre 2005 et 2019, par un président d’origine aymara. Par exemple, le cas du TPNIS nous montre qu’il a fallu la pression sociale (fruit de la VIIIe Marche autochtone) pour que les lois200 de protection de ce territoire et de consultation du peuple qu’y réside soient promulguées.

Quelque 800 autochtones ont quitté Trinidad pour la ville de La Paz, où se trouve le pouvoir exécutif, dans ce qu’on a appelé la «VIIIe Marche autochtone pour la défense du TIPNIS, pour la vie, la dignité et les droits des peuples autochtones», dans le seul but de rejeter le projet du gouvernement de construire une route à travers le parc national, ils ont exigé le respect de leurs droits originels reconnus par l’actuelle Constitution politique de l’État.

La marche a été en proie à une série de revers, ce sont des autochtones des basses terres et monter sur les hautes terres leur a coûté cher, le climat étant antagoniste à ce à quoi ils sont habitués, et tous ces efforts ont sensibilisé la population bolivienne qui a réalisé l’injustice dont ils étaient victimes.

Soixante et onze jours plus tard, le président Evo Morales a été contraint, sous la pression, de promulguer une loi de protection du TIPNIS, comme stratégie de résolution des conflits, il a dû déterminer les instruments législatifs suivants : Loi courte 182 de 24 d’octobre 2011, Intangibilité du TIPNIS; la Consultation préalable, libre et informée des Peuples Moxeño- Trinitario, Yuracaré et Chimán du TIPNIS […]201.

Le troisième défi est lié à l’économie de base extractiviste. À l’instar de l’Équateur, l’économie bolivienne dépend des ressources naturelles sur son territoire et le défi consiste à concilier l’économie extractiviste et les intérêts des peuples autochtones.

Le quatrième défi identifié en Bolivie est exactement le même défi mentionné ci-dessus pour l’Équateur : le consentement des peuples autochtones n’est pas obligatoire.

Dans le même arrêt qui a intégré la convention 169 de l’OIT au bloc de constitutionnalité, le Tribunal constitutionnel bolivien202 a déclaré l’inconstitutionnalité de l’article 115 de la loi sur les hydrocarbures203 qui disposait le consentement des peuples autochtones, en affirmant que les hydrocarbures sont la propriété de l’État et qu’aucune consultation ne pourrait empêcher leur exploitation.

200 Loi n. 189 de protection du Territoire autochtone et parc national Isiboro Sécure – TIPNIS et Loi n. 222 sur la consultation préalable au TIPNIS.

201 PACO ANCALLE Rudy Ariel, La consulta previa a los pueblos indígenas como mecanismo a su libre determinación en el nuevo texto constitucional boliviano aplicado en el conflicto del Territorio Indígena del Parque Nacional Isiboro Sécure-TIPNIS, Universitat Rovira i Virgili, Tarragona, 2015, p. 66.

202 Bolivie, Tribunal constitutionnel, 18 janvier 2006, décision constitutionnelle n. 0045-2006-R.

203 Bolivie, Loi n. 3058 du 17 mai 2005.

Le tribunal réaffirme cette compréhension dans la décision constitutionnelle 0300/2012 (affaire TIPNIS) : le consentement est la finalité et non pas « un droit en soi »204, sauf dans les quatre exceptions mentionnées ci-dessus qui s’appliquent à tous les signataires de la convention 169 de l’OIT.

Ainsi, nous constatons que les difficultés de mise en œuvre du droit à la consultation préalable sont pratiquement les mêmes pour les deux États. Cela se produit principalement en raison de la tension entre les droits liés au territoire et à l’autonomie autochtone et le développement économique de l’État, qui repose sur l’exploitation des ressources naturelles, étant donné que les deux États partagent le même contexte économique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Clermont Auvergne - École de droit - Master 2 Droit public approfondi
Auteur·trice·s 🎓:
Thayenne Gouvêa de Mendonça

Thayenne Gouvêa de Mendonça
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention de Master en Droit Public mention Carrières Publiques - 2021-2037
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