«5 clés pour comprendre les avancées du code numérique au Bénin»

Les avancées du code numérique au Bénin : adaptation et sanctions
Section II : Les avancées notables du code du numérique

Le législateur béninois veille régulièrement à traduire tant dans la loi pénale que dans les règles de procédure les conséquences prévisibles du numérique112. A cet effet, il a prévu les infractions de presse par le biais d’une communication électronique (Paragraphe 1) ainsi que les modalités de leur poursuite (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Les infractions de presse par le biais d’une communication électronique

La plupart des grandes découvertes technologiques ont presque toujours engendré, à côté des progrès économiques qu’elles procurent à l’humanité, des retombées négatives. Parmi lesquelles figure en bonne place l’avènement de nouvelles formes de criminalité. Le numérique n’échappe pas à cette loi sociologique du développement. L’on peut se poser quelques questions légitimes. Comment le droit positif béninois, par le truchement du code du numérique et du code pénal, appréhende-t-il ces phénomènes ? Dispose-t-il d’armes efficaces ? Autrement dit, a-t-il su s’adapter à la « révolution numérique » ?113 En ce qui concerne les infractions de presse par le biais d’une communication électronique, le législateur béninois a fait preuve d’adaptation en instaurant dans le code du numérique, d’une part les sanctions liées aux publications sans source et d’autre part les sanctions tenant à la divulgation des détails d’une enquête.

112 ADAMOU (M.), « Les infractions à caractère numérique au regard de l’évolution récente du droit positif béninois», Actualité du droit Afrique, novembre 2018, introduction.

113 ADAMOU (M.), « Les infractions à caractère numérique au regard de l’évolution récente du droit positif béninois», Actualité du droit Afrique, novembre 2018, page 4.

A- Les sanctions liées aux publications sans source

La recherche de la justice et de la vérité passe toujours par la conquête de l’information. La diffusion de l’information a pendant longtemps été effectuée par le biais de moyens classiques de publication notamment les pratiques de bouche à oreille, la radio ou encore la télé. Mais avec l’essor de l’internet les choses ont changé. Une information publiée via internet notamment au travers des réseaux sociaux est plus virale que jamais. De par son ampleur, la publication sur internet peut s’avérer très bénéfique mais parfois source de conflits. C’est en ce sens qu’il est élaboré par chaque Etat une norme de règlementation de toutes les activités numériques ayant lieu sur son territoire. Au Bénin, ladite norme est la loi n°2017-20 du 20 avril 2018 portant code du numérique en République du Bénin. Cette loi règlemente et sanctionne au besoin toutes sortes de publications sans sources et toutes autres infractions commises sur ou via l’internet ou les réseaux sociaux. Mais dans le cadre de cette réflexion, l’accent est mis sur les publications sans source et surtout sur les différentes sanctions prévues par le code numérique à leur encontre. Le législateur du code du numérique béninois n’ayant point défini ce que c’est qu’une publication sans source, nous la considérons ici comme une fausse publication ou encore une fausse information.

Une fausse information ou publication est entendue comme une information sans source ou n’ayant que des sources non-recevables.

Une sanction désigne l’élément essentiel au caractère normatif d’une règle, une mesure de contrainte accompagnant toute règle de droit (constituant le critère distinctif du droit et de la morale), une mesure de réaction à une violation de la légalité (peine, nullité, déchéance, caducité, etc) ou encore une mesure de réaction à la violation d’une obligation.

Le mot ‘’publication’’ désigne ici l’action de rendre publique, de diffuser une information. Quant au mot ‘‘source’’, il désigne l’origine, le fondement

d’un fait, d’une information. Le régime de sanctions spécifiquement applicables aux professionnels des médias est logé dans l’article 558 de la loi n° 2017-20 portant code du numérique.

D’après cette disposition, « une personne qui commet une infraction de presse, notamment une diffamation, une injure publique, une apologie de crime, par le biais d’un moyen de communication électronique public, est punie des mêmes peines que celles prévues par la loi n° 2015-07 du 20 mars 2015 portant code de l’information et de la communication en vigueur, quel qu’en soit le support ».

Par cette formulation, le législateur renvoie les sanctions aux articles 30 alinéa 3, 33 et 268 du code de l’information et de la communication qui instaurent les obligations du professionnel des médias. Ainsi, d’après l’article 30 alinéa 3 de cette loi, « le journaliste ne doit céder à aucune pression tendant à corrompre l’exactitude de l’information. Il ne publie que les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont établies et vérifiées. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir de toute publication ou à émettre les réserves nécessaires dans les formes professionnelles requises ». S’agissant de l’article 33 de ladite loi, « les nouvelles et informations publiées, de bonne foi, doivent être spontanément rectifiées par le journaliste, dès lors que celles-ci se révèlent fausses ou inexactes ». Le législateur fait ainsi obligation à tout professionnel de bonne foi qui publie des informations fausses de les corriger dès l’instant où il a connaissance du caractère inexact desdites informations. Le professionnel de bonne foi peut ici être vu comme le journaliste qui a rendu public des informations avec la certitude que celles- ci étaient avérées. Il reviendra au juge d’apprécier cette bonne foi et d’en tirer les conséquences.

Pour finir, il y a lieu de se référer également à l’article 268 qui dispose que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou

à la considération d’une personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.

La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable même si elle est faite sous la forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, des cris, des menaces, des écrits ou des imprimés, des placards ou des affiches incriminés ».

En outre, le code du numérique prévoit des sanctions liées à la divulgation des détails d’une enquête.

B- Les sanctions tenant à la divulgation des détails d’une enquête

Si la justice de l’ancien régime était totalement secrète, l’opinion publique a commencé à s’intéresser à la justice au 18ème siècle pour donner naissance aujourd’hui à un véritable phénomène de société. Le secret de l’instruction, garant de la présomption d’innocence en matière pénale, constitue donc une limite au droit à l’information et un délit pénal114.

La question du secret de l’instruction pénale est un thème d’actualité vu que les médias révèlent de manière quotidienne des informations relatives à différents types d’affaires et de procédures pénales en cours.

En effet, le secret de l’instruction est destiné à protéger une enquête en cours et à préserver la présomption d’innocence. En principe, seules les personnes qui concourent à la procédure sont tenues au secret professionnel, à savoir les magistrats, greffiers, policiers, experts judiciaires.

Le secret professionnel ne concerne donc pas la personne mise en examen, la victime d’une infraction pénale et les journalistes. Toutefois, bien que les journalistes ne soient pas légalement tenus de révéler leurs sources, les

114 Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Et toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel (art. 12, al. 1 et 2 loi n° 2018-14).

juges considèrent que la publication d’informations obtenues grâce au recel de la violation du secret de l’enquête est punissable.

Le législateur béninois tient compte de cette réalité en érigeant en infraction dans le code du numérique la divulgation des détails d’une enquête. Ainsi, est puni d’un emprisonnement de un (01) mois à deux (02) ans, ou d’une amende maximale de cinq millions (5 000 000) de francs CFA ou de l’une de ces peines seulement, un fournisseur de services qui, dans le cadre d’une enquête pénale, reçoit une injonction stipulant explicitement que la confidentialité doit être maintenue, ou lorsqu’une telle obligation est énoncée par la loi, et qui, sans motif ou justification légitime, ou en se prévalant à tort d’un motif ou d’une justification légitime, divulgue de manière intentionnelle.

De l’analyse de cette disposition, il ressort que l’infraction de divulgation des détails d’une enquête concerne un fournisseur de services, ce qui inclut la presse en ligne. Que ce fournisseur de services ait reçue une injonction l’invitant explicitement à maintenir la confidentialité ou qu’une telle obligation est énoncée par la loi. Dans la seconde hypothèse, tel semble bien être le cas dans la mesure où le code pénal et le code de procédure pénal prescrivent le respect du secret de l’instruction. Ceci semble être une avancée considérable du code du numérique. Une fois constituée, il est opportun de s’intéresser à la poursuite des infractions de presse par le biais d’une communication électronique.
Paragraphe 2 : La poursuite des infractions de presse par le biais d’une communication électronique

Le passage du papier au numérique a révélé de nombreuses divergences, entre le monde « en ligne » et le monde hors « ligne », requérant une adaptation en profondeur de l’architecture juridique.115 Ainsi, si la prééminence de l’écrit sous forme papier comme mode de preuve subsiste, le

115 ADAMOU (M.), « La valeur de l’écrit électronique UEMOA», publié au Penant n°877, octobre- décembre 2011, page 9.

législateur béninois à travers le code du numérique reconnait dorénavant l’écrit sous forme électronique comme mode de preuve (A). Toutefois les règles de constatation et de poursuite des infractions de presse par le biais d’une communication électronique est partagée entre le code du numérique et le code de procédure pénale (B).

A- La reconnaissance de la valeur probatoire de l’écrit sous forme électronique

La question de la preuve revêt une importance capitale. En effet, le succès d’une action en justice dépend de la légitimité de ses prétentions.

Classiquement, il existe plusieurs moyens de preuve dont l’aveu, la preuve écrite (procès-verbal, rapport, etc.), l’expertise.

Face à l’immatériel, le droit doit s’adapter. C’est pourquoi, le code du numérique en son article 557 admet l’écrit sous forme électronique comme mode de preuve au même titre que le support et lui confère même force probante, à condition de pouvoir identifier clairement la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans les conditions de nature à en garantir l’intégrité et la pérennité. Ce faisant le législateur béninois fait preuve d’innovation dans la mesure où l’écrit sous forme électronique a la même valeur que l’écrit sous forme papier.

Néanmoins, il assortit la recevabilité de l’écrit électronique comme mode de preuve sous réserve de deux conditions, à savoir l’intégrité et la pérennité.

Si en matière d’écrit sur papier, c’est celui qui invoque un écrit ou qui le produit en preuve qui a le fardeau d’en prouver l’authenticité, en matière d’écrit sous forme électronique l’intégrité et la pérennité sont exigés.

Le législateur ne définit pas les notions d’intégrité et de pérennité. Cependant, la notion classique d’authenticité comporte deux volets. On qualifie d’authentique un écrit, d’une part, dont la source apparente est la source réelle, c’est-à-dire qu’il a véritablement été fait et signé par la

personne identifiée et, d’autre part, qu’il n’a pas été altéré, c’est-à-dire qui est dans le même état qu’au moment où il a été signé116.

Pour que l’intégrité d’un document électronique soit prouvée, une simple constatation ne suffit pas. L’intégrité est assurée lorsque l’information n’a pas été altérée, qu’elle est maintenue dans son intégralité et que le support sur lequel l’information se trouve lui apporte une stabilité et une pérennité. La qualité de l’information et le support sont les deux aspects importants117. Par conséquent, pour être admis comme preuve, le juge doit d’abord pouvoir connaître l’origine de l’écrit sous forme électronique c’est-à-dire identifier son auteur (personne physique ou morale qui porte la responsabilité du document numérique), ensuite s’assurer qu’il existe un lien entre le contenu du document numérique et son destinataire et enfin vérifier que le document a été conservé de manière intègre.

Si le code du numérique prévoit les infractions de presse par le biais d’une communication électronique, la constatation et la poursuite desdites infractions n’est pas de son ressort exclusif. Il opère aussi un renvoi vers les dispositions du code de procédure pénale.

B- Le renvoi à l’application du code de procédure pénale

Le traitement des affaires relatives aux infractions de presse en ligne est particulièrement difficile pour de nombreuses raisons. En effet, internet n’est pas un organisme facilement identifiable qui est administré ou réglementé dans les limites de paramètres ou de frontières strictes reconnues au niveau international. L’environnement en ligne peut rendre plus difficile l’identification ou la recherche des auteurs, et les victimes peuvent vouloir envisager de poursuivre l’auteur ou l’opérateur du système. En outre, il peut être difficile de déterminer la compétence du tribunal pour connaître de

116 FABIEN (C.), « La preuve par document technologique », R.J.T., 2004, page 40.

117 DINU (I.), « Droit de la preuve appliqué au commerce électronique au Canada, droit civil / common law. », Lex Electronica, vol. 11 n°1 (Printemps / Spring 2006) in http://www.lex- electronica.org/articles/v11-1/dinu.htm.

l’affaire, car les messages peuvent être postés depuis le monde entier et les parties à un litige peuvent provenir de juridictions différentes et se trouver dans des juridictions différentes, ou le message peut avoir été posté entièrement ailleurs.

Aux termes de l’article 578 du code du numérique, les infractions sont constatées et poursuivies conformément aux dispositions du code de procédure pénale et du numérique.

En effet, les infractions numériques obéissent à un régime spécial des enquêtes en situation de flagrance ou non. Celles-ci sont en effet constatées par les officiers de police judiciaire, policiers ou gendarmes qui bénéficient toutefois de formations spécialisées118. La spécificité des infractions numériques conduit à la mise en œuvre des techniques particulières d’investigation et à la participation d’experts dans le cadre des perquisitions (locaux, systèmes) et des saisies. Les interpellations et les auditions subséquentes quant à elles se font de manière classique.

Toutefois, le code de procédure pénale en son article 59 alinéa 2 interdit la garde à vue en matière d’infractions commises par voie de presse ou par moyen de communication audiovisuelle. Il en est de même de l’article 71 qui interdit le placement en détention provisoire, en matière de délit de presse.

L’article 108 du code de procédure pénale prescrit qu’en matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est au moins égale à trois (03) ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transmission de correspondances émises par la voie des télécommunications.

Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle. La décision d’interception est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et par suite n’est susceptible d’aucun recours.

118 ADAMOU (M.), « Les infractions à caractère numérique au regard de l’évolution récente du droit positif béninois», Actualité du droit Afrique, novembre 2018, page 20.

La décision doit comporter tous les éléments d’identification de la liaison à intercepter, l’infraction qui motive le recours à l’interception ainsi que la durée de celle-ci. Cette décision est prise pour une durée maximum de six (06) mois. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée. Le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire commis par lui peut requérir tout agent qualifié d’un service, organisme placé sous l’autorité ou la tutelle du ministre chargée des télécommunications ou tout agent qualifié d’un exploitant de réseau ou fournisseur de service de télécommunications autorisé, en vue de procéder à l’installation d’un dispositif d’interception.

La constatation des infractions de presse par le biais d’une communication électronique comme mentionné plus haut se fait par la présentation d’un écrit sous forme électronique authentique, non altéré.

Une fois l’infraction constatée, elle est connue par la juridiction compétente119.

Si ces avancées sont louables, il n’en demeure pas moins qu’il existe un écart croissant entre la constante évolution de la protection juridique de la présomption d’innocence et la réalité de l’inflation préoccupante des violations dont elle fait l’objet. Cette situation interpelle et fait appel à une nécessité d’amélioration de la protection de la présomption d’innocence.

119 C’est la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) qui s’est prononcée sur la question des fausses informations notamment dans l’affaire IGNACE SOSSOU. La CRIET est créée par la loi n° 2018-13 du 10 juillet 2018, modifiant et complétant la loi n° 2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire en République du Bénin modifiée et création de la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme. La CRIET est une juridiction spéciale à compétence nationale, instituée pour connaître du crime de terrorisme, des délits ou crimes à caractère économique ainsi que du trafic de stupéfiants et des infractions connexes (art. 5 al. 2 loi n° 2018-13).

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La présomption d'innocence à l'épreuve des médias
Université 🏫: Université d’Abomey-Calavi - Faculté de droit et de science politique
Auteur·trice·s 🎓:
Luc ODUNLAMI

Luc ODUNLAMI
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master II Droit et Institutions Judiciaires - Ecole doctorale des sciences juridique politique et administrative - 2020 – 2021
Juriste (Droit Privé) .
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