Paragraphe 2 :
La remise en cause des interdictions de la bioéthique par certaines dérogations
Cette remise en cause passe par l’autorisation du clonage thérapeutique (A) et la constitution d’embryons humains aux fins de recherche (B).
A- L’autorisation du clonage thérapeutique
Le clonage dit « thérapeutique » est un procédé qui permet une reprogrammation du noyau cellulaire du donneur au sein de l’œuf récepteur, produisant de nouveau des cellules d’embryon totipotentes. Les tissus obtenus à partir de ces cellules souches seraient alors autologues et, de ce fait, non susceptibles de rejet immunitaire289. De manière plus explicite, avec le clonage thérapeutique, on implante une cellule dans un utérus, on attend que cette cellule atteigne un certain stade, à partir duquel on peut obtenir telle ou telle cellule dont on espère se servir pour soigner une pathologie donnée.
Dans la mesure où l’avant-projet indique clairement que le clonage est interdit, il n’y a pas lieu de chercher à distinguer entre clonage thérapeutique et clonage reproductif car si tel était le cas, le législateur aurait apporté la précision.
Dans son ensemble, le clonage est condamnable en ce sens qu’il réduit l’homme à un statut d’objet et, dès lors que la personne humaine est rattachée à cette qualification, le clonage apparait comme constituant une atteinte à sa dignité. Par conséquent, tout ce qui contribue à traiter la personne comme une chose recomposable et remodelable, toute entreprise visant à asservir et à mercantiliser l’être humain est contraire à la dignité290. Le volet thérapeutique du clonage bien qu’il présente des caractères assez attrayants quant au traitement de plusieurs maladies, n’en demeure pas moins un moyen pour mettre en péril l’intégrité de l’embryon humain et partant de lui, de l’humanité.
Les lignes directrices du CIOMS ainsi que les interdictions émanant de diverses conventions n’ont pas empêché certains États à autoriser le clonage thérapeutique. Alors qu’en réalité la frontière entre la thérapie et la reproduction est assez étroite. Le 22 janvier 2001, la Chambre des Lords a adopté une loi déjà approuvée en décembre 2000 par la Chambre des Communes, qui autorise le clonage d’embryons humains pour l’obtention de cellules souches, ouvrant ainsi la voie au clonage thérapeutique291.
288 Ibid.
289 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), op. cit., p.12.
290 P. Pedrot, « La dignité de la personne humaine à l’épreuve des technologies biomédicales », p 62 cité par A-C ARRIGHI, op. cit., p. 315
Plusieurs autres États se sont inscrits dans cette lignée en autorisant le clonage thérapeutique. Au nombre de ceux-ci figure la Belgique, en confère l’article 3 de la loi du 11 mai 2003 relative à la recherche sur les embryons in vitro292. L’Inde l’autorise au cas par cas. C’est ce qui ressort de son document de politique d’éthique du Gouvernement indien sur le génome humain, les services et la recherche génétique293. La Nouvelle-Zélande en a fait de même dans son projet de loi HART de 2001, précisément dans le décret SOP294, ainsi que le Singapour dans le rapport du 21 juin 2002 du Comité consultatif de Bioéthique de Singapour [BAC])295. L’Égypte permet la recherche sur le clonage de tissus humains et de cellules à des fins thérapeutiques, tant que les droits et la dignité de l’homme sont respectés296.
On se rend compte à travers cet aperçu de quelques législations nationales, à quel point le clonage thérapeutique est vulgarisé. Par ailleurs, cette approche, parfois improprement appelée « clonage thérapeutique », ne semble pas, pour des raisons économiques, susceptible d’être développée à des fins d’utilisation clinique. La principale objection au « clonage thérapeutique » est qu’il faciliterait le développement du clonage aboutissant à la naissance d’un enfant souvent appelé « clonage reproductif »297.
Dès lors, le terme « thérapeutique » est trompeur, puisque la procédure de clonage elle- même n’a rien de thérapeutique et qu’il n’existe aucune garantie qu’elle aboutira à des résultats utilisables sur le plan thérapeutique. Il serait plus exact de parler de « clonage dans le but d’obtenir des cellules souches » et de même de « clonage dans le but de donner naissance à un enfant » plutôt que de « clonage reproductif »298.
Les possibles incertitudes du clonage thérapeutique n’ont en rien ébranlé l’ardeur des États. Ceux-ci désireux d’obtenir coûte que coûte des résultats vont jusqu’à faire concevoir des embryons humains uniquement pour la recherche.
291 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), op. cit., p 38.
292 Ibid., p. 5.
293 Division de l’éthique des sciences et des technologies. « Législations nationales relatives au clonage humain reproductif et thérapeutique » UNESCO, paris, juillet 2004, p. 10.
294 Ibid., p. 13.
295 Ibid., p. 15.
296 Ibid., p. 8.
297 Division de l’éthique des sciences et des technologies. op. cit., p 31.
298 Comité directeur pour la bioéthique, « la protection de l’embryon humain in vitro », op. cit., p. 31.
B- La constitution d’embryons humains aux fins de recherche
Constituer délibérément un embryon aux fins d’un projet de recherche est interdit par la Convention des droits de l’homme et la biomédecine en son article 18-2. Cela est largement considéré comme inacceptable éthiquement. Cela impliquerait l’utilisation de l’embryon purement comme un moyen en vue d’une fin précise. En effet, la conception d’embryon in vitro, en vue de répondre spécifiquement aux besoins de la recherche constitue une grave atteinte à sa dignité. Dès lors la recherche apparait comme étant son but ultime, sans lequel il ne mériterait pas d’exister. Il devient de ce fait, un moyen en vue de parvenir à un résultat et non une fin en soi.
Si cette interdiction de la Convention d’Oviedo avait été suivie à la lettre, l’on ne serait pas en train d’assister à la production d’embryons in vitro rien que pour satisfaire les besoins de la recherche. L’objectif premier des techniques de PMA est de permettre à des couples stériles d’avoir des enfants et non créer « une banque d’embryons » pour favoriser la recherche. Les partisans de ce procédé allèguent que : « certaines recherches spécifiques bénéficiant à la santé humaine ne peuvent être menées sur des embryons existants et nécessitent la constitution d’embryons en dehors d’un projet parental ». C’est sur cette base et en respectant des critères et des objectifs définis de manière très stricte que le Royaume-Uni et la Belgique ont autorisé la constitution d’embryons à des fins de recherche.
En effet, au Royaume-Uni, depuis 1990, le Human Fertilisation and Embryology Act autorise l’utilisation d’embryons surnuméraires et la création d’embryons à des fins de recherche précises, notamment en matière de procréation et pour le diagnostic de maladies génétiques299. En Belgique, l’article 4 de la loi du 11 mai 2003 relative à la recherche sur les embryons in vitro interdit la constitution d’embryons à des fins de recherche, sauf si l’objectif de la recherche ne peut être atteint par la recherche sur les embryons surnuméraires et cela si la constitution de ces embryons est sujette aux mêmes conditions strictes applicables aux embryons in vitro prévues à l’article 3300.
En septembre 2000, l’Observatoire de droit et de bioéthique de Barcelone s’est toutefois exprimé en faveur de la création d’embryons à des fins de recherche, tant par le biais du don que par des techniques de clonage301. En juillet 2004, le Comité de bioéthique du Conseil des sciences et technologies du Japon a publié un rapport qui conclut que la conception des embryons à des fins de recherche incluant des embryons de clone d’embryons devrait être permise sous de strictes conditions et la création d’un système de monitoring devrait être encouragée302.
299 Actes du Comité International de Bioéthique de l’UNESCO (CIB), op. cit., p. 38.
300 Division de l’éthique des sciences et des technologies. « Législations nationales relatives au clonage humain reproductif et thérapeutique », op. cit., p. 6.
301 Ibid.
« On oublie très facilement que dès que les recherches sur l’embryon sont autorisées, on est forcément amené à « produire » des embryons à des fins de recherche, car ces travaux ont besoin d’un nombre très important d’embryons, des centaines voire des milliers pour chaque projet. Or, il serait très naïf de penser que tous procèdent des embryons surnuméraires des fécondations in vitro effectuées en vue de donner un enfant à un couple. En ce sens, M. Jacques Testart dénonce que s’il y a des embryons disponibles pour la recherche, c’est parce que les droits des patients sont violés »303.
À l’heure actuelle, une part importante des recherches internationales en biologie humaine de la reproduction concerne les stades précoces de la fécondation menant à la conception d’embryons qui devront être analysés par des techniques invasives. La constitution d’embryons fait ainsi partie intégrante de ces recherches ou constitue une étape nécessaire pour l’analyse des résultats de ces recherches. Il est avancé que, dans ces cas, les embryons constitués pourraient être considérés comme ayant été constitués « par la recherche », les différenciant ainsi de ceux constitués « pour la recherche ». Pour certaines personnes, la distinction est importante, certaines estimant que la constitution d’embryons à d’autres fins que la procréation n’est acceptable que dans le contexte de la recherche sur la fécondation304.
Cette distinction ne change rien au fait que les raisons médicales tendent à constituer une excuse pour franchir les limites voulues par tous et énoncées dans bon nombre d’instruments juridiques internationaux. Plusieurs comités de bioéthique nationaux ne cessent d’élaborer des lois contraires aux directives qu’ils ont eux-mêmes prises au sein du CIB. Ainsi peut-on affirmer que le projet parental a servi de base à la légalisation de manipulations auparavant proscrites.
302 Ibid., p. 11.
303 J. TESTART, dans « Discussion on ethical and judicial aspects of embryo research », colloque organisé par R. Edwards, Human Reproduction, février 1989, vol. 4, n° 2, p. 212, cité par R. ANDORNO, op. cit., p. 310.
304 Comité directeur pour la bioéthique, « la protection de l’embryon humain in vitro », op. cit., p. 30.
CONCLUSION
L’analyse portant sur le statut juridique de l’embryon humain permet d’affirmer que l’embryon humain est un individu spécial qui marque le commencement de la vie. De ce fait, sa particularité a pour fondement son développement intrinsèque qui fait de lui un être indépendant, tout en le rendant dépendant de sa mère pour ses besoins vitaux. Ce qui a conduit à une nature juridique assez ambiguë en droit ivoirien. « Personne » par moment, « chose » parfois, l’embryon humain ne cesse d’alimenter les débats. L’hybridité de sa nature se ressent même au niveau de la bioéthique et de la religion. Cela traduit, l’embarras dans lequel cet être les place, en témoigne le fait qu’elles n’ont pas osé l’inscrire dans l’une des catégories de la summa divisio.
Les preuves de la biologie sur l’humanité de l’embryon humain n’ont pas empêché que les droits qui sont liés à ce statut lui soient méconnus. D’autant plus que la PMA s’est avérée être un moyen pour les lui dénier davantage. Déjà à titre prémonitoire, le médecin américain Leon R. Kass considérait en 1985 que : « Il ya toute une série de pratiques dérivées de la fécondation in vitro qui tôt ou tard finiront par se réaliser. Leur dynamisme intrinsèque, de même que de fortes raisons économiques, concourent dans ce sens-là. Parmi ces pratiques, il signale notamment la reproduction d’embryons à l’identique ou clonage, l’établissement de banques d’embryons « améliorés », gérés selon des critères commerciaux plus ou moins manifestes, et le développement d’embryons humains en laboratoire au-delà de l’étape de blastocyste, à laquelle l’on fait actuellement le transfert à l’utérus »305.
Par ailleurs, considérant la vie de tout être humain comme étant sacré, le législateur pénal ivoirien s’est engagé à la protéger en interdisant l’avortement sous peine de sanctions assez sévères. Cependant, il semble avoir manqué sa cible car l’avortement est pratiqué de manière accrue par les femmes et les jeunes filles. En outre, la prise en charge des complications d’avortement engendre un coût élevé pour le système de santé, en grevant son budget et en alourdissant la charge de travail des personnels de santé. Pour mettre fin à ces drames, il a été préconisé une légalisation de l’IVG dans des cas précis. La Côte d’Ivoire y a consenti en ratifiant le Protocole de Maputo et en érigeant un avant-projet de loi sur la santé sexuelle et reproductive. Au regard des critiques dudit protocole, une reconsidération de certaines mesures relatives à l’embryon humain ne serait pas vaine. L’avant-projet est resté silencieux sur un certain nombre de questions d’éthiques auxquels il conviendrait d’apporter des éclaircissements.
305 L. R. KASS, Toward a more Natural Science. Biology and Human Affairs, New York, the Free Press, 1985, p. 115 et s, cité par R. ANDORNO, these, op. cit., p. 10.
L’une des plus grandes menaces dues à l’absence de nature juridique précise de l’embryon humain est l’eugénisme. Lorsqu’il s’est agi de mettre en balance les intérêts de la dignité humaine avec ceux de la liberté de la science, cette dernière l’a emportée à maintes reprises. Dans ce contexte, la finalité ultime de la bioéthique consiste à faire en sorte que les développements biotechnologiques soit subordonnée à la question du sens de la vie humaine, car les techniques ne sont pas des fins en soi ; elles n’existent que pour servir l’être humain, qui demeure le but ultime des institutions sociales et politiques306.
On voit bien que le fond du problème c’est que du moment que l’homme commence à être façonné à l’image « des objets », il risque de voir s’affaiblir sa condition de sujet. C’est pourquoi, l’enjeu de la bioéthique pourrait se résumer en la question suivante : comment faire pour distinguer les technologies qui personnalisent l’homme de celles qui le dépersonnalisent, celles qui le rendent plus libres et celles qui le rendent plus esclaves ? Autrement dit, comment faire pour que l’homme continue à être sujet et ne devienne pas objet ?
306 R. Andorno, « la tâche la plus difficile de la bioéthique », éthique, science et société : Université d’été 2013 du 10 au 12 juin, 11 juin 2013, p. 1.
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