Améliorer la présomption d’innocence : enjeux et propositions juridiques

7 mesures clés pour renforcer la présomption d’innocence en droit

Chapitre 2 : 

Les sanctions envisageables en matière de protection de la présomption d’innocence

L’analyse des sanctions existantes en matière de protection du principe de la présomption d’innocence se révèlent insuffisantes. Il est donc nécessaire de faire des propositions allant dans le sens de l’amélioration des mesures déjà existantes. De ce fait, il est suggéré une amélioration de la protection de la présomption d’innocence. L’amélioration de la protection de la présomption d’innocence passe par le renforcement des mesures d’ordre juridique (Section I) et l’instauration de mesures d’ordre pratique (Section II) en vue.

Section I : Le renforcement des mesures d’ordre juridique

S’il est vrai que la protection de la présomption d’innocence est assurée par les textes, cette protection en l’état actuel du droit positif ne permet pas de faire face efficacement à sa violation par les médias. De ce fait, le renforcement des mesures d’ordre juridique apparaît comme une nécessité. Ceci passe par l’amélioration de la réponse pénale (A) et civile (B).

Paragraphe 1 : L’amélioration de la réponse pénale

Certaines précautions sont édictées par le législateur en vue de sauvegarder le secret professionnel120. Ainsi, l’amélioration de la réponse pénale comme solution au respect du principe de la présomption d’innocence par les médias passe essentiellement par la préservation du secret de l’enquête et de l’instruction (A) et l’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire (B).

A- La préservation du secret de l’enquête et de l’instruction

Le respect de la présomption d’innocence dans le cadre de la procédure pénale pose nécessairement la question du secret de l’enquête et de l’instruction, consacré à l’article art. 12, al. 1 et 2 du code de procédure pénale qui dispose que : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Et toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel ». Ce secret s’impose à toute personne qui concourt à la procédure, ce qui inclut les magistrats, enquêteurs ou experts, et de manière générale, toute personne qualifiée requise par un magistrat ou un officier de police judiciaire.

120 Article 50 alinéa 2 du code de procédure pénal

Si les avocats ne sont pas tenus au secret de l’instruction, des obligations déontologiques et le secret professionnel s’imposent toutefois à eux.

On n’a souvent fait grief au secret de l’instruction pénale d’être attentatoire au droit de la défense. Cette critique n’est pas décisive. En réalité, le procès pénal commence dès l’instruction préparatoire et, souvent même, elle en constitue la phase la plus importante, dans la mesure où les éléments recueillis au cours de l’instruction présentent une importance décisive. On estime aussi que l’abandon du secret pourrait entraîner de sérieux abus si l’opinion publique devait devenir le spectateur privilégié des recherches du juge d’instruction.

Par ailleurs, l’article 12 alinéa 3 du code de procédure pénal121 permet au procureur de la République de rendre public, certains éléments de la procédure, dans des conditions strictes. Il apparaît dès lors qu’il ne s’agit pas d’un secret absolu, dont la conciliation avec d’autres principes, tels que le droit à l’information, peut poser difficulté en pratique. Toutefois, le secret de l’instruction ne saurait être remis en cause, en ce qu’il permet de préserver l’efficacité des investigations, et qu’il participe aussi à garantir la présomption d’innocence. Néanmoins, les violations du secret de l’instruction donnent rarement lieu à des poursuites, l’identification des personnes à l’origine de la violation du secret étant souvent difficile, notamment en raison du secret des sources.

121 «…Toutefois, afin d’éviter la prolifération d’informations parcellaires ou inexistantes, ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public, le Procureur de la République rend publics les éléments objectifs tirés de la procédure et ne compromettant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ».

Pour autant, il résulte de plusieurs auditions de hauts magistrats122 que les violations de ce secret imposent une attention particulière de la part du procureur de la République et doivent donner lieu à des enquêtes, qui, même si elles aboutissent peu, permettent de rappeler que ces manquements ne sont pas tolérés par l’institution judiciaire.

Il est également indispensable, lorsque les violations sont avérées, que des sanctions pénales et disciplinaires adaptées soient envisagées.

Le renforcement de la réponse pénale passe également par l’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire.

B- L’introduction d’une publicité strictement encadrée dans le cadre de l’information judiciaire

Sans remettre en cause le principe du secret de l’enquête et de l’instruction, il apparaît que l’introduction d’une certaine publicité dans le cadre de l’information judiciaire, de manière strictement encadrée, est susceptible de faire cesser les atteintes à la présomption d’innocence. En effet, l’article 218 du code de procédure pénale, qui prévoit que les débats devant la chambre de l’instruction se déroulent en chambre du conseil, autorise déjà une certaine publicité, à la demande de la personne mise en examen ou de son avocat sauf si la publicité est de nature à entraver les investigations spécifiques nécessitées par l’instruction ou à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d’un tiers. Aussi, il est estimé qu’un élargissement de la publicité pouvait être souhaitable en introduisant un motif lié à la préservation de la présomption d’innocence rendant nécessaire la publicité des débats.

En l’état actuel du droit positif, la presse quotidienne n’assiste pas à ces audiences qui sont pourtant de nature à fournir des informations objectives et précises sur les affaires en cours. Par ailleurs, il a été constaté que la durée des dossiers d’information judiciaire et l’affaiblissement de l’intérêt de l’opinion

122 GUIGOU (E.), « La présomption d’innocence : un défi pour l ’Etat de droit », Rapport du groupe de travail sur la présomption d’innocence, Octobre 2021, page 59.

publique et des médias pour la procédure au fil du temps favorisaient les atteintes à la présomption d’innocence. En effet, l’emballement médiatique se tarissant souvent après l’ouverture d’information, les médias couvrent de manière moins assidue les suites de la procédure. Plusieurs journalistes et organes de presse ont expliqué que le secret de l’enquête et de l’instruction compliquait la couverture des affaires ouvertes à l’instruction123. Or, de longs mois peuvent s’écouler avant que la situation pénale de la personne soit définitivement jugée.

Dans ce contexte, il serait intéressant d’envisager un mécanisme permettant au magistrat instructeur et à la chambre de l’instruction, spontanément ou à la demande du ministère public, de publier, avec l’accord de la personne concernée, intégralement ou en partie une décision de non-lieu, ou un communiqué pour faire connaître cette décision.

Ainsi, le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction pourrait, en l’occurrence, ordonner la publication de la décision de non‐lieu, sauf opposition de la personne concernée. Cette obligation ne s’imposerait que lorsque le mis en cause serait placé sous le statut de mis en examen et non de témoin assisté. Cette obligation aurait une vertu pédagogique envers les médias et le public.

Par ailleurs, si l’amélioration de la réponse pénale face à la violation de la présomption d’innocence par les médias est une nécessité, l’amélioration de la réponse civile est tout aussi primordiale.

Paragraphe 2 : L’amélioration de la réponse civile

Il n’existe pas en l’état actuel du droit positif, une hiérarchie formelle entre le droit à l’information et la présomption d’innocence. Il faudrait hiérarchiser ces deux droits en conflit. Aussi, la doctrine développe l’idée de la consécration de la responsabilité de l’Etat. Une telle hypothèse n’est pas illusoire à notre avis. Ainsi, l’amélioration de la réponse civile pourrait passer par la hiérarchisation des droits en conflits (A) et la consécration de la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable (B).

123 GUIGOU (E.), « La présomption d’innocence : un défi pour l ’Etat de droit », Rapport du groupe de travail sur la présomption d’innocence, Octobre 2021, page 59.

A- La nécessaire hiérarchisation des droits en conflit

Plus qu’une réalité factuelle, le principe de la présomption d’innocence imprègne la procédure pénale en imposant à tous les stades de la procédure, le doute nécessaire afin d’arriver à un degré de certitude permettant d’éviter les erreurs judiciaires. Plus qu’une garantie des droits de la personne soupçonnée de la commission d’une infraction, ce principe doit être regardé comme un idéal à rechercher.

Ainsi, une analyse du droit positif permet de se rendre compte qu’il existe une hiérarchisation implicite des droits au profit de la présomption d’innocence.

La législation actuelle semble restreindre la portée du droit à l’information aux moyens de certains mécanismes qui donne une certaine primauté à la présomption d’innocence sur le droit à l’information. De nombreux instruments de protection des libertés permettent de procéder à la vérification d’une telle hypothèse.

En premier lieu, la loi organique relative à la HAAC qui dispose en son article 3 que : « L’exercice des libertés reconnues aux articles précédents ne peut connaître des limites que dans les cas suivants :

-le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion… »124 . Dans cette disposition, il en ressort que la liberté de la presse et le droit à l’information ne peuvent en aucun cas porter atteinte à la dignité humaine. Il s’en dégage une limitation du droit à l’information par la dignité humaine protégée par la présomption d’innocence. Ce faisant, le législateur a implicitement fait de la présomption d’innocence une limite indispensable au droit à l’information. Et sans en avoir peut être pris entièrement conscience, il place la présomption d’innocence au-dessus du droit à l’information.

124 Loi organique n°92-021 du 21 Août 1992 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication

En second lieu, la limitation nécessaire du droit à l’information pouvant s’interpréter comme une sorte d’hiérarchisation des droits au profit de la présomption d’innocence se déduit d’une autre disposition. Il s’agit de l’article 93 de la loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin qui dispose qu’ «il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audiencepublique… ».Unetelledispositionprivilégieclairementla protection de présomption d’innocence au détriment du droit à l’information. En effet, en interdisant toute publication d’actes d’accusation et de procédure dans une affaire criminelle ou correctionnelle, le législateur est entrain de limiter le droit à l’information car le fait de publier lesdits actes avant tout jugement peut conduire l’opinion publique à se faire une idée préconçue de la culpabilité des suspects.

De plus, les sujets destinataires de la présomption d’innocence sont déterminés avec plus de précision que ceux destinataires du droit à l’information. On s’acharne en effet à dire que l’opinion publique a droit à l’information. Or l’opinion publique est virtuelle. Qui a qualité pour exercer l’action en justice lorsque des informations ne sont pas publiées ou diffusées sur les ondes ? Et une telle action sera exercée contre qui ? Elle aboutira à quelle forme de sanction ? Peut-on contraindre la presse à divulguer toutes les informations ? Si de telles questions se ressentent dans l’exercice de l’action en justice relativement au droit à l’information, de telles questions ne se posent pas dans le cadre de la violation du droit à la présomption d’innocence.

C’est le suspect qui est la victime de la violation et les règles qui entourent la réparation de celle-ci sont claires et expressément prévus.125 L’article préliminaire de notre code de procédure pénale dispose que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Les atteintes portées à sa présomption d’innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

Toutefois, au-delà d’une primauté retrouvée par déduction implicite ou interprétation des textes, il serait plus judicieux de clairement l’exprimer par des dispositions pratiques. Ainsi, la présomption d’innocence doit primer sur le droit à l’information. Une telle primauté, loin d’être déduite implicitement des textes, doit au contraire être expressément consacrée donc affirmée. Faire le choix d’une primauté de la présomption d’innocence sur le droit à l’information et non à l’inverse n’est pas arbitraire car l’affirmation nécessaire de la primauté semble bien justifiée.

Examinons à présent, l’hypothèse de la consécration de la responsabilité de l’Etat.

B- La consécration de la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable

Selon un courant de pensée, les Etats peuvent voir leur responsabilité engagée non seulement par les conférences de presse provoquées par leurs organes126 mais également par celles orchestrées par des organes de presse privés, dont les effets seraient d’affecter l’équité de la procédure en amenant tant la population que les magistrats à avoir un préjugé défavorable à l’égard du prévenu. Cette responsabilité découle de l’obligation positive qu’ont les Etats de garantir un procès équitable, car la violation par un journaliste ou un organe de presse privé, d’un droit fondamental, tel que la présomption d’innocence engage la responsabilité de l’Etat en ce qu’il est resté en défaut de l’assurer à la victime, du fait de son abstention.

125 DJIKUI (C.), La présomption d’innocence et le droit à l’information, mémoire de DEA, Droit Privé Fondamental, Université de Lomé, 2008-2009, page 53.

126 CEDH, arrêt Allenet de Ribermont c. France du 10 février 1995.

La Cour Européenne des droits de l’Homme a admis que si en vertu de l’article 19 de la Convention Européenne, la responsabilité des médias ne saurait être directement mise en cause devant elle, celle de l’Etat pouvait l’être du fait des médias lorsqu’il existe un comportement ou omission coupables de sa part127. S’agissant de l’attitude de la presse, le prévenu doit établir qu’elle a eu une influence quelconque sur le dénouement de la cause, notamment par la démonstration de ce que les juges, en s’acquittant de leurs tâches, seraient partis de la conviction ou de la supposition qu’il aurait commis les actes dont il était accusé ou de ce que la preuve de sa culpabilité n’a pas été à la charge de l’accusation.

L’Etat est responsable de la méconnaissance de la présomption d’innocence et de l’atteinte à la réputation d’une personne mise en cause par l’enquête du fait de la communication du personnel d’escorte de la police qui, manquant à ses devoirs, facilite la prise de photos susceptible de nuire au prévenu en favorisant ainsi une campagne de presse hostile128.

Ainsi, la violation de l’officier de police du secret et celle des magistrats professionnels à l’occasion du fonctionnement du service public de la justice et portant préjudice à la présomption d’innocence doivent être considérés comme une faute professionnelle imputable à l’Etat car « l’Etat fait corps avec son juge comme avec son fonctionnaire »129. Le législateur béninois pourrait ainsi s’inspirer de ces réflexions et consacrer la responsabilité de l’Etat fondée sur les exigences du procès équitable

Au-delà des mesures d’ordre juridique, des mesures d’ordre pratique peuvent également être envisagés.

127 CEDH Claes et crts c. Belgique du 2 Juin 2005.

128 Comm. EDH, décision Bricmont c. Belgique du 15 Juillet 1986, Annuaire, 1967, p.177.

129 GARAPON (A.), « les nouvelles responsabilités de la justice » in les juges. Un pouvoir irresponsable ?, Paris, éditions Nicolas Philippe, 2003, page 9-10.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La présomption d'innocence à l'épreuve des médias
Université 🏫: Université d’Abomey-Calavi - Faculté de droit et de science politique
Auteur·trice·s 🎓:
Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master II Droit et Institutions Judiciaires - Ecole doctorale des sciences juridique politique et administrative - 2020 – 2021
Juriste (Droit Privé) .
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