Décryptage de la morphologie verbale du kifuliiru : Une comparaison éclairante


1.3. PRESENTATION DU CORPUS

Sous cette dernière section, il nous sera question d’examiner la structure ou la morphologie des verbes du kifuliiru. Nous dégagerons les différents éléments constitutifs d’une forme verbale du kifuliiru, puis les opposer à ceux du français afin de dégager les éléments de ressemblance (transfert positif) et dissemblance (interférence), et surtout insister sur l’impact du kifuliiru à l’apprentissage du français.

Contrairement au français, une forme verbale du kifuliiru est constituée de plusieurs éléments interdépendants, notamment la préinitiale, l’initiale, la post- initiale, le formatif, le limitatif, l’infixe, le radical, l’extension du radical, la finale et la post-finale (Ruhekenya Jumapili, 2010, La Morphosyntaxe du kifuliiru, thèse de doctorat, UNILU, pp. 102 – 110).

Il s’avère nécessaire de signaler qu’en tenant compte des fonctions jouées par ces différents morphèmes constitutifs d’une forme verbale du kifuliiru, l’on peut les classer en trois catégories : les morphèmes de formation, ceux de conjugaison et ceux de substitution.

1.3. PRESENTATION DU CORPUS

On entend par morphèmes de formation « ceux qui constituent la base du verbe » (MAVUDIKO BASHOMERWA , Essai d’analyse structurale des formes verbales du kifuliiru (J54), 1996, Mémoire, ISP-BUKAVU, p. 15). Il s’agit notamment du radical, élément central pouvant être suivi éventuellement d’une extension du radical.

Le radical

Comme en français, le radical est l’élément de base, l’élément pivot dans une forme verbale autour duquel viennent se grouper tous les autres. Il porte le sens lexical de la forme verbale.

C’est le radical qui joue le rôle important dans toute forme verbale. En kifuliiru, la structure canonique du radical est de type : – CVC -.

Exemples :

Kύtola <° kύ- tol -a « couper ».RadicalKύkina <° ku – kin – a « danser ».RadicalKύkiza <° ku – kiz – a « guérir ».RadicalLes types de radicaux qui s’attestent en kifuliiru sont les suivants :TYPE 1. -CVC- : Exemples :-Kύgula<°kύ-gul-a « acheter ».-Kύtuma<° kύ-tum-a « envoyer ». Kύkina<° kύ-kin-a« danser ».Le type - CVC - présente des sous-types.Il s’agit de :- CVNC- : Exemples :Kύkunda <° ku – kund – a « préférer ».Kύgenda <° ku – gend – a « aller ».Kύhenda <° ku – hend – a « tromper ».Kύhinga <° ku – hing – a « cultiver ».Kύramba <° ku – ramb – a « vivre ».Kύgamba <° ku – gamb – a « médire ».Kύyonga <° ku – yong – a« sucer ».- CSVC : Examples:Kύgwata <° ku – gwat – a « prendre ».Kύhyana <° ku – hyan – a « hériter ».Kύlwala <° ku – lwal – a « souffrir ».- CSVNC - :Exemple :- Kύtwanga <° ku – twang – a « troubler l’eau ».-Kύfyonga <° ku-fyong-a « suicider ».-CV:C- :Exemple :-Kύsiima <°ku-si:m-a « aimer »-Kύzaata <°ku-za:t-a « marcher »-Kύteera <°ku-te:r-a « pondre »TYPE 2. – CV- :ExemplesKύlya <° ku – li – a « manger »Kύlwa <° ku – lu – a « se battre »Kύfwa <° ku – fu – a « mourir »Kύmwa <° ku – mu – a « coiffer »Kύgwa <° ku – gu – a « tomber »Il convient de signaler que le type – VC- est très rare en kifuliiru mais il s’atteste dans beaucoup d’autres langues bantu.Comme nous venons de le constater, à travers les radicaux du type - CV-, on peut dégager un procédé morpho-phonologique appelé dévocalisation .On parle de la « dévocalisation » ou « semi-vocalisation » lorsque les morphèmes [i] et [u] du premier degré d’aperture buccale sont respectivement représentés par les phonèmes [y] et [w] s’ils sont suivis d’une voyelle autre qu’eux-mêmes.Exemples :°Kύdu – a = kύdwa « saigner »°Kύhi – a = kύhya « mûrir »°Kύfu – a = kύfwa « mourir »°Kύnu – a = kύnwa « boire »°Kύli – a = kύlya« manger »Bref, le kifuliiru atteste plusieurs types de radicaux verbaux. Néanmoins, le plus fréquent ou régulier est celui du type – CVC -. Ce type de radical apparait dans plusieurs formes verbales du kifuliiru. En kifuliiru et comme dans d’autres langues bantu, le radical verbal atteste un élargissement qu’on appelle« extension ».

2.2.1.2. L’extension ou suffixe

Cette extension du radical fonctionne aussi comme un morphème de formation du fait qu’elle constitue tel que le radical la base du verbe.

L’extension est un morphème (suffixe) placé entre le radical et la finale afin de créer un nouveau verbe ayant la nouvelle signification.

Selon les fonctions qu’ils remplissent, en kifuliiru comme dans bien d’autres langues bantu, les suffixes sont répartis en deux catégories, notamment les suffixes dérivatifs et les suffixes formels .

Les suffixes dérivatifs

Ce sont ceux qui confèrent au radical un sens supplémentaire. Les suffixes dérivatifs les plus courants sont les suivants : le causatif, l’applicatif, le réciproque, le passif, le réversif, le répétitif et le résultatif.

Le suffixe causatif : Le suffixe causatif indique que le sujet accomplit l’action par l’intermédiaire d’une tierse personne. Ce suffixe indique que l’action est provoquée. Il a le sens de « faire faire l’action ».

En kifuliiru, le suffixe causatif est attesté sous la forme -°is – ou –es-. Exemples :

Kύmala « terminer »  kύmalíisa <° kύ – mal – i:s – a « faire terminer »suffixe causatifKύyita « tuer »  kύyitiisa <° kύ – yit – i:s – a « faire tuer »suffixe causatifKύshuka « laver »  kύshukiisa <° kύ – shuk – i:s – a « faire laver »suffixe causatifKύtega « piéger »  kύtegéesa <° kύ – teg – i:s – a « faire piéger » suffixe causatifKύbeesha « mentir »  kύbeeshesa <° kύ – be:sh – is – a « faire mentir »Suffixe causatifC’est par harmonie vocalique que –is- devient –es- si nous avons une voyelle du 2 e degré d’aperture buccale au niveau du radical. L’harmonie vocalique est un procédé morphologique qui consiste à remplacer les voyelles du 1 er degré d’aperture buccale par leurs correspondants du 2 e degré si la syllabe voisine à gauche contient une voyelle du 2 e degré.Exemples :Kύyuvwa « entendre »  kύyuvwiisa <° kύ – yuvu – is – a « faire entendre »Kύyuvwa « entendre »  kύyuvwesa <° kύ-yuvu-es-a « faire entendre » (harmonie vocalique).Kύsheka « rire »  kύshekesa <° kύ-shek-es-a « faire rire » (harmonie vocalique).Le suffixe applicatif : Il indique que l’action exprimée par la forme verbale est accomplie en faveur de quelqu’un. Il a le sens de « pour ». Ce suffixe est attesté sous la forme –ir- ou – er- par harmonie vocalique.Exemples :Kύsiima « aimer »  kύsiimira <° kύ-sim-ir-a « aimer pour »Suffixe applicatifKύfwa « mourir »  kύfwira <° kύ-fu-ir-a « mourir pour »Suffixe applicatifKύtola « couper » kύtolera <° kύ-tol-ir-a « couper pour »Suffixe applicatifKύgenda « aller »  kύgendera <° kύ-gend-ir-a « aller pour »Suffixe applicatifLe suffixe réciproque : Il indique que l’action est accomplie par deux sujets l’un sur l’autre.Ce suffixe réciproque se présente sous la forme –an-.Exemples :Kύyanga « épouser »  kύyangana <° kύ-yang-an-a « se marier mutuellement ». « Kύyangana » s’emploie aussi par les jeunes pour signifier « faire le rapport sexuel ».Kύtuma « envoyer » kύtumana <° kύ-tum-an-a « s’envoyer mutuellement ».Kύshulika « frapper »  kύshulikana <° kύ-shul -ik-an-a « se frapper mutuellement ».Kύgira « faire »  kύgirana <° kύ-gir-an-a « se faire mutuellement ». NB :« Kύgirana »et« Kuyangana »sontdessociolectesdesjeunes (jeunolectes) employés pour signifier « faire le rapport sexuel ».Le suffixe passif : Il indique que le sujet subit l’action exprimée par la forme verbale simple.En kifuliiru, le suffixe passif se manifeste sous la forme –u- ou –ibu- et parfois –ebu- par harmonie vocalique.Exemples :Kύhàna « punir »  kύhanwa<° kύ-han-u-a « être puni ».Kύbudika « battre »  kύbudikwa <° kύ-bud -ik-u-a « être battu’’.Kύmwa “ coiffer”  kύmwebwa <° kύ-mu-ib-u-a « être coiffé”.Kύlya “manger”  kύlibwa <° kύ-li-ibu-a « être mangé ».Kύgira « faire »  kύgirwa <° Kύ-gir-u-a <° « être fait ».Le suffixe réversif : Il indique une action contraire à celle exprimé par le verbe simple. Le réversif peut se présenter sous deux types, notamment le réversif transitif attesté sous la forme –ul- et le réversif intransitif attesté sous la forme –uk-.Exemples :Kύyigala « fermer »  kύyigula <° kύ-yi-ul-a « ouvrir ».Kύshweka « attacher »  kύshwekύla <° kύ-shwek-ul-a « détacher ».Kύbunga “plier”  kύbungula <° kύ-bung-ul-a « déplier ».Kύtega « piéger »  kύtegula <° kύ-teg-ul-a « dépiéger ».Kύhanga « coudre »  kύhangula <° kύ-hang-uk-a « se détacher ». Contrairement au français où le contraire est marqué par les préfixes (de,des, dis, mal, an, …), le kifuliiru emploie soit le suffixe –ul-, soit –uk- pour marquer le sens contraire. Cette différence constitue une difficulté pour l’apprentissage des antonymes en français.Le suffixe répétitif : Il indique que l’action est faite à plusieurs reprises.Le kifuliiru n’atteste pas de suffixe répétitif. Il se manifeste par le redoublement du radical. Ce redoublement du radical indique le prolongement de l’action ou l’insistance.Exemples :Kύhuuna « demander »  kύhuunahuuna <° kύ-hu:n-hu:n-a « demander plusieurs fois ».Kύyoga« nager »  kύyogayoga <° kύ-yog-yog-a« nager maintes fois ».Kύlíra « pleurer »  kύliralira <° kύ-lir-lir-a « pleurer maintes fois ».Kύshulika« frapper »  kύshulikashulika <° kύ-shul -ik-shul -ik-a« frapper plusieurs fois ».L’élève mufuliiru étant habitué à redoubler le radical pour indiquer la répétition ou l’insistance de l’action aura tendance d’appliquer le même mécanisme lorsqu’il s’exprime en français.Par exemple, les élèves disent :Manger-manger pour signifier « manger plusieurs fois ».Parler-parler pour signifier « parler maintes fois ».Déranger-déranger pour signifier « déranger à maintes reprises ».NB : En kifuliiru, le répétitif renvoie parfois au sens péjoratif ou dépréciatif.Le suffixe résultatif : C’est un suffixe qui indique une disposition que l’action va subir. Il se manifeste sous la forme –ik- ou –ek- par harmonie vocalique et parfois –ha-.Exemples :Kύbona « voir »  kύboneka <° kύ-bon-ek-a « être visible ».Kύgira « faire »  kύgirika <° kύ-gir-ik-a « être faisable ».Kύgwata « prendre »  kύgwatika <° kύ-gwat-ik-a « être préhensible ».Kύgula « acheter »  kύgulika <° kύ-gul-ik-a « être achetable”.Kύyijiha <° kύ-yij-ih-a «être beau/belle ».Kύbiha<° kύ-bih-a « être laid/laide ».

1.3. PRESENTATION DU CORPUS

En kifuliiru, certains suffixes se combinent entre eux dans une forme verbale. C’est le cas de :

Le réversif + l’applicatif : Exemples :

Kύyigulira <° kύ-yig-ul-ir-a « ouvrir pour quelqu’un ».Kύbungulira <° kύ-bung-ul-ir-a « déplier pour quelqu’un ».Le réversif + le réciproque : Exemples :Kύbishulana <° kύ-bish-ul-an-a s « se découvrir mutuellement ».Kύshwekulana <° kύ-shwek-ul-an-a « se détacher mutuellement ».Le réversif + le passifExemples :Kύyigulirwa <° kύ-yig-ul-iru-a “Kύshwekulirwa <° kύ-shwek-ul-iru-a “Kutegulirwa <° Ku-teg-ul-iru-a : « être dépiégé pour ».Le réversif + l’applicatif + le réciproqueExemples :Kύyigulirana<°kύ-ying-ul-ir-an-a« ouvrirpourquelqu’un mutuellement ».Kύbungulirana<°kύ-bung-ul-ir-an-a« déplierpourquelqu’un mutuellement ».Kύtegulirana<°kύ-teg-ul-ir-an-a« dépiégerpourquelqu’un mutuellement ».Etc.Le kifuliiru atteste la combinaison des suffixes pour la création des verbes, c’est-à-dire qu’en kifuliiru les suffixes peuvent se combiner facilement .Ce cas ne s’observe pas en français. C’est une particularité pour le kifuliiru.

1.3. PRESENTATION DU CORPUS

On entend par suffixes formels ceux qui font partie intégrante du radical verbal sans lui conférer une nuance sémantique supplémentaire.

Parmi les suffixes formels, on distingue :

Les suffixes formels homomorphiques : Ce sont des suffixes dont la forme est identique à celle des suffixes dérivatifs sans toutefois conférer au radical une nuance sémantique supplémentaire. Il s’agit des suffixes – ir-, -ul-, -uk-, -ik -.

Exemples :

Kύbetula <° kύ-bet-ul-a « porter sur la tête ».Kύzimiira <° kύ-zim-ir-a « disparaître ».Kύlindira <° kύ-lind-ir-a « attendre ».Kύyabiira <° kύ-yab-ir-a « prendre ».Kύshukula <° kύ-shuk-ul-a « baptiser ».Kύmanika <° kύ-man-ik-a « suspendre ».Kύtebuuka <° kύ-teb-uk-a « se presser ».Les suffixes formels hétéromorphiques : Ce sont des suffixes qui présentent une forme non identique à celle des suffixes dérivatifs. Ils présentent une forme originale à la quelle on ne peut pas rattacher de sens. Ce suffixes sont, notamment –ah-,-az-,-al-, -ok-,-or-,-ur-,-er-,-it-,-am-,-iz-,…Exemples : al- dans kύyigala <° kύ-yig-al-a « fermer ».ah- dans kύsimbaha <° kύ-simb-ah-a « respecter ».az- dans kύhimbaza <° kύ-himb-az-a « adorer ».it- dans kύtibita <° kύ-tib-it-a « courir ».er- dans kύgwejera <° ku-gwej-er-a « dormir ».ol- dans kύshobola <° ku-shob-ol-a « réussir ».og- dans kύminoga <° ku-min-og-a « frapper ».ok- dans kubomoka <° ku-bom-ok-a « être détruit ».am- dans kύfukama <° ku-fuk-am-a « s’agenouiller ».ur- dans kύhebura<° ku-heb-ur-a « déséspérer ».ang- dans kuyimanga <° Ku-yim-ang-a : « être débout »Il est évident de dire que les suffixes homomorphiques et hétéromorphiques en kifuliiru ont de forme à laquelle on ne peut pas rattacher le sens.C’est grâce aux suffixes dérivatifs que le kifuliiru crée de nouveaux verbes. C’est la dérivation verbale dérivative . Le radical et les suffixes (extension du radical) sont des morphèmes de formation car ils constituent la base d’une forme verbale.

1.3. PRESENTATION DU CORPUS

Les morphèmes de conjugaison sont ceux qui interviennent dans la constitution de différentes formes du verbe à savoir les voix, les modes et le temps. Il s’agit principalement de la préinitiale, les marques de temps, les morphèmes limitateurs, la postinitiale et la finale.

2.2.2.1. La préinitiale

C’est le morphème qui précède le préfixe verbal. Le kifuliiru atteste la préinitiale pour introduire l’interrogation directe du type « est-ce que ? ». Il s’agit du morphème –ka-.

Exemples :

Kátwagύla ?<°ka –tu-a-gύl-a « est-ce que nous avons acheté ? »Kánakola ?<°ka-na-kol-a « est-ce que j’ai travaillé ? »Kángahuuna ? <° ka-n-ga –hu:n-a « est-ce que je vais demander ? »Kábagafwa ? <° ka-ba-ga-fu-a « est-ce qu’ils vont mourir ? »Kátugagonda ? <° ka-tu-ga-gond-a « est-ce que nous allons doter ? »

2.2.2.2. La postinitiale

C’est le morphème qui se place après l’initiale pour marquer la négation.

Il s’agit du morphème –ta-.

Exemples : – Atáyija<°a-ta-yij-a « il n’arrive pas ».Atágύla<°a-ta-gύl-a « il n’achète pas ».Tutágonda<°tu-ta-gond-a « nous ne dotons pas ».

2.2.2.3. Le formatif

C’est le morphème qui se place devant le radical pour marquer le temps et le mode auquel le verbe est conjugué. C’est la marque de temps.

Le kifuliiru atteste trois principaux temps, notamment le présent, le passé et le futur. Trois types de morphèmes marquent le temps en kifulliru :

–mu – : Il sert à exprimer le présent immédiat. Exemples :

Tumubisha <° tu-mu-bish-a « nous cachons ».Tumumala <° tu-mu-mal-a « nous finissons ».Nimugenda <° ni-mu-gend-a « je marche ».Ulimubona <° uli-mu-bon-a « tu vois ».–ga - : Il sert à exprimerle futur proche ou éloigné. Exemples :Mugajamba <° mu-ga-jamb-a « vous maigrirez ».Agahama <° a-ga-ham-a « il grossira ».Bagashala <° ba-ga-shal-a « ils vomiront ».Tugaramba <° tu-ga-ramb-a « nous vivrons ».– ka - : Il sert à exprimer le passé récent ou éloigné.Exemples :Akamenya <° a-ka-meny-a « il a connu ».Tukayiga <° tu-ka-yig-a « nous avons appris ».Nikahanwa <° ni-ka-han-u-a « j’ai été puni ».Ukatabalwa <° u-ka-tab-al-u-a « tu as été aidé ».A la différence du français où nous avons une multitude de temps des verbes, le kifuliiru n’atteste que trois temps (présent, passé et futur) marqués par les morphèmes –mu-, -ga- et –ka-. Cette différence serait une difficulté non négligeable dans l’apprentissage des autres temps qui n’existent pas en kifuliiru comme l’imparfait, le plus-que-parfait, le passé antérieur, le futur intérieur, …A côté des morphèmes marquant les temps, le kifuliiru atteste d’autres morphèmes marquant les aspects. Ce sont des morphèmes « limitateurs » qui se présentent soit en position postinitiale, soit après le formatif.Le kifuliiru atteste cinq types de morphèmes « limitateurs » (marqueurs des aspects) :– ki - : Il indique que l’action est entrain de se dérouler ou s’accomplir dans le temps. Il exprime ainsi l’idée de persistance momentanée ou le duratif momentané.Ce morphème est employé avec la finale –i- pour marquer le présent et le passé ; le futur est marqué par le morphème –ki- et la finale –a-.Exemples :Tukirambiri <° tu-ki-ramb-ir-i « nous vivons encore pour un temps ».Mukusiimiri <° mu-ki-si:m-ir-i « vous aimez encore pour un temps ».Balikihiziri <° ba-li-ki-hiz-ir-i « ils étaient encore au champ ».Ugakigenda <° u-ga-gend-a « tu partiras encore ».– kiri - Il exprime une action qui est entrain de se dérouler avec l’idée de duratif persistif et est employé avec la finale –a-.Exemples :Nalikirimuyonga <° na-li-kiri-mu-yong-a« j’étais encore entrain de sucer ».Nikirimuyija <° ni-kiri-mu-yij-a « je suis entrain de venir ».Tukirimukaraba <° tu-kiri-mu-kar-ab-a « nous sommes encore entrain de nous laver ».Balikirimubeesha <° ba-li-kiri-mu-be:sh-a « Ils étaient encore entrain de mentir ».Après analyse de ces exemples,nous constatons que les morphèmes limitateurs réponderaient aux formules suivantes :P.V + li + kiri + mu + RV + -a pour le passé.P.V + kiri + mu + RV + -apour le présent.P.V + ga + kiri + mu + RV + -a pour le futur.De ces formules, découlent les explications suivantes :Les morphèmes –li- et –ga- indiquent les marques du passé et du futur.Le morphème –kiri- indique l’aspect répétitif et a le sens de « encore ».Le morphème –mu- a le sens de « en ce moment, à l’instant même ».– shubi - : Il indique l’idée de nouveauté et il a la valeur de l’itératif et est employé avec la finale –a-.Exemples :Kushubisiima <° ku-shubi-s:m-a « aimer de nouveau ».Nshubigenda <° n-shubi-gend-a « que j’aille de nouveau ».Mushubisheka <° mu-shubi-shek-a « que vous riez de nouveau ».Kabashubiyija <° ka-ba-shubi-yij-a « sont-ils revenus ».Kandi+PV + shubi + RV + finaleEn position initiale, l’indice limitateur –kandi- exprime l’idée du jonctif et signifie « aussitôt », « aussi ». Une fois associé au morphème –shubi-, lafinale attestée est –a- pour rendre le monde subjonctif. L’absence de – shubi- entraîne la finale –e- pour l’expression du même mode.Exemples :Kandiniyige <° kandi-ni-yig-e « que j’apprenne encore ».Kanditushubiyija <° kandi-tu-shubi-yij-a « que nous venions encore ».Kákandiugashubibesha ?<° ka-kandi-u-ga-shubi-besh-a« est-ce que tu vas encore mentir ? »– kizi - C’est un morphème limitateur de temps indiquant l’aspect habituel. Cet aspect habituel peut être exprimé aussi par le morphème –tula-. Exemples :Balikizimwana <° ba-li-kizi-mu-an-a« ils avaient l’habitude de se coiffer ».Balitulababeesha <° ba-li-tula-ba-besh-a« Ils avaient l’habitude de mentir ».Atalikizilanga <° a-ta-li-kizi-lang-a « ils n’a pas l’habitude de garder ».

2.2.2.3. La finale

C’est un morphème qui complète la marque de temps. La finale est un morphème de conjugaison en rapport avec le formatif pour exprimer certaines catégories grammaticales telles que le temps, le mode et l’aspect. Pour la finale, le kifuliiru atteste les morphèmes suivants : -a-, -e-, -i- et –iri-.

– a- : Est une finale qui exprime le ponctuel et l’infinitif. C’est aussi la finale marquant le présent, le futur, et le passé de l’indicatif et l’impératif.

Exemples :

Kukina <° ku-kin-a « danser ».Nayigaza <° na-yi-gaz-a « je m’enrichis ».Ngárámba <° ngá-ramb-a « j’ai vécu ».Ngárámba <° nga-ramb-a « je vivrai ».Yija <° yij-a « viens ».– i - : C’est une finale attestée pour marquer l’aspect duratif momentané et sert aussi à marquer le présent et le passé.Exemples :Akisiimiri <° a-ki-si:m-ir-i « il aime encore ».Tukirambiri <° tu-ki-ramb-ir-i « nous vivons encore ».Bakilwaziri <° ba-ki-lwal-ir-i « ils souffrent encore ».Kikiboziri <° ki-ki-bol-ir-i « il est encore pourri » (chose).– e - : C’est une finale qui marque le subjonctif et l’impératif négatif. Exemples :Nisiime<° ni-si:m-e « que j’aime ».Mulye <° mu-li-e « que vous mangiez ».Tutágende <° tu-ta-gend-e « n’allons pas ».Batákole <° ba-ta-kol-e « qu’ils ne travaillent pas ».– iri - : C’est une finale qui marque le perfectif. Exemples :Nalikihiziri <° na-li-ki-hing-ir-i « j’étais encore au champ ».Baliguziri <° ba-li-gύl-ir-i « ils avaient acheté ».Twaligeziri <° twa-li-gend-ir-i “ nous étions allés ”.

1.3. PRESENTATION DU CORPUS

Les morphèmes de substitution sont des morphèmes qui servent à remplacer certains éléments à l’intérieur d’une forme verbale.

Les morphèmes de substitution les plus attestés en kifuliiru sont l’initiale, l’infixe et la postinitiale.

2.2.3.1. L’initiale

C’est un morphème qui précède le radical verbal. C’est le préfixe verbal attesté sous la forme –ku- dans la plupart des langues bantu. Dans les formes impératives, l’initiale se présente sous la forme Ø-.

Le préfixe verbal entretient des relations d’interdépendance avec les autres préfixes de classes dont le préfixe nominal (P.N) commande l’accord.

Exemples :-Kύbona <°ku-bon-a « voir ».-Kύgira <°ku-gir-a « faire ».En effet, le kifuliiru atteste vingt (20) préfixes de classes dont certains marquent le singulier et les autres le pluriel.Le système des classes du kifuliiru :

2.2.3.2. L’infixe

C’est le morphème qui précède le radical pour remplacer un élément déjà cité dans la phrase.

Il existe deux sortes d’infixes :

L’infixe objet et

L’infixe réfléchi.

L’infixe objet : Il remplace le complément d’objet dans une phrase et varie selon les classes.

Exemples :

Zino ngaavu tuzigabe <° tu- zi -gab-e « ces vaches, partageons-les ».Infixe objet. Zigabe <°ø- zi-gab-e « partagez-les ».Cl8 : Bino bindu bianingabigaba <° nga- bi -gab-a « mes biens, je vais les partager avec les autres ».Infixe objetCl2 : Bana bija bano bayija,ngabalera <° nga- ba -ler-a : “ ces bons enfants qui viennent, je vais les garder”. Infixe objet.L’infixe réfléchi : C’est le morphème qui indique que le sujet accomplit l’action sur lui-même. Il est attesté sous la forme –yi- unique à toutes les classes et les personnes. Il est fréquent dans la construction pronominale.Exemples :Kuyikaraba <° ku-yi-kar-ab-a « se laver ».Kuyigaza <° ku-yi-gaz-a « s’enrichir ».Kuyikenesa <° ku-yi-ken-is-a « s’appauvrir ».Bayikaraba <° ba-yi-kar-ab-a « ils se lavent ».Muyísimbahe <° mu-yi-simb-ah-e « respectez-vous ».La postinitialeTel que le nom l’indique, la postinitiale est un morphème qui apparaît après la finale pour traduire l’idée d’un complément d’objet comme le ferait l’infixe objet.Les morphèmes attestés dans la position postinitiale sont normalement les préfixes pronominaux des classes suivis de la voyelle du 2 e degré d’aperture« o ». D’où la formule P.P + O . Exemples :Cl12 : Akaya ko turambirimwo <° tu-ramb-ir- mu-o « le village dans lequel nous vivons.Cl3 : Omugazi gwotuyubasirikwo<° tu-yubas-ir-i- ku-o « la montagne sur laquelle nous vivons ».Kirago twamulelerakwo <° twa-mu-let-er-a-ku-o « la natte sur laquelle nous l’avons amené ».Après l’analyse des formes verbales du français et du kifuliiru, il s’observe une très grande différence au niveau de structure.Les formes verbales du français n’ont pas la même structure (morphologie) avec les formes verbales du kifuliiru. Cette différence structurale est à la base de fautes commises par les élèves bafuliiru dans l’apprentissage de la conjugaison.Le français est une langue « flexionnelle », c'est-à-dire qu’il est pourvu des morphèmes grammaticaux qui indiquent la fonction des unités. Le français a ses propres suffixes pour marquer les modes, les temps, la personne, le nombre et le genre (désinencescasuelles) alors que le kifuliiru est une langue« agglutinante », c'est-à-dire qu’il présente la caractéristique structurelle del’agglutination et de l’accumulation auprès du radical d’affixes distincts pour exprimer les rapports grammaticaux.A part les éléments constitutifs, la structure en soi des formes verbales du kifuliiru poserait des problèmes à l’apprentissage de la conjugaison du français et vice-versa.L’élève étant habitué par exemple à la structure « kamutagenda ? » <° ka-mu-ta- gend-a signifiant « n’êtes-vous pas allés ? » ; la première étant une forme agglutinante, aura tendance à dire «* n’êtes-vouspasallés ? » car les éléments ne se présentent pas séparément dans sa langue maternelle. Il s’agit dans ce cas de l’interférence linguistique à l’écrit.Quant aux éléments constitutifs d’une forme verbale, en français, nous avons les éléments suivants : le radical (racine), la désinence, le préfixe et les suffixes (flexionnel ou dérivationnel) tandis qu’une forme verbale du kifuliiru apparaît très riche et complexe que celle du français sur le plan structural.Les éléments constitutifs d’une forme verbale du kifuliiru sont la préinitiale (marqueur interrogatif), l’initiale (préfixe verbal), la postinitiale (marqueur négatif), le formatif (marqueur temporel), le limitatif (marqueur d’aspect), l’infixe (objet et réfléchi), le radical (gardant le sens du verbe), l’extension (suffixes dérivatifs et formels), la finale et la postinitiale.Une forme verbale simple du français n’a que deux éléments, notamment le radical et la désinence.Exemples :Je danse <° dans-e.Nous finissons <° fin-issons.C’est la forme verbale composée (complexe) qui peut avoir le préfixe, le radical et le suffixe (désinence).Exemples :Disqualifier <° dis-qualifi-er «ne pas qualifier ».Déshabiller <° dés-habill-er « ne pas habiller ».Prédire <° pré-di-re « dire à l’ avance ».Désenfanter<° des-enfant-er « ne pas enfanter ».Quant au kifuliiru, une forme verbale simple comprend l’initiale (P.V), le radical et la finale ou les deux derniers pour l’impératif.Exemples :Kuhenda <° ku-hend-a « tromper ».Kugwa <° ku-gu-a « tomber ».Genda <° gend-a « pars ».Lwa <° lu-a « bats ».Mais la forme verbale complexe du kifuliiru comprend plus de trois éléments. Exemples :Kutágenda <° ku-ta-gend-a « ne pas partir ».Kutáshulikwa <° ku-ta-shul-ik-u-a « ne pas être frappé ».Kamutáyigulirana ? <° ka-mu-ta-yig-ir-an-a« n’êtes-vous pas ouvert pour vous mutuellement ? »Kamutákashulikwa ? <° ka-mu-ta-ka-shul-ik-u-a« n’avez-vous pas été frappés ? »Quoiqu’il s’observe une différence entre les formes verbales du français et du kifuliiru, il est évident de signaler qu’il existe des éléments communs entre ces deux langues.Ces éléments communs sont appelés universaux . Il s’agit de/du :radical : C’est l’élément de base dans une forme verbale autour du quel viennent se grouper tous les autres (préfixes et suffixes).Le suffixe : C’est un élément placé après le radical verbal pour lui conférer des significations supplémentaires.Cependant, le français atteste des suffixes flexionnels ou désinentiels pour marquer le cas, le genre, le nombre, le temps, la personne ou le mode et les suffixes dérivationnels servant à former de nouveaux verbes.Le kifuliiru atteste aussi des suffixes dérivationnels servant à la création de nouveaux verbes comme le causatifs, l’applicatif, le réciproque, le passif, le réversif, le répétitif et le résutatif et les suffixes formels faisant partie intégrante du radical sans conférer une nuance sémantique supplémentaire.

2.3. DIFFERENCE ENTRE LA FORME VERBALE DU FRANÇAIS ET CELLE DU KIFULIIRU

Comme la linguistique contractive ou différentielle s’intéresse surtout aux différences entre deux langues non congénères, il convient alors d’insister sur les éléments de dissemblance entre la forme verbale du kifuliiru et celle du français.

De ce tableau, il découle ce qui suit : le français atteste le radical verbal, la désinence ou terminaison(finale), le préfixe et le suffixe. Ces derniers éléments interviennent pour la formation de nouveaux verbes.Le radical verbal et ladésinence ou terminaison(finale) sont des éléments indispensables pour une forme verbale du français.

Pour ce qui concerne le kifuiiru, une forme verbale contient plusieurs éléments : l’initiale ou préfixe verbal,la préinitiale, la posteinitiale, le radical, le formatif, le posteformatif, le suffixe, l’infixe, la finale et la postfinale.

Pour surtout ne pas nous répéter, il nous est évident de dire que la forme verbale du français atteste moins d’éléments que celle du kifuliiru. Cette dernière apparaît la plus riche et la plus complexe sur le plan structurel. Tous ces éléments existant dans une forme verbale du kifuliiru mais qui n’existent pas en français constituent les principales fautes commises par un locuteur fuliiru lorsqu’ils apparaissent dans une forme verbale du français.

Les éléments morphologiques existant dans une forme verbale du kifuliiru et qui n’existent pas dans celle du français ou vice-versa constituent ce qu’on peut appeler crible morphologique .

Les universaux (transfert positif) rendent aisé l’apprentissage du français, par contre ces dissemblances, quant à elles, entravent l’apprentissage, car elles occasionnent les interférences linguistiques. D’où l’enseignant de français doit maîtriser la morphologie du français et celle de langue de ses apprenants pour faire face à toutes ces interférences (sources de fautes commises par les apprenants), car pour que l’enseignant parvienne à corriger la faute commise, il doit en savoir la source ou la cause.

D’où alors, la nécessité, pour un enseignant de français, de maîtriser la linguistique africaine et française.

CONCLUSION PARTIELLE

Dans ce deuxième chapitre portant sur la structure de la forme verbale du français et du kifuliiru, notre souci était de dégager les différents éléments (morphèmes) constitutifs des formes verbales de ces deux langues en étude (français et kifuliiru).

Les analyses que nous avons menées nous ont permis de confirmer que les formes verbales du français n’ont pas les mêmes éléments morphologiques que celles du kifuliiru. Ces derniers paraissent les plus complexes que les premières.

En français, les formes verbales attestent les éléments suivants : le radical, la désinence (suffixe), le préfixe. Par contre, en kifuliiru, une forme verbale est très riche et complexe. Elle atteste les éléments morphologiques suivants : la

préinitiale, l’initiale, la postinitiale, le formatif, le limitatif, l’infixe, le radical, l’extension (suffixe), la finale et la postfinale.

De tous ces éléments ci-haut cités, l’initiale (P.V), le radical et la finale sont des constituants obligatoires d’une forme verbale simple en kifuliiru alors que les autres sont facultatifs, attestés surtout dans les formes verbales complexes d’une façon interdépendante.

Les éléments de différence entre la forme verbale du français et celle du kifuliiru constituent les interférences linguistiques, source/cause des fautes commises par un locuteur du kifuliiru dans l’apprentissage de la langue française. Ils ont, en effet, un impact négatif sur l’apprentissage du français par un mufuliiru.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top