Décryptage en 8 thèmes : résistances et perceptions de l’épidémie d’Ebola

Chapitre IV : RESULTATS

 

Cette section porte sur les résultats de notre étude. Nous y présentons d’abord les caractéristiques permettant l’identification des participants, puis les différents thèmes qui ont émergé de l’analyse inductive des entretiens.

Caractéristiques des participants

 

Chaque participant informateur clé a été identifié par l’indice « IC » pour « Informateurs clé » suivi d’un numéro d’ordre puis un tiret suivi d’une abréviation de sa catégorie. Au total, nous avons interviewé 10 informateurs clés dans le cadre de cette étude. (Voir tableau 4 ci-dessous).

Tableau 4: Caractéristiques des informateurs clés

 

NoAgeSexeCatégorie
158 ansMAutorité politique
263 ansMAutorité sanitaire
332 ansMAutorité scolaire
429 ansMSociété civile
549 ansFAssociations féminines
654 ansFEglise Catholique
764 ansMEglise Protestante
840 ansMEglise Adventiste
929 ansMMouvements citoyens
1027 ansMAssociations de la jeunesse

 

Chaque participant de focus groupe a été identifié par l’indice « FG » pour « Focus groupe » suivi d’un tiret puis l’abréviation de sa catégorie terminée par la lettre « P » pour Participant et le numéro d’ordre dans la séance de discussion. Dans le cadre de cette étude, nous avons organisé 4 focus groupes avec 10 participants chacun, soit au total 40 participants. (Voir tableau 5 ci-dessous).

Tableau 5 : Caractéristiques des participants des focus groupes

 

NoCatégoriesAgesIdentifiants des 10 participants
1Filles18 à 25 ansFG-FiP1, FG-FiP2, FG-FiP3, FG-FiP4, FG-FiP5, FG-FiP6,

FG-FiP7, FG-FiP8, FG-FiP9, FG-FiP10

2Garçons18 à 25 ansFG-GaP1, FG-GaP2, FG-GaP3, FG-GaP4, FG-GaP5,

FG-GaP6, FG-GaP7, FG-GaP8, FG-GaP9, FG-GaP10

3FemmesPlus de 25 ansFG-FeP1, FG-FeP2, FG-FeP3, FG-FeP4, FG-FeP5, FG-FeP6,

FG-FeP7, FG-FeP8, FG-FeP9, FG-FeP10

4HommesPlus de 25 ansFG-HoP1, FG-HoP2, FG-HoP3, FG-HoP4, FG-HoP5,

FG-HoP6, FG-HoP7, FG-HoP8, FG-HoP9, FG-HoP10

 

Présentation thématique des résultats

 

Les résultats présentés dans cette partie de notre mémoire sont les thèmes découlant de l’analyse inductive des perceptions de tous les participants sur les facteurs ayant favorisé la survenue des résistances communautaires lors de la riposte contre la dixième épidémie de maladie à virus Ebola en ville de Butembo.

Nous avons retenu au total 8 thèmes induits qui se sont dégagés de l’analyse des entretiens avec les participants et autour desquels se cristallisent les facteurs favorisants des résistances communautaires lors de la riposte contre la dixième épidémie de maladie à virus Ebola en ville de Butembo.

Origine de la maladie

Lorsqu’on fouille dans la perception des participants sur la dixième épidémie de maladie à virus Ebola en ville de Butembo, on s’aperçoit que le manque d’une définition consensuelle sur l’origine de la maladie était un élément à la base de l’incompréhension entre la population et les équipes de riposte. Il y a une grande divergence des points de vue de la population dont pour certains, jusqu’à ce jour, ils n’ont pas encore compris l’origine de cette épidémie.

Un participant s’exprime comme suit relativement à l’origine de la maladie à virus Ebola : « Moi j’ai considéré ça comme une maladie imaginaire et je n’ai jamais compris son origine » (Répondant IC1_APA).

Un autre participant renchérit sur ce thème ainsi : « Vraiment, c’était du jamais vu et entendu car nous ne savions pas de quoi il s’agit, et aussi les prestataires ne nous expliquaient pas » (Répondant FG-GaP10).

Un troisième participant dit ceci : « Il y a eu trop de résistance de la population contre les équipes de riposte et celle-ci était causée par la façon dont on traitait les malades, mais aussi la population n’était pas bien informée et sensibilisée pour comprendre la maladie. » (Répondant IC10_ASOJE)

Acceptation de la maladie

Il est ressorti des entretiens avec les participants que la population n’a pas du tout accepté la maladie au début de la dixième épidémie de la MVE en ville de Butembo. Dans le discours de tous nos informateurs clés et les participants des focus groupes, il transparait que la population n’était pas bien informée pour comprendre la maladie à virus Ebola. La similitude des tableaux cliniques que présentaient les patients d’Ebola avec d’autres pathologies courantes comme le paludisme, la fièvre typhoïde ou la dysenterie a créé une confusion dans la compréhension de la population. Certaines personnes s’attendaient à observer des hémorragies mais très peu des cas ont présenté ce tableau hémorragique. Ce manque d’acceptation de la maladie a certainement joué un rôle dans la genèse des résistances communautaires lors de la riposte contre la dixième épidémie de maladie à virus Ebola en ville de Butembo tel que nous le constatons dans les propos des participants à l’étude.

Relativement à ce thème, un participant s’exprime comme suit : « On nous disait que la maladie était venue de XX (un lieu) à partir des chauves-souris et la population n’a pas facilement cru à l’existence de la maladie car les chauve-souris ne sont pas consommées ici chez nous. » (Répondant IC6_ CATHO).

Un autre participant ajoute : « La maladie est venu de XX (un lieu) pour arriver à Butembo et on nous disait qu’elle provenait d’un virus qu’on appelle Ebola et c’est un animal que les gens ont manipulé et consommé à XX (un lieu). La population doutait toujours de l’existence de cette maladie, » (Répondant IC3_AUTSC).

Recrutement des personnes étrangères

L’analyse thématique des entretiens des focus groupes et des informateurs clés nous a aussi permis de relever que les équipes de la riposte comprenaient des personnes étrangères à la communauté. Associé aux deux autres éléments ci-haut, ce facteur a certainement joué un rôle prépondérant dans le déclenchement des résistances communautaires. Les participants avouent que certaines personnes déployées dans leur quartier pour faire la sensibilisation parlaient Lingala, une langue non maitrisée par eux. Ils affirment également que les RECO de leur Aire de santé qu’ils avaient

toujours reçus lors des épidémies précédentes n’avaient pas été impliqués dans la riposte contre cette dixième épidémie d’Ebola en RDC.

Un participant aborde cette question comme suit : « On avait amené des équipes étrangères qui ne connaissaient même pas la langue locale. Ici à YY (un lieu) nous avons eu trop de résistance. La population a résisté aux équipes de riposte car elle a constaté qu’on a utilisé dans la riposte des personnes incompétentes qui n’étaient pas du domaine mais aussi des étrangers étaient mieux engagés et payés que les locaux » (Répondant FG-GaP9).

Un autre participant dit ceci : « … et les équipes de riposte étant constituées par beaucoup d’étrangers, » (Répondant IC6_ CATHO).

Un troisième participant a déclaré ce qui suit à propos de ce thème : « On a utilisé des personnes non qualifiées et incompétentes qui ne sont pas du domaine de la santé » (Répondant IC10_ASOJE).

Un autre informateur clé renchérit : « Il y a eu trop de résistance contre les équipes de la riposte car la population n’était pas bien sensibilisée, les équipes chargées de sensibiliser étant sous qualifiées et mal formées, ils ont été recrutés en désordre créant trop d’incompréhension et de résistance. » (IC7_PROT).

Recours aux agents de l’ordre

D’après les participants à l’étude, l’autre élément ayant joué un grand rôle dans le déclenchement des résistances communautaires lors de la riposte contre la dixième épidémie de maladie à virus Ebola en ville de Butembo est le recours aux forces de l’ordre.

Nous avons constaté que la présence des militaires et policiers dans les équipes de riposte a été très mal perçue par la population.

Un participant revient sur ce facteur en ces termes : « … la façon dont les prestataires venaient prendre les malades avec brutalité sans collaboration avec la famille et en même temps les équipes de riposte se faisaient accompagné par des policiers nous a révolté. » (Répondant FG-FiP1)

Un autre participant fait part de cet élément en disant : « Dans notre communauté, nous on voit les militaires comme des ennemies, mais on venait prendre un cas dépisté avec 4 véhicules accompagnés par les policiers. Les policiers matraquaient la population qui ne respectait pas les mesures d’hygiène » (Répondant FG-GaP9)

Un autre participant déclare : « si le voisin arrive chez vous il vous demande et vous lui dites que vous avez mal à la tête, d’un coup vous voyez les véhicules de militaires et policiers et vous vous

demandez si seulement à cause de vous qu’il y a cette mobilisation on disait si vous querellez avec ces gens c’est tout le quartier qui sera décimé. » (Répondant FG-FeP2)

Décontamination des ménages

La décontamination des ménages ainsi que les autres activités qui étaient réalisées autour des cas confirmés pour interrompre la chaine de transmission de la maladie ont été également évoquées par les participants à l’étude comme un autre élément à la base des résistances communautaires. Les participants affirment que la population s’opposait à la pulvérisation des maisons en pensant que les produits utilisés contiennent le virus Ebola et que les équipes veulent introduire ce virus dans leurs maisons pour que les gens tombent malades. D’autres ont parlé des comprimés jetés dans les toilettes pour que tous ceux qui utilisent ces toilettes contractent la maladie. D’autres encore ont parlé des biens de valeur qui étaient brulés par les équipes de la riposte dans les ménages où les cas positifs étaient dépistés.

Un participant revient sur ce facteur en ces termes : « On mettait des comprimés dans nos WC sans nous expliquer et sans nous expliquer. » (Répondant FG-GaP5)

Un autre participant dit ceci à ce propos : « Là chez nous, on avait caillassé les agents de riposte qui pulvérisaient leurs produits dans les maisons. » (Répondant IC5_ASOFEM)

Peur d’être transféré au CTE

Un autre facteur qui transparait du discours des participants à l’étude et qui, d’après eux, a contribué à générer des résistances communautaires au sein de la population est la peur d’être transféré au centre de traitement Ebola (CTE). Lorsque les participants sont questionnés sur les soins des patients au CTE, ils rapportent tous que la population considérait le CTE comme un mouroir. Cette peur d’être transféré a occasionné beaucoup d’autres comportements à risque tels que la séquestration des malades dans les ménages, le recours à l’automédication, la consultation des tradipraticiens ; …

Un participant du focus groupe des femmes aborde ce thème en ces mots : « Trop de décès matin, midi et soir, avant on tombait malade et on guérissait mais avec le CTE la personne ne faisait même pas une ou deux heures et on apprend que celui qui a été transféré est décédé. » (Répondant FG-FeP8)

Un autre participant dit ceci : « Ce qui nous a étonnés c’est la construction du CTE dans un bref délai, la fabrication des cercueils et des tombes avant même que les malades commencent à mourir ; » (Répondant FG-FiP10)

Un informateur clé renchérit sur ce même thème : « …, nous avons eu beaucoup des cas d’Ebola et la population avait peur de se rendre à l’hôpital de peur de se faire contaminer et d’être transférée au CTE car considéré comme un mouroir, et de ce fait beaucoup ont procédé à l’automédication et se rendaient aux soins quand s’était déjà tard. » (Répondant IC8_ADV)

Un autre informateur clé a dit ceci : « On avait peur de se rendre à l’hôpital de peur qu’on puisse être transféré au CTE et beaucoup de malades mouraient dans leur maison ou chez les tradipraticiens. La riposte a créé trop des conflits dans la communauté ; il y a des gens qu’on accusait d’avoir signalé aux équipes de riposte de venir récupérer leurs frères pour les amener aux CTE et y mourir, » (Répondant IC6_ CATHO)

Organisation des enterrements

Du discours des participants à l’étude, il est également ressorti que les mesures qui avaient été mises en place par les équipes de riposte pour organiser les enterrements dignes et sécurisés ont occasionné beaucoup de mécontentements au sein de la population qui s’y inscrivait en opposition. Cette incompréhension était à la base des actes violents qui ont été décrits lors de funérailles et des inhumations des corps. Certains participants ont fustigé l’enterrement de leur proche en secret sans les associer, d’autres ont mal perçu les actes de sécurisation du corps notamment la pulvérisation avec la solution chlorée et l’utilisation du sac mortuaire. D’autres encore ont fustigé la présence des femmes dans les équipes d’enterrement en disant que cela est une abomination dans leur culture. Il est ressorti également que l’interdiction des attroupements en famille pour raison de deuil, l’interdiction de l’exposition des corps lors des funérailles ainsi que la limitation du nombre des personnes qui devaient accompagner l’équipe sur le lieu d’inhumation ont été mal interprétées par la population.

Un participant représentant de la société civile revient sur ce thème en ces mots : « Les deuils n’étaient plus organisés dans des familles comme avant car les corps ne quittaient plus le CTE pour le domicile, » (Répondant IC4_ SOCIV)

Un autre participant représentant des associations féminines décrit cette situation comme suit :

« …, en cas de décès, on nous interdisait d’accéder au lieu de deuil, les gens forçaient pour accéder au lieu de deuil, ce qui créait des violences. » (Répondant IC5_ASOFEM).

Un autre participant renchérit : « …, et les enterrements étaient bien faits par les équipes de riposte mais n’étaient pas bien vu par la communauté. Les deuils étaient interdits, on ne pouvait pas avoir des attroupements. » (Répondant IC3_AUTSC)

En abordant la même question, un représentant d’une confession religieuse dit ce qui suit : « Les malades étaient transportés dans des ambulances et l’enterrement était fait par les équipes d’enterrement digne et sécurisé sans associer la famille ce qui frustrait beaucoup, Les familles n’organisaient plus de deuil. Nous comme pasteurs avons eu de la peine à sensibiliser la population car on nous soupçonnait d’être corrompus. » (Répondant IC8_ADV)

Ebola-business

Un autre élément découlant de l’analyse inductive du discours des participants à l’étude est la perception des activités de la riposte qui sont assimilées à un business. Cette situation est rapportée par quasiment l’ensemble des participants. Les uns évoquent le nombre de véhicules qui étaient réquisitionnés pour aller prendre un seul cas. Les autres affirment que les RECO avaient été corrompus et se faisaient payer des sommes d’argent pour chaque cas d’Ebola rapporté aux équipes de la riposte. D’autres encore ont évoqué des sommes d’argent qui étaient remises aux familles éprouvées pour appuyer l’organisation des funérailles ou encore les biens de luxe qui étaient achetés et remis aux familles éprouvées en remplacement des biens brulés pour interrompre la chaine de transmission. En fin, certains ont évoqué les kits de réinsertion social qui étaient remis aux personnes guéries d’Ebola. Tous ces effets ont été mal perçus par la population qui les interprétait comme une récompense pour les cas suspects dénoncés aux équipes de riposte ou les cas de décès.

Un participant s’exprime ainsi à ce sujet : « Les équipes brulaient les effets des malades et les faisaient remplacer par d’autres de luxe accompagnés d’une somme d’argent. » (Répondant FG- HoP1)

Un autre participant renchérit sur cette question : « La population résistait aux activités de la riposte car elle croyait que c’était du business et on a inventé la maladie pour créer de l’argent. » (Répondant IC1_APA)

Une autorité scolaire interrogée dans le cadre de cette étude aborde cette question en ces termes :

« Nous avons vu beaucoup de gens résister contre les équipes de riposte, La population était intoxiquée et croyait que ces gens étaient seulement pour l’argent et tuaient les personnes, » (Répondant IC3_AUTSC)

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Institute AFRAC - Travail présenté en vue de l’obtention du Master en Santé Publique
Auteur·trice·s 🎓:
MUKAMA KAMBALE Eric

MUKAMA KAMBALE Eric
Année de soutenance 📅: Option : Epidémiologie - 2020 – 2021
Encadreur de zones de santé à la division provinciale de la santé du Nord-Kivu de Février 2022 à nos jours. .
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